Contact Chercheur
Christophe Bernard
Directeur de recherche Inserm
Unité 1106 Inserm/ Aix-Marseille Université, Institut de neurosciences des systèmes
©Adobestock
Comment prédire la réaction du cerveau lors d’une lésion localisée ou d’une intervention thérapeutique ciblée ? Une équipe de chercheuses et chercheurs de l’Inserm, du CNRS et d’Aix-Marseille Université est parvenue à créer un modèle innovant, permettant de visualiser chez la souris l’impact d’interventions ou de lésions ciblées sur le fonctionnement global du cerveau. Ce modèle intègre des données d’IRM pour créer un modèle informatique de cerveau virtuel. Les résultats, parus dans PNAS, montrent comment l’activité globale du cerveau est réorganisée, même après des interventions à une échelle très localisée. Ils montrent en outre, que le modèle de cerveau virtuel développé permet aussi de prédire, à l’échelle de l’individu, des effets spécifiques et parfois inattendus d’interventions ciblées. Ces travaux amènent un éclairage nouveau sur les mécanismes qui sous-tendent certains troubles neurologiques et la façon de les traiter.
Le cerveau humain est constitué de réseaux de neurones qui communiquent entre eux et dont les modifications peuvent expliquer l’apparition des troubles neurologiques. Par exemple, lorsque survient une lésion cérébrale endommageant l’activité neuronale d’une zone spécifique du cerveau (comme dans le cas d’un AVC), un déficit fonctionnel peut être observé sur des régions cérébrales éloignées de la zone lésée. De la même façon, pour traiter certaines pathologies neurologiques comme la maladie de Parkinson, on fait appel à des techniques permettant une stimulation en profondeur d’une zone ciblée du cerveau, afin d’obtenir un effet à distance sur l’activité des neurones d’une autre zone cérébrale.
Cependant, cet effet « longue distance », parce qu’il est combiné à la complexité de la structure des réseaux neuronaux, implique deux choses : tout d’abord qu’une perturbation locale entraîne une réorganisation de l’activité cérébrale globale ; ensuite, que les interventions thérapeutiques locales peuvent avoir des effets négatifs difficiles à prédire chez certains patients. Il est donc crucial de pouvoir comprendre les effets potentiels de telles interventions à l’échelle du cerveau entier afin de mieux les anticiper.
Une équipe dirigée par Christophe Bernard, directeur de recherche Inserm et Viktor Jirsa, directeur de recherche CNRS, au sein de l’Institut de neurosciences des systèmes (Inserm/Aix-Marseille Université), en collaboration avec le CRMBM (CNRS/Aix-Marseille Université/AP-HM) et l’université du Queensland (Australie), s’est donc intéressée aux mécanismes qui sous-tendent la réorganisation de l’activité cérébrale après une perturbation locale.
Pour ce faire, l’équipe a tout d’abord analysé chez la souris des données provenant d’IRM fonctionnelles (IRMf)[1] mettant en évidence l’activité neuronale dans l’ensemble du cerveau. Les souris étaient réparties en groupes, chacune soumise à un type d’intervention cérébrale localisée (lésions chirurgicales ou inactivation chimique) ayant pour objectif d’inhiber l’activité des neurones d’une région spécifique.
Leurs cerveaux ont ensuite été modélisés numériquement grâce à un modèle informatique. Ce cerveau virtuel a permis aux scientifiques d’observer et de quantifier les répercussions des interventions locales sur l’activité cérébrale globale.
Les chercheuses et chercheurs ont ainsi pu observer que les cerveaux virtuels reproduisaient fidèlement – jusqu’aux spécificités individuelles – les modifications de l’activité cérébrale déjà observées in vivo par IRM chez les souris.
« Intégrer l’IRMf à la modélisation du cerveau virtuel entier nous a permis de développer un modèle prédictif stable inédit qui, contrairement aux modèles actuels, tient compte des variations de l’activité cérébrale d’un individu à l’autre, analyse Christophe Bernard. Nos résultats montrent qu’il est capable de prédire comment la modulation d’une seule région du cerveau va mener à des reconfigurations de cette activité, à la fois à l’échelle locale et globale. »
En outre, ce modèle a permis aux scientifiques de montrer que ces réorganisations suivaient des règles précises qui varient en fonction de la zone initialement affectée.
« On peut imaginer une toile d’araignée qui vibre lorsqu’un fil est touché, précise Christophe Bernard, la vibration se propage dans le réseau de fils et l’ensemble de la toile ondule différemment en fonction du point d’impact », — un phénomène que le cerveau virtuel permettait de quantifier et de prédire. « Le fait que notre modèle a été capable de générer des prédictions qui ont ensuite été validées chez la souris est une des grandes originalités de ce travail », ajoute le chercheur.
« Ces motifs bien reconnaissables pourraient servir de biomarqueurs prédictifs personnalisés sur lesquels pourraient se fonder les interventions médicales impliquant une modulation cérébrale localisée, précise Viktor Jirsa. Cependant, pour établir une cartographie précise et en tirer un outil diagnostique prédictif universel, il faudrait étudier l’impact sur l’ensemble du cerveau d’interventions ciblées et ce, sur chacune des régions cérébrales », tempère-t-il. Il conclut : « Ces résultats aident à concilier les observations contradictoires dans des pathologies comme l’épilepsie ou les AVC, où les effets à l’échelle du cerveau varient selon la localisation des lésions. »
À terme, l’équipe espère que l’utilisation du cerveau virtuel pourra trouver une application dans la personnalisation des protocoles de stimulation cérébrale profonde (par exemple pour la maladie de Parkinson), dans un ciblage plus fin des cibles chirurgicales de l’épilepsie ou de la dépression résistante, ou encore pour développer des biomarqueurs pour le diagnostic précoce des neuropathologies.
Ces travaux s’inscrivent en amont du projet Nautilus, dirigé par Viktor Jirsa et financé par France 2030 dans le cadre du programme Impact santé piloté par l’Inserm. Nautilus se structure autour du développement d’une plateforme technologique capable de générer un double numérique du cerveau des patients atteints de maladies cérébrales, afin d’évaluer sa réponse à un traitement par électrostimulation localisée. L’objectif est de pouvoir prédire la réaction spécifique du cerveau de chaque patient, d’ajuster finement l’intervention et de limiter au maximum les actes chirurgicaux invasifs. Cet outil innovant pourrait ainsi révolutionner le traitement des maladies cérébrales en permettant une intervention à visée thérapeutique personnalisée, de haute précision et non invasive.
Avant cela, il est nécessaire de comprendre au préalable les conséquences d’une intervention locale sur le fonctionnement global du cerveau. C’est cette étape que les résultats présentés ici permettent de franchir.
[1] L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle cérébrale (ou IRMf) est une technique d’imagerie permettant de mesurer en direct chez l’individu vivant l’activité des aires du cerveau. Pour ce faire, elle se base sur la détection des changements locaux de flux sanguins dont l’augmentation locale accompagne toute activation neuronale, afin de couvrir les besoins métaboliques qu’elle génère.
Christophe Bernard
Directeur de recherche Inserm
Unité 1106 Inserm/ Aix-Marseille Université, Institut de neurosciences des systèmes
Mapping global brain reconfigurations following local targeted manipulations
Giovanni Rabuffoa,1,2, Houefa-Armelle Lokossoub,1, Zengmin Lic,1, Abolfazl Ziaee-Mehra, Meysam Hashemia, Pascale P. Quilichinia, Antoine Ghestema, Ouafae Araba, Monique Esclapeza, Parul Vermad, Ashish Rajd, Alessandro Gozzie, Pierpaolo Sorrentinoa, Kai-Hsiang Chuangc, Teodora-Adriana Perles-Barbacarub, Angéle Violab, Viktor K. Jirsaa, and Christophe Bernarda
a UMR 1106, Aix-Marseille University, Inserm, INS, Marseille, France;
b UMR 7339, Aix-Marseille University, CNRS, CRMBM, Marseille, France;
c The University of Queensland, Queensland Brain Institute, Brisbane, QLD, Australia;
d University of California, San Francisco, CA;
e Functional Neuroimaging Laboratory, Istituto Italiano di Tecnologia, Rovereto, Italy
1 contributed equally
2 corresponding author
PNAS, 18 avril 2025