Cette image représente des neurones du cortex insulaire antérieur ciblant l’amygdale basolatérale et dans lesquels est exprimée la protéine fluorescente eYFPs © Yoni Couderc & Anna Beyeler
« Tu es juste un peu stressé », « Reprends-toi, l’anxiété ça n’est pas très grave, ça va passer », ou encore « C’est juste dans ta tête ! » : voilà le type de remarques que les personnes souffrant de troubles anxieux entendent bien souvent, ce qui témoigne d’une méconnaissance de ce qu’elles peuvent vivre au quotidien.
Malgré des progrès réalisés dans le diagnostic et la prise en charge des troubles anxieux, dans un contexte général où la santé mentale s’impose peu à peu comme un enjeu majeur de santé publique, de nombreux mythes persistent sur le sujet.
Alors l’anxiété, c’est quoi exactement et en quoi est-ce différent d’un « trouble anxieux » ? Quelles sont les options thérapeutiques pour les personnes qui en souffrent ? Et comment les recherches scientifiques permettent-elles de mieux prendre en charge les patients, mais aussi de lutter contre les idées reçues ? Canal Détox fait le point.
Il faut d’abord rappeler que l’anxiété est un phénomène physiologique naturel, qui peut toucher tout monde. En effet, lorsque nous sommes face à un danger ou à un stress, le fonctionnement de notre organisme se modifie et certains symptômes se manifestent : accélération du rythme cardiaque, troubles du sommeil, augmentation de la transpiration, difficultés à respirer… Chez la plupart des individus, ces symptômes sont généralement temporaires et disparaissent rapidement.
Toutefois pour d’autres personnes, ces symptômes peuvent s’installer durablement, en devenant très intenses et envahissants. On parle alors de « trouble anxieux », qui peut être diagnostiqué et pris en charge. Celui-ci concerne environ 20 % de la population adulte et, depuis la pandémie de Covid-19, certaines données suggèrent par ailleurs que cette prévalence serait en augmentation partout dans le monde.
Pour être plus précis, on peut dire qu’il existe en fait neuf sous-types[1] de troubles anxieux dont notamment le trouble d’anxiété généralisée, le trouble panique, les phobies spécifiques, l’agoraphobie, le trouble d’anxiété sociale et le trouble d’anxiété de séparation. Leurs symptômes, très variables d’une personne à l’autre, peuvent être à la fois neuropsychologiques (peur, stress, visions négatives de l’avenir, irrationalité…) ou neurosomatiques (insomnies, maux de tête, troubles digestifs, douleurs…).
Il est important de consulter un médecin si ces différents symptômes s’installent sur la durée avec un fort retentissement sur le quotidien, afin d’obtenir un diagnostic précis et de bénéficier d’une prise en charge thérapeutique adaptée.
Pour plus d’informations, consultez notre dossier « Troubles anxieux, quand l’anxiété devient pathologique »
Pas de cause unique
Contrairement à ce que certains articles de presse un peu simplistes mettent parfois en avant, en tentant par exemple d’identifier un gène unique de l’anxiété, un régime alimentaire « problématique » qui déclencherait les symptômes ou encore un comportement augmentant le risque d’anxiété, aucune cause ne peut expliquer de façon systématique le développement des troubles anxieux.
La vulnérabilité aux troubles anxieux résulte en effet généralement de l’interaction de plusieurs facteurs : génétiques, environnementaux, neurologiques et/ou développementaux. La part de chacun de ces facteurs n’est pas la même d’un individu à l’autre et peut également varier chez une même personne au cours de la vie.
Les recherches actuelles, notamment dans le domaine de la neurobiologie et de l’imagerie cérébrale, permettent néanmoins de mieux comprendre ce qui se passe dans le cerveau d’une personne souffrant d’un trouble anxieux et les facteurs neurobiologiques en cause, ce qui pourrait à terme ouvrir la voie au développement de nouvelles pistes thérapeutiques.
Par exemple, des études ont récemment montré l’implication de plusieurs régions cérébrales comme l’amygdale et le cortex insulaire (ou insula), qui sont suractivées chez les patients. De récents travaux de l’équipe d’Anna Beyeler, chercheuse Inserm au Neurocentre Magendie à Bordeaux, ont mis en évidence grâce à des études sur des modèles animaux que des connexions entre ces deux régions s’activent de façon proportionnelle au niveau d’anxiété des individus. Ces travaux, en parallèle d’autres études, suggèrent que des circuits de neurones spécifiques, incluant l’amygdale et l’insula, sont responsables de l’anxiété et de ses troubles.
Pas de traitement miracle
En ce qui concerne les traitements disponibles, de fausses informations sont régulièrement véhiculées en ligne. Par exemple, certains avancent que le fait d’avoir une bonne hygiène de vie (bien dormir, avoir une alimentation équilibrée, faire de l’activité physique…) serait suffisant pour contrôler les troubles anxieux. D’autres mettent en avant les bénéfices de la méditation de pleine conscience pour un certain nombre de patients.
Si ces approches peuvent être utiles, il faut également rappeler que, dans de nombreux cas, des interventions thérapeutiques peuvent s’avérer nécessaires. Il s’agit souvent de proposer des sessions de psychothérapie – notamment thérapie cognitivo-comportementale (TCC) et/ou EMDR dans certains cas – généralement couplées à la prise de médicaments (le plus souvent des anxiolytiques).
Pour la plupart des individus, les troubles anxieux peuvent être efficacement pris en charge grâce à une combinaison de ces différentes méthodes, avec une atténuation très nette des symptômes. Néanmoins, certains patients sont résistants à ces thérapies, et le taux de rechute après arrêt des traitements est extrêmement important.
Il n’existe donc pas de traitement miracle, même si certains arguments marketing affirment le contraire. On peut penser par exemple à la promotion faite autour d’un « patch anti-anxiété » porté par des célébrités comme Meghan Markle. Or l’efficacité d’un tel dispositif ne repose sur aucune donnée scientifique solide, son fonctionnement supposé s’appuie sur une compréhension erronée de ce qu’est le « stress », et l’entreprise demeure résolument opaque sur le développement de ce « traitement ». Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres méthodes « miracles » n’ayant en fait aucune utilité.
Pour les prochaines années, un des enjeux majeurs de la recherche fondamentale consiste à identifier les mécanismes neurobiologiques responsables de l’anxiété, afin de pouvoir les réguler et diminuer le niveau d’anxiété des individus. Le cerveau et les circuits de neurones qui le compose sont extrêmement complexes, et il va falloir un nombre considérable de recherches cliniques chez les patients, mais aussi précliniques dans des modèles animaux, pour pouvoir identifier les différentes causes des maladies anxieuses. Après avoir identifié ces biomarqueurs, l’espoir est de pouvoir mettre en place plus facilement des stratégies efficaces pour réduire l’anxiété des patients.
Texte rédigé avec le soutien d’Anna Beyeler, chercheuse en neurosciences, chargée de recherche Inserm, cheffe de l’équipe Circuits neuronaux de l’anxiété au Neurocentre Magendie à Bordeaux.
[1] Leur nombre varie légèrement en fonction des ouvrages de références – le DSM5 en mentionne 9.