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Communiqués et dossiers de presse

Décès du professeur Étienne-Émile Baulieu (1926-2025), médecin-chercheur de l’Inserm, père de la pilule abortive

04 Juin 2025 | Par Inserm (Salle de presse) | Institutionnel et évènementiel

© Patrick Delapierre

Décès du professeur Étienne-Émile Baulieu (1926-2025), médecin-chercheur de l’Inserm, père de la pilule abortive. Étienne-Émile Baulieu est connu sur la scène médiatique comme père du RU-486, une molécule antiprogestérone, dénommé aussi « pilule abortive » qui est aujourd’hui encore le traitement de référence pour permettre la pratique d’IVG médicamenteuses. C’est un pionnier de la découverte des récepteurs intracellulaires des hormones sexuelles stéroïdiennes.

« Ma Maison[1] », c’est ainsi que Étienne-Émile Baulieu évoquait l’Inserm lorsqu’il reçut en 2015 le Prix d’honneur de l’Institut. L’Inserm rendait déjà hommage à l’itinéraire scientifique exceptionnel de ce « médecin-chercheur » comme il se définissait lui-même[2]. Médecin, endocrinologue et biochimiste titulaire d’une thèse en biochimie, il fut l’élève de Max-Fernand Jayle, spécialiste notamment de la DHEA (déhydroépiandrostérone[3]).

Au cœur des transformations des années 1960, les travaux d’Étienne-Émile Baulieu participèrent tant au tournant moléculaire de la recherche biologique et médicale qu’à la science mise au service des femmes, comme il le mettait lui-même en avant.

iLes premiers travaux d’Etienne Emile Baulieu sur la DHEA lui offrirent une reconnaissance internationale et lui ouvrirent les portes du laboratoire de Seymour Lieberman, à Columbia University. Il y rencontra Grégory Pincus, le « père » de la pilule contraceptive.

A son retour en France, Étienne-Émile Baulieu prit la tête d’une unité de recherche, à Bicêtre, sur les « communications hormonales » qui devint l’U33, lors de la création de l’Inserm en 1964[4]. Sous sa direction, son équipe ouvrit la voie à des recherches très novatrices sur les mécanismes d’action des hormones stéroïdes. Ces dernières sont des puissantes messagères impliquées dans le processus de reproduction et dans le métabolisme général de l’organisme. Les travaux qu’il mena élucidèrent le mode de transport des hormones stéroïdes sexuelles dans le sang ; l’isolement des premiers récepteurs hormonaux, en particulier, ceux de la progestérone dans l’utérus, ceux des androgènes dans la prostate ; les mécanismes moléculaires par lesquels les récepteurs transmettent l’action hormonale au niveau de l’ADN ; la découverte des neurostéroïdes[5]

De ses travaux, le plus médiatique est incontestablement la découverte du RU 486 (Mifépristone, premier stéroïde anti-progestatif). Le RU 486 bloque l’action de la progestérone en agissant sur son récepteur. Il provoque un détachement de la muqueuse utérine (comme au moment des règles) suivi de l’élimination de l’embryon. Émile-Etienne Baulieu choisit alors de dénommer cette méthode de maîtrise de la fécondité « contragestion ».  Au terme de dix années de recherche et en collaboration avec les chimistes du groupe Roussel-Uclaf, la molécule est disponible sous forme de traitement. Les répercussions en termes sociétaux et pour la santé des femmes sont majeures : la molécule produite sous forme de « pilule » permet d’interrompre une grossesse à un stade très précoce, de limiter le recours à des interventions chirurgicales d’interruption de grossesse alors qu’encore, les avortements clandestins continuaient d’entraîner des décès (estimé par Etienne Emile Baulieu à 200 000/an en 1989). D’un point de vue global, les débats s’engageaient aussi autour de l’opportunité d’utiliser le RU 486 dans les politiques de contrôle des naissances dans différentes régions du monde. Un large débat public s’ouvrait alors[6].

En 1989, alors que le prestigieux Prix américain Albert Lasker, en recherche clinique, présenté comme l’antichambre du Prix Nobel[7], vint récompenser les travaux de Emile-Etienne Baulieu, la revue Science mettait en couverture la pilule « RU 486 » avec un immense point d’interrogation sur fond de manifestations[8]. Pourtant, la découverte laissait entrevoir d’autres applications majeures pour le traitement de certaines tumeurs, ou encore lors d’accouchements difficiles pour limiter le recours à la césarienne.

La carrière d’Étienne Émile Baulieu s’étend aussi à l’administration de la recherche et à la politique scientifique, avec des fonctions à la Fondation pour la Recherche Médicale, ou encore comme président du conseil scientifique de l’Inserm entre 1975 et 1979.

Entre 1993 et 1997, Professeur au Collège de France, il occupa la chaire “Fondements et principes de la reproduction humaine” de 1993 à 1997.

A partir de 1997, il dirigea une équipe de recherche principalement orientée sur les maladies neurodégénératives dans le cadre de l’Unité́ INSERM 1195 (Paris-Sud). La découverte de la protéine FKBP52 par son équipe, chez des modèles animaux, a ainsi confirmé sa capacité à réguler les anomalies de la protéine Tau impliquées dans la maladie d’Alzheimer.

Par ses recherches et ses publications, Emile-Etienne Baulieu s’est imposé comme un fervent défenseur de sa discipline : l’endocrinologie. Il situe sa discipline et ses recherches comme un pont allant de l’intime des individus aux enjeux de sociétés sur la reproduction dans les années 1960, sur la longévité dans les années 1990 (traitement de compensation hormonale après la ménopause, travaux sur la DHEA pour entraver les effets du vieillissement, le déclin cérébral et musculaire, longévité croissante)[9].

Etienne-Emile Baulieu mène aussi une œuvre importante de communication scientifique à destination des sphères publiques, comme en témoignent les derniers entretiens dans Le Monde[10].

[1] Sciences&Santé, n°29, 2016

[2] EE Baulieu, Avant-propos, Génération Pilule.

[3] le précurseur des hormones sexuelles et dont le taux décroît avec l’âge.

[4] « métabolisme moléculaire et la physiopathologie des stéroïdes » de 1963 à 1997 à l’hôpital de Bicêtre (Val-de-Marne)

[5] Archives Inserm, Baulieu dossier de presse

[6] En France, il faut l’intervention du politique pour que Roussel-Uclaf détenteur du brevet produise effectivement le RU 486 et le mette à disposition, en dépit des menaces reçues de la part des mouvements anti-avortement.

[7] La Recherche, n°216, déc. 1989

[8] Science, voir aussi EE Baulieu, « in the eye of storm »

[9] Recherche&Santé, magazine de FRM, n°74, avril 1998

[10] Le Monde, entretien, 9 mai 2023.

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