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Jeûner pour lutter contre le cancer, vraiment ?

« Il faut éviter de manger pour “affamer” les tumeurs » : cette image assez parlante est souvent relayée sur des forums en ligne. Elle pousse certains patients atteints de cancer à se tourner vers le jeûne et les régimes restrictifs alors que cette pratique comporte des risques importants pour leur santé. Canal Détox fait le point.

Le 10 Jan 2024 | Par Inserm (Salle de presse)

© Canva/Inserm

« Il faut éviter de manger pour “affamer” les tumeurs » : cette image assez parlante est souvent relayée sur des forums en ligne et pousse certains patients atteints de cancer à se tourner vers le jeûne et les régimes restrictifs.

Le terme « jeûne » englobe plusieurs types de pratique : jeûne complet (seule l’eau est permise), jeûne partiel (apport calorique très modeste, autour de 300 kcal/jour), jeûne continu ou jeûne intermittent. Quelle que soit la forme qu’il prend, sa pratique existe depuis des millénaires dans de nombreuses religions et cultures dans un but de purification du corps et de l’esprit ou en signe de pénitence.

Néanmoins, depuis les années 2000, le jeûne est de plus en plus pratiqué en France  – et dans d’autres pays occidentaux – par des personnes qui y voient une manière de perdre du poids (voir notre Canal Détox sur le régime intermittent) mais aussi de prévenir ou guérir un certain nombre de maladies, dont le cancer.

Mais au-delà de témoignages et d’anecdotes sur le sujet maintes fois relayés sur internet, y-a-t-il des fondements scientifiques à cette idée ? Priver son corps de sucre et d’autres nutriments peut-il l’aider à lutter contre les tumeurs ? L’appauvrir en énergie va-t-il vraiment l’aider à mieux supporter les chimiothérapies comme certains le disent, voire à augmenter leur efficacité ? Canal Détox fait le point.

Priver les cellules cancéreuses de nourriture

Les cellules cancéreuses ont la capacité de se multiplier à l’infini et ont pour cela besoin d’une très grande quantité d’énergie. La plupart des cellules cancéreuses, comme l’avait supposé le médecin allemand Alfred Braunstein en 1921 puis démontré Otto Warburg dans les années 1930, consomment beaucoup plus de sucre que les cellules saines.

C’est d’ailleurs cette très forte consommation de glucose, visualisable par imagerie, qui permet aujourd’hui de repérer la majorité des tumeurs dans l’organisme. Néanmoins, le sucre n’est pas la seule source d’énergie des cellules tumorales. Ces dernières peuvent également puiser leur énergie dans les protéines et les graisses apportées par notre alimentation.

Rien d’étonnant dès lors à ce que l’idée de priver les tumeurs de carburant pour ralentir leur évolution fasse l’objet de nombreuses recherches depuis les années 1940. Plusieurs équipes tentent ainsi de mettre au point des médicaments capables d’empêcher les cellules tumorales de capturer et d’utiliser les ressources énergétiques de leur environnement.

D’autres travaux de recherche explorent quant à eux la piste de la restriction calorique, par la baisse des apports en glucides, en lipides ou en protéines dans différentes proportions.

Cependant, l’équation est loin d’être simple car en voulant « affamer » les tumeurs, c’est l’ensemble de l’organisme que l’on risque d’affaiblir. Les cellules tumorales ne sont pas les seules à avoir besoin de glucides ; les cellules musculaires, cardiaques, hépatiques ou cérébrales aussi.

Par ailleurs, les cellules tumorales ont de très grandes capacités d’adaptation, en fonction de leur environnement immédiat, de leur stade de développement et des ressources à leur disposition. Des études ont mis en évidence que si le sucre vient à manquer, les cellules tumorales vont puiser leur énergie ailleurs, notamment dans les lipides ou les protéines. Par ailleurs, en grossissant, les tumeurs auraient tendance à privilégier davantage les acides gras et auraient même la capacité de fabriquer leurs propres lipides. En d’autres termes, les cellules tumorales ont de la ressource.

Alors que penser du jeûne ou des restrictions alimentaires pour les patients atteints de cancer ? Pour en savoir plus, on peut se tourner vers le rapport de 2017 très complet du réseau Nutrition Activité physique Cancer Recherche  (NACRe), qui a décidé de passer en revue l’ensemble des études publiées sur le sujet depuis la fin des années 1940.

Conclusion : les résultats chez l’animal sont très hétérogènes, avec des résultats qui suggèrent tour à tour des effets bénéfiques, neutres voire délétères tant au niveau de la croissance tumorale, du taux de survie ou encore de l’efficacité ou de la capacité à supporter des traitements anticancéreux. Et ce, dans des circonstances expérimentales éminemment variables et très éloignées des situations que vivent les patients atteints de cancer dans leur quotidien.

En outre, même lorsque l’on s’intéresse à des études menées chez l’humain, nous sommes face à des études en faible nombre, avec de faibles effectifs et des qualités méthodologiques discutables, ainsi que l’a aussi souligné un rapport de l’Inserm datant de 2014.

Des études cliniques ont-elles apportées plus de preuve depuis le rapport du réseau NACRe ? Le point positif est que de nombreuses études cliniques ont été lancées ces dernières années. Cependant, les travers soulignés par le rapport de 2017 persistent : faible effectif, paramètres subjectifs (bien-être par exemple)…

Les preuves accumulées sont donc clairement insuffisantes aujourd’hui pour affirmer que le jeûne ou même simplement la restriction en sucre sont bénéfiques pour lutter contre le cancer ou mieux supporter la chimiothérapie.

À l’inverse, ces pratiques exposent, de façon certaine, les patients à une aggravation de la perte de poids et de la fonte musculaire, deux facteurs qui diminuent clairement les chances de succès des traitements et de la survie.

Si le jeûne à visée thérapeutique est à la mode, les experts sont donc formels : il s’agit d’une pratique dont les bienfaits ne sont pas aujourd’hui scientifiquement prouvés chez les patients atteints de cancer, et qui comporte des risques. Pour rappel, la dénutrition serait directement responsable de 5 à 25 % des décès chez les personnes atteintes d’un cancer.

Sachant que chaque cancer a ses spécificités et que chaque patient est unique, il faudra de nombreux travaux pour confirmer ou infirmer les bienfaits d’un régime restrictif ou du jeûne.

Texte repris et adapté du livre « Fake News Santé » de l’Inserm. Il a été rédigé avec le soutien de Stéphane Servais, professeur des universités, chercheur au sein de l’unité 1069 Inserm/Université de Tours, Nutrition, croissance et cancer

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