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Communiqués et dossiers de presse

Quel rôle joue le contexte socioculturel dans la prise de décision ?

14 Juin 2024 | Par Inserm (Salle de presse) | Neurosciences, sciences cognitives, neurologie, psychiatrie

engrenages et humains

© AdobeStock

En cognition humaine, la capacité de prise de décision repose sur une « valeur » que la personne va attribuer de manière subjective à différents choix possibles pour sélectionner celui qui lui paraît le plus « optimal ». Cette évaluation découlerait notamment du contexte situationnel dans lequel la mémoire a « fixé » (ou « encodé ») les expériences de choix antérieurs. Une équipe de recherche de l’Inserm et de l’ENS-PSL, en collaboration avec des équipes internationales, a soumis à des tests de prise de décision des participants de 11 pays très différents culturellement. Elle a ainsi pu mettre en évidence que cette dépendance au contexte pourrait avoir un aspect « universel » entre les cultures. Ses travaux, parus dans Nature Human Behaviour, proposent de nouvelles clés pour comprendre les mécanismes cognitifs derrière la prise de décision.

Lorsque le cerveau mémorise une information, il passe par une étape essentielle qui est appelée « encodage » et qui permet de convertir cette information en une forme susceptible d’être stockée dans la mémoire à long terme. Il existe plusieurs formes d’encodage en fonction des sens qui perçoivent l’information et des mécanismes de mémorisation qui entrent en jeu[1].

Quand une personne se trouve dans une situation où elle doit prendre une décision, elle va faire appel à ses expériences antérieures, stockées dans sa mémoire. Ces expériences se matérialisent par une « valeur » attribuée par le cerveau à chaque choix qui a été fait auparavant (on parle de « valeur subjective », ou de « valeur de la récompense »). De manière générale, l’humain va avoir tendance à considérer qu’un choix a une valeur plus élevée si le résultat de celui-ci tend à maximiser le plaisir et à minimiser la souffrance. Dans le cadre d’une situation de prise de décision, la somme des choix antérieurs et de leur valeur subjective va guider la personne dans l’évaluation du choix le plus « optimal » parmi tous les choix potentiels qui se présentent à elle. Cette forme d’encodage fondé sur l’expérience est appelée « apprentissage par renforcement ».

Lorsqu’un événement est encodé dans la mémoire, il s’accompagne d’informations contextuelles : une personne se remémorera mieux un événement spécifique si elle se trouve dans un contexte similaire (par exemple un lieu). En outre, des études récentes ont suggéré que l’encodage de la valeur attribuée à un choix pourrait être dépendant du contexte situationnel[2] dans lequel se trouverait la personne au moment où elle fait ce choix. Dans certaines situations spécifiques, ce phénomène pousserait même les personnes à faire des choix qui pourraient a priori sembler moins « optimaux » que d’autres. Mais cette dépendance au contexte est-elle universelle à la cognition humaine ou est-elle le produit d’influences culturelles et environnementales spécifiques ?

C’est à cette question qu’une équipe de recherche internationale menée par Stefano Palminteri, directeur de recherche Inserm au sein du Laboratoire de neurosciences cognitives et computationnelles (Inserm/ENS-PSL), a tenté de répondre. Elle a mené une vaste étude avec la participation de centres de recherche de 11 pays présentant de grandes différences de contexte socioculturel et économique[3] (Argentine, Iran, Russie, Japon, Chine, Inde, Israël, Chili, Maroc, France et États-Unis). Ceux-ci ont participé à une approche expérimentale innovante, conçue pour capter de manière fiable les effets du contexte dans l’apprentissage par renforcement.

Ce sont donc au total 623 participants qui ont rempli des questionnaires détaillés sur leur profil socioéconomique, culturel et cognitif et participé à deux tests de prise de décision.

Le premier, un test d’apprentissage par renforcement fondé sur l’expérience, était divisé en deux étapes : une étape d’apprentissage (faire des choix possédant une valeur et une statistique prédéterminées non dévoilées et obtenir une analyse détaillée du résultat de ces choix) et une étape d’application de l’apprentissage (faire des choix sans avoir de retour sur expérience mais en tenant compte de l’analyse des premiers résultats).

Le second, un test de prise de décision, se déroulait dans un contexte similaire au premier mais était cette fois fondé sur la description (faire des choix possédant une valeur et une statistique prédéterminées mais cette fois décrites explicitement). Cette seconde étape présentait un double objectif : évaluer si les comportements de prise de décision étaient similaires d’un pays à l’autre et comparer entre ces pays les différences entre la prise de décision fondée sur l’expérience et celle fondée sur la description.

Les résultats de ces tests mettent en évidence que, quel que soit le pays, le contexte situationnel peut pousser les participants à prendre des décisions à première vue irrationnelles en privilégiant des choix sous-optimaux[4].

« Nos travaux remettent en question l’hypothèse selon laquelle les processus de prise de décision seraient fortement influencés par des facteurs culturels, indique Stefano Palminteri. Ils suggèrent au contraire que les biais contextuels de l’apprentissage par renforcement seraient une caractéristique cognitive constante et commune à une grande partie de l’humanité », ajoute le chercheur.

Hernán Anlló, chercheur Inserm et premier auteur de l’étude, complète : « On a longtemps pensé, notamment en économie, que la prise de décision était en grande partie orientée par une préférence pour un choix plus “rentable”. Nos résultats montrent que ce n’est pas le cas en ce qui concerne l’apprentissage par renforcement. »

En outre, dans le second test, les préférences et décisions fondées sur l’expérience passée apparaissent plus similaires d’une culture à l’autre que celles fondées sur des descriptions ou des instructions.

« Les critères permettant d’évaluer la valeur d’un choix semblent être radicalement différents lorsque l’information est décrite à la personne et lorsque celle-ci doit au contraire apprendre de ses essais et de ses erreurs, précise Hernán Anlló. La prise de décision fondée sur la description apparaît ici plus perméable aux nuances culturelles. »

Les implications de cette étude pourraient couvrir différents secteurs tels que l’économie, la psychologie et l’élaboration des politiques publiques, en ouvrant la voie à des cadres de prise de décision plus efficaces et culturellement sensibles.

« Nos conclusions permettent de mieux comprendre comment des individus de milieux divers naviguent dans des paysages décisionnels complexes, offrant ainsi des perspectives précieuses pour les industries et les décideurs politiques », conclut Stefano Palminteri.

 

[1]L’encodage peut être par exemple visuel, épisodique (association active d’une nouvelle information avec un savoir déjà mémorisé), sémantique (encodage de données sensorielles possédant un sens spécifique ou pouvant être associées à un certain contexte ; permis par exemple par les moyens mnémotechniques), acoustique, ou encore relatif aux autres sens.

[2]Pour illustrer : la valeur subjective attribuée à un café soluble ne sera pas la même selon si la personne est dans un lieu où le très bon café est la norme et facile à trouver ou si elle se situe dans un lieu où le café de qualité est difficile voire impossible à trouver et où la norme est au mauvais café.

[3] En sciences cognitives à l’heure actuelle, 95 % de la recherche provient d’une poignée de pays dits WEIRD (Western, Educated, Industrialized, Rich, Democratic), ce qui génère un réel biais de représentativité et d’inclusivité dans les résultats. Ces travaux visent à sortir de ce biais.

[4] Exemple : en phase d’apprentissage, on présente 2 contextes aux participants, l’un où A = +5 et B = +4 (donc A possède une valeur supérieure à B) et l’autre où C = +3 et D = +1. On prend ensuite un 3e contexte dans lequel on demande aux participants de choisir entre B (+4) et C (+3). Ceux-ci vont choisir C même s’il est sous-optimal (valeur inférieure à B) car ils ont appris avec le 2e contexte que C avait une valeur optimale (par rapport à D), contrairement à B (sous-optimal par rapport à A) dans le 1er contexte.

Contacts
Contact Chercheur

Stefano Palminteri

Directeur de recherche Inserm

Unité 960 Inserm/ENS-PSL, Laboratoire de neurosciences cognitives et computationnelles

fgrsnab.cnyzvagrev@tznvy.pbz

Téléphone sur demande

Hernán Anlló

Chercheur Inserm

Unité 960 Inserm/ENS-PSL, Laboratoire de neurosciences cognitives et computationnelles

ureana.nayyb@vafrez.se

Contact Presse

cerffr@vafrez.se

Sources

Outcome context-dependence is not WEIRD: Comparing reinforcement- and description-based economic preferences worldwide

Nature Human Behaviour, 14 juin 2024

DOI : 10.1038/s41562-024-01894-9

Hernán Anlló,1,2,3 Sophie Bavard,1,3,4 FatimaZzahra Benmarrakchi,3,6 Darla Bonagura,3,5 Fabien Cerrotti,1,3  Mirona Cicue,7  Maelle Gueguen,3,5  Eugenio José Guzmán,10  Dzerassa Kadieva,8 Maiko Kobayashi,2 Gafari Lukumon,6 Marco Sartorio,11 Jiong Yang,9  Oksana Zinchenko,3,12  Bahador Bahrami,13,17  Jaime Silva Concha,3,10   Uri Hertz,3,7   Anna B. Konova,3,5  Jian Li,3,9,13  Cathal O’Madagain,3,6 Joaquin Navajas,3,11,14,15 Gabriel Reyes,3,10 Atiye Sarabi-Jamab,3,16 Anna Shestakova,3,12   Bhasi Sukumaran,3,18   Katsumi Watanabe,2,3   and Stefano Palminteri1,3

 

1Human Reinforcement Learning Team, Laboratory of Cognitive and Computational Neuroscience, ENS-PSL, Paris, France.

2Faculty of Science and Engineering, Waseda University, Tokyo, Japan.

3Intercultural Cognitive Network.

4General Psychology Lab, Hamburg University, Hamburg, Germany.

5Department of Psychiatry, University Behavioural Health Care, & the Brain Health Institute, Rutgers University—New Brunswick, Piscataway, USA.

6School of Collective Intelligence, Universite Mohammed VI Polytechnique, Rabat, Morocco.

7Department of Cognitive Sciences, University of Haifa, Haifa, Israel.

8International Laboratory for Social Neurobiology, Institute for Cognitive Neuroscience, HSE University, Moscow, Russia.

9School of Psychological and Cognitive Sciences and Beijing Key Laboratory of behaviour and Mental Health, Peking University, Beijing, China.

10Facultad de Psicología, Universidad del Desarrollo, Santiago de Chile, Chile.

11Laboratorio de Neurociencia, Universidad Torcuato Di Tella, Buenos Aires, Argentina.

12Centre for Cognition and Decision Making, Institute for Cognitive Neuroscience, HSE University, Moscow, Russia.

13IDG/McGovern Institute for Brain Research, Peking University, Beijing, China.

14Escuela de Negocios, Universidad Torcuato Di Tella, Buenos Aires, Argentina.

15Consejo Nacional de Investigaciones Cientifícas y Técnicas (CONICET), Argentina.

16School of Cognitive Sciences, Institute for Research in Fundamental Sciences (IPM), Tehran, Iran.

17Department of Psychology, Ludwig Maximilian University, Munich, Germany.

18Department of Clinical Psychology, SRM Medical College Hospital & Research Centre, Chennai, India.

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