L’insomnie est un problème de santé publique majeur, puisque 20 % des Français[1] seraient affectés. Et ce n’est que la face visible de l’iceberg : une part encore plus grande de la population serait ponctuellement concernée par des difficultés à s’endormir ou aurait une quantité de sommeil insuffisante et/ou de mauvaise qualité. Si certains patients touchés par l’insomnie peuvent avoir recours à des médicaments (notamment des somnifères), l’approche privilégiée pour la prise en charge initiale des troubles du sommeil implique d’agir sur les mauvaises habitudes et d’aider les personnes concernées à adopter un comportement adapté pour favoriser le sommeil nocturne. Néanmoins, il n’est pas toujours aisé de mettre en place les bons réflexes, et les difficultés peuvent persister. Pour régler leurs problèmes de sommeil, certains choisissent alors de se tourner vers tout un tas de remèdes dont les vertus sont régulièrement vantées sur les réseaux sociaux ainsi que dans les publicités.
C’est le cas notamment de compléments alimentaires à base de mélatonine[2], auxquels on prête très souvent de grandes qualités pour favoriser l’endormissement et améliorer le sommeil, mais aussi pour lutter contre le décalage horaire et même selon certains, pour traiter certaines maladies, notamment certains troubles de santé mentale. Mais qu’en est-il réellement ? Que disent les études scientifiques actuelles ? Comprend-t-on bien tous les mécanismes en jeu ? On revient sur le sujet dans notre nouveau Canal Détox.
Mélatonine, la panacée ?
La mélatonine est une hormone synthétisée au niveau de la glande pinéale, située à l’arrière du cerveau, dont la fonction est d’apporter à l’organisme l’information sur la rythmicité jour/nuit, et de favoriser ainsi l’endormissement. Concrètement, la synthèse de la mélatonine s’accroît en fin de journée, lorsque l’intensité de la lumière diminue, signalant au cerveau qu’il sera bientôt temps d’aller dormir. Puis, sa concentration augmente pour atteindre son maximum vers 3 ou 4 heures du matin, avant de redevenir minimale peu de temps après le réveil.
La mélatonine a pour fonction principale la synchronisation de notre horloge biologique sur le rythme circadien, ce cycle de 24 heures auquel la plupart des fonctions de notre organisme sont soumises.
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En prenant la mélatonine de synthèse contenue dans des compléments alimentaires, l’idée est de « forcer » un peu la nature, pour augmenter la concentration de mélatonine dans l’organisme et favoriser l’endormissement. Une promesse qui séduit les consommateurs.
De nombreux compléments alimentaires contenant de la mélatonine ont ainsi fait leur apparition sur le marché français. Des données ont indiqué qu’en 2018, jusqu’à 1,4 millions de boîtes auraient été vendues, témoignant de l’intérêt du public pour ce type de produits. Et au-delà des indications liées au sommeil, on voit de plus en plus de messages marketing affubler de multiples propriétés thérapeutiques à la mélatonine, concernant la plupart des maladies humaines, du cancer à la Covid-19 en passant par les maladies psychiatriques comme la dépression.
Le problème, c’est que les fondements scientifiques qui sous-tendent ces promesses demeurent encore fragiles pour certaines indications. De manière générale, les études qui s’intéressent aux effets de la prise de mélatonine sur le sommeil ou sur différents troubles comportent souvent des limites méthodologiques. Par exemple, les doses de mélatonine contenues dans les compléments testés (et dans ceux qui sont commercialisés), la durée des expériences et du suivi des participants ainsi que les critères d’inclusion varient souvent d’une étude à l’autre, ce qui complique la possibilité de généraliser les résultats. C’est d’autant plus vrai que les effets de la mélatonine peuvent varier en fonction de différents facteurs dont l’âge, la consommation de caféine, le fait d’être fumeur ou des interactions avec d’autres pathologies ou médicaments.
Les études les plus solides montrent que la mélatonine a des effets bénéfiques pour traiter les troubles du sommeil qui dépendent d’une dérégulation du rythme circadien (par exemple, en cas de décalage horaire, mais aussi de retard de phase du sommeil, très prévalent chez l’adolescent).
La mélatonine peut être un traitement très efficace chez des personnes souffrant de cécité totale, dont le rythme circadien n’est pas synchronisé sur une journée classique (notamment parce que ces individus ne perçoivent pas la lumière du jour), et qui souffrent souvent de fait d’insomnies récurrentes et/ou de somnolence en journée. Les consensus internationaux concluent que l’administration de mélatonine est le traitement de choix pour retrouver un rythme circadien normal de 24h chez l’aveugle en situation de « libre-cours », et permet de retrouver un sommeil de qualité et réduire un grand nombre de symptômes associés (cognitifs, de la santé mentale, métaboliques).
Certaines revues de la littérature scientifique soulignent aussi qu’en population générale, ces compléments peuvent être bénéfiques pour raccourcir un peu le temps d’endormissement surtout chez les sujets de plus de 55 ans[1], même si les effets varient en fonction des individus et de la formulation des produits consommés.
En revanche, peu d’effets ont été rapportés concernant la fréquence des réveils pendant la nuit ou sur la qualité du sommeil.
Certains chercheurs se sont aussi intéressés aux effets de la mélatonine pour traiter les complications liées au sommeil dans plusieurs troubles neurologiques ou psychiatriques. On sait que pour nombre de ces maladies l’horloge biologique peut être désynchronisée, et ce phénomène est responsable à la fois des problèmes de sommeil et de l’humeur. Prendre de la mélatonine a donc été envisagé comme une possible solution. Des effets intéressants ont d’ailleurs été observés dans le cadre de quelques études sur la maladie de Parkinson par exemple. Néanmoins, ces effets n’ont pas été validés dans de grandes cohortes de patients et il est donc prématuré de recommander de prescrire largement la mélatonine dans le cadre de ces pathologies.
Et la toxicité ?
Au-delà de la question de l’efficacité, la question de la sécurité se pose également. En 2018, l’Anses s’en était saisie après avoir reçu des déclarations d’effets indésirables susceptibles d’être liés à la consommation de compléments alimentaires contenant de la mélatonine. Il faut néanmoins mettre le nombre de cas rapporté à l’Anses en perspective par rapport aux nombres de compléments alimentaires à base de mélatonine vendus chaque année.
Globalement, les problèmes sont rares et la mélatonine est généralement considérée comme peu à risque. Des études, menées principalement dans des modèles animaux, ont d’ailleurs suggéré qu’il faut des doses très élevées, bien plus que celles contenues dans des compléments alimentaires, pour observer des effets toxiques. Parmi les effets secondaires, globalement sans gravité, qui ont pu être observés : des maux de tête, des nausées, des somnolences, des vertiges et des maux d’estomac.
Il faut tout de même rappeler que chez certains patients, des interactions médicamenteuses ayant des conséquences plus graves peuvent survenir. Il faut être particulièrement vigilant en cas de grossesse ou d’allaitement, d’épilepsie, de problèmes de coagulation ou encore de maladies auto-immunes.
Il est également important d’avoir en tête que les compléments alimentaires à base de mélatonine se prennent avant d’aller dormir ou en fin de journée pour certains troubles, mais qu’à tout autre moment de la journée, ils peuvent engendrer une somnolence. Cela peut être problématique dans certaines activités, par exemple si l’on doit conduire.
De nombreux parents se questionnent aussi sur l’opportunité de donner de la mélatonine à leurs enfants, quand ceux-ci souffrent de troubles de sommeil, d’autant que les professionnels de santé sont souvent démunis face à l’insomnie pédiatrique. Un récent consensus européen conclut que la mélatonine n’est ni un « bonbon » ni un produit toxique, et qu’elle peut être donnée aux enfants qui souffrent de troubles de l’endormissement, à des doses faibles, et pendant une durée courte, en accord avec un médecin qui connaît bien le domaine du sommeil.
De manière générale, même si les risques sont faibles, mieux vaut ne pas s’auto-médiquer et faire appel à un médecin qui pourra mieux déterminer si la mélatonine peut avoir un réel intérêt pour un patient donné, en fonction de ses troubles. On peut aussi rappeler ici que prendre de la mélatonine ne traitera pas le « fond » des troubles de sommeil si ceux-ci sont liés par exemple à des problèmes de stress ponctuels, et qu’en cas de trouble chronique, mieux vaut consulter un professionnel.
Des pistes à creuser
Plusieurs priorités de recherche sont désormais nécessaires, afin d’aller plus loin et surtout de sortir d’une situation où des résultats de recherche sont parfois extrapolés pour des raisons marketing, afin de prêter à la mélatonine des vertus quasi miraculeuses.
En premier lieu, il faudrait mener des travaux pour mieux comprendre quelle est la dose de mélatonine la plus efficace et la mieux tolérée, en fonction des troubles, mais aussi de l’âge et du sexe. Un plus grand nombre d’essais cliniques randomisés, avec des critères d’inclusion et de doses plus homogènes, permettrait de réaliser des méta-analyses plus solides sur le sujet.
Il serait aussi intéressant d’évaluer l’efficacité à plus long terme de la prise de compléments à base de mélatonine pour mieux comprendre l’impact d’une interruption du traitement ou d’une prise quotidienne, à long terme, de ces molécules.
Texte rédigé avec le soutien de et avec Claude Gronfier, chronobiologiste, chercheur Inserm au centre de recherche en neurosciences de Lyon et Armelle Rancillac chercheuse Inserm en neurosciences, au Collège de France.
[1] Par ailleurs, selon l’enquête INSV/MGEN 2023, 37% des Français sont insatisfaits de la qualité de leur sommeil, en majorité les femmes (44%).
[2] Si la mélatonine est principalement vendue sous la forme de compléments alimentaires, elle aussi disponible sous la forme de deux médicaments (CIRCADIN dosé à 2 mg par comprimé et SLENYTO dosé à 1 mg par comprimé, tous deux à libération prolongée). Sur la marché français, le circadin dispose d’une AMM (autorisation de mise sur le marché) pour traiter l’insomnie chez les + de 55 ans, et le Slenyto dispose d’une RTU (recommandation temporaire d’utilisation) chez l’enfant de 2-18 ans. Elle peut aussi être prescrite par le médecin via une préparation magistrale, réalisée pour un patient déterminé chez le pharmacien, pour les troubles circadiens et psychologiques.