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Canal Détox

De nouveaux médicaments pour lutter contre la résistance aux antibiotiques, vraiment ?

Alors que la résistance aux antibiotiques – ou antibiorésistance – est considérée partout dans le monde comme un problème de santé publique très important, quelles sont les pistes de recherche les plus robustes pour y faire face ?

Le 04 Juil 2023 | Par INSERM (Salle de presse)

médicaments

Il y a quelques semaines, plusieurs articles de la presse internationale rapportaient les résultats préliminaires, non encore publiés dans une revue scientifique, d’une étude portant sur la découverte d’un nouvel antibiotique. Appelé clovibactine, celui-ci est décrit comme efficace contre plusieurs espèces bactériennes, sans qu’aucune résistance ne se développe. Alors que la résistance aux antibiotiques – ou antibiorésistance – est considérée partout dans le monde comme un problème de santé publique très important, cette nouvelle a forcément suscité de l’intérêt.

Mais comment interpréter concrètement ces résultats ? Et plus généralement, où en est-on dans la recherche de nouveaux antibiotiques ou d’approches alternatives qui permettraient de réduire la menace de l’antibiorésistance ? Canal Détox se penche sur cette problématique.

L’utilisation massive et répétée des antibiotiques en santé humaine et animale a entraîné l’apparition de souches de bactéries résistantes, contre lesquelles les traitements antibiotiques ne fonctionnent plus. Dans certains cas, la situation est très préoccupante puisque certaines souches bactériennes sont devenues multirésistantes, c’est-à-dire résistantes à plusieurs familles d’antibiotiques.

Cette situation implique que certains patients se retrouvent en impasse thérapeutique, car il n’y a plus d’options de traitement à leur proposer contre leur infection. Il s’agit donc d’un problème de santé publique majeur, qui est associé à 700 000 décès chaque année à travers le monde, dont environ 25 000 en Europe.

Lire notre dossier complet sur le sujet : « Résistance aux antibiotiques »

Actuellement, tous les antibiotiques sont concernés par des phénomènes d’antibiorésistance. C’est un peu moins le cas des molécules mises le plus récemment sur le marché, même si des résistances commencent là aussi à apparaître au fil des utilisations.

On peut par ailleurs souligner que certaines souches bactériennes sont plus problématiques que d’autres. Schématiquement, il existe deux grandes familles de bactéries, les GRAM+ (comme par exemple le staphylocoque doré) et les GRAM- (comme par exemple Escherichia coli, appelé communément le colibacille). La classification dans l’une ou l’autre de ces deux familles dépend de la structure de la bactérie. Aujourd’hui, ce sont plutôt les bactéries à GRAM- que les bactéries à GRAM+ qui sont multirésistantes aux antibiotiques, avec toutefois des différences selon les pays.

Les antibiotiques sont des substances chimiques, naturelles ou synthétiques, qui ont une action spécifique sur les bactéries. Ils peuvent tuer les bactéries ou limiter leur prolifération.

Les antibiotiques sont développés à partie de cultures de microorganismes ou entièrement synthétisés en laboratoire.

Les premiers antibiotiques isolés (pénicillines) ont été des substances naturelles produites par un champignon du genre Penicillium. Un des axes de recherche dans le domaine consiste à rechercher des antibiotiques naturels en testant des milliers de microorganismes (levures ou bactéries) susceptibles d’en produire spontanément.

 

La clovibactine, un nouvel antibiotique efficace ?

 Les travaux concernant la clovibactine n’étant pas encore publiés dans une revue scientifique validée par les pairs, il est difficile de se prononcer sur ces résultats et sur leur potentiel impact clinique. Ce qui se dessine toutefois aux premiers abords, c’est que la clovibactine est un antibiotique issu d’une bactérie identifiée dans les sols qui n’était pas connue des scientifiques auparavant. Les scientifiques expliquent que la clovibactine agirait en bloquant la synthèse des précurseurs des protéines qui constituent le « bouclier » des bactéries. Ils écrivent aussi que in vitro, aucune résistance ne semble se développer contre ce nouvel antibiotique. Néanmoins, celui-ci semblerait surtout efficace contre les bactéries à GRAM+, ce qui limiterait sa portée clinique.

Quoi qu’il en soit, ces données permettent d’ores et déjà de rappeler que les bactéries non cultivées représentent environ 99 % de toutes les bactéries présentes dans les environnements extérieurs et qu’elles constituent une source encore inexploitée de nouveaux antibiotiques. La clovibactine a été identifiée et développée à partir d’une bactérie issue des sols que les scientifiques n’avaient jamais réussi auparavant à mettre en culture. Ils y sont ici parvenus grâce à une technologie récente qui permet d’isoler une seule bactérie au sein d’un échantillon et de la mettre en culture durant plusieurs semaines pour qu’elle puisse se développer.

Cet article scientifique sur la clovibactine souligne donc qu’il pourrait être intéressant de continuer ce type de travaux en s’appuyant sur des méthodes de pointe pour découvrir de nouvelles bactéries dans l’environnement, à partir desquelles on pourra éventuellement développer de nouveaux antibiotiques. Déjà en 2015, des recherches similaires avaient abouti au développement d’un nouvel antibiotique appelé teixobactine.

Depuis la première publication de cet article, l’étude a été publiée.

 

Des pistes à explorer

Par ailleurs, de nombreuses autres pistes de recherche font l’objet de travaux rigoureux. Ainsi, de multiples essais cliniques testent par exemple l’efficacité de nouvelles molécules inhibant l’action d’enzymes appelées bêta-lactamases. Ces enzymes, qui sont produites par certaines bactéries, et notamment les bactéries à GRAM-, contribuent à les rendre résistantes à de nombreux antibiotiques. On peut donner l’exemple d’un nouvel inhibiteur de bêta-lactamase appelé avibactam, qui fonctionne selon ce mode d’action et qui est désormais commercialisé en association avec un antibiotique. Plusieurs inhibiteurs appartenant à la famille chimique de l’avibactam, en association avec d’autres molécules, sont actuellement en cours d’évaluation.

La phagothérapie demeure aussi une piste de recherche particulièrement active. Le principe de base est simple : il s’agit d’administrer des phages, c’est-à-dire des virus qui infectent et tuent spécifiquement certaines bactéries. Les phages pourraient donc être une option thérapeutique intéressante pour remplacer les antibiotiques. Connus de la communauté scientifique avant même la découverte des antibiotiques, ils sont tombés en désuétude avec l’arrivée de ces derniers.

La nécessité de trouver des solutions à l’antibiorésistance a contribué à un renouvellement de l’intérêt pour la phagothérapie et aujourd’hui, ce traitement est parfois autorisé à titre compassionnel. Néanmoins, certaines questions scientifiques demeurent encore sans réponse. Quel est le devenir des phages dans l’organisme ? Comment les purifier et préparer les dosages adaptés pour un usage clinique ? Si des essais sont en cours, le développement industriel de cocktails de phages, préparés à l’avance ou « sur mesure » pour lutter contre une bactérie spécifique, paraît encore complexe à l’heure actuelle.

Enfin, une dernière piste de recherche intéressante peut aussi être mentionnée : celle des anticorps monoclonaux. Ces molécules produites en laboratoire sur le modèle des anticorps naturels agiraient ici en luttant contre l’effet de toxines ou de facteurs de virulence des bactéries, les rendant moins agressives. Ils constitueraient donc une thérapeutique adjonctive ou une alternative intéressante aux antibiotiques. Des résultats prometteurs ont déjà été publiés.

Si toutes ces recherches doivent continuer à avancer, la prévention reste primordiale. Il s’agit même de la priorité numéro 1 pour lutter efficacement contre l’antibiorésistance. En vue de préserver le plus longtemps possible l’efficacité des antibiotiques disponibles, des mesures pour réduire leur consommation afin de limiter la pression de sélection sur les bactéries ont déjà été prises, comme par exemple le fait de sensibiliser les médecins et les patients à limiter la durée des traitements au strict nécessaire ou à bien distinguer les infections bactériennes des infections virales (contre lesquelles les antibiotiques sont inutiles). Poursuivre ces efforts est aujourd’hui plus que jamais nécessaire pour endiguer le fléau de la résistance aux antibiotiques.

Texte rédigé avec le soutien d’Olivier Barraud, Maître de Conférences des Universités – Praticien Hospitalier (MCU-PH), Université de Limoges et Bruno François, CHU de Limoges-Centre d’investigation clinique Inserm 1435.

 

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