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Puberté précoce : une piste d’explication pour certains cas ?

Les neurones à GnRH (cellules rouges) qui naissent dans le nez utilisent les fibres olfactives (marquage vert et bleu) pour migrer dans le cerveau pendant la vie fœtale. ©European Research Council/Agence Nationale de la Recherche Médicale/Métropole Européenne de Lille

Jusqu’à aujourd’hui, il était communément admis que c’était l’accélération de la croissance qui déclenchait la puberté. Or, une équipe de recherche de l’Inserm, du CHU de Lille et de l’Université de Lille, au sein du laboratoire Lille Neuroscience et Cognition, a découvert chez la souris un mécanisme associé au pic de croissance prépubaire et au déclenchement d’une puberté précoce. Ce mécanisme est régulé par les neurones à GnRH, les chefs d’orchestre de la fertilité, via l’expression de leur protéine Nrp1. Ces travaux, publiés dans The EMBO Journal, remettent en question les connaissances sur les déclencheurs de la puberté et ouvrent la voie à l’étude de ce mécanisme chez l’Homme et à son implication possible dans certains cas de puberté précoce.

Il est communément admis qu’un pic de croissance au début de la puberté déclencherait l’activation des neurones à GnRH[1] dans le cerveau et la libération des hormones sexuelles. Au cours du développement embryonnaire, ces neurones à GnRH apparaissent au niveau du nez et migrent vers le cerveau jusqu’à l’hypothalamus. C’est de là qu’ils orchestreront plus tard la fertilité.

Des travaux, menés par le directeur de recherche Inserm Vincent Prévot et son équipe au sein du laboratoire Lille Neuroscience et Cognition (Inserm/CHU de Lille/Université de Lille), viennent questionner ce consensus scientifique en réexaminant le rôle des neurones à GnRH dans le déclenchement de la puberté.

Cette étude fait suite à de précédents travaux dans lesquels Vincent Prévot et son équipe avaient montré qu’une protéine, appelée Nrp1, présente le long des axones reliant le nez au système olfactif du cerveau, rentrait dans la composition des « rails » qui permettent la migration de neurones à GnRH du nez vers le cerveau durant le développement embryonnaire. Or, cette protéine Nrp1 est également exprimée par les neurones à GnRH eux-mêmes. Les chercheurs se sont donc intéressés à son rôle dans la migration et le fonctionnement de ces neurones. Pour cela, ils ont développé un modèle de souris chez qui Nrp1 est inactivée uniquement dans les neurones à GnRH mais reste exprimée ailleurs. Ces neurones ont été marqués par fluorescence pour être observés au cours du temps.

L’équipe de recherche a constaté chez les souris mutées une augmentation de la quantité de neurones à GnRH au niveau du nez qui est associée à un début de migration plus précoce vers le cerveau. Au niveau physiologique, les auteurs ont constaté une prise de poids et une croissance plus rapide des souris mutées par rapport aux animaux contrôles, ainsi que le déclenchement d’une puberté plus précoce.

Ces observations suggèrent que les neurones à GnRH pourraient en réalité contrôler le pic de croissance pré-pubertaire et non l’inverse comme le pensaient les chercheurs jusque-là.

« Nous allons rechercher des connexions et communications entre les neurones à GnRH et les fonctions de régulation de l’appétit et de la croissance pour expliquer ce phénomène, précise Vincent Prévot. C’est la première fois à ma connaissance que l’on attribue à ces neurones à GnRH des fonctions différentes de la reproduction. »

Les chercheurs ont également observé que, chez les souris mutées, les neurones avaient colonisé une zone inhabituelle dans le cerveau, le lobe olfactif – centre de traitement de l’information olfactive –, alors qu’ils se concentrent normalement uniquement dans l’hypothalamus. Cette constatation les a conduits à vérifier si la perception des odeurs – connue pour jouer un rôle dans l’attirance sexuelle – pouvait être modifiée. Ils ont alors observé que de très jeunes souris femelles présentant un défaut de Nrp1 avaient, contrairement à celles du groupe contrôle, une préférence pour les odeurs de souris mâles par rapport aux odeurs de souris du même sexe. La puberté précoce chez ces souris mutées pourrait donc s’accompagner d’une attirance sexuelle également plus précoce.

Reste à vérifier si ces mécanismes sont observables chez l’humain. « Ces résultats suggèrent qu’un pic de croissance survenant très tôt pourrait être associé à une activation précoce des neurones à GnRH. Ce phénomène pourrait, de plus, être associé à certains variants du gène NRP1. Ces résultats ouvrent de nouvelles pistes dans la prévention des risques de puberté précoce chez l’enfant. Nous allons à présent explorer la piste de l’inhibition de l’activité des neurones à GnRH avec des médicaments déjà utilisés en clinique », prévoit Vincent Prévot.

 

[1] Un groupe de cellules localisées au niveau de l’hypothalamus dans le cerveau sécrètent une hormone appelée GnRH (gonadotropin-releasing hormone) et qui contrôle la puberté et la fertilité. La GnRH stimule en effet la sécrétion des hormones sexuelles LH et FSH qui stimulent à leur tour les gonades. L’acquisition de ces fonctions est un long processus qui démarre par la migration des cellules à GnRH du nez vers le cerveau au moment du développement embryonnaire, puis se poursuit par la maturation et l’activation de ces cellules à la puberté.

Le traitement par hormone de croissance chez les enfants guéris d’un cancer n’augmente pas le risque de survenue d’une seconde tumeur

Le déficit en hormone de croissance est une complication habituelle de la radiothérapie. ©Adobe Stock

Des équipes de l’hôpital Bicêtre AP-HP, de l’Inserm, de Gustave Roussy et de l’Université Paris- Saclay ont étudié l’influence d’un traitement par hormone de croissance sur le risque de survenue d’une seconde tumeur chez 2 852 adultes guéris d’un cancer dans l’enfance. Les données confirment que le traitement par hormone de croissance chez les enfants qui présentent un déficit de cette hormone n’augmente pas le risque de survenue d’un second cancer. Cette étude apporte donc des données rassurantes sur le devenir à long terme de ces enfants. Les résultats de cette étude ont été publiés dans la revue European Journal of Endocrinology en septembre 2020.

Le déficit en hormone de croissance est une complication habituelle de la radiothérapie. Les enfants traités par radiothérapie ont besoin d’un traitement par hormone de croissance pour atteindre une taille adulte normale, mais des craintes avaient été rapportées sur une éventuelle augmentation du risque d’apparition d’une autre tumeur à l’âge adulte causée par ce traitement. 

Des chercheurs au Centre de recherche en Epidémiologie et Santé des Populations (CESP)(Inserm/Université Paris-Saclay/Gustave Roussy) et de l’hôpital Bicêtre APHP, ont analysé les données d’une cohorte française, Euro2k, qui réunit 2 852 survivants d’un cancer pédiatrique diagnostiqué avant l’âge de 18 ans, avant 1986. Parmi eux, 196 avaient été traités dans l’enfance par hormone de croissance.

L’équipe de recherche a étudié l’influence du traitement par hormone de croissance sur la survenue des secondes tumeurs avec un recul de 26 ans en tenant compte des doses de radiation reçues par l’ensemble des organes du corps. Celles-ci ont été obtenues grâce à une reconstitution de la radiothérapie reçue pour chaque enfant.

Dans cette cohorte, 374 survivants ont développé une seconde tumeur, dont 40 ayant reçu un traitement par hormone de croissance dans l’enfance. L’analyse de ces données suggère que le traitement par hormone de croissance n’est pas associé à un risque accru de secondes tumeurs.

Néanmoins, les chercheurs ont trouvé chez les survivants ayant reçu un traitement par hormone de croissance pendant plus de 4 ans une légère augmentation du risque de méningiome, une tumeur bénigne des méninges favorisée par des fortes doses de radiothérapie.  Ce léger excès de risque de méningiome chez les survivants ayant reçu plus de 4 ans de traitement par hormone de croissance n’est cependant pas significatif. De plus, il n’est pas non plus certain que ce soit le traitement par hormone de croissance qui en soit responsable.

« Cette étude apporte des informations sur le devenir à long terme des enfants que nous traitons
par hormone de croissance pour un déficit en hormone de croissance secondaire au traitement de leur cancer. Ces nouvelles données nous permettent d’aborder sereinement le traitement par hormone de croissance lorsqu’il est nécessaire et de rassurer les familles concernant l’absence d’augmentation du risque de secondes tumeurs », conclut Cécile Thomas-Teinturier, pédiatre endocrinologue à l’hôpital Bicêtre AP-HP et premier auteur de l’étude. 

L’amnésie ne serait pas un marqueur systématique de maladie d’Alzheimer

Dans la maladie d’Alzheimer, et d’autres démences, l’agrégation de la protéine Tau induit une dégénérescence neurofibrillaire dans les neurones. Crédits : Inserm/U837

Bien que communément considérée comme le symptôme le plus évocateur de la maladie d’Alzheimer, l’amnésie n’est pourtant pas systématique chez tous les patients en début de maladie. En outre, ces troubles de la mémoire peuvent se manifester chez des patients atteints d’autres pathologies neurodégénératives. Une étude menée par des scientifiques de l’Inserm, du CHU de Lille et de l’Université de Lille au sein du laboratoire « Lille Neurosciences et Cognition » montre ainsi que l’amnésie n’est pas spécifique de la maladie d’Alzheimer en se penchant sur le cerveau de patients décédés. Leurs résultats publiés dans la revue Neurobiology of Aging invitent à redéfinir la manière dont cette maladie est diagnostiquée aujourd’hui.

En France, environ 225 000 personnes reçoivent chaque année un diagnostic de maladie d’Alzheimer. L’amnésie, ou perte de mémoire, constitue l’une des manifestations cliniques les plus connues, et le plus souvent associée dans l’imaginaire collectif à cette pathologie.

A l’heure actuelle, le diagnostic repose essentiellement sur l’évaluation neuropsychologique et l’imagerie cérébrale qui révèlent à la fois un profil cognitif et anatomique évocateurs de la maladie d’Alzheimer. Sur le plan cognitif, l’amnésie est de fait considérée comme le symptôme le plus fréquent et le plus précoce, et est systématiquement évaluée chez les patients pour lesquelles la pathologie est suspectée. La maladie d’Alzheimer est donc fréquemment diagnostiquée en premier lieu chez les patients âgés présentant des troubles de mémoire ou écartée rapidement dans le cas contraire.

Or, en réalité, elle n’est pas la seule pathologie dans laquelle surviennent des troubles de la mémoire. Ce symptôme est par exemple présent dans 50 % des cas de dégénérescence fronto-temporale, mais le pronostic et l’évolution de cette maladie ne sont pas les mêmes que pour la maladie d’Alzheimer et les solutions thérapeutiques proposées diffèrent. Chez ces patients, une prise en charge spécifique de pathologie Alzheimer peut être délétère.

 Spécificité de l’amnésie

Les travaux du chercheur Inserm Maxime Bertoux et de son équipe menée par la professeure Florence Pasquier au laboratoire « Lille Neuroscience et Cognition » (Inserm/CHU de Lille/Université de Lille), questionnent pour la première fois la spécificité de l’amnésie dans la maladie d’Alzheimer en s’appuyant sur un diagnostic neuropathologique réalisé post-mortem chez plusieurs patients. Leur objectif : étudier si la présence d’une amnésie évaluée par des tests cognitifs pendant le vivant des personnes pouvait prédire la présence de manifestations caractéristiques de la maladie d’Alzheimer dans le cerveau.

Cette étude se fonde sur des données issues du don de cerveaux de 91 patients souffrant de diverses maladies neurodégénératives dont la maladie d’Alzheimer, mais aussi la dégénérescence fronto-temporale, la maladie à corps de Lewy, de Creutzfeldt-Jakob, ou de lésions cérébro-vasculaire progressives. Ces patients avaient tous été reçus à des stades débutants de leur maladie et leurs performances cognitives avaient été évaluées. Ils avaient ensuite été classés en trois groupes selon la sévérité des pertes de mémoire : un groupe de non amnésiques, un groupe de patients modérément amnésiques, et un dernier groupe de patients sévèrement amnésiques. Après leur décès, l’étude de leur cerveau (diagnostic neuropathologique) a permis de confirmer ou d’infirmer le diagnostic clinique initial.

Seule une correspondance modérée a pu être mise en évidence entre la sévérité de l’amnésie et la présence d’une pathologie Alzheimer confirmée par le diagnostic neuropathologique. En effet, un tiers des patients présentant une pathologie Alzheimer n’avait pas de troubles de mémoire, et près de la moitié des patients sans pathologie Alzheimer était amnésique. La présence d’une amnésie apparaissait comme faiblement prédictive de la pathologie Alzheimer. « Nos résultats confirment que le diagnostic fondé sur l’amnésie comme marqueur systématique de la maladie d’Alzheimer a une pertinence limitée, souligne Maxime Bertoux, ils invitent à repenser la manière dont cette maladie est diagnostiquée afin de réduire l’errance diagnostique et la mauvaise orientation de certains patients et d’améliorer la reconnaissance clinique et sociétale des autres maladies neurodégénératives. »

Au-delà de ces implications cliniques, leurs résultats ont aussi des conséquences en matière de recherche. En effet, de nombreux essais cliniques visant à tester des traitements contre la maladie d’Alzheimer recrutent leurs participants sur un critère d’amnésie. « Associer systématiquement une perte de mémoire à la maladie d’Alzheimer pourrait biaiser les inclusions dans les protocoles de recherche », ajoute Maxime Bertoux.

Enfin, cette étude souligne l’importance de confronter toute technique diagnostique à l’analyse post-mortem du cerveau, la seule à offrir une preuve formelle de diagnostic. Pour cela, les chercheurs appellent à une sensibilisation plus large de la population sur l’intérêt du don de cerveaux.

Maladie de Huntington : des anomalies cérébrales détectables dès le stade embryonnaire

Coupe de cerveau humain (cortex). Les cellules progénitrices en magenta sont moins engagées dans la différenciation neuronale que celles en vert © Monia Barnat/Grenoble Institut des Neurosciences/Inserm, Université Grenoble Alpes

La maladie de Huntington est une maladie neurologique génétique qui apparaît généralement à l’âge adulte. Des équipes de chercheurs et de cliniciens de l’Inserm, de l’Université Grenoble Alpes, de Sorbonne Université, du CNRS et de l’AP-HP, au Grenoble Institut des neurosciences et à l’Institut du cerveau, ont découvert des anomalies cérébrales dans des cerveaux d’embryons humains porteurs de la mutation responsable de la maladie de Huntington. Ces travaux à paraître dans Science interrogent sur les mécanismes de progression silencieuse de la maladie et sur le moment et la façon de traiter les patients dans le futur.

La maladie de Huntington est une maladie génétique du système nerveux central, rare et héréditaire. Elle se manifeste habituellement entre les âges de 30 et 50 ans par des troubles psychiatriques, cognitifs et moteurs qui s’aggravent progressivement. Elle est due à la mutation du gène codant pour une protéine nommée huntingtine et se transmet sur un mode dit « autosomique dominant » : hériter d’une seule copie pathologique est suffisant pour développer la maladie. Environ 18 000 personnes sont concernées en France : 6 000 présentent déjà des symptômes et près de 12 000 présentent le gène porteur de la mutation mais sont asymptomatiques.

Les équipes de Sandrine Humbert, directrice de recherche Inserm au Grenoble Institut des neurosciences (Inserm/Université Grenoble Alpes), et Alexandra Durr, professeur des universités-praticien hospitalier à Sorbonne Université, à l’Hôpital de la Pitié Salpêtrière – AP-HP et à l’Institut du cerveau (Inserm/Sorbonne Université/CNRS/AP-HP), s’intéressent aux stades précoces de la maladie de Huntington et à la longue période qui précède l’apparition des symptômes. Dans de nouveaux travaux publiés dans Science, elles se sont penchées sur le moment auquel pourraient survenir les anomalies cérébrales.

Les équipes de recherche ont étudié des cerveaux d’embryons humains de 13 semaines, issus de dons des parents suite à une interruption médicale de grossesse. Elles ont observé plusieurs différences entre des embryons porteurs de la mutation du gène codant pour la huntingtine et d’autres non porteurs.

Chez les premiers, la protéine huntingtine pathologique est anormalement localisée dans les cellules progénitrices à l’origine des neurones du cortex. Cette localisation anormale est associée, entre autres, à des problèmes de localisation de protéines de jonction dans ces cellules et à des altérations de taille, de densité et d’orientation du cil, un organite essentiel au fonctionnement de ces cellules. Ces anomalies perturbent l’équilibre « division-différenciation » des cellules progénitrices. Celles-ci sont en effet issues d’un réservoir de cellules en division dont une partie se différencie en neurones tandis que l’autre continue de se diviser pour fournir de nouvelles cellules progénitrices. Chez les embryons porteurs de la mutation, ces cellules progénitrices entrent plus vite en différenciation au dépend du réservoir de cellules en division.  

Les chercheurs ont renouvelé l’expérience avec un modèle de souris de la maladie de Huntington à un stade équivalent de développement embryonnaire et ont retrouvé les mêmes anomalies. Ce travail leur a ainsi permis de valider ce modèle animal pour poursuivre l’exploration des mécanismes précoces de la maladie à d’autres stades du développement embryonnaire ou après la naissance.

« C’est la première fois que des anomalies du développement cérébral sont mises en évidence dans cette maladie. De plus, celles-ci sont relativement importantes et étendues bien que nous ne soyons pas encore capables de déterminer leurs conséquences directes », clarifient Sandrine Humbert et Alexandra Durr qui ont dirigé ces travaux.

Mais pourquoi les porteurs de la mutation ne manifestent-ils alors aucun symptôme avant un âge avancé ? « À ce stade, nous posons l’hypothèse que le cerveau met très tôt en place des mécanismes de compensation qui permettent un fonctionnement normal. Il se pourrait d’ailleurs qu’il en soit de même chez les personnes porteuses de mutations associées à d’autres types de dégénérescence comme la maladie d’Alzheimer ou la sclérose latérale amyotrophique », précisent les chercheuses.

Celles-ci vont maintenant poursuivre la description du développement cérébral chez des souris modèles de la maladie de Huntington, tenter de comprendre comment ces défauts précoces contribuent à la pathologie adulte, et comment la compensation de ces derniers pourrait être régulée pendant toute la période silencieuse sans symptômes. « Cette découverte a en outre des conséquences importantes sur la façon et le stade auxquels les traitements qui modifient le cours de la maladie doivent désormais être envisagés », concluent-elles.

Coupe de cerveau humain (cortex)

Coupe de cerveau humain (cortex). À gauche, les noyaux sont marqués en bleu; à droite, les cellules progénitrices en magenta sont moins engagées dans la différenciation neuronale que celles en vert.

©Monia Barnat/Grenoble Institut des Neurosciences/Inserm, Université Grenoble Alpes

Des cellules cérébrales en forme d’étoile éclairent le lien entre consommation de cannabis et sociabilité

Dans une culture de neurones cohabitent des cellules nourricières, les astrocytes (cellule étoilée au centre en rouge). Marquage de la tubuline en vert, de l’actine en rouge, des noyaux en bleu. Les chercheurs se sont intéressés à ces cellules pour comprendre l’impact de la consommation de cannabis sur la sociabilité. ©Inserm/Saoudi, Yasmina/Ballet, Sandrine

La consommation de cannabis peut mener à des changements comportementaux et notamment à une réduction des interactions sociales chez certains individus. Pour mieux comprendre le phénomène, le chercheur Inserm Giovanni Marsicano et son équipe du NeuroCentre Magendie (Inserm/Université de Bordeaux), en collaboration avec l’équipe de Juan Bolaños de l’université de Salamanque, ont identifié pour la première fois chez la souris les mécanismes cérébraux qui sous-tendent la relation entre cannabis et diminution de la sociabilité. Leurs résultats sont publiés dans la revue Nature.

Une exposition régulière au cannabis pourrait avoir un impact délétère sur la sociabilité. Chez certains consommateurs, des études montrent qu’elle entraînerait un repli sur soi et une diminution des interactions sociales. Toutefois, le réseau cérébral et les mécanismes impliqués dans cette relation n’étaient pas bien connus jusqu’ici.

Afin d’en apprendre plus sur le sujet, une équipe de recherche menée par le chercheur Inserm Giovanni Marsicano au NeuroCentre Magendie (Inserm/Université de Bordeaux)[1] s’est alliée avec une équipe espagnole de l’université de Salamanque menée par Juan Bolaños[2].

Plus largement, leurs travaux visent à améliorer les connaissances sur le fonctionnement des récepteurs cannabinoïdes (les récepteurs cérébraux qui interagissent avec les composés chimiques du cannabis).

Dans leur étude publiée dans le journal Nature, les chercheurs montrent qu’après une exposition au cannabis, les changements comportementaux liés à la sociabilité interviennent suite à l’activation de récepteurs cannabinoïdes spécifiques, localisés dans des cellules du système nerveux central appelées astrocytes dont la forme rappelle celle d’une étoile.

Récepteurs cannabinoïdes et mitochondries

Ces résultats sont le fruit de travaux remontant à près d’une décennie. En 2012, Giovanni Marsicano et son équipe avaient en effet fait une découverte surprenante : les récepteurs cannabinoïdes ne sont pas seulement présents sur la membrane des cellules, comme on le croyait jusque-là. Certains de ces récepteurs sont également localisés sur la membrane des mitochondries, les organelles intracellulaires dont le rôle est de fournir aux cellules l’énergie dont elles ont besoin.

Cette nouvelle étude intervient après l’identification par l’équipe de récepteurs cannabinoïdes localisés sur la membrane des mitochondries présentes dans les astrocytes. Entre autres fonctions, ces cellules jouent un rôle très important dans le métabolisme énergétique du cerveau. Elles captent en effet le glucose dans le sang et le métabolisent en lactate, qui agit comme une « nourriture » pour les neurones. « Etant donné l’importance des astrocytes et de l’utilisation de l’énergie pour le fonctionnement cérébral, nous avons voulu comprendre le rôle de ces récepteurs cannabinoïdes bien particuliers, et les conséquences sur le cerveau et sur le comportement lorsqu’ils sont exposés au cannabis », explique Giovanni Marsicano.

Les chercheurs ont alors exposé des souris au cannabinoïde THC, le principal composé psychoactif du cannabis. Ils ont observé que l’activation persistante des récepteurs cannabinoïdes mitochondriaux situés dans les astrocytes entraînait une cascade de processus moléculaires menant à un dysfonctionnement du métabolisme du glucose dans les astrocytes.

En conséquence, la capacité des astrocytes à transformer le glucose en « nourriture » pour les neurones était réduite. En l’absence d’apports énergétiques nécessaires, le fonctionnement des neurones était compromis chez les animaux, avec un impact délétère sur le comportement. Les interactions sociales étaient notamment diminuées et ce jusqu’à 24h après l’exposition au THC.

« Notre étude est la première à montrer que la baisse de sociabilité parfois associée à la consommation de cannabis est la conséquence d’une altération du métabolisme du glucose dans le cerveau. Elle ouvre aussi de nouvelles pistes de recherche pour trouver des solutions thérapeutiques afin de pallier certains des problèmes comportementaux résultant d’une exposition au cannabis. En plus, elle révèle l’impact direct du métabolisme énergétique des astrocytes sur le comportement », précise Giovanni Marsicano.

A l’heure où le débat autour du cannabis thérapeutique revient sur le devant de la scène, les chercheurs estiment aussi que ce type de recherche est nécessaire pour mieux comprendre la manière dont les différents récepteurs cannabinoïdes de l’organisme interagissent avec la drogue, et si certains d’entre eux sont particulièrement associés à des effets délétères. De tels travaux permettraient en effet d’assurer une prise en charge optimale pour les patients qui pourraient avoir recours à ce type de thérapie.

 

[1] Avec Arnau Busquets-Garcia (maintenant à Barcelone, Espagne) et Etienne Hebert-Chatelain (maintenant à Moncton, Canada)

[2] Avec Daniel Jimenez-Blasco

Sclérose en plaque et sévérité du Covid-19 : des facteurs de risque identifiés.

Sclérose en plaques (SEP), les cellules en rouge sont en train de mourir (mort cellulaire). Astrocytes exposés au facteur glycotoxique. ©Inserm/RIEGER F.

Une étude, ayant pour objectif d’identifier les facteurs de risque de sévérité du COVID-19 chez les patients atteints de sclérose en plaques en France, a été menée par les équipes du service de neurologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP, de l’Institut du Cerveau (Inserm/CNRS/Sorbonne Université) à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP, de Sorbonne Université et du service de neurologie du CHU de Strasbourg. Ces travaux ont été réalisés avec la participation de l’ensemble des centres et neurologues impliqués dans la prise en charge de la sclérose en plaques, grâce aux réseaux nationaux FCRIN4MS, à l’Observatoire Français de la SEP (OFSEP) et à la Société Francophone de la SEP (SFSEP).

Les résultats de cette étude qui ont été publiés le 26 juin 2020 au sein de la revue JAMA Neurology ont donné lieu à la publication du premier registre sur la sclérose en plaques et le COVID-19. Ce registre a permis d’apporter des informations concrètes et en temps réel pour guider la prise en charge des patients pendant l’épidémie.

La sclérose en plaques (SEP) est une maladie inflammatoire du système nerveux central, qui touche principalement les adultes jeunes, et qui peut être responsable d’un handicap neurologique. Ces dernières années, plusieurs traitements immunosuppresseurs ou immunomodulateurs ont permis des avancées majeures dans la prise en charge des patients.

Dès le début de l’épidémie de COVID-19, les neurologues et patients ont eu de nombreuses questions concernant le risque de COVID chez les patients atteints de sclérose en plaques, en particulier en lien avec leur traitement de fond. Nous avons donc mis en place une étude multicentrique observationnelle dont l’objectif est d’identifier les facteurs de risque de sévérité du COVID-19 chez les patients atteints de sclérose en plaques en France.

Plus de 350 patients ont été inclus dans le registre, et les équipes ont identifié comme principal facteur de sévérité du COVID-19 le handicap neurologique (mesuré par le score EDSS), suivi de l’âge et de l’obésité, ces 2 facteurs de risque ayant été également identifiés dans la population générale. En revanche, les traitements de fond de la SEP ne sont pas associés à un risque plus élevé de COVID sévère. Le taux de mortalité était de 3.5%, légèrement plus élevé que le taux attendu dans cette population ayant un âge moyen de 44 ans.

Il s’agit du premier registre publié sur la sclérose en plaques et le COVID-19. Il a permis d’apporter des informations concrètes et en temps réel pour guider la prise en charge des patients pendant l’épidémie.

Un nouvel espoir dans la lutte contre la douleur causée par des lésions nerveuses

 

Étude pour le traitement des neuropathies sensitives périphériques © Inserm/Scamps, Frédérique

Des chercheurs du laboratoire Neuro-Dol (Université Clermont Auvergne et Inserm) viennent d’identifier deux pistes pharmacologiques qui pourraient ouvrir la voie à une nouvelle prise en charge de la douleur causée par des lésions nerveuses (douleur neuropathique). Une perspective encourageante quand 7 à 10% de la population est atteinte, sans réelle thérapeutique médicamenteuse efficace. Ces travaux ont fait l’objet d’une publication le 5 juin 2020 dans la revue Progress in Neurobiology.

La prise en charge de la douleur chronique: un exercice périlleux

Les douleurs chroniques, c’est-à-dire continues ou récurrentes, sont un réel problème de santé publique dont la prévalence est importante et la prise en charge difficile. Parmi celles-ci, les douleurs neuropathiques affectent entre 7 et 10% de la population française et les thérapeutiques médicamenteuses disponibles sont insatisfaisantes avec au mieux un patient sur trois partiellement soulagé.

Cette situation aurait par ailleurs pu conduire à des prescriptions/consommations excessives d’antidouleurs (on pensera par exemple à la crise des opioïdes aux Etats-Unis). Les patients douloureux et leurs médecins attendent donc des propositions thérapeutiques innovantes. 

A l’origine de la douleur neuropathique: un récepteur à la surface des cellules nerveuses

C’est donc pour développer de nouvelles pistes de traitement que des chercheurs du laboratoire Neuro-Dol (Université Clermont Auvergne UCA et Inserm), soutenus par le challenge « mobilité personnalisée, facteur-clé de la santé » de l’I-Site CAP 20-25 porté par l’UCA, et l’Agence Nationale de la Recherche, en collaboration avec des chercheurs de l’Institut de Génomique Fonctionnelle de Montpellier, du département de Chimie Médicinale de Cracovie et de l’Institut des Biomolécules Max Mousseron de Montpellier, se sont intéressés à un neurotransmetteur particulier, la sérotonine, impliqué dans de nombreuses fonctions (régulation de l’appétit, sommeil, humeur, …) et dans la modulation de la douleur. Ils ont mis en évidence que l’activité spontanée du récepteur 5-HT6 de la sérotonine, présent sur des neurones de la moelle épinière facilitant la transmission du message douloureux, participait aux douleurs neuropathiques.

Un responsable, deux solutions potentielles pour soulager les patients

Une fois démontrée l’activité spontanée du récepteur 5-HT6, les chercheurs ont mis au point et breveté un nouveau composé bloquant cette activité. Ce dernier, le PZ-1388, présente chez l’animal un effet antidouleur rapide et prolongé sur différents symptômes douloureux induits par le toucher ou le froid.

L’amélioration de ces symptômes est accompagnée d’une amélioration des déficits cognitifs, troubles fréquemment associés à ce type de douleur.

Les chercheurs ont également voulu comprendre les mécanismes cellulaires intimes mis en jeu par le récepteur 5-HT6. Ils ont montré pour la première fois que l’activité spontanée du récepteur entraînait, dans ce contexte pathologique, l’activation d’une autre protéine à l’intérieur du neurone appelée mTOR. Comme suspecté, l’utilisation d’un « leurre » empêchant l’interaction physique entre le récepteur et mTOR a également réduit les symptômes douloureux.

Ainsi, les résultats obtenus dans ce travail collaboratif proposent non pas un, mais deux nouveaux concepts pharmacologiques susceptibles de devenir des stratégies thérapeutiques originales dans le traitement des douleurs chroniques neuropathiques.

 

Pour en savoir plus:

Neuro-Dol : http://neurodol.uca.fr/

CAP 20-25 : https://cap2025.fr/

Le projet I-Site CAP 20-25 fait partie des 18 initiatives d’excellence reconnues au national par le label IDEX/I-Site du programme d’investissements d’avenir, sélectionnées parmi des dizaines de candidatures déposées par les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche en France. Il est porté par l’Université Clermont Auvergne et un consortium de 20 partenaires issus de l’enseignement supérieur et de la recherche, des collectivités, entreprises et établissements de soin.

Troubles de la conscience : deux nouvelles découvertes fondamentales pour le diagnostic et le traitement des patients

©Fotolia

L’équipe de recherche PICNIC Lab dirigée par le Pr. Lionel Naccache à l’Institut du Cerveau (Sorbonne Université / Inserm / CNRS / AP-HP) publie deux études importantes concernant les malades souffrant d’un trouble durable de la conscience comme les patients en « état végétatif » ou en « état de conscience minimale ». Ces deux études originales, correspondant à une partie des travaux de la thèse du Dr. Bertrand Hermann[1] et réalisées sous la direction de Lionel Naccache, ont respectivement fait l’objet d’une publication dans les revues Brain et Scientific Reports.

 

Un nouveau signe clinique pour sonder l’état de conscience

La première étude, publiée dans la revue Brain, décrit la découverte et la validation d’un nouveau signe d’examen clinique permettant d’identifier, au sein de ces malades non communicants, ceux dont le fonctionnement cérébral est le plus riche. Les scientifiques ont observé que la réponse réflexe de sursaut au bruit (clignement des paupières à la suite d’un son brusque) présentait une habituation chez les patients capables de prévoir et d’anticiper cette répétition. Lorsque les sons étaient répétés, ils étaient capables d’inhiber cette réponse comportementale.

À l’inverse, un sursaut au bruit inépuisable était surtout présent chez les malades dont l’examen clinique détaillé et les explorations cérébrales[2] révélaient une activité cérébrale et cognitive très pauvres.

Au-delà de cette valeur diagnostique, la présence de ce signe clinique, facile à rechercher au lit du malade, permettait également de prédire une amélioration de leur état de conscience à six mois. L’invention de nouveaux signes cliniques fondée sur l’utilisation des techniques d’imagerie cérébrale structurelle et fonctionnelle les plus récentes démontre également la vitalité et le renouveau contemporains de la sémiologie neurologique. Cet article a été choisi par le comité éditorial de la revue mondiale de neurologie Brain comme « Editor’s choice » en raison de son caractère novateur et de son importance.

 

Le métabolisme cérébral d’un vaste réseau préfronto-pariétal est plus élevé chez les patients ayant un réflexe de sursaut au bruit épuisable (EX) par rapport aux patients ayant un réflexe de sursaut au bruit inépuisable (IN) (différence de métabolisme cérébral à gauche et régions où cette différence est statistiquement significative à droite).

 

Améliorer la conscience en stimulant électriquement le cortex cérébral

La seconde étude révèle quant à elle comment la stimulation électrique transcrânienne en courant continu (tDCS) du lobe frontal de ces malades améliore leur état de conscience. En comparant les patients ayant présenté une amélioration comportementale après une séance unique de tDCS, aux patients ne présentant pas d’amélioration, les chercheurs ont montré que la réponse clinique à la tDCS était associée à une augmentation de marqueurs EEG spécifiques de la conscience : l’amélioration de l’état de conscience était associée à une amélioration des oscillations et de la communication à longue distance entre les régions préfrontales et pariétales dans les bandes de fréquence thêta-alpha:4-10Hz.

Par ailleurs, l’équipe de recherche a également montré, grâce à une simulation de la distribution du courant électrique basée sur l’anatomie individuelle des patients, que la réponse clinique à la tDCS était corrélée à l’intensité du champ électrique au niveau du cortex en regard des électrodes de stimulation. Autrement dit, plus le cortex préfrontal d’un patient donné était effectivement stimulé électriquement, plus son état clinique et son activité cérébrale avaient tendance à s’améliorer.  Ces résultats sont importants à la fois sur le plan clinique, – en ouvrant la voie au développement de nouvelles stratégies thérapeutiques de stimulation personnalisée-, et sur le plan de la recherche fondamentale en confirmant l’importance du cortex préfrontal et du réseau fronto-pariétal dans la physiologie de la conscience, ainsi que le postule la théorie de l’espace global neuronal développée depuis une vingtaine d’années par Stanislas Dehaene, Jean-Pierre Changeux et Lionel Naccache à l’Institut du Cerveau (Sorbonne Université / Inserm / CNRS / AP-HP). Ces résultats ont été publiés dans la revue Scientific Reports.

 

La réponse clinique à la tDCS est associée à une augmentation de la connectivité fonctionnelle à longue distance dans la bande de fréquence thêta entre les régions préfrontales et pariétales en réponse à la stimulation par tDCS. Chaque « cheveu » représente une paire d’électrodes pour laquelle la différence de connectivité avant/après stimulation par tDCS est significativement plus élevée chez les malades répondeurs cliniques que chez ceux qui n’étaient pas améliorés.

 

[1] Inserm, AP-HP, Université de Paris

[2] EEG à haute densité quantifié, potentiels évoqués cognitifs, IRM tenseur de diffusion, PET-scan au fluoro-deoxy-glucose

L’imagerie ultrasonore pour résoudre le fonctionnement du cortex visuel

Colonnes de dominance oculaire dans le cortex visuel du primate non-humain après visualisation par imagerie ultrasonore ultrarapide. ©Kevin Blaize, Institut de la vision, Paris, France

L’imagerie ultrasonore ultrarapide a récemment été proposée pour suivre l’activité cérébrale dans la profondeur du cerveau. Cette nouvelle technologie permettrait même de visualiser des structures fonctionnelles aussi fines – que les colonnes corticales du cortex visuel – d’une taille trop petite pour une détection plus traditionnelle par imagerie par résonnance magnétique (IRM). Telles sont les conclusions d’une étude dirigée par Serge Picaud, physiopathologiste à l’Institut de la vision (Sorbonne Université / Inserm / CNRS) et Mickael Tanter, physicien au laboratoire Physique pour la médecine (ESPCI Paris – PSL / Inserm / CNRS) et directeur de l’ART « Ultrasons biomédicaux ». Les répercussions de leurs travaux, parus le 8 juin 2020 dans la revue PNAS, s’étendent bien au-delà de la compréhension du système visuel.

Le fonctionnement du cerveau demeure difficile à comprendre car l’IRM requiert des équipements lourds non mobiles souvent incompatibles à la réalisation de tâches comportementales. Par ailleurs, les technologies optiques ont offert une très haute résolution mais uniquement pour observer les structures à la surface du cerveau mis à nu.

À l’inverse, comme le souligne cette nouvelle étude parue dans PNAS, l’imagerie ultrasonore ultrarapide permet de visualiser les structures fonctionnelles profondes dans le cortex visuel sur un animal éveillé réalisant une tâche de comportement.

En une heure, la projection du champ visuel sur le cortex peut être reconstruite et ce, même dans la profondeur du cortex visuel. La répartition différentielle des informations de l’œil gauche et de l’œil droit sous forme de colonnes de dominance oculaire apparait sur les images malgré leur taille de quelques centaines de microns. Il devient même possible de distinguer l’extension de ces colonnes dans les différentes couches du cortex visuel et donc la zone d’intégration des informations visuelles provenant de chacun des deux yeux, ce que seule l’histologie sur coupes de cerveau avait permis de visualiser.

Si auparavant, une telle visualisation des couches du cortex n’avait pu être réalisée autrement que par histologie, un partenariat pluridisciplinaire mettant en commun les connaissances sur le système visuel[1], le cerveau[2] et l’imagerie ultrasonore ultrarapide[3] l’a rendue possible. Ce partenariat pluridisciplinaire s’inscrivait dans le cadre du projet Européen ERC Synergy « Helmholtz » pour le développement de technologies d’investigation du système visuel.

En révélant ainsi les structures fonctionnelles dans la profondeur du cortex visuel, les chercheurs ouvrent un nouveau champ d’investigation pour la compréhension de notre vision et plus largement du cerveau.

Ces travaux mettent en lumière combien l’imagerie ultrasonore ultrarapide pourrait changer l’analyse du fonctionnement du cerveau en révélant des structures fonctionnelles de taille autrefois impossibles à discerner.

 

[1] Institut de vision (Sorbonne Université / Inserm / CNRS)

[2] Institut du cerveau (Sorbonne Université / Inserm / CNRS) et Institut de neurosciences de la Timone (CNRS / AMU)

[3] laboratoire Physique pour la médecine (ESPCI Paris – PSL / Inserm / CNRS) et Institut Langevin (ESPCI Paris – PSL / CNRS)

Alzheimer : les collations sucrées feraient mauvais ménage avec les prédispositions génétiques

Alzheimer : les collations sucrées feraient mauvais ménage avec les prédispositions génétiques © Robert Anderson on Unsplash

Si les prédispositions génétiques sont un facteur majeur du risque de développer une démence liée à l’âge, et en particulier la maladie d’Alzheimer, les facteurs environnementaux comme l’alimentation ont également un rôle important à jouer. Grâce au suivi sur 12 ans de près de 2 800 Français de plus de 65 ans, une équipe de recherche de l’unité 1061 Neuropsychiatrie : recherche épidémiologique et clinique (Inserm/Université de Montpellier) a cherché à comprendre l’impact de repas riches en sucres (sucres simples et glucides raffinés) sur le risque de développer une démence. Ses travaux montrent une association entre consommation des sucres au goûter et risque de développer la maladie d’Alzheimer chez les personnes possédant des prédispositions génétiques. Ces résultats publiés dans Alzheimer’s and Dementia ouvrent la voie à une meilleure compréhension des liens entre facteurs de risques environnementaux et génétiques et pourraient permettre d’améliorer les stratégies de prévention des démences.

Selon les prévisions de l’OMS, plus de 152 millions de personnes pourraient être atteintes d’une démence liée à l’âge en 2050. Il n’existe actuellement pas de traitement pour guérir ni ralentir la progression de ces maladies dont fait partie la maladie d’Alzheimer. Il s’avère donc essentiel d’identifier les facteurs favorisant leur apparition et sur lesquels il serait possible d’agir de façon préventive.

Depuis plusieurs années, la nutrition est reconnue comme un facteur important dans le bon vieillissement du cerveau. Plusieurs études chez l’animal ont notamment mis en lumière le rôle d’une consommation importante des sucres – qui incluent l’amidon et les sucres ajoutés (saccharose, sirops de glucose et de fructose) – dans l’aggravation des signes cliniques de la maladie d’Alzheimer, et en particulier dans l’accélération de l’apparition des dépôts amyloïdes (plaques séniles) caractéristiques de cette dernière.

Mais si l’environnement joue sur la survenue de la maladie d’Alzheimer, l’importance des facteurs génétiques n’est pas négligeable. C’est le cas particulièrement du gène APOE qui se présente sous trois formes (ou allèles) : E2, E3 et E4. Les personnes porteuses de l’allèle E4 de ce gène présentent un risque accru de développer la maladie d’Alzheimer.

Or, jusqu’à présent, aucune étude sur l’humain n’avait exploré un potentiel lien entre prédispositions génétiques, consommation des sucres et risques de démence.

Une équipe de recherche dirigée par la chercheuse Inserm Sylvaine Artero au sein de l’unité 1061 Neuropsychiatrie: recherche épidémiologique et clinique (Inserm/Université de Montpellier) a voulu mettre en évidence les liens entre survenue de démences (en particulier la maladie d’Alzheimer) chez l’humain, prédispositions génétiques liées à l’allèle E4 et consommation des sucres. Les chercheurs ont analysé les données sur 12 ans de près de 2 800 participants de la cohorte française des Trois Cités, qui suit depuis 1999 près de 10 000 Français de plus de 65 ans. Ils ont étudié la survenue de 350 démences en lien avec les habitudes alimentaires et plus particulièrement leur apport en charge glycémique (la capacité de l’aliment à élever la glycémie en fonction de la portion consommée) estimé sur quatre repas : petit déjeuner, déjeuner, goûter, dîner.

Chez les participants ne possédant pas le génotype à risque, l’équipe de recherche n’a décelé aucune association entre la survenue de démences et la consommation des sucres lors des quatre repas quotidiens.

Cependant, chez les participants possédant l’allèle E4 du gène APOE, les chercheurs ont observé une association entre la consommation des sucres lors du goûter et la survenue de démences. Pour les personnes APOE4 ayant l’habitude de consommer un goûter, le risque de développer la maladie d’Alzheimer était augmenté de 2 à 3 fois pour chaque portion supplémentaire équivalente à la charge glycémique de 30 grammes de baguette, et ce indépendamment de l’apport énergétique quotidien, de l’activité physique, de la présence de comorbidités ou de l’adhésion à un régime alimentaire sain de type méditerranéen. En revanche, aucune association de ce type n’a été révélée pour les autres repas de la journée.

Mais pour quelle raison la consommation des sucres aurait-elle plus d’impact lors du goûter pour les personnes présentant des dispositions génétiques ?

Selon Sylvaine Artero, « une hypothèse à envisager serait l’impact potentiel de l’insulinorésistance – pathologie impliquée dans le diabète de type 2 et favorisée par la consommation des sucres – sur le risque de développer une démence ».

En effet, il a déjà été montré chez l’animal que les porteurs de l’allèle E4 présentaient un métabolisme du glucose moins performant. Ils seraient par conséquent plus susceptibles de développer une insulinorésistance. Or, les aliments riches en sucres consommés lors du goûter ont tendance à être pauvres en graisses et en fibres. Ils sont consommés plus rapidement et sans être accompagnés d’autres types d’aliments comme lors des principaux repas. Ils sont par conséquent absorbés beaucoup plus rapidement dans le sang lors de la digestion, déclenchant alors un pic d’insuline.

« Répété quotidiennement, ces pics d’insuline pourraient induire à terme une insulinorésistance périphérique mais aussi cérébrale (dans laquelle le cerveau est moins sensible à l’insuline et moins capable d’utiliser le glucose) via le stress oxydatif et l’inflammation, ce qui favoriserait le développement des démences, des phénomènes auxquels les porteurs de l’allèle E4 sont plus sensibles », précise Sylvaine Artero.

« Ces résultats ouvrent la voie à de nouvelles stratégies de prévention mais doivent être confirmés par d’autres études en population et approfondis par des études expérimentales, afin de mieux comprendre les liens entre la consommation des sucres, l’insulinorésistance et la survenue de démences », conclut Sylvaine Artero.

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