Contact Chercheur
Samuel Vergès
Directeur de recherche Inserm
Hypoxie et physiopathologies (unité 1300)
Julien Brugniaux
Université Grenoble Alpes
Hypoxie et physiopathologies (unité 1300)
Ville de la Rinconada, au Pérou. © Agence de communication scientifique Perceptiom – Expedition 5300
Plus nous montons en altitude, plus l’apport en oxygène à notre corps diminue. Depuis 2019, une équipe de recherche de l’Inserm, de l’Université Grenoble Alpes et du CHU Grenoble Alpes s’intéresse aux conséquences de la restriction en oxygène sur la santé. Leurs travaux les ont conduits au Pérou, à la Rinconada, ville la plus haute du monde (5 300 m), devenue un véritable laboratoire à ciel ouvert. Dans le cadre de l’une de leurs missions récentes, ils se sont intéressés plus spécifiquement aux effets du manque d’oxygène sur la circulation sanguine des personnes vivant sur ces territoires. Avec un double objectif : celui d’aider les populations locales en leur proposant des soins médicaux adaptés, mais aussi de mieux comprendre les mécanismes en œuvre dans l’hypoxie, situation où la disponibilité en oxygène est réduite, comme c’est le cas dans de nombreuses maladies cardiovasculaires et respiratoires. Leurs résultats, publiés dans The Lancet Regional Health Americas, montrent comment l’hypoxie altère la réactivité des vaisseaux sanguins, qui est un marqueur pronostique de santé générale.
L’hypoxie est une situation où l’apport en oxygène à l’organisme est réduit. Elle peut être rencontrée dans différentes pathologies, comme dans certaines maladies cardiovasculaires ou bien respiratoires[1]. Étudier l’hypoxie est donc d’une importance cruciale pour mieux comprendre les mécanismes en œuvre dans ces pathologies et espérer un jour en améliorer le diagnostic et le traitement.
L’étude de l’hypoxie est au cœur des travaux de recherche de l’équipe du laboratoire HP2[2] (Inserm/UGA/CHU Grenoble Alpes) depuis de nombreuses années. Les scientifiques étudient l’hypoxie en laboratoire et réalisent également des études de terrain en haute altitude, dans le cadre du programme Expédition 5300 (voir encadré ci-dessous). En effet, l’élévation en altitude est associée à une diminution progressive de la disponibilité en oxygène. Mener des recherches sur ce terrain permet donc de pouvoir étudier l’hypoxie en conditions réelles, chez des personnes qui y sont en permanence confrontées. Comprendre comment l’organisme humain peut tolérer plus ou moins difficilement l’hypoxie pourrait à terme permettre d’individualiser les soins et d’affiner les prises en charge thérapeutiques.
Dans ces travaux, les chercheurs se sont plus spécifiquement intéressés aux effets de l’hypoxie sévère sur l’organisme et plus précisément sur le système vasculaire. Sur un groupe de 94 personnes adultes, les scientifiques ont mesuré, grâce à des techniques d’imagerie et à des échantillons sanguins, ce qu’on appelle la réactivité des vaisseaux sanguins, c’est-à-dire leur capacité à se contracter ou à se dilater face à des stimuli extérieurs. La réactivité des vaisseaux sanguins est communément considérée comme un marqueur pronostique de bonne santé générale.
Plus précisément, les chercheurs ont mesuré la réactivité du système vasculaire à la fois sur les grosses artères (macrocirculation) et les petits vaisseaux sanguin (microcirculation cutanée) sur des populations péruviennes vivant à différents niveaux d’altitude, dont des habitants de la Rinconada, la ville la plus haute du monde.
Les résultats des analyses menées montrent une moindre réactivité vasculaire chez les personnes vivant en haute altitude, principalement chez celles qui vivent de façon permanente en situation d’hypoxie sévère. Les chercheurs ont observé que chez ce groupe de personnes[3], les artères et les vaisseaux étaient dilatés en permanence, diminuant ainsi leur capacité à se dilater de façon additionnelle en réponse à un stimulus. Les résultats obtenus témoignent à la fois d’une forme d’adaptation de l’organisme de ces habitants à une situation d’hypoxie permanente (on parle aussi d’hypoxie chronique) mais également de l’atteinte de certaines limites de tolérance à l’hypoxie sévère de haute altitude, pouvant mener à des complications de santé (hypertension artérielle ou insuffisance cardiaque).
Les chercheurs ont également identifié une augmentation du statut inflammatoire des habitants avec l’altitude, et notamment du stress oxydatif[4]. L’augmentation de l’inflammation observée avec l’altitude était associée à un déclin progressif de la fonction micro et macrovasculaire.
« Cette étude nous permet de décrire pour la première fois une cascade de mécanismes présents chez les personnes en situation d’hypoxie chronique, de la réponse inflammatoire à ses effets sur le système vasculaire, explique Julien Brugniaux, enseignant-chercheur à l’Université Grenoble Alpes. Ces résultats nous autorisent de façon plus large à mieux comprendre les réactions de notre organisme face au manque d’oxygène et notamment les effets de ces situations sur notre fonctionnement vasculaire », conclut-il.
« En plus de nous permettre une meilleure compréhension des pathologies impliquant des carences en oxygène, cette étude, qui s’inscrit dans un projet plus large que nous poursuivons depuis 2019, nous permet aussi d’accompagner les problématiques de santé d’une population sujette à des conditions de vie rudes, et parfois en grande précarité », explique Samuel Vergès, directeur de recherche à l’Inserm, superviseur du programme Expédition 5300.
La mission scientifique se poursuit pour Expédition 5300 qui s’est depuis rendu à nouveau à la Rinconada pour s’intéresser plus spécifiquement à la santé des enfants vivant dans ces conditions d’hypoxie chronique. L’objectif ? mieux comprendre les effets de l’hypoxie sur la croissance et le développement des enfants de haute altitude.
Expédition 5300 a été lancé en 2019 par les chercheurs de l’unité 1300 de l’Inserm, sous la supervision du directeur de recherche Inserm Samuel Vergès. Depuis, près d’une trentaine d’experts français et internationaux, spécialisés dans la recherche sur l’altitude et l’hypoxie, se sont rendus lors de huit missions de terrain à la Rinconada, au Pérou. Leur objectif est double : – comprendre les mécanismes d’adaptation à l’hypoxie d’altitude (comparable à une hypoxie chronique sévère) pour soigner les patients souffrant du manque d’oxygène à La Rinconada ; – transposer ces résultats de recherche sur l’hypoxie d’altitude pour développer de nouveaux traitements adaptés à des pathologies caractérisées par des conditions d’oxygénation insuffisante. La Rinconada au Pérou est la ville la plus haute du monde avec plus de 50 000 habitants vivants entre 5 100 et 5 300 m d’altitude. Cette ville rassemblée autour de l’activité d’une mine d’or est accrochée au flanc de la montagne sous les glaciers et impose à ses habitants des conditions de vie extrêmes. La présence de médecins est rare, de nombreux habitants n’en ont jamais vu et ne bénéficient d’aucun suivi de leur santé alors même que leurs conditions de vie sont particulièrement difficiles. Aucune recherche scientifique n’avait encore jamais été organisée dans cette ville ni dans aucun lieu d’habitation permanent si élevé.
[1]Des pathologies comme la bronchopneumopathie chronique obstructive, l’apnée du sommeil ou la drépanocytose se caractérisent par une exposition du malade à des conditions d’oxygénation insuffisante du fait d’anomalies respiratoires ou hématologiques.
[2] Laboratoire Hypoxie et physiopathologies cardiovasculaires et respiratoires
[3] Un total de 38 personnes habitaient à plus de 3 800 mètres d’altitude, 17 vivaient à la Rinconada.
[4] Déséquilibre entre la production par l’organisme d’agents oxydants nocifs (radicaux libres notamment) et celle d’agents antioxydants (comme les vitamines E et C). Il entraîne une inflammation et la survenue de mutations de l’ADN.
Samuel Vergès
Directeur de recherche Inserm
Hypoxie et physiopathologies (unité 1300)
Julien Brugniaux
Université Grenoble Alpes
Hypoxie et physiopathologies (unité 1300)
Micro- and macrovascular function in the highest city in the world: a cross sectional study
Yann Savina,a Aurélien P. Pichon,b Lucas Lemaire,a Connor A. Howe,c Mathilde Ulliel-Roche,a,f Sarah Skinner,d,e Elie Nader,d,e Nicolas Guillot,d,e Émeric Stauffer,d,e Matthieu Roustit,a,f Ivan Hancco,a Paul Robach,a,g François Esteve,a Vincent Pialoux,d Elisa Perger,h,i Gianfranco Parati,h,i Philip N. Ainslie,c Stéphane Doutreleau,a,f Philippe Connes,d,e Samuel Verges,a,f ,j,∗ and Julien V. Brugniauxa,j,∗
a HP2 laboratory, Univ. Grenoble Alpes, INSERM, CHU Grenoble Alpes, Grenoble, France
b Laboratory Mobility, Aging & Exercise (MOVE, EA6314), Faculty of Sport Sciences, University of Poitiers, Poitiers, France
c Centre for Heart, Lung, and Vascular Health, University of British Columbia, Kelowna, British Columbia, Canada
d Interuniversity Laboratory of Human Movement Biology (LIBM, EA7424), “Red Blood cell and Vascular Biology” team, Univ Lyon –
University Claude Bernard Lyon 1, Villeurbanne, France
E Laboratory of Excellence on Red Blood Cell (GR-Ex), Paris, France
f Grenoble Alpes University Hospital, Grenoble, France
g National School for Mountain Sports, Site of the National School for Skiing and Mountaineering (ENSA), Chamonix, France
h Istituto Auxologico Italiano, IRCCS, Sleep Disorders Center & Department of Cardiovascular, Neural and Metabolic Sciences, San Luca Hospital, Milan, Italy
i University of Milano-Bicocca, Milan, Italy
The Lancet Regional Health Americas, octobre 2024