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Des équipes menées par Vincent Bouteloup, biostatisticien au CHU de Bordeaux et doctorant au Bordeaux Population Health (BPH, Inserm/Université de Bordeaux UMR1219), sous l’encadrement du Dr Carole Dufouil, directrice de recherche à l’Inserm et cheffe d’équipe au BPH, et du Pr Vincent Planche, neurologue responsable du Centre Mémoire Ressources Recherche (CMRR) du CHU de Bordeaux et chercheur à l’Institut des Maladies Neurodégénératives (IMN, CNRS/Université de Bordeaux UMR5293) ont réalisé une étude afin d’évaluer la valeur prédictive positive du biomarqueur sanguin ptau-217, c’est-à-dire la probabilité qu’un patient ayant un dosage anormal de ce biomarqueur présente effectivement des lésions de maladie d’Alzheimer dans son cerveau.
Ces travaux, dans lesquels les auteurs ont pu montrer que cette valeur prédictive positive était très dépendante du tableau clinique initial des sujets, ont été publiés le 4 avril 2025 dans le JAMA Neurology et présentés le même jour à la Conférence internationale sur la maladie d’Alzheimer et la maladie de Parkinson (AD/PD) à Vienne.
Les auteurs se sont appuyés sur une très grande cohorte française, MEMENTO, promue par le CHU de Bordeaux et coordonnée par le Dr Carole Dufouil et le Pr Geneviève Chêne (CHU de Bordeaux et BPH). La cohorte MEMENTO regroupe les données et les échantillons sanguins de 2 323 patients qui se plaignaient de troubles de la mémoire ou qui présentaient un trouble cognitif léger, ayant consulté dans l’un des 26 CMRR français et suivis pendant 5 ans. Dans l’étude publiée le 4 avril 2025, les auteurs ont pu se baser sur le dosage sanguin du biomarqueur appelé ptau-217, réalisé dans MEMENTO en collaboration avec le Dr Nicolas Villain et le Pr Kaj Blennow à l’Institut du Cerveau à Paris et à l’Université de Göteborg en Suède. MEMENTO a été financée via différents plans gouvernementaux pour la recherche sur les maladies neurodégénératives puis par la Direction Générale de la Recherche et de l’Innovation du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.
Les auteurs ont également pu répliquer leurs résultats dans une deuxième cohorte française : BALTAZAR (promue par l’AP-HP).
Selon les recommandations internationales, le diagnostic de maladie d’Alzheimer devrait reposer sur des critères « clinico-biologiques » associant la présence de troubles cognitifs bien précis et la mise en évidence de biomarqueurs spécifiques des lésions cérébrales de cette pathologie. En pratique clinique actuelle, il est nécessaire de réaliser une ponction lombaire pour doser ces biomarqueurs dans le liquide céphalo-rachidien des patients pour lesquels un diagnostic de maladie d’Alzheimer est suspecté. Du fait du caractère invasif de cet examen, et de son accès restreint à certains centres mémoire très spécialisés, peu de patients ont finalement accès à un diagnostic clinico-biologique de maladie d’Alzheimer. Ainsi, le plus souvent, ce sont des diagnostics de maladie d’Alzheimer « cliniquement probable » qui sont posés, sans usage des biomarqueurs, ce qui peut être à l’origine d’erreurs ou de retards diagnostiques.
Ces cinq dernières années, l’amélioration des techniques de dosage a permis de mesurer ces biomarqueurs de maladie d’Alzheimer grâce à une prise de sang. Le niveau de précision, en constante amélioration, est tel qu’il pourrait être envisageable à l’avenir de se passer des ponctions lombaires. Cela permettrait ainsi d’étendre l’usage des biomarqueurs et donc le diagnostic clinico-biologique de la maladie à tous les patients et d’améliorer ainsi leur prise en charge. Jusqu’à présent, le cadre d’interprétation de ces biomarqueurs sanguins en pratique clinique restait encore mal défini.
Le biomarqueur ptau-217 est bien connu comme reflétant, dans le sang, les lésions de maladie d’Alzheimer présentes dans le cerveau des patients. Il peut toutefois être également positif chez des sujets n’ayant aucun symptôme ou bien souffrant de troubles cognitifs liés à une autre pathologie que la maladie d’Alzheimer. Dès lors, comment l’interpréter correctement ? Vincent Bouteloup et ses collaborateurs ont analysé quelle était la valeur prédictive positive de ces biomarqueurs et ont pu montrer qu’elle était très dépendante de la présentation clinique initiale des sujets.
Ptau-217 était par exemple faussement positif dans près de 50% des cas chez les sujets sans trouble cognitif et dans près de 30% des cas chez des patients avec des symptômes cognitifs non spécifiques de la maladie d’Alzheimer. La valeur prédictive positive était par contre très bonne chez des patients présentant des troubles de la mémoire, du langage ou des fonctions visuospatiales potentiellement compatibles avec le diagnostic de maladie d’Alzheimer.
Une conclusion essentielle de cette étude est que ces biomarqueurs sanguins ne doivent pas être utilisés systématiquement et sans tenir compte des symptômes des patients, au risque de générer un nombre élevé de diagnostics erronés de la maladie d’Alzheimer (faux positifs). En revanche, lorsqu’ils sont associés à une évaluation clinique et neuropsychologique rigoureuse, comme en consultation mémoire, ils pourraient remplacer la ponction lombaire, en proposant une alternative fiable, plus accessible et moins invasive.
Pour les auteurs de l’étude : « ces travaux montrent le dynamisme de la recherche sur la maladie d’Alzheimer en France, qui a toute sa place dans la compétition internationale grâce notamment au travail commun des CMRR créés lors du premier plan Alzheimer il y a bientôt 25 ans, grâce aux équipes de recherche en épidémiologie comme celles du centre BPH à Bordeaux, et grâce aux grandes cohortes nationales telles que MEMENTO et BALTAZAR et aux collaborations internationales qu’elles engendrent. »
Cognitive Phenotyping and Interpretation of Alzheimer Blood Biomarkers
Vincent Bouteloup, PharmD, MSc1,2; Nicolas Villain, MD, PhD3,4; Jean Sebastien Vidal, MD, PhD5,6; et al