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Changement climatique : un impact différent sur la santé des femmes, vraiment ?

Le dérèglement climatique est l’une des plus graves menaces qui pèse sur la planète. L’impact sur la santé de différentes populations commence à être bien documenté. Toutefois, les conséquences du dérèglement climatique ne touchent pas toutes les populations de la même manière. Les femmes sont-elles plus à risque de voir leur santé se dégrader à cause du changement climatique ? L’impact du changement climatique sur la santé des femmes est-il seulement physique ? Comment s’intéresser, dans ce contexte, à la santé mentale ? Canal Détox fait le point dans ce nouvel article de son hors-série sur la santé des femmes.

Le 30 Oct 2024 | Par Inserm (Salle de presse)

Le dérèglement climatique est l’une des plus graves menaces qui pèse sur la planète. Si des recherches supplémentaires sont nécessaires pour bien décrire tous les risques associés à ce phénomène, l’impact sur la santé de différentes populations commence à être bien documenté.

On sait par exemple aujourd’hui que la hausse des températures modifie la répartition géographique de certaines maladies à transmission vectorielle. Les températures plus élevées et l’exposition aux UV constituent aussi une menace directe pour la physiologie et la santé humaine. Citons notamment les conséquences délétères des canicules, plus fréquentes du fait du changement climatique : en Europe la chaleur record de l’été 2022 a par exemple entraîné plus de 61 000 décès.

Par ailleurs, les catastrophes naturelles liées au changement climatique, telles que les épisodes de sécheresse et les inondations, s’accélèrent avec des impacts directs et indirects sur la santé. Ces catastrophes entraînent en effet des problèmes de sécurité alimentaire ainsi que d’accès à l’eau potable, d’assainissement et d’hygiène, et limitent l’accès aux services de santé et à l’information médicale. Le changement climatique est aussi associé à un risque pandémique futur dans la mesure où il pourrait accélérer les déplacements d’espèces sauvages qui constituent de potentiels réservoirs viraux ainsi que les mouvements de populations, augmentant ainsi la diffusion des maladies.

Tous ces phénomènes sont de plus en plus médiatisés et expliqués au public. Néanmoins, il faut se rendre à l’évidence : les conséquences du dérèglement climatique ne touchent pas toutes les populations de la même manière.

Des facteurs de risque liés au pays de résidence, à l’âge, au sexe et au genre ou encore au milieu socio-économique peuvent rendre les individus plus vulnérables au changement climatique. Parmi ces différents facteurs, de nombreuses études ont été publiées pour examiner le poids du sexe et du genre et décrire la manière dont ces inégalités s’entrecroisent avec les inégalités de santé face aux phénomènes climatiques.

Alors les femmes sont-elles plus à risque de voir leur santé se dégrader à cause du changement climatique ? L’impact du changement climatique sur la santé des femmes est-il seulement physique ? Comment s’intéresser, dans ce contexte, à la santé mentale ? Canal Détox fait le point dans ce nouvel article de son hors-série sur la santé des femmes.

Des problèmes pour la santé maternelle bien documentés

C’est souvent sous l’angle de la santé maternelle que la question du sexe, du genre et du changement climatique a été étudiée.

Soulignons tout d’abord que les chaleurs extrêmes augmentent l’aire de répartition géographique de certains vecteurs de maladies notamment les tiques ou les moustiques, et donc la propagation des maladies à transmission vectorielle telles que le paludisme ou le virus Zika. Or ces maladies ont des impacts particulièrement délétères sur la santé des femmes enceintes et des nouveau-nés.

Des études ont montré que les femmes enceintes étaient particulièrement à risque d’être piquées par des moustiques, du fait de plusieurs changements physiologiques et comportementaux qui se produisent pendant la grossesse. Une étude menée en Gambie a par exemple montré que la température corporelle des femmes enceintes attire plus facilement les moustiques. Par ailleurs, les femmes enceintes vont plus souvent quitter la protection des moustiquaires pour uriner la nuit et se font ainsi piquer par des moustiques, plus actifs aux heures nocturnes. Ceci a des conséquences à la fois sur la santé des mères, qui vont développer plus fréquemment des maladies portées par les moustiques, mais aussi sur celle des enfants qu’elles portent. Le paludisme maternel augmenterait en effet le risque d’avortement spontané, d’accouchement prématuré, de mortinatalité et d’insuffisance pondérale à la naissance. Quant au virus Zika, il est aujourd’hui bien établi que si la mère est infectée pendant la grossesse, le risque de malformations congénitales, dont la microcéphalie, est accru.

Les résultats de travaux qui s’intéressent aux effets de la chaleur et de la pollution atmosphérique sur la santé maternelle et infantile sont plus contrastés. Mais dans l’ensemble, les données disponibles suggèrent une augmentation de plusieurs problèmes, dont le risque de prééclampsie, de mortinatalité (enfants nés sans vie après 6 mois de grossesse) et de fausses couches.

Une grande analyse de littérature scientifique publiée dans le journal JAMA Network s’est intéressée à 32 798 152 naissances aux États-Unis et a montré une association significative entre exposition à de fortes températures et complications lors de l’accouchement. En France, l’exposition des mères à la chaleur au cours de la grossesse a été associée à un risque accru de prématurité et à une diminution du poids de naissance. De moindres performances pulmonaires étaient également observées chez les nouveau-nés filles, suggérant ainsi que des inégalités liées au sexe sont présentent dès le début de la vie. L’exposition aux particules fines ou à l’ozone a aussi été associée à un risque accru de naissance prématurée et à un faible poids de naissance dans la plupart des études considérées.

Par ailleurs, le dérèglement climatique affecte la santé sexuelle et reproductive des femmes et leur capacité à recevoir un accompagnement gynécologique adapté. Comme le souligne un rapport du Fonds des Nations Unies pour la population, des données montrent que les catastrophes climatiques entraînent notamment des perturbations majeures dans l’accès à la contraception et que les décès maternels liés à des avortements pratiqués dans des conditions dangereuses sont susceptibles d’être beaucoup plus nombreux dans ces situations d’urgence.

Une équipe Inserm étudie l’impact de la pollution atmosphérique sur le placenta

Comment l’exposition à la pollution de l’air pendant la grossesse impacte-t-elle son bon déroulement et le développement de l’enfant à naître ?

C’est ce qu’une étude de l’Inserm et de l’université de Grenoble tente de comprendre. En comparant les données obtenues chez près de 1 500 femmes enceintes, elle a ainsi pu observer que l’exposition à ces polluants durant la grossesse était associée à des modifications épigénétiques susceptibles d’altérer le développement du fœtus, en particulier au niveau métabolique, immunitaire et neurologique. Les résultats obtenus par les scientifiques montrent en outre que les périodes de susceptibilité aux polluants de l’air seraient différentes en fonction du sexe du fœtus, impactant ainsi le développement de façon différenciée entre les filles et les garçons.

Pour aller plus loin, consultez nos communiqués :

https://presse.inserm.fr/vulnerabilite-du-placenta-a-la-pollution-de-lair-quels-effets-sur-le-developpement-de-lenfant-a-naitre/68392/

https://presse.inserm.fr/quel-impact-de-la-pollution-atmospherique-sur-le-placenta/31777/

La répartition genrée des rôles augmente la vulnérabilité aux catastrophes climatiques et aux maladies

La santé maternelle n’est toutefois pas la seule problématique à prendre en compte quand on s’intéresse aux intersections entre sexe, genre, santé et changement climatique. Certains travaux soulignent ainsi que dans de nombreuses sociétés, les inégalités de genre, le rôle attribué aux femmes et le poids des normes culturelles peuvent accroître leurs vulnérabilités face au changement climatique, avec des effets directs et indirects sur leur santé.

Une analyse portant sur les effets des catastrophes climatiques dans 141 pays a ainsi montré que, si ces évènements créent des difficultés pour tout le monde, ils tuent en moyenne plus de femmes que d’hommes, ou du moins ils tuent les femmes à un âge plus jeune que les hommes.

Il faut néanmoins noter que cet effet est beaucoup plus marqué dans les pays où les femmes ont un statut social, économique et politique particulièrement bas. Quand les inégalités entre les genres sont moindres, hommes et femmes sont touchés par les catastrophes climatiques de manière moins différenciée.

La même étude a souligné que les différences physiques entre les hommes et les femmes n’expliquent probablement pas toutes les inégalités qui peuvent parfois être constatées lors de catastrophes climatiques. Les normes sociales et culturelles jouent quant à elles un grand rôle. Comme le rappelle un rapport de l’OMS intitulé Gender, Climate Change and Health, dans les sociétés où les femmes ont peu d’indépendance et jouent un rôle principalement au sein de leur foyer, s’occupant des enfants et des personnes âgées, elles ont souvent moins la possibilité de s’enfuir et d’aller chercher du secours et des aides alimentaires, notamment parce qu’elles ont plus tendance à rester sur les lieux de la catastrophe pour aider leurs proches. D’autres facteurs comme les normes vestimentaires ou comportementales (interdiction d’apprendre à nager par exemple) peuvent avoir un impact sur la mobilité des femmes et leur capacité à fuir.

Enfin, sans même parler de survie face à des catastrophes, les femmes sont aussi plus vulnérables face à certaines maladies du fait des tâches quotidiennes qu’elles sont amenées à effectuer. Prenons l’exemple de l’eau, aussi décrit dans le rapport de l’OMS : les femmes sont chargées dans de nombreux pays d’aller chercher l’eau utilisée par le foyer.

Or alors que les épisodes de sécheresse deviennent de plus en plus fréquents sur la planète, on constate une réduction de la disponibilité et de la fiabilité de l’approvisionnement en eau douce. Les trajets pour la collecte de l’eau se font parfois plus longs provoquent de l’épuisement, des douleurs et des lésions osseuses pour les femmes qui en sont responsables.

En outre, lorsque l’eau est rare, les pratiques hygiéniques sont souvent sacrifiées à des besoins en eau plus pressants, tels que la boisson et la cuisine. Le manque d’hygiène peut être à l’origine de maladies telles que le trachome[1] et la gale, également appelées « maladies de l’eau », qui touchent d’autant plus les femmes qu’elles font souvent passer les besoins en eau du reste du foyer avant les leurs.

Et la santé mentale ?

La question de la santé mentale commence plus récemment à être abordée. Si les hommes et les femmes voient leur santé mentale se dégrader face aux effets du changement climatique, les manifestations diffèrent souvent selon le genre.

Dans le contexte de catastrophes climatiques, les femmes sont plus souvent exposées à la violence sexiste, à des migrations forcées et à d’autres facteurs de stress socio-économiques qui ont des effets néfastes sur la santé mentale, avec notamment un risque plus élevé d’anxiété et de dépression.

Le stress lié à la perte de revenus et à l’endettement qui découle de certaines situations liées au changement climatique, par exemple les sécheresses ou les inondations, peuvent néanmoins aussi se répercuter sur la santé mentale des hommes, avec un risque de suicide plus élevé. Certaines données établissent par exemple un lien entre la sécheresse et le suicide chez les hommes en Australie.

Enfin, l’éco-anxiété est un phénomène de plus en plus étudié. Si les résultats varient d’une étude à l’autre, et que la question du genre n’est pas encore tranchée, plusieurs travaux suggèrent tout de même que les femmes, surtout jeunes, sont plus sujettes à l’éco-anxiété que les hommes. Toutefois, la plupart des données sur l’éco-anxiété proviennent des pays occidentaux, et des recherches futures seront donc nécessaires dans d’autres pays.

En conclusion, les effets du changement climatique sur la santé affectent différemment les hommes et les femmes principalement en raison de facteurs socio-économiques et culturels sous-jacents. Des facteurs physiologiques entrent aussi en jeu dans ces inégalités de genre, mais ils ont encore été insuffisamment étudiés. Le changement climatique menace d’aggraver les inégalités de santé existantes entre les hommes et les femmes dans tous les pays, avec toutefois des différences plus marquées dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.

Pour la recherche, un enjeu est de continuer à intégrer la perspective du sexe et du genre dans les travaux sur les effets sanitaires du changement climatique, et ce afin de mieux orienter les politiques publiques existantes en matière de climat, de développement et d’accès aux soins pour réduire les inégalités.

Un mot sur le sexe et le genre

 Si l’on synthétise, on peut définir ces deux concepts de la manière suivante :

  • le « sexe » fait référence aux caractéristiques biologiques et physiologiquesqui différencient les hommes des femmes (comme les gonades, les organes reproductifs, les chromosomes, les hormones) ;
  • le genre est une construction sociale, psychologique et culturelle qui s’effectue dans le cadre du processus de socialisation. Différentes sociétés et cultures peuvent donc avoir des conceptions différentes de ce qui est « masculin » ou « féminin ».

La littérature scientifique porte le plus souvent sur les interactions entre sexe et changement climatique, ou étudie le sexe et le genre de manière indifférenciée, mais de plus en plus de publications s’intéressent spécifiquement au genre en tant que construction sociale et à son lien avec les inégalités climatiques.

Dans ce texte, qui n’est pas exhaustif, nous avons choisi d’employer les deux concepts et de proposer au lecteur des références bibliographiques qui s’intéressent à la fois au sexe et au genre.

Texte rédigé avec le soutien de Johanna Lepeule, épidémiologiste, chargée de recherche dans l’équipe Inserm d’épidémiologie environnementale appliquée au développement et à la santé respiratoire à l’Institut pour l’Avancée des biosciences

[1]Le trachome est une maladie infectieuse de l’œil due à la bactérie Chlamydia trachomatis.

 

Références utiles

Bekkar B, Pacheco S, Basu R et al. Association of air pollution and heat exposure with preterm birth, low birth weight, and stillbirth in the US: a systematic review. JAMA Network Open. 2020;3(6):e208243 doi: 10.1001/jamanetworkopen.2020.8243.

Beltran AJ, Wu J, Laurent O. Associations of meteorology with adverse pregnancy outcomes: A systematic review of preeclampsia, preterm birth and birth weight. Int J Environ Res Public Health. 2014;11(1):91-172 doi: 10.3390/ijerph110100091.

Kuehn L, McCormick S. Heat exposure and maternal health in the face of climate change. Int J Environ Res Public Health 2017;14(8):853 doi: 10.3390/ijerph14080853.

Rothschild J, Haase E. Women’s mental health and climate change Part II: Socioeconomic stresses of climate change and eco-anxiety for women and their children. Int J Gynaecol Obstet. 2023;160(2):414-420 doi: 10.1002/ijgo.14514.

Sorensen C, Saunik S, Sehgal M, Tewary A, Govindan M, Lemery J, Balbus J. Climate Change and Women’s Health: Impacts and Opportunities in India. Geohealth. 2018 Oct 17;2(10):283-297. doi: 10.1029/2018GH000163. PMID: 32159002; PMCID: PMC7007102.

https://www.unwomen.org/en/news-stories/explainer/2022/02/explainer-how-gender-inequality-and-climate-change-are-interconnected

https://iris.who.int/bitstream/handle/10665/144781/9789241508186_eng.pdf

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