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Le cerveau au rythme du groove ou pourquoi la musique nous donne-t-elle envie de danser ?

Groove- envie de danser© AdobeStock

Pourquoi certaines musiques nous donnent-elles plus envie de danser que d’autres ? C’est à cette question qu’une équipe de recherche de l’Inserm et d’Aix-Marseille Université a tenté de répondre en étudiant l’envie de danser (aussi appelée « groove ») et l’activité cérébrale de 30 participants écoutant de la musique. Les résultats montrent que la sensation de groove est maximale pour un rythme moyennement complexe et que l’envie de bouger se traduit au niveau cérébral par une anticipation du tempo de la musique. Ces travaux à paraître dans la revue Science Advances désignent également le cortex sensori-moteur gauche[1] comme le centre de coordination entre les systèmes auditif et moteur.

Qui dit danse dit action. Mais pour danser au son d’une mélodie, encore faut-il coordonner ses actions au rythme de la musique. De précédentes études ont déjà montré que le système moteur (constitué du cortex moteur[2] et de l’ensemble des structures cérébrales et des voies nerveuses qui, sous son contrôle, participent à l’exécution du mouvement) est crucial dans le traitement cérébral des rythmes musicaux.

Le « groove », c’est l’envie spontanée de danser en musique. Mais si certaines musiques nous entraînent furieusement sur la piste de danse, d’autres nous laissent impassibles. Alors, qu’est-ce qui fait que certaines musiques sont plus « groovy » que d’autres ?

Une équipe de recherche dirigée par Benjamin Morillon, chercheur Inserm au sein de l’Institut de neurosciences des systèmes (Inserm/Aix-Marseille Université), s’est intéressée aux dynamiques neurales (c’est-à-dire aux interactions entre les neurones résultant de l’activité électrique du cerveau) de 30 participants lors de l’écoute de musiques dont le rythme était plus ou moins complexe. Ceci dans le but de déterminer les mécanismes cérébraux impliqués dans l’émergence de la sensation de groove.

Pour ce faire, l’équipe a tout d’abord créé 12 mélodies courtes composées d’un rythme de 120 battements par minute – soit 2 Hz, rythme moyen retrouvé dans la musique en général. Chaque mélodie a ensuite été modifiée afin d’obtenir trois variantes avec un degré croissant de syncope[3] (faible, moyen, fort) – c’est-à-dire avec un rythme de plus en plus complexe, mais sans modifier ni la vitesse du rythme ni les autres caractéristiques musicales de la mélodie.

Les chercheurs ont ensuite demandé aux participants d’écouter ces mélodies pendant qu’ils enregistraient en temps réel leur activité cérébrale à l’aide d’un appareil de magnéto-encéphalographie (MEG). À la fin de chacune d’elle, la consigne était de noter le niveau de groove ressenti.

Ils ont également créé un modèle mathématique de réseau neuronal dit « neurodynamique » permettant de décrire de manière simple les calculs nécessaires à l’émergence du groove réalisés par le cerveau.

L’expérience du groove telle que rapportée par les participants – et reproduite par le modèle neurodynamique – apparaissait corrélée au taux de syncope. Comme déjà observé dans de précédentes études, l’envie de bouger en musique était maximale pour un rythme présentant un taux intermédiaire de syncope, c’est-à-dire n’étant ni trop simple, ni trop complexe.

« Ces résultats montrent que l’engagement moteur lié au groove se matérialise par une anticipation temporelle du tempo. Celle-ci repose au niveau cérébral sur un équilibre dynamique entre la prévisibilité temporelle du rythme (moins le rythme est complexe, meilleure elle est) et les erreurs de prédiction temporelle de l’auditeur (plus le rythme est complexe, plus elles sont nombreuses) », précise Arnaud Zalta, premier auteur de l’étude et post-doctorant à l’ENS-PSL.

L’analyse de l’activité cérébrale des participants a ensuite permis aux chercheurs de mettre en évidence le rôle du cortex sensorimoteur gauche comme coordonnateur des dynamiques neurales impliquées dans la prédiction temporelle auditive d’une part et dans la planification et l’exécution du mouvement d’autre part.

« L’aire cérébrale où se situe le cortex sensorimoteur gauche est actuellement considérée comme la potentielle clé de voûte de l’intégration sensorimotrice, essentielle à la fois pour la perception de la musique et de la parole. Le fait qu’il apparaîsse dans notre étude comme nécessaire à la “coopération” entre les systèmes auditif et moteur vient renforcer cette hypothèse, d’autant plus que nous utilisons ici des stimuli naturels », conclut Benjamin Morillon.

 

[1]Dans le cerveau, le cortex sensorimoteur regroupe le cortex moteur et le cortex sensoriel (gyrus postcentral, à l’avant du lobe pariétal), séparés par le sillon central. Il est impliqué dans la coordination des mouvements : il reçoit les informations sensorielles provenant des différentes parties du corps et les intègre pour ajuster et affiner les mouvements générés par le cortex moteur.

[2]Le cortex moteur regroupe les aires du cortex cérébral qui participent à la planification, au contrôle et à l’exécution des mouvements musculaires volontaires. Il est situé dans la partie postérieure du lobe frontal du cerveau, au niveau du gyrus précentral.

[3]En solfège rythmique, si on considère une mesure à 4 temps, les temps 1 et 3 sont appelés « temps forts » et les temps 2 et 4 sont appelés « temps faibles ». La syncope correspond à un rythme dans lequel une note (voire un accord) est attaquée sur un temps faible et prolongée sur le temps fort suivant. Pour l’auditeur, cela crée un déplacement de l’accent attendu, perçu comme une sorte de « hoquet » musical qui perturbe la régularité du rythme. Ces motifs musicaux sont notamment très présents dans la musique funk ou le jazz.

Privilégier la lumière naturelle pour éviter les troubles du sommeil liés à l’âge

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Un adulte français sur trois serait concerné par un trouble du sommeil. La prévalence de ces troubles augmente avec le vieillissement mais les mécanismes biologiques à l’œuvre sont assez méconnus, laissant planer le doute sur leur origine. Dans une nouvelle étude, Claude Gronfier, chercheur Inserm, et son équipe au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (Inserm/CNRS/Université Claude-Bernard Lyon 1) ont émis l’hypothèse que leur apparition lors du vieillissement était liée à une désynchronisation de l’horloge biologique due à une baisse de perception de la lumière. Durant leurs travaux, ils ont identifié un nouveau mécanisme adaptatif de la rétine au cours du vieillissement qui permet aux individus plus âgés[1] de rester sensibles à la lumière. Ces résultats présentent par ailleurs un intérêt clinique en incitant les personnes plus âgées à s’exposer davantage à la lumière du jour, plutôt qu’à la lumière artificielle, afin d’éviter de développer des troubles du sommeil. Ils sont publiés dans la revue Journal of Pineal Research.

Presque toutes les fonctions biologiques sont soumises au rythme circadien, un cycle d’une durée de 24 heures. La sécrétion de la mélatonine, l’hormone de la nuit, est typiquement circadienne. Sa production augmente en fin de journée peu avant le coucher, contribuant à l’endormissement, et chute avant l’éveil.

De précédentes études ont montré que la sécrétion de cette hormone par le cerveau est bloquée par la lumière, à laquelle elle est très sensible. Cette sensibilité à la lumière peut se traduire par une désynchronisation de l’horloge circadienne, pouvant entraîner l’apparition de troubles du sommeil. D’autres études ont par ailleurs dévoilé le rôle important, dans le contrôle de la production de mélatonine, de la mélanopsine, un photorécepteur présent dans certaines cellules de la rétine qui, très sensible à la lumière (essentiellement à la lumière bleue), permet de réguler le réflexe pupillaire et le rythme circadien. Ainsi, lors d’une exposition à la lumière, la mélanopsine devient moteur de la suppression de mélatonine et de la synchronisation de l’horloge biologique.

Si les troubles du sommeil chez l’adulte sont fréquents, ils augmentent avec l’âge : près d’un tiers des personnes de plus de 65 ans consomme des somnifères de manière chronique[2]. Pourtant, aucune étude ne s’était intéressée spécifiquement au mécanisme biologique à l’œuvre dans les troubles du sommeil liés à l’âge. S’agit-il d’une conséquence d’un problème de perception de la lumière ? Si oui, à quel niveau ? Et quel est le rôle de la mélanopsine dans ce cas précis ?

Une équipe au Centre de recherche en neurosciences de Lyon a tenté d’élucider ce mystère. Les scientifiques ont observé chez un groupe d’adultes les effets de la lumière sur la sécrétion de mélatonine. Tous les participants ont été exposés à 9 lumières de différentes couleurs (correspondant à 9 longueurs d’ondes très précises) pour permettre aux scientifiques d’identifier les mécanismes en cause par le biais des photorécepteurs concernés.

Les participants de l’étude ont été divisés en deux groupes distincts : un groupe à la moyenne d’âge de 25 ans, un autre à la moyenne d’âge de 59 ans. Cette expérience a été réalisée au milieu de la nuit, au moment où l’organisme libère normalement le plus de mélatonine.

Les résultats indiquent que, parmi les lumières testées, la lumière bleue (longueur d’onde aux environs de 480 nm) est très efficace pour supprimer la production de la mélatonine chez les personnes les plus jeunes. Plus spécifiquement, les scientifiques ont observé que chez les jeunes sujets exposés à la lumière bleue, la mélanopsine était le seul photorécepteur moteur de la suppression de la mélatonine. À l’inverse, chez les participants plus âgés, d’autres photorécepteurs que la mélanopsine semblent être impliqués, comme les cônes S et M, des photorécepteurs qui permettent la perception du monde en couleur, et qui sont situés dans la rétine externe.

Ces données suggèrent que le vieillissement s’accompagne d’une diminution de l’implication de la mélanopsine dans la perception visuelle, mais que la rétine parvient à compenser cette perte par une augmentation de la sensibilité d’autres photorécepteurs qui n’étaient jusqu’alors pas connus pour être impliqués dans la suppression de la mélatonine.

Ces observations permettent aux scientifiques de conclure que la perception de la lumière – et les besoins en lumière des individus – évoluent avec l’âge. En effet, tandis que les personnes les plus jeunes, dont seul le récepteur mélanopsine est impliqué, peuvent se contenter d’une exposition à la lumière bleue[3] pour synchroniser leur horloge circadienne sur une journée de 24 heures, les personnes plus âgées ont besoin d’être exposées à une lumière plus riche en longueurs d’onde (couleurs), une lumière dont les caractéristiques sont celles de la lumière du soleil.

« Il s’agit de la découverte d’un nouveau mécanisme adaptatif de la rétine au cours du vieillissement – permettant au sujet âgé de rester sensible à la lumière malgré le brunissement du cristallin. Ces résultats présentent par ailleurs un intérêt clinique, encourageant les personnes plus âgées à s’exposer davantage à la lumière du jour, plus riche en longueurs d’ondes, plutôt qu’à la lumière artificielle, afin d’éviter de développer des troubles du sommeil et d’autres altérations telles que des troubles de l’humeur ou du métabolisme… Enfin, ils offrent de nouvelles perspectives pour personnaliser de façon optimale les photothérapies/luminothérapies destinées au soin des personnes plus âgées », explique Claude Gronfier, chercheur à l’Inserm, dernier auteur de l’étude.

En lien avec ce dernier aspect, l’équipe de recherche s’intéresse désormais à la quantité et à la qualité de lumière nécessaires à chaque individu, et au meilleur moment de s’exposer à la lumière durant la journée, pour éviter qu’il ou elle ne développe des troubles du sommeil et de la santé en général. Les travaux de recherche sont réalisés à la fois chez le sujet sain (enfant et adulte), chez le travailleur de jour et de nuit, et chez le patient (troubles du sommeil et des rythmes biologiques, maladies génétiques, troubles de l’humeur, neurodégénérescences)[4].

 

[1]Dans cette étude, la moyenne d’âge des personnes composant le groupe « plus âgés » était de 59 ans.

[2] https://www.has-sante.fr/jcms/c_1299994/troubles-du-sommeil-stop-a-la-prescription-systematique-de-somniferes-chez-les-personnes-agees

[3] Les éclairages à LED utilisés sont riches en lumière bleue.

[4] https://www.crnl.fr/fr/page-base/groupe-sommeil-rythmicite-circadienne-lhumain-epidemiologie-populationnelle-recherche

Une thérapie par ultrasons non invasive efficace dans le traitement des maladies des valves cardiaques

cœur© Adobe stock

Actuellement, le traitement des maladies des valves cardiaques repose sur le remplacement de la valve dysfonctionnelle par une prothèse artificielle. Cette intervention ne peut toutefois pas être proposée à tous les patients compte tenu de son caractère invasif. Dans une nouvelle étude, un groupe de chercheurs et chercheuses issus de laboratoires communs à l’Inserm, à l’ESPCI Paris, au CNRS et à Université Paris Cité, en étroite collaboration avec la start-up Cardiawave[1] spin off de l’Hôpital européen Georges Pompidou et du laboratoire Physique pour la Médicine Paris (Inserm/CNRS/ESPCI/PSL), rapportent pour la première fois l’efficacité clinique d’une thérapie « non invasive » par ultrasons focalisés. L’essai clinique, réalisé sur un échantillon de 40 patients, a permis d’améliorer de façon significative la santé de ces derniers. Les résultats sont publiés dans The Lancet.

Notre cœur bat environ 70 fois par minute au repos soit plus de 100 000 fois par jour. Il propulse le sang dans l’organisme à raison de 4 à 5 litres par minute. C’est pourquoi avec l’âge, le cœur vieillit, les artères et les valves peuvent s’abîmer[2]. Plus de 10 millions de personnes sont atteintes de rétrécissement aortique calcifié (RAC) en Europe et aux États-Unis, dont 2 millions de cas sévères notamment chez les personnes âgées. Dans cette maladie, la valve aortique (positionnée entre la pompe cardiaque et le système vasculaire) se calcifie, devient rigide et ne peut plus s’ouvrir correctement, aboutissant à l’insuffisance cardiaque ou à la mort subite. Aujourd’hui, le seul traitement existant consiste au remplacement de la valve défectueuse par une prothèse artificielle, par chirurgie à cœur ouvert via une chirurgie percutanée par voie artérielle. Cependant, un nombre important de patients ne sont pas éligibles à ces interventions invasives, en raison de comorbidités sévères et d’une espérance de vie limitée.

Trouver une alternative thérapeutique pour ces patients représente un enjeu de taille pour la recherche. Ainsi, une équipe de recherche issue des laboratoires académiques français de l’Inserm a développé et testé une nouvelle approche appelée « thérapie par ultrasons non invasive » (ou NIUT). Après avoir validé le concept, la technologie a été développée par la société Cardiawave, start-up spin off d’une collaboration entre l’hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP) et des laboratoires communs à l’Inserm, à l’ESPCI et au CNRS (Institut physique pour la médecine Paris et Institut Langevin).

Cette approche repose sur une technologie qui permet de réparer la valve aortique grâce à l’action précise et mécanique d’ultrasons focalisés de haute énergie délivrés par un dispositif appliqué sur le thorax du patient, dans le but d’assouplir la valve et d’améliorer ainsi son ouverture.

Un essai clinique a été réalisé sur un échantillon de 40 patients atteints de formes sévères de la maladie répartis dans trois sites cliniques en France (Hôpital européen Georges-Pompidou, AP-HP, Paris), aux Pays-Bas (Hôpital Amphia, Breda) et en Serbie (Centre clinique universitaire de Serbie, Belgrade). Ils ont été traités en une seule séance, avec des suivis programmés à 1, 3, 6, 12 et 24 mois.

À la fin du suivi, les scientifiques ont pu observer :

  • aucun décès ni événements graves (infarctus, AVC, troubles du rythme sévères) liés à l’intervention ;
  • une amélioration significative de la fonction cardiaque (confirmée dès 6 mois après le traitement par le dispositif, reflétée notamment par une augmentation de 10 % de la surface moyenne de la valve aortique) ;
  • une amélioration considérable de la qualité de vie ; une amélioration des symptômes d’insuffisance cardiaque[3]: capacités physiques, essoufflement à l’effort. Un des tests consiste par exemple à mesurer la distance parcourue en marchant 6 minutes (6-minute walking test).

valve aortiqueLa valve aortique est composée de plusieurs feuillets (3 le plus souvent) qui, lorsqu’ils se calcifient, empêchent sa bonne ouverture. Après traitement par ultrasons, on observe une amélioration significative de la surface d’ouverture de la valve aortique représentée ici sur l’image de droite.

« Ces résultats prometteurs représentent un changement de paradigme pour le traitement du rétrécissement aortique calcifié », explique Emmanuel Messas, investigateur principal de l’étude clinique.

« Ils montrent que cette approche innovante est faisable et sûre, et a permis d’améliorer de façon significative les paramètres hémodynamiques et cliniques ainsi que la qualité de vie des patients participant à l’essai clinique », ajoute Mickaël Tanter, directeur de recherche Inserm au laboratoire Physique pour la médecine à Paris.

« Si son efficacité est confirmée, cette technologie pourrait représenter un immense espoir pour des millions de patients souffrant de formes sévères de RAC et qui se trouvent actuellement dans une impasse thérapeutique », explique Mathieu Pernot, directeur de recherche Inserm au sein du laboratoire Physique pour la médecine.

Le dispositif appelé Valvosoft® fait actuellement l’objet d’études cliniques de sécurité et d’efficacité. Il n’a pas encore reçu d’autorisation de mise sur le marché (marquage CE…) et est pour le moment destiné exclusivement aux études cliniques.

 

Ce projet a été soutenu par le Programme des investissements d’avenir dans le cadre du Concours mondial d’innovation. Il a également bénéficié d’aides publiques gérées par l’Agence nationale de la recherche et du programme Horizon 2020, instruments PME de la Commission européenne.

[1]Cette étude a été portée par Cardiawave, start-up spin-off des laboratoires Institut Langevin (Inserm/CNRS/ESPCI) et Physique pour la médicine Paris (Inserm/CNRS/ESPCI/PSL)

[2] Source : Fédération française de cardiologie

[3]Le score de la New York Heart Association (NYHA) de mesure de la gravité de l’insuffisance cardiaque s’est amélioré ou stabilisé chez 96 % des patients (n = 24) ; et le score moyen du Kansas City Cardiomyopathy Questionnaire (KCCQ) – autre score de mesure de la gravité de l’insuffisance cardiaque – s’est amélioré de 33 %.

Que disent les pleurs de bébé ?

bébé qui pleureLe pleur est le signal par lequel les bébés communiquent vocalement avec leurs parents et les autres personnes qui s’occupent d’eux au cours des premiers mois de leur vie. © Photo de Katie Smith sur Unsplash

Le pleur est le signal par lequel les bébés communiquent vocalement avec leurs parents et les autres personnes qui s’occupent d’eux au cours des premiers mois de leur vie. Mais que nous disent réellement les pleurs d’un bébé ? Malgré l’intérêt universel pour cette question, nos connaissances restaient jusqu’alors sans base scientifique établie. Deux équipes de recherche de l’université Jean Monnet à Saint-Étienne, de l’Inserm et du CNRS1 ont relevé le défi de répondre à cette question. Si chaque pleur présente des caractéristiques individuelles propre à l’enfant, rien ne permettrait de distinguer sa cause – faim, inconfort, isolement – ni s’il s’agit du pleur d’une fille ou d’un garçon. En revanche les caractéristiques acoustiques du pleur sont bien corrélées au niveau de détresse dans lequel se trouve l’enfant, incitant le parent ou l’adulte à réagir. Ces résultats sont publiés dans la revue Communications Psychology.

Dans cette étude, les chercheurs et chercheuses ont d’abord mené une analyse de près de 40 000 pleurs de 24 bébés filles et garçons enregistrés pendant les quatre premiers mois de leur vie. Ils ont testé la présence de corrélations entre les caractéristiques des pleurs et l’évènement qui les avaient déclenchés. Ils ont ensuite procédé à des expériences de playback où des auditeurs et auditrices adultes écoutaient une partie des pleurs enregistrés et devaient identifier leur cause.

Les résultats confirment que les pleurs des filles et des garçons sont acoustiquement similaires. Cependant, chaque bébé pleure d’une manière qui lui est propre. Ces signatures individuelles sont définies par un ensemble de caractéristiques acoustiques spécifiques qui changent de manière prédictible avec l’âge, de sorte que l’individualité des pleurs des bébés est préservée au fur et à mesure de leur développement.

Alors que la croyance populaire veut que les pleurs des bébés informent quant à leur cause, les algorithmes d’apprentissage automatique utilisés dans le cadre de cette étude n’ont trouvé aucune preuve que les pleurs des bébés communiquent leur cause. Ils ont au contraire montré que les pleurs de bébés liés à la faim, à l’isolement ou à l’inconfort, ne présentaient pas de caractéristiques distinctes.

De plus, le large échantillon d’auditeurs et d’auditrices (plus de 200 personnes) n’a pas réussi à identifier les causes des pleurs produits par les bébés.

« A travers cette étude, nous voyons que les pleurs des bébés humains contiennent des indices acoustiques définissant une signature vocale propre à chaque bébé tout en codant de manière dynamique des états motivationnels et émotionnels. Nous n’avons pas identifié d’information quant à la cause des pleurs : il semble ainsi impossible de savoir pourquoi un bébé pleure rien qu’en l’écoutant. L’information saillante portée par le pleur est celle du niveau de détresse du bébé qui est codé par un ensemble de traits comme la rugosité acoustique. Cette information est évidemment primordiale puisqu’elle renseigne sur le degré d’urgence à réagir au pleur. », explique Nicolas Mathevon, responsable de cette étude.

De tels signaux vocaux gradés sont courants aussi chez les autres espèces de grands singes (comme les bonobos ou les chimpanzés), chez qui les cris varient continuellement en fonction des niveaux d’excitation ou de stress plutôt que de manière catégorique selon les contextes.

 

1 Ces travaux ont été réalisés par l’équipe de neuro-éthologie sensorielle (ENES) au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (UJM/ Lyon 1/CNRS/Inserm) et celle du laboratoire Sainbiose (UJM/Inserm /Mines Saint-Étienne)

Des organoïdes de tissus adipeux humains développés pour traiter l’obésité

agrégats cellulaires de tissu adipeux humain

In Vivo. L’utilisation d’agrégats cellulaires de tissu adipeux humain et d’un environnement matriciel adapté permet la génération d’organoïdes vascularisés de tissu adipeux beige. © Laboratoire Restore

Longtemps perçus comme inexistants chez l’humain, les tissus adipeux bruns et beiges jouent un rôle clé dans l’homéostasie énergétique de notre corps. Néanmoins, ils sont en faible quantité dans notre organisme et les observer in situ n’est pas aisé. Une équipe scientifique française1  de l’Inserm, de l’ESF, et de l’université Toulouse III – Paul Sabatier menée par le professeur Louis Casteilla (Institut Restore CNRS/EFS/Inserm/UT3), et l’équipe ELiA du Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes (LAAS – CNRS) a développé un procédé unique afin de les générer en laboratoire sous forme d’organoïdes. Leur étude a été publiée dans Advanced Science le 21 septembre.

Si le gras n’a pas bonne presse, il reste néanmoins essentiel au bon fonctionnement de notre organisme. Depuis 2009 et la découverte de nouveaux types de tissus adipeux chez l’humain, bruns et beiges, les recherches biologiques dans ce domaine se sont accélérées. Le tissu adipeux blanc représente plus de 95% des masses graisseuses dans un corps. C’est lui qui participe à la régulation du métabolisme énergétique en stockant et en libérant l’énergie dont nous avons besoin pour vivre.

Le tissu adipeux brun a un rôle tout autre : il participe à la thermogénèse adaptive. Autrement dit, il permet de dissiper l’énergie stockée sous forme de chaleur et régule ainsi la température corporelle. Or, il a été constaté qu’il dysfonctionnait chez les patients atteints d’obésité mais aussi parfois durant le vieillissement. Il apparaît alors comme un objet d’études et une cible thérapeutique majeure.

Étant donné sa faible quantité dans l’organisme, stimuler la conversion des tissus adipeux blancs en tissus beiges, dont les propriétés sont très proches de celles des bruns, est la piste privilégiée des scientifiques. Jusqu’à maintenant, les modèle d’études in vitro étaient limités à des cultures cellulaires classiques en deux dimensions, dans des boîtes de Pétri, très loin de reproduire le contexte tri-dimensionnel et complexe du tissu in vivo. D’un autre côté, les modèles basés sur des animaux ne présentent pas la même physiologie de ces tissus que les humains.

La collaboration multidisciplinaire des équipes impliquées dans l’étude scientifique a permis le développement d’un procédé unique d’ingénierie tissulaire pour générer des organoïdes pré-vascularisés de tissu adipeux beige humain de dimensions variables. Les organoïdes sont de plus en plus utilisés dans la recherche médicale pour fabriquer des modèles capables de mimer la physiologie des tissus humains en reproduisant leur complexité structurelle et leur variété cellulaire. Ils peuvent servir aussi bien pour le développement des tests in vitro comme alternative à l’expérimentation animale que pour leur transplantation à des fins thérapeutiques.

Par la mise au point d’un microenvironnement biochimique et biomécanique approprié grâce à l’utilisation d’hydrogel et de facteurs de croissance inducteurs définis, les scientifiques ont mis au point un procédé d’ingénierie unique nécessaire à l’émergence d’organoïdes de tissus adipeux de taille millimétrique, comme de micro-tissus de taille centimétrique. Ce travail a fait l’objet d’un dépôt de deux brevets.

1 Collaboration de l’institut Restore (CNRS/EFS/Inserm/UT3), du Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes (LAAS-CNRS) et de l’institut de biologie de Valrose (iBV, CNRS/Inserm/Université côte d’azur).

L’utilisation d’agrégats cellulaires de tissu adipeux humain et d’un environnement matriciel adapté permet la génération d’organoïdes vascularisés de tissu adipeux beige. Le respect de cette géométrie à grande échelle permet la production de micro-tissus. © Laboratoire Restore

Une découverte surprenante sur le pouls

pouls L’onde de pouls est utilisée dans la vie courante pour vérifier la fréquence cardiaque. © Adobe Stock

Nous sommes tous familiers avec le geste de prendre notre pouls pour vérifier notre fréquence cardiaque. Ce signal est dû à la propagation d’une onde provoquée par la dilatation des artères sous l’afflux de sang provenant du cœur. Alors qu’on pensait bien connaître le pouls, les nouveaux travaux d’une équipe internationale dirigée par le chercheur Inserm Stefan Catheline au sein du Laboratoire des applications thérapeutiques des ultrasons (Inserm/Université Claude Bernard Lyon 1/Centre Léon Bérard) montrent qu’on ne savait pas tout. Les résultats, parus dans Science Advances, montrent en effet que les artères ne sont pas seulement dilatées mais également tordues sous l’effet du flux sanguin. Ce phénomène génère une seconde onde dite « de flexion » qui se propage beaucoup plus lentement. Si elle renseigne en fin de compte sur les mêmes paramètres, à savoir la fréquence cardiaque et l’élasticité des artères, la mesure inédite de cette onde vient compléter nos connaissances sur le pouls.

Depuis 1820, l’onde de pouls est utilisée dans la vie courante pour vérifier la fréquence cardiaque d’un sportif, d’une personne inanimée, ou encore pour évaluer l’état de santé des artères. Elle correspond à la dilatation de la paroi artérielle suite à l’afflux du sang provoqué par les contractions cardiaques, qui se propage de façon ondulatoire le long des artères partout dans le corps.

Une équipe de recherche internationale dirigée par Stefan Catheline, chercheur Inserm au sein du Laboratoire des applications thérapeutiques des ultrasons (Inserm/Université Claude Bernard Lyon 1/Centre Léon Bérard), vient de montrer qu’en réalité il n’y a pas une onde de pouls mais deux. En plus de l’onde principale, bien connue et que l’on perçoit au toucher au niveau de la carotide ou à la base du poignet, il en existe une seconde, plus discrète mais facilement observable à l’échographie : l’« onde de flexion », jamais décrite jusque-là.

 

Un résultat fortuit

C’est un peu par hasard que l’équipe de Stefan Catheline a fait cette découverte. Spécialisée dans les ondes et les thérapies par ultrasons, elle avait été sollicitée pour tester un outil innovant d’analyse de la rétine : l’holographie laser doppler. Cette dernière consiste à photographier l’organe à toute vitesse à très fine résolution pour observer ce qu’il s’y passe ; et notamment suivre les artères en mouvement. Les chercheurs qui avaient développé cet outil voulaient savoir s’il pouvait permettre de calculer la vitesse de propagation de l’onde de pouls dans la rétine. L’équipe de Stefan Catheline est non seulement bien parvenue à mesurer cette onde – qui circule à environ un mètre par seconde – mais a également détecté un second signal ondulatoire près de mille fois plus lent.

Ce sont les principes de la physique fondamentale sur la circulation d’ondes dans les tubes qui a permis aux scientifiques de mieux comprendre ce phénomène. Le long des artères, les deux types d’ondes observées se propagent en fait de deux façons sous l’effet du passage du sang. La première est symétrique par rapport à l’axe central du vaisseau et correspond à la dilatation des parois des artères avec une augmentation du diamètre. La seconde est asymétrique et résulte de la torsion du tube d’une manière dite « sinusoïdale ».

« Pour visualiser cela il faut s’imaginer un serpent qui a avalé une proie qui glisse le long du tube digestif, et qui s’en va en même temps en ondulant », illustre Stefan Catheline.

Suite à cette découverte, l’équipe de recherche a effectué de nouvelles mesures du pouls par échographie (ultrasons) le long de la carotide d’individus et a bien retrouvé les deux ondes.

« Il nous a fallu moins d’un après-midi pour confirmer le résultat. Cette seconde onde, appelée “onde de flexion”, est présente sur tous les enregistrements et n’est pas difficile à observer. Si elle n’avait jamais été décrite, c’est tout simplement parce qu’elle n’était pas recherchée », explique Stefan Catheline.

 

schéma onde de poulsL’onde de pouls la plus connue (onde de dilatation) est due à l’écartement des parois vers l’extérieur de façon symétrique par rapport à l’axe central de l’artère, sous l’effet de l’afflux sanguin. Et l’onde de flexion, nouvellement découverte, est due à une torsion de l’artère d’un côté puis d’un autre de cet axe. © Stefan Catheline

 

Quelle utilité clinique ?

L’onde de pouls principale est très utilisée en médecine et reflète la santé cardiovasculaire d’un individu. Sa vitesse de propagation dépend en effet de l’état des parois des artères : plus elles sont souples et jeunes, plus la vitesse est lente et inversement en vieillissant. Or des artères rigides sont un facteur de risque d’accident cardiovasculaire. Cependant, compte tenu de la grande vitesse de propagation de cette onde, il est nécessaire de la mesurer sur plusieurs centimètres pour obtenir une valeur fiable.

« Avec l’onde de flexion que nous décrivons ici, dont la vitesse lente va d’un dixième à un millième de mètre par seconde selon le diamètre de l’artère, il est plus facile d’étudier le signal sur des fragments très courts et avec d’autres types d’appareil que l’échographie, en particulier la radiographie et l’IRM, explique Stefan Catheline. Un millimètre suffit pour obtenir une valeur précise permettant par exemple d’évaluer l’état des artères dans la rétine », précise-t-il.

Le chercheur voit un deuxième avantage à l’utilisation de cette onde de flexion en clinique : en continuant à se propager dans les veines là où l’onde de pouls principale n’y est plus détectable en raison de l’éloignement du cœur, elle renseignerait également sur la rigidité de la paroi veineuse. Il précise toutefois que, pour en faire un outil clinique, il sera nécessaire de mener des travaux chez l’humain afin de corréler vitesse de propagation et élasticité de la paroi comme cela a été fait précédemment pour l’onde principale de dilatation.

Une intelligence artificielle pour prédire le vieillissement

Ordinateur et stéthoscope© Unsplash

Si l’on vieillit toutes et tous à chaque instant passé, le processus de vieillissement ne se fait pas à la même vitesse au niveau biologique et il est très variable selon les individus. D’autant plus qu’il est le facteur de risque le plus important dans la majorité des pathologies, notamment chroniques. Une équipe de scientifiques internationaux, dirigée par Louis Casteilla et Paul Monsarrat, professeurs à l’université Toulouse III – Paul Sabatier en physiologie animale et odontologie, exerçant au sein de l’institut Restore (CNRS/ENVT/Inserm/UT3), a utilisé une intelligence artificielle afin de réussir à discerner l’âge physiologique de l’âge chronologique. Une approche, publiée dans la revue Aging Cell le 10 juin, qui permet de mieux comprendre, prédire et prendre en charge de manière individualisée les individus et patients.

Identifier les mécanismes sous-jacents qui conduisent pour un même âge chronologique à une usure biologique variable selon les personnes est l’objectif d’un domaine scientifique nouveau : les gérosciences. Pour réussir à discerner le plus finement possible ce vieillissement biologique plus ou moins prononcé, les scientifiques ont adopté comme approche celle de l’apprentissage machine, autrement dit l’intelligence artificielle, en lui donnant une masse importante de données de biologie médicale à traiter.

Jusqu’à présent, les méthodes biostatistiques utilisées s’appuyaient le plus souvent sur un choix réduit et déterminé de variables pour estimer le vieillissement biologique. Cependant, elles peinent à tenir compte de la complexité des relations entre ces paramètres.

L’utilisation d’intelligences artificielles n’est pas nouvelle dans le domaine biomédical. Toutefois, des questions de transparence se posent en ce qui concerne les résultats produits, ce qui peut soulever des inquiétudes lors de son utilisation par un professionnel de santé.

Pour éviter ces écueils et proposer une méthode fiable, l’équipe de Louis Casteilla a développé un cadre méthodologique innovant pour déterminer un âge physiologique personnalisé en utilisant différemment l’intelligence artificielle. Celle-ci est désormais plus « transparente » : elle définit à l’échelle de l’individu le poids des paramètres utilisés dans le résultat donné, un point crucial pour sa future acceptabilité clinique.

Cette IA calculatrice d’âge physiologique, dite PPA pour Personalized physiological age, a été conçue sur une très large base de données de population américaine, à partir de 26 variables biologiques simples (hémoglobine glyquée, glycémie, urémie…) pouvant être mesurées dans n’importe quel laboratoire d’analyses médicales. Elle permet de prédire les maladies chroniques et la mortalité indépendamment de l’âge chronologique.

« Ce travail n’a pu se faire que grâce à un effort collectif intense et soutenu d’une équipe pluridisciplinaire qui incluait des biologistes, des cliniciens, des informaticiens et des épidémiologistes », souligne Louis Casteilla.

Cette méthode, qui a fait l’objet d’un dépôt de brevet, ouvre la voie à un futur suivi clinique spécifique et personnalisé pour un vieillissement en bonne santé et toutes les pathologies liées à l’âge.

« Le PPA permettra au professionnel de santé d’identifier précocement la déviation de son patient par rapport à sa trajectoire de vieillissement ‘normal’ et de mettre ainsi en place les stratégies pour prévenir l’apparition des maladies chroniques ou diminuer leur gravité. Nous pensons que ce type d’approche est particulièrement pertinent pour analyser la complexité des facteurs de risque dans le médical sans sacrifier l’humanité de la relation patient – soignant », rajoutent les auteurs.

Restaurer la vision grâce à une nouvelle interface cerveau-machine : la thérapie sonogénétique

 thérapie sonogénétique La thérapie sonogénétique consiste à modifier génétiquement certains neurones afin de pouvoir les activer à distance par des ultrasons. © Alexandre Dizeux/Physics for Medicine Paris

Restaurer la vision grâce à une thérapie associant génétique et ultrasons ? Tel est l’objectif poursuivi par une équipe internationale dirigée par les directeurs de recherche Inserm Mickael Tanter et Serge Picaud, associant respectivement le laboratoire Physique pour la médecine (ESPCI Paris/PSL Université/Inserm/CNRS) et l’Institut de la vision (Sorbonne Université/Inserm/CNRS) à Paris en partenariat avec l’Institut d’ophtalmologie moléculaire et clinique de Bâle. Dans une nouvelle étude, ils ont apporté la preuve de concept de cette thérapie dite « sonogénétique » chez l’animal. Celle-ci consiste à modifier génétiquement certains neurones afin de pouvoir les activer à distance par des ultrasons. Les résultats montrent que, lorsqu’elle est utilisée sur les neurones de rongeurs, la sonogénétique permet d’induire une réponse comportementale associée à une perception lumineuse. Cette découverte permet d’envisager à plus long terme une application chez les personnes aveugles atteintes d’atrophie du nerf optique. L’étude est publiée dans Nature Nanotechnology.

La thérapie sonogénétique consiste à modifier génétiquement certains neurones afin de pouvoir les activer à distance par des ultrasons. Cette technologie avait préalablement été testée en culture et les premiers tests in vivo n’avaient pas permis de prendre conscience de son potentiel thérapeutique lié à sa très haute résolution spatiotemporelle. La modification génétique en question consiste à introduire le code génétique d’un canal ionique mécanosensible dans les cellules. Les neurones qui expriment ce canal peuvent alors être activés à distance par des ultrasons de faible intensité appliqués à la surface du cerveau sans nécessiter de contact (cf. schéma ci-dessous).

thérapie sonogénétique

Les ondes ultrasonores peuvent en effet accéder à des tissus en profondeur, comme dans le cortex visuel, même depuis la surface de la dure-mère[1] qui entoure le cerveau, et cibler des zones très précises. Ce sont ces ondes qui sont à la base des technologies d’échographie ou d’imagerie du cerveau à haute résolution. Dans le cas présent, elles permettent une activation très sélective, puisque seuls les neurones porteurs du canal mécanosensible et ciblés par le faisceau ultrasonore sont stimulés.

Dans une récente étude, une équipe de chercheurs et chercheuses menée par les directeurs de recherche Inserm Mickael Tanter et Serge Picaud a testé l’efficacité de cette thérapie sonogénétique chez l’animal. L’objectif de cette recherche est d’apporter une solution pour redonner la vue aux patients qui ont perdu la connexion entre leurs yeux et leur cerveau au cours de pathologies comme le glaucome, la rétinopathie diabétique, ou les neuropathies optiques héréditaires ou alimentaires.

Leurs résultats indiquent que la stimulation sonogénétique du cortex visuel permet d’induire une réponse comportementale associée à une perception lumineuse. L’animal apprend un comportement associatif dans lequel il cherche à boire dès qu’il perçoit la lumière. La stimulation ultrasonore de son cortex visuel induit le même réflexe uniquement si les neurones du cortex expriment le canal mécanosensible. Le comportement de l’animal suggère que la stimulation sonogénétique de son cortex a induit la perception lumineuse à l’origine du réflexe comportemental.

L’étude a montré que la thérapie fonctionne sur différents types de neurones, qu’ils soient dans la rétine ou dans le cortex visuel des rongeurs, démontrant ainsi le caractère universel de cette approche.

En convertissant les images de notre environnement sous forme d’une onde ultrasonore codée pour stimuler directement le cortex visuel, et ce à des cadences de plusieurs dizaines d’images à la seconde, la thérapie sonogénétique apparaît comme un réel espoir pour restaurer la vue des patients ayant perdu la fonction du nerf optique.

Plus généralement, cette approche de stimulation sonogénétique offre une technologie innovante pour interroger le fonctionnement du cerveau. À la différence des prothèses ou des stimulateurs neuronaux actuels, son fonctionnement « sans contact » et sélectif d’un type cellulaire représente une innovation majeure par rapport aux dispositifs avec électrodes.

« Cette thérapie sonogénétique pour restaurer, à terme, la vision de personnes aveugles illustre la puissance d’un projet pluridisciplinaire et d’une belle aventure humaine entre un biologiste de la rétine comme Serge Picaud, et moi-même, un physicien des ondes pour la médecine », déclare Mickael Tanter, directeur de recherche Inserm au laboratoire Physique pour la médecine de Paris (ESPCI Paris/PSL Université/Inserm/CNRS).

« Le développement d’un essai clinique de thérapie sonogénétique demande encore de passer par de nombreuses étapes pour valider son efficacité et sa sécurité. Si les résultats se confirment, cette thérapie pourrait réussir à restaurer la vue des patients de manière stable et en toute sécurité », conclut Serge Picaud, directeur de recherche Inserm et de l’Institut de la vision (Sorbonne Université/Inserm/CNRS).

 

[1] Couche la plus externe des méninges protégeant le cerveau

Un « nano-robot » entièrement construit à base d’ADN pour explorer les processus cellulaires

Les scientifiques sont parvenus à concevoir un « nano-robot » composé de trois origamis d’ADN. Crédits : Gaëtan Bellot/Inserm

Mieux comprendre divers processus invisibles à l’œil nu, qui ont lieu à l’échelle de nos cellules, grâce à un minuscule robot construit à base dADN… Si cela s’apparenterait presque à un projet de science-fiction, il s’agit en fait de travaux très sérieux menés par des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS et de l’Université de Montpellier au Centre de biologie structurale de Montpellier[1]. Ce « nano-robot », très innovant, devrait permettre d’étudier de plus près des forces mécaniques qui s’appliquent à des niveaux microscopiques et qui sont cruciales pour de nombreux processus biologiques et pathologiques. Le dispositif est décrit dans une nouvelle étude, publiée dans la revue Nature Communications.

Des forces mécaniques s’exercent à l’échelle microscopique sur nos cellules, déclenchant des signaux biologiques qui sont essentiels à de nombreux processus cellulaires impliqués dans le fonctionnement normal de notre organisme ou dans le développement de pathologies.

Par exemple, la sensation de toucher est en partie conditionnée à l’application de forces mécaniques sur des récepteurs cellulaires spécifiques (dont la découverte a été récompensée cette année par le prix Nobel de médecine).

Outre le toucher, ces récepteurs sensibles aux forces mécaniques (on parle de mécano-récepteurs) permettent la régulation d’autres processus biologiques clés comme la constriction des vaisseaux sanguins, la perception de la douleur, la respiration ou encore la détection des ondes sonores dans l’oreille, etc.

Un dysfonctionnement de cette mécano-sensibilité cellulaire est notamment impliqué dans de nombreuses pathologies comme le cancer : les cellules cancéreuses migrent dans le corps en sondant et en s’adaptant constamment aux propriétés mécaniques de leur microenvironnement. Cette adaptation peut se faire seulement parce que des forces spécifiques sont détectées par des mécano-récepteurs qui transmettent l’information vers le cytosquelette des cellules.

A l’heure actuelle, nos connaissances sur ces mécanismes moléculaires impliqués dans la mécano-sensibilité cellulaire sont encore très limitées. Plusieurs technologies sont déjà disponibles pour appliquer des forces contrôlées et étudier ces mécanismes, mais elles comportent un certain nombre de limites. Elles sont notamment très coûteuses et ne permettent pas d’étudier plusieurs récepteurs cellulaires à la fois, ce qui signifie qu’elles sont très chronophages à utiliser si l’on souhaite collecter de nombreuses données.

Origamis d’ADN

Pour proposer une alternative, l’équipe de recherche menée par le chercheur Inserm Gaëtan Bellot au Centre de biologie structurale (Inserm/CNRS/Université de Montpellier) a décidé de s’appuyer sur la méthode des origamis d’ADN. Celle-ci permet l’auto-assemblage de nanostructures 3D dans une forme prédéfinie en utilisant la molécule d’ADN comme matériel de construction. Au cours des dix dernières années, la technique a permis des avancées majeures dans le domaine des nanotechnologies.

Les chercheurs et chercheuses sont ainsi parvenus à concevoir un « nano-robot » composé de trois origamis d’ADN. De taille nanométrique, il est donc compatible avec la taille d’une cellule humaine. Il permet pour la première fois d’appliquer et de contrôler une force avec une résolution de 1 piconewton, soit un mille-milliardième de Newton, un Newton correspondant à la force d’un doigt sur le poussoir du stylo. C’est la première fois qu’un objet auto-assemblé à base d’ADN créé par l’humain peut appliquer une force avec cette précision.

Dans un premier temps, le robot est couplé avec une molécule qui reconnaît un mécano-récepteur. Ce couplage permet ensuite de diriger le robot sur certaines de nos cellules et appliquer spécifiquement des forces sur les mécano-récepteurs cellulaires ciblés et localisés à la surface des cellules afin de les activer.

Un tel outil est très précieux pour la recherche fondamentale, car il pourrait être utilisé pour mieux comprendre les mécanismes moléculaires impliqués dans la mécano-sensibilité cellulaire et découvrir de nouveaux récepteurs cellulaires sensibles aux forces mécaniques. Grâce au robot, les scientifiques pourront également étudier plus précisément à quel moment, lors de l’application d’une force, des voies de signalisation clés pour de nombreux processus biologiques et pathologiques s’activent au niveau des cellules.

« La conception d’un robot qui permet d’appliquer des forces de l’ordre du piconewton in vitro et in vivo répond à une demande croissante dans la communauté scientifique et représente une avancée technologique importante. En revanche, la biocompatibilité du robot peut être à la fois considérée comme un avantage pour des applications in vivo mais également représenter une faiblesse avec une sensibilité aux enzymes qui peuvent dégrader l’ADN. Donc la prochaine étape de notre travail sera d’étudier comment on peut modifier la surface du robot pour qu’il soit moins sensible à l’action des enzymes. Nous allons également tenter de trouver d’autres modes d’activation de notre robot en utilisant par exemple un champ magnétique », souligne Gaëtan Bellot.

[1] Ont également contribué à ces travaux l’Institut de génomique fonctionnelle (CNRS/Inserm/Université de Montpellier), l’Institut des biomolécules Max Mousseron (CNRS/Université de Montpellier/ENSCM), le Centre de recherche Paul Pascal (CNRS/Université de Bordeaux) et le laboratoire Physiologie et médecine expérimentale du cœur et des muscles (CNRS/Inserm/Université de Montpellier.

L’intensité de la douleur est contrôlée par l’horloge interne

horloge

Selon les résultats de cette étude, l’intensité de la douleur varie sur 24 heures avec une intensité maximale ressentie entre 3 et 4 heures du matin. © Adobe Stock

Comme de très nombreuses fonctions de l’organisme, l’intensité de la douleur est contrôlée par l’horloge circadienne interne. C’est ce que vient de découvrir une équipe de chercheurs et chercheuses de l’Inserm au sein du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (Inserm/Université Claude Bernard Lyon 1/CNRS). Elle montre qu’elle oscille sur 24 heures avec un pic la nuit et une baisse dans l’après-midi indépendamment de toute stimulation extérieure et du cycle veille-sommeil. Cette découverte pourrait aboutir à de nouvelles approches pour le traitement de la douleur. Ces travaux paraissent dans Brain.

Le niveau d’activité de nombreuses fonctions de l’organisme est régulé par une horloge interne calée sur un rythme d’environ 24 heures : le système veille/sommeil, la température corporelle, la pression artérielle, la production d’hormones, la fréquence cardiaque, mais aussi les capacités cognitives, l’humeur ou encore la mémoire. À cette longue liste, on peut désormais ajouter la douleur. L’équipe du chercheur Inserm Claude Gronfier au Centre de recherche en neurosciences de Lyon, vient de montrer que c’est également son cas.

L’intensité de la douleur suit une courbe sinusoïdale sur 24 heures avec une intensité maximale entre 3 et 4 heures du matin et minimale autour de 15 et 16 heures l’après-midi, indépendamment du comportement et de tout facteur extérieur de l’environnement.

Pour le mettre en évidence, les chercheurs ont étudié douze jeunes adultes au laboratoire dans des conditions d’isolation temporelle et de constante routine. Ils les ont maintenus éveillés pendant 34 heures sans qu’aucun signal externe ni rythme environnemental ne leur parviennent : pas d’horaire, pas de repas à heure fixe mais une collation chaque heure, une température et une faible luminosité constantes, pas de changement de posture (position semi-allongée) et pas de rythme d’activité/repos. L’objectif était d’évaluer si la perception douloureuse était rythmique dans ces conditions, afin de pouvoir conclure qu’elle était contrôlée par l’horloge interne.  

Dans cette situation, les chercheurs ont exposé l’avant-bras des participants à une source de chaleur toutes les deux heures. D’une part les participants devaient indiquer quand le stimulus devenait douloureux lors de l’augmentation de la température, et d’autre part, ils devaient évaluer l’intensité de la douleur sur une échelle de 1 à 10 lors de l’application d’une température de 42, 44 ou 46 degrés Celsius. Deux approches complémentaires destinées à vérifier la concordance des résultats.

Une variation sur 24 heures

Les chercheurs ont observé chez tous les sujets une rythmicité de la sensation douloureuse, au cours des 24 heures. « Les résultats sont très homogènes avec une association extrêmement significative », explique Claude Gronfier. En outre, ils ont constaté, comme le clamaient de précédents travaux sans l’avoir démontré, que la sensibilité à la douleur augmentait de façon linéaire avec la dette de sommeil : plus la dette de sommeil est importante, plus l’intensité de la douleur ressentie l’est également.  « Il est souvent dit que le sommeil a une action antalgique. Mais en modélisant mathématiquement nos résultats, nous montrons que l’horloge interne est responsable de 80 % de la variation de la sensation douloureuse au cours de 24 heures, contre seulement 20 % pour le sommeil », clarifie-t-il.

Cette variation circadienne de la douleur a certainement une utilité physiologique selon Claude Gronfier. « On ne sait pas pourquoi la sensibilité est maximale au milieu de la nuit. On peut penser que l’évolution a mis cela en place afin d’être réveillé rapidement en cas de contact douloureux et d’éviter une menace vitale. Pendant la journée, l’individu est conscient de l’environnement et plus facilement sujet aux blessures ; ce signal d’alerte pourrait donc être moins nécessaire. » Cette découverte s’intègre dans le concept de la médecine personnalisée, et plus exactement de la médecine circadienne. Celle-ci est en train d’émerger et tient compte des rythmes biologiques dans la prise en charge des patients.

« D’après ces résultats, il est légitime de penser qu’améliorer la synchronisation des rythmes biologiques et/ou la qualité du sommeil chez des individus souffrant de douleurs chroniques pourrait participer à une meilleure prise en charge thérapeutique, estime Claude Gronfier. En outre, tout comme la chronothérapeutique du cancer a fait ses preuves avec une meilleure efficacité et une toxicité réduite en cas d’administration des médicaments à certains moments de la journée, adapter un traitement antalgique selon le même procédé en tenant compte du rythme biologique de chaque individu, pourrait accroître son efficacité tout en réduisant la dose nécessaire et les potentiels effets indésirables. Mais cette hypothèse reste à valider par des essais cliniques avant de pouvoir proposer cette approche chronobiologique aux patients », prévient-il.

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