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Anorexie mentale : « dépenser plus » pourrait être encore plus important que « manger moins » pour expliquer le cercle vicieux de la maladie

Anorexie

La recherche d’un effet récompense par l’effort physique constituerait un aspect important de la maladie qui serait génétiquement influencée. © Bruno Nascimento sur Unsplash.

 

Chez les patientes souffrant d’anorexie mentale, la perte de poids par carence alimentaire s’accompagne de fatigue et de diminution des capacités physiques. Pourtant, elles continuent souvent à pratiquer intensément une activité sportive qui participe à l’amaigrissement. Des chercheurs de l’Inserm et de Université de Paris à l’Institut de Psychiatrie et Neurosciences de Paris et au GHU Paris psychiatrie & neurosciences montrent que l’effort physique génère des émotions positives chez les patientes (ce qui était attendu) mais aussi de manière plus étonnante, chez leurs apparentés non malades. Ce n’est toutefois pas le cas chez les sujets contrôles.

La recherche d’un effet récompense par l’effort physique constituerait donc un aspect important de la maladie qui serait génétiquement influencée. Ces travaux publiés dans l’International Journal of Eating Disorders pourraient permettre d’axer la prise en charge des patientes souffrant d’anorexie mentale vers les dépenses caloriques (le sport) plutôt qu’exclusivement vers les carences d’apport (l’alimentation).

L’anorexie mentale est un trouble du comportement alimentaire qui affecte majoritairement les jeunes filles entre 15 et 25 ans. La prévalence de l’anorexie au cours de la vie serait d’un peu plus de 1 % chez les femmes. Philip Gorwood et Laura Di Lodovico à l’Institut de Psychiatrie et Neurosciences de Paris (Inserm/université de Paris) et au GHU Paris psychiatrie & neurosciences tentent depuis des années de mieux comprendre la maladie et d’améliorer la prise en charge.

Leurs travaux se sont notamment intéressés à l’effet récompense associé au fait de ne pas s’alimenter et de perdre du de poids. « Nous savons que l’anorexie mentale s’organise sur un cercle vicieux, où ce qui me fait maigrir est tellement gratifiant dans ce que j’en ressens, que je peux passer outre les dangers que j’arrive pourtant à comprendre. Cette anomalie du processus décisionnel est clairement en lien avec l’effet récompense (le cerveau renvoie des messages valorisant le maintien du trouble). Mais il est compliqué de comprendre comment un manque (la carence alimentaire) peut être en soi un ‘renforçateur’. C’est pourquoi nous nous sommes plutôt penchés sur l’autre versant de la perte de poids, l’activité physique. », explique Philip Gorwood.

En partant de ces interrogations, les scientifiques ont montré dans une précédente étude que l’anorexie mentale est plus associée au plaisir de maigrir qu’à la peur de grossir, et que cet aspect serait génétiquement influencé.

Dans leurs nouveaux travaux, ils poursuivent leurs réflexions sur les critères cliniques de la maladie et sur son héritabilité[1] en s’intéressant à la notion d’exercice physique. « Il s’agit d’une approche atypique car l’effort physique n’est pas considéré comme une manifestation clinique de l’anorexie, alors même que de nombreuses patientes font énormément de sport, notamment pour gérer leur faim et perdre des calories », précise Philip Gorwood.

L’équipe estimait qu’il s’agissait là d’un aspect d’autant plus intéressant à étudier qu’il y a là encore une contradiction : les patientes anorexiques persistent à faire de l’exercice alors même que le fait d’être en sous-poids occasionne une diminution progressive de leurs capacités physiques.

 

Les patientes, leurs proches, et les autres

Le protocole de cette étude est original car il permet aux chercheurs de se pencher non seulement sur les émotions et les perceptions des patientes à la suite d’un exercice physique standardisé, mais aussi sur celles de membres de leur famille (mères et sœurs notamment). Ainsi, 88 patientes souffrant d’anorexie mentale, 30 de leurs proches non malades et 89 individus « contrôles » sains ont été recrutés dans cette étude. Tous ont été invités à pratiquer un exercice physique standardisé puis à répondre à des questionnaires portant notamment sur leurs émotions après l’effort et sur la perception de leur image corporelle.

Les scientifiques montrent qu’à effort équivalent, les patientes anorexiques rapportent plus d’émotions positives que les contrôles. « Le fait de faire du sport leur envoie un message de renforcement positif qui fait que les patientes poursuivent cette activité en dépit de leur fatigue ou de leur faiblesse. La dépense calorique associée à cette activité physique est un facteur déterminant qui conduit à poursuivre cet effort », explique Philip Gorwood.

Cet aspect ne se retrouvait pas chez les contrôles, mais il était présent chez les proches des patientes. L’étude suggère donc que ce trait est partagé au sein de la famille des personnes atteintes d’anorexie.

L’activité physique est associée à un effet récompense, et celui-ci serait impliqué dans l’héritabilité de la maladie. 

Ces résultats ont des conséquences en matière de prise en charge. Ils insistent en effet sur l’importance d’axer une partie des soins sur l’effort physique. L’idée est de travailler avec les patientes pour leur réapprendre à découvrir l’effort physique plaisir (donc modéré) et donc de désapprendre l’effort physique addictif, probablement associé à une finalité de perte de poids. Cet aspect de la prise en charge était déjà considéré comme important par des équipes spécialisées, mais l’étude permet d’apporter des arguments scientifiques concrets pour poursuivre dans cette voie, légitimer cette pratique de soin et en généraliser l’utilisation.

 

[1] L’héritabilité désigne la part des gènes dans les différences entre individus, c’est-à-dire dans la variance d’un caractère exprimé par un échantillon de sujets (ici l’anorexie).

Maladie de Huntington : un espoir de traitement pour protéger le cerveau

huntington

La maladie de Huntington est une pathologie neurodégénérative rare et héréditaire. Ici, un neurone du striatum exprimant la protéine huntingtine mutante (en rouge) à l’origine de la maladie de Huntington qui s’accumule dans le noyau (bleu) pour former un agrégat composé de huntingtine et d’autres protéines dont l’ubiquitine (en jaune).  Frédéric Saudou.

 

La maladie de Huntington est une pathologie héréditaire qui entraîne la dégénérescence de neurones impliqués dans des fonctions motrices, cognitives et psychiatriques. Les traitements actuels sont symptomatiques et soulagent certains troubles mais ne permettent pas de modifier le cours de la maladie. Des chercheurs de l’Inserm, de l’Université Grenoble Alpes et du CHU Grenoble Alpes au Grenoble Institut des Neurosciences espèrent y remédier. Ils proposent une nouvelle piste thérapeutique dans l’espoir de proposer aux patients un premier traitement neuroprotecteur, c’est-à-dire protégeant les neurones, dans les années qui viennent. Ils ont testé une molécule thérapeutique qui présente des résultats prometteurs chez la souris et est en cours d’évaluation préclinique.  Ce travail est publié dans la revue Science Advances.

La maladie de Huntington est une pathologie neurodégénérative rare et héréditaire. Elle débute habituellement entre 30 et 50 ans et se manifeste par des troubles cognitifs, psychiatriques et des mouvements incontrôlés qui s’aggravent avec le temps jusqu’au décès, environ vingt ans plus tard. En France, environ 18 000 personnes sont concernées. 6 000 d’entre elles ont déjà des symptômes tandis qu’environ 12 000 sont porteuses du gène muté et savent qu’elles seront touchées dans les années qui viennent. L’équipe de Frédéric Saudou, directeur du Grenoble Institut des Neurosciences (Inserm/Université Grenoble Alpes/CHU Grenoble Alpes) travaille sur une nouvelle piste thérapeutique pour essayer d’apporter des solutions à ces patients.

La maladie est due à une anomalie sur le gène codant pour la protéine huntingtine qui interagit et régule l’activité d’au moins 400 autres protéines impliquées dans différentes fonctions cellulaires, dont le transport de molécules. Cette anomalie entraine notamment une réduction du transport d’une molécule très importante appelée BDNF dans le cerveau entre le cortex et le striatum. Son le rôle est de promouvoir la survie des neurones et d’assurer les connexions entre eux. Cette réduction de transport provoque donc chez les patients la mort des neurones dans ces régions cérébrales.

« Bien avant l’apparition des symptômes, nous observons une diminution du transport de BDNF. Cette molécule est indispensable à la survie des neurones et aux connexions neuronales entre le cortex et le striatum, deux régions impliquées entre autres, dans le contrôle de l’humeur et des mouvements », explique Frédéric Saudou, professeur à l’Université Grenoble Alpes et au CHU Grenoble Alpes.

Le chercheur et ses collègues pensaient donc que restaurer la circulation de ce facteur permettrait au moins en partie de protéger le cerveau de la mort neuronale.

 

Une molécule pour rétablir le transport de BDNF

En collaboration avec la directrice de recherche Inserm Sandrine Humbert, le chercheur et son équipe avaient déjà montré que cette molécule BDNF est transportée au sein de vésicules composées de nombreuses protéines, dont la huntingtine. Dans cette nouvelle étude, les chercheurs ont identifié une enzyme qui régule le transport de ces vésicules à BDNF en contrôlant un mécanisme cellulaire appelé « palmitoylation ». En augmentant le mécanisme de palmitoylation à l’aide d’une molécule appelée ML348, ils ont pu rétablir le transport des vésicules de BDNF.

Plusieurs expériences in vitro sur des neurones humains et in vivo chez la souris, ont montré que la molécule ML384 passe la barrière hématoencéphalique et qu’elle restaure le trafic de BDNF du cortex vers le striatum. Administré chez un modèle de souris atteint de la maladie, elle a permis de réverser les symptômes.

« L’injection de ML348 a réduit les troubles comportementaux moteurs et psychiques, permettant aux animaux de retrouver une activité proche des souris normales non malades », explique Frédéric Saudou. Par ailleurs, cette molécule améliore également le transport de BDNF dans des neurones humains issus de cellules souches pluripotentes de patients atteints de la maladie de Huntington (cellules IPS), démontrant que cette molécule est potentiellement capable d’agir chez l’Homme.

Suite à cette preuve de concept, le chercheur et son équipe vont passer à la phase des essais précliniques destinés à évaluer sur des modèles cellulaires et animaux, le comportement de la molécule dans l’organisme, sa sécurité d’emploi, ou encore à identifier les doses efficaces. L’objectif final est de développer un médicament pour les patients. Si ces résultats se confirment, cette molécule pourrait devenir le premier traitement « neuroprotecteur » contre la maladie de Huntington, épargnant certains neurones de la dégénérescence, avec peut être à la clé un ralentissement de la progression de la maladie.

Maladie de Charcot-Marie Tooth : une innovation thérapeutique 100 % française à base d’ARN

 

Maladie de Charcot

© Liliane Massade, laboratoire Maladies et hormones du système nerveux (Inserm/Université Paris-Saclay)

  • La maladie de Charcot-Marie Tooth est une maladie qui entraine une paralysie progressive des jambes et des mains. Aucun traitement n’est aujourd’hui disponible.
  • Après plus de dix ans de recherche, une équipe française a mis au point une thérapie, à base d’ARN, permettant à des souris modèles de cette maladie de retrouver toute leur mobilité.

La maladie de Charcot-Marie Tooth est la maladie neurologique héréditaire la plus fréquente au monde. Elle touche le nerf périphérique et entraine une paralysie progressive des jambes et des mains. Aucun traitement n’est aujourd’hui disponible pour lutter contre cette maladie, due à la surexpression d’une protéine spécifique. Des scientifiques du CNRS, de l’Inserm, de l’AP-HP et des universités Paris-Saclay et de Paris ont mis au point, chez la souris, une thérapie fondée sur la dégradation de l’ARN codant pour cette protéine. Leurs travaux, brevetés, sont publiés le 9 mars 2021 dans Communications Biology.

En biologie moléculaire, la transcription correspond à la copie d’une molécule d’ADN en une molécule d’ARN. Cette molécule d’ARN est ensuite « traduite » en une protéine, qui peut assurer différentes fonctions au sein des cellules de l’organisme. Lorsque qu’une protéine particulière, appelée PMP22, est fabriquée en quantité deux fois plus importante que la normale, elle provoque le développement de la maladie génétique Charcot-Marie Tooth de type 1A. Cette surproduction entraine une paralysie progressive des jambes et des mains.

Tout l’enjeu est donc de réussir à normaliser l’expression de cette protéine chez les personnes atteintes de la maladie de Charcot-Marie Tooth. Pour cela, des scientifiques français1 ont mis au point une thérapie, brevetée2, fondée sur la dégradation de l’ARN codant pour la protéine PMP22. Ils ont utilisé à cette fin d’autres petits ARN capables d’interférer avec un ARN spécifique, ici celui codant pour la PMP22, et de conduire à sa dégradation ou à la diminution de sa traduction en protéine.

La difficulté pour la mise au point de cette thérapie a été de stabiliser ces petits ARN, dit interférents (ou siARN), qui se dégradent très rapidement dans l’environnement biologique. Les chercheuses et chercheurs les ont couplés avec une autre molécule, le squalène, classiquement utilisée en cosmétologie ou en pharmacologie.

Biocompatible, biodégradable et formant dans l’eau des nanoparticules, le squalène protège les siARN de toute dégradation. Il permet également de contrôler la taille des particules formées et la quantité de siARN injectée.

Les scientifiques ont ensuite montré, sur des souris modèles de cette maladie, que l’injection de ces ARN interférents permettait la restitution complète et rapide de l’activité locomotrice et de la force des souris. Les siARN pénètrent dans les nerfs périphériques, renforcent la couche de myéline3 autour de ces nerfs et normalisent la vitesse du signal nerveux. L’effet du traitement perdure trois semaines pour les formes graves et plus de dix semaines pour les formes plus légères de la maladie.

Cette stratégie thérapeutique pour les neuropathies périphériques héréditaires, entièrement mise au point en France, constitue la preuve de concept d’une nouvelle médecine de précision fondée sur la normalisation par siARN de l’expression d’un gène surexprimé. Elle reste à développer chez l’humain avec des études pré-cliniques et cliniques.

 

1 Au laboratoire Maladies et hormones du système nerveux (Inserm/Université Paris-Saclay), au laboratoire Aspects métaboliques et systémiques de l’oncogénèse pour de nouvelles approches thérapeutiques (CNRS/Université Paris-Saclay/Institut Gustave Roussy), à l’Institut Galien Paris-Saclay (CNRS/Université Paris-Saclay), au Service de neurologie – centre de référence neuropathies périphériques rares du CHU de Limoges, au Service de neurologie – centre de référence national des neuropathies amyloïdes familiales et autres neuropathies périphériques rares du CHU du Kremlin-Bicêtre (AP-HP/Université Paris-Saclay) et au laboratoire Environmental, toxicity, therapeutic targets, cellular signaling and biomarkers (Inserm/Université de Paris). Ces travaux ont bénéficié du financement de l’ANR dans le cadre du programme Avenir (Labex NanoSaclay, référence ANR-10-LABX-0035).

2 Références : WO/2020/064749, PCT/EP2019/075736

3 La myéline est une couche riche en lipides qui isole les axones des neurones et permet la transmission accrue du signal nerveux. Des dysfonctionnements de la myéline entrainent des maladies du nerf très invalidantes. La protéine PMP22 est présente dans la myéline et elle est essentielle pour le fonctionnement du nerf.

Communiquer pendant nos rêves, c’est possible !

Ces travaux remettent en cause l’idée selon laquelle nous sommes complètement coupés du monde lors du sommeil, incapables de recevoir ou d’envoyer des informations à notre environnement. © Adobe Stock

 

Lorsque nous rêvons, nous sommes à première vue coupés du monde, incapables de recevoir des informations de l’environnement et d’y répondre. Pour la première fois, une collaboration entre des chercheurs de l’Inserm, de l’AP-HP, de Sorbonne Université et du CNRS avec plusieurs groupes américains, allemands et néerlandais, montre qu’une communication à double-sens, de l’expérimentateur vers le rêveur et vice-versa est possible au cours du rêve. Ces résultats, publiés dans Current Biology, ouvrent la voie à une meilleure compréhension scientifique du rêve et du sommeil.

Pourquoi rêvons-nous ? De quoi rêvons-nous exactement ? Que se passe-t-il dans notre cerveau au cours de cette expérience si mystérieuse ? Autant de questions qui passionnent les chercheurs en neurosciences et auxquelles il est particulièrement difficile de répondre. En effet, les connaissances scientifiques sur le rêve s’appuient aujourd’hui principalement sur le récit qu’en fait le rêveur à son réveil. Des biais de mémoire, d’autocensure ou encore de fabulation sont donc possibles.

Pour faire avancer la recherche, les scientifiques se sont donc tournés vers les « rêveurs lucides », des individus conscients de rêver lorsqu’ils rêvent et, pour certains, capables d’influer sur le scénario de leur rêve. Des études ont notamment montré que ces rêveurs étaient capables d’informer de leur lucidité et donc du début et de la fin d’une tâche prédéfinie réalisée en rêve (par exemple, retenir sa respiration), grâce à un code oculaire préalablement appris. Cette communication était cependant à sens unique, seul le rêveur étant à même d’envoyer un signal qu’il a conscience qu’il rêve.

« L’idée d’une communication à double-sens pouvait paraître une ambition inatteignable. Comment communiquer avec quelqu’un d’endormi ? Mais si nous montrions qu’elle était possible, de nouvelles pistes fascinantes s’ouvraient pour l’étude du rêve », explique Delphine Oudiette, chercheuse Inserm à l’Institut du cerveau (Inserm/AP-HP/Sorbonne université/CNRS).

L’équipe a d’abord fait appel à un rêveur lucide très expérimenté pour essayer d’établir cette double communication. Les chercheurs ont utilisé différents types de stimulations, comme des questions ouvertes posées à voix haute : « est-ce que tu aimes ci ou ça ? », des stimuli tactiles (tapotements sur la main à compter) ou encore des tâches de discrimination sémantiques (distinguer des mots simples comme « haut », « bas » …). Le sujet endormi devait ensuite répondre à ces questions en contractant les muscles de son visage (par exemple en souriant pour dire ‘oui’ et en fronçant les sourcils pour dire ‘non’).

Les résultats de ces expérimentations suggèrent que le sujet était capable de répondre à un certain nombre de ces stimulations alors qu’il était endormi. Au réveil, il a par ailleurs rapporté que la voix de l’expérimentatrice survenait comme une « voix divine » au beau milieu de son rêve, dans lequel il faisait la fête avec des amis.  

« Nous avions donc une première preuve de concept qu’un dialogue avec un rêveur est possible.  Nous nous sommes alors aperçus que plusieurs autres laboratoires dans le monde conduisaient des expériences similaires. Dans notre équipe, nous menons nos études avec des sujets narcoleptiques[1] car leur accès au sommeil paradoxal, au cours duquel le rêve lucide se produit, est privilégié, mais d’autres réalisent leurs expérimentations sur des sujets sans troubles du sommeil. » poursuit Delphine Oudiette.

Les différents groupes, français, américains, allemands et néerlandais, ont donc décidé de mettre leurs données, obtenues d’études réalisées indépendamment, en commun. Cette collaboration leur a permis de confirmer avec des données supplémentaires qu’il est possible d’avoir une communication bidirectionnelle au cours du rêve.

Dans les différentes études, les sujets étaient par exemple capables de répondre aux questions des expérimentateurs (par exemple à des exercices de calcul mental) par le biais d’un code oculaire ou de la contraction des muscles faciaux.

En combinant ces tâches et des enregistrements électrophysiologiques, les chercheurs ont montré que les rêveurs étaient toujours en sommeil paradoxal lorsqu’ils répondaient aux questions.

S’il s’agit pour le moment d’une preuve de concept que la communication à double-sens est possible (les conditions dans lesquelles elle a été établie étant particulièrement difficiles à mettre en place hors d’un contexte expérimental), les implications pour la recherche portant sur le sommeil, le rêve ou même la conscience sont majeures. Ces travaux remettent en cause l’idée selon laquelle nous sommes complètement coupés du monde lors du sommeil, incapables de recevoir ou d’envoyer des informations à notre environnement.

La possibilité de communiquer avec le rêveur ouvre également des perspectives pour identifier des marqueurs physiologiques de la conscience et du rêve et décoder l’activité de notre cerveau au cours de l’expérience onirique, afin de mieux comprendre le rôle du rêve et du sommeil.

 

[1] Il s’agit d’une maladie chronique rare (1 personne sur 3 à 5 000) et non curable, qui survient le plus souvent entre 10 et 30 ans. Ce trouble du sommeil est caractérisé par un sommeil nocturne de durée normale mais de qualité médiocre, une somnolence diurne excessive et des endormissements irrépressibles qui peuvent survenir à tout moment de la journée, même en pleine activité. De plus, contrairement aux sujets sains, les narcoleptiques atteignent très rapidement le sommeil paradoxal, le stade de sommeil au cours duquel les rêves lucides se produisent. Ils sont également spontanément de grands rêveurs lucides par rapport à la population générale. Pour plus d’infos : https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/hypersomnies-et-narcolepsie

Un meilleur accès à l’éducation réduit les différences de capacités cognitives entre hommes et femmes

 Pour les femmes, l’accès aux études supérieures est associée à une amélioration de certains aspects cognitifs d’une génération à l’autre. © Adobe Stock

Les femmes âgées ont actuellement un risque plus élevé que les hommes de développer une démence, en particulier la maladie d’Alzheimer. Un phénomène qui pourrait s’expliquer en partie par des inégalités d’accès à l’éducation entre les hommes et les femmes pendant la première moitié du XXe siècle. Des chercheurs de l’Inserm et de Université de Paris, en collaboration avec University College London, montrent que certaines capacités cognitives se sont améliorées chez les femmes au cours des dernières générations, en association avec un accès plus important aux études supérieures. A plus long terme, ils estiment que les inégalités hommes/femmes face au risque de démence pourraient diminuer. Leur étude est parue dans The Lancet Public Health.

Les femmes âgées ont actuellement un risque 50% plus élevé que les hommes de développer une maladie d’Alzheimer. Plusieurs facteurs de risque pour cette maladie sont déjà bien connus comme les maladies cardiovasculaires, ou le niveau d’études. C’est à ce dernier que la chercheuse Inserm Séverine Sabia et l’équipe EpiAgeing du Centre de recherche épidémiologique et statistiques à Université de Paris se sont intéressées.

La génération actuelle des personnes très âgées est née dans les années 1920-1940. A cette époque, peu de femmes avaient accès aux études supérieures.

Cependant, à partir des années 60, les portes des universités se sont ouvertes plus largement et de façon plus égalitaire aux femmes, de sorte que le niveau d’études de ces dernières a fini par rattraper quasiment celui des hommes dans les pays développés. Séverine Sabia et ses collègues estiment que cette évolution pourrait réduire les différences hommes/femmes du risque de démence dans les années à venir.

Pour tester cette hypothèse, ils ont comparé les capacités cognitives au cours du vieillissement de femmes et d’hommes en fonction de leurs niveaux d’études sur plusieurs générations. Ces personnes faisaient partie de deux cohortes anglaises appelées ELSA (English Longitudinal Study of Ageing) et Whitehall II. Elles incluaient un total de 15.924 personnes issues de la population générale, nées entre 1930 et 1955. Les chercheurs ont réparti ces personnes en trois sous-groupes selon leur année de naissance (1930–38, 1939–45, et 1946–55). Le niveau d’études des différents participants était par ailleurs connu.

Pour chaque personne, deux composantes des fonctions cognitives ont été évaluées à plusieurs reprises au cours du suivi entre 1997 et 2015. D’abord la mémoire immédiate qui consiste à se souvenir d’une liste de mots tout juste entendus, puis la fluence c’est-à-dire la capacité à trouver ses mots, en nommant en une minute le plus d’animaux possibles. « C’est la première fois à ma connaissance qu’un travail de ce type s’intéresse aux trajectoires cognitives au cours du vieillissement chez les hommes et les femmes en association avec l’évolution du niveau d’études dans les générations successives », explique Séverine Sabia.

Dans les deux cohortes, le niveau d’études global était supérieur dans le groupe de personnes plus jeunes (nées entre 1946 et 1955) par rapport au groupe de personnes plus âgées (nées entre 1930 et 1938). De plus, la proportion de femmes ayant un niveau équivalent au baccalauréat a plus que doublé, passant de 14 à 33% (contre 36% et 54% pour les hommes).

Les données de cette étude suggèrent que les capacités de mémoire des femmes se sont améliorées ces dernières années. Elles étaient plus performantes que les hommes aux tests à tout âge et l’écart s’est encore creusé au sein de la génération la plus « jeune ». En ce qui concerne la fluence, les hommes faisaient mieux que les femmes dans le groupe de naissance 1930-38, mais cet écart s’est estompé chez les participants nés plus récemment et même inversé pour la génération née en 1946-55.

« A niveau d’études équivalent, les femmes ne sont absolument pas désavantagées par rapport aux hommes que ce soit dans le domaine de la mémoire ou de la fluence », clarifie Mikaela Bloomberg, première auteure de l’étude.

« Nous n’avons étudié que deux composantes de la fonction cognitive et il en existe davantage. Toutefois la tendance qui se dégage ici suggère une meilleure réserve cognitive chez les femmes nées plus récemment en partie grâce à un accès plus important aux études supérieures. Ceci pourrait se traduire à terme par une réduction des différences hommes/femmes dans le risque de démence dans les pays où l’accès à l’éducation est similaire quel que soit le sexe.

Ces résultats soulignent donc l’importance de l’accès à l’éducation pour tous afin de favoriser la santé au cours du vieillissement », conclut Séverine Sabia.

Des résultats confirment la capacité du SARS-CoV-2 à infecter les neurones

En 3d par imagerie en feuillet de lumière, présence du virus dans les neurones du bulbe olfactif. © Nicolas Renier

 

Une étude internationale impliquant plusieurs équipes de l’Université de Yale (USA), de l’Institut du Cerveau (Sorbonne Université/Inserm/AP-HP/CNRS) et de l’hôpital Pitié-Salpêtrière AP-HP confirme la capacité du SARS-CoV-2 à infecter les neurones et en identifie plusieurs conséquences. Les résultats ont été publiés le 12 janvier 2021 dans la revue Journal of Experimental Medicine.

Au-delà des atteintes respiratoires importantes que peut causer l’infection au SARS-CoV-2, des symptômes neurologiques ont également très vite été rapportés chez les patients, de maux de tête à la perte d’odorat ou plus gravement des pertes de conscience et des AVC. Si des traces d’ARN du virus ont été retrouvées dans le cerveau de patients décédés de la Covid-19 et des protéines virales dans certaines cellules de leur bulbe olfactif, la capacité du virus à infecter les cellules du cerveau et les conséquences possibles n’avaient pas été démontrées jusqu’alors.

Pour répondre à ce défi, des chercheurs de l’Université de Yale (USA), de Sorbonne Université, de l’Inserm et du CNRS à l’Institut du Cerveau ainsi que de l’hôpital Pitié-Salpêtrière AP-HP ont utilisé trois approches différentes pour étudier l’infection dans le cerveau : des cultures de cellules cérébrales en 3D, un modèle murin d’infection au SARS-CoV-2 et des tissus cérébraux de patients décédés de la Covid-19.

Leurs résultats dans les cultures de cellules cérébrales en 3D attestent de la capacité du SARS-CoV-2 à pénétrer dans les neurones et à utiliser leurs composants pour se multiplier, entraînant alors des changements métaboliques dans les cellules infectées, sans pour autant les détruire. En revanche, les cellules voisines des neurones infectées se voient privées d’oxygène et finissent par mourir.

Dans les cerveaux de patients décédés de la Covid-19, le virus a été retrouvé dans les neurones corticaux, de même que des atteintes pathologiques associées à l’infection comme des accidents vasculaires ischémiques.

La façon dont le virus pénètre dans les neurones est une autre question. Des données antérieures ont mis en évidence que dans le reste de l’organisme, le virus utilisait la protéine ACE2, présente à la surface des cellules. Celle-ci est particulièrement exprimée dans les poumons, expliquant pourquoi le virus s’attaque plus spécifiquement à cet organe. Cette voie d’entrée restait cependant à démontrer dans les neurones.

Grâce à un modèle murin de l’infection au SARS-CoV-2, qui exprime de façon différentielle le récepteur ACE2, les chercheurs confirment son importance pour l’infection des cellules cérébrales. Ils révèlent d’autre part un remodelage important du réseau vasculaire cérébral dans les régions infectées du cerveau dans ce modèle. Cette dernière découverte ouvre la voie d’un lien entre la pénétration du virus dans les neurones observés à la fois dans les cultures de cellules cérébrales et les tissus cérébraux post-mortem, et l’hypoxie et les accidents ischémiques observés dans le cerveau des malades.

Dans leur ensemble, ces résultats confirment le tropisme cérébral du SARS-CoV-2 et sa capacité à infecter les neurones. Ils suggèrent également que les symptômes neurologiques observés dans la Covid-19 pourraient être une conséquence de cette atteinte directe du système nerveux central.

De futures études sont maintenant nécessaires pour identifier précisément la voie empruntée par le virus pour entrer dans le cerveau et confirmer le lien entre les changements cellulaires observés au niveau des neurones et les symptômes neurologiques rapportés.

Une thérapie génique innovante pour redonner la vue à des patients atteints d’une maladie rare

Cette photo est issue de travaux de recherche sur la thérapie génique dans le traitement de la cécité. Rétine de primate non humain après le transfert d’un gène de protéine fluorescente par un virus adéno-associé (AAV). On distingue les cellules photoréceptrices à cônes (en vert) ayant intégré le gène. © Inserm/Dubus, Elisabeth.

 

Les personnes atteintes de neuropathie optique héréditaire de Leber perdent la vue dès l’adolescence avec un déclin soudain au niveau des deux yeux, jusqu’à la cécité. Alors que les options de traitements étaient jusqu’ici très limitées, des chercheurs de l’Inserm, de Sorbonne Université et du CNRS à l’Institut de la Vision à Paris ont conçu une approche de thérapie génique pour ces patients. Les résultats d’un essai clinique mené sur 37 patients et publiés dans la revue Science Translational Medicine, montrent que ce traitement améliore de façon significative la vision de ces patients. GenSight Biologics (EURONEXT: SIGHT), une start-up issue de l’Institut de la vision, a mis au point et réalisé le développement clinique de ce traitement. Celui-ci a ensuite été évalué dans un essai clinique international multicentrique produit par un consortium en Europe et aux Etats-Unis, comprenant les équipes de Patrick Yu-Wai-Man de l’UCL Institute of Ophthalmology et de José-Alain Sahel (professeur à Sorbonne Université et directeur de l’Institut de la Vision) à la Fondation Ophtalmologique Rothschild et du CHNO des Quinze-Vingts.

La neuropathie optique héréditaire de Leber (NOHL), est une maladie héréditaire qui se manifeste par une baisse brutale et bilatérale de la vision pouvant conduire à la cécité. Elle est causée par des mutations de l’ADN mitochondrial[1] qui affectent la production de la protéine ND4. Cette perte visuelle intervient généralement chez l’homme jeune sur un œil puis quelques mois plus tard sur le deuxième œil. La pathologie touche une personne sur 30 000 à 50 000.

Dans l’espoir d’aider ces patients, l’équipe de Marisol Corral-Debrinski avec José-Alain Sahel et Serge Picaud à l’Institut de la Vision (Inserm/Sorbonne Université/CNRS) a mis au point un traitement qui repose sur une nouvelle approche de thérapie génique, permettant pour la première fois au monde de corriger un défaut d’un gène mitochondrial (le gène ND4)[2].

La thérapie génique est une stratégie thérapeutique qui consiste à introduire du matériel génétique dans des cellules pour soigner une maladie. Pour permettre au traitement de pénétrer correctement dans les cellules d’un patient, les scientifiques utilisent dans la plupart des cas un vecteur viral qui assure son transport jusqu’au noyau. Mais pour utiliser cette stratégie dans la neuropathie optique héréditaire de Leber, les chercheurs étaient confrontés à un obstacle majeur : comment cibler la mitochondrie alors que le vecteur viral introduit l’ADN porteur du gène correct dans le noyau ?  

L’équipe a développé une approche innovante qui consiste à ajouter au gène des séquences d’ADN dites « séquences d’adressage ». Leur fonction est d’assurer que la traduction du matériel génétique en protéines fonctionnelles se fasse directement au contact des mitochondries.

Dans l’essai clinique baptisé REVERSE qui a été réalisé par un consortium international en Europe et aux États-Unis et portait sur 37 patients, les chercheurs ont démontré l’efficacité de cette approche par la mesure d’une réelle amélioration clinique.

En effet, ils ont montré que l’injection du vecteur de thérapie génique dans un œil permettait une amélioration bilatérale de la vision chez plus de ¾ des patients. L’amélioration se traduit par une augmentation moyenne de 15 lettres EDTRS pour l’œil traité (3 lignes sur le tableau de lettres utilisé pour déterminer l’acuité visuelle chez les ophtalmologistes).

Cet effet bénéfique sur les deux yeux suite à une injection dans un seul œil était inattendu. Pour mieux comprendre le phénomène, GenSight Biologics et les auteurs de l’étude ont testé à nouveau la thérapie chez l’animal et ont montré que cet effet bilatéral s’explique par le transfert du gène sain d’un œil à l’autre.

 « Cette découverte ouvre des perspectives nouvelles pour le traitement des patients atteints de neuropathie optique de Leber, alors qu’il n’en existait jusqu’à aujourd’hui aucun de réellement efficace. Nos résultats démontrent l’efficacité de cette thérapie génique innovante dans l’œil, ce qui offre une véritable option thérapeutique contre la cécité pour les patients. Ils ouvrent par ailleurs des perspectives pour son application pour d’autres maladies mitochondriales dans d’autres tissus », soulignent les auteurs de l’étude.

Suite à ces travaux, une demande d’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) du vecteur de thérapie génique innovant, testé dans l’essai et appelé LUMEVOQ, a été déposée en septembre par GenSight Biologics auprès de l’Agence réglementaire européenne (EMA).

 

[1] Les mitochondries sont des organelles présentes dans les cellules, à l’extérieur du noyau. Elles sont essentielles à la production d’énergie. Elles possèdent leur propre matériel génétique, l’ADN mitochondrial, qui code pour un certain nombre de protéines, dont la protéine ND4, affectée dans la neuropathie optique de Leber.

[2] Le développement de cette thérapie a été réalisé par GenSight Biologics, en collaboration avec l’Institut de la vision, le CHNO des Quinze Vingts et la Fondation Ophtalmologique Rothschild. Des centres experts ont participé aux études cliniques, et plus largement un consortium international en Europe et aux Etats-Unis.

Les neurosciences apportent de nouvelles pistes pour comprendre l’origine de nos émotions

On a longtemps considéré les émotions comme des expériences biologiques innées et universelles, bien distinctes les unes des autres. © Adobe Stock

Nos émotions sont-elles innées ou bien sont-elles le produit de notre culture et de notre environnement ? Cette question fait depuis longtemps l’objet de débats dans le domaine des neurosciences. Des chercheurs de l’Inserm, de l’Université de Caen Normandie, de l’École Pratique des Hautes Études et des CHU de Caen et de Rennes apportent des données cliniques robustes en faveur de la seconde hypothèse. Leurs travaux suggèrent que notre capacité à connaître et à reconnaître les émotions se construit progressivement et dépend de notre connaissance du langage. Leurs résultats sont publiés dans le journal Brain.

Tout au long de l’histoire des neurosciences, la question de l’origine des émotions n’a cessé d’intriguer les scientifiques. S’appuyant sur les théories de Charles Darwin, ceux-ci ont longtemps considéré les états émotionnels comme des expériences biologiques innées et universelles, bien distinctes les unes des autres.

Face au constat que les émotions ne sont pourtant pas définies de la même manière dans toutes les cultures, et que les frontières entre les catégories (joie, tristesse, colère…) ne sont pas les mêmes à travers le monde, cette perspective n’a cependant cessé d’évoluer. Une hypothèse dite « constructionniste » des émotions s’est ainsi développée au cours des dernières décennies, postulant que les émotions ne sont pas innées. Il s’agirait plutôt de concepts appris dans l’enfance et associés à nos sensations physiques.

Ces concepts s’enrichiraient tout au long de la vie, en fonction de nos expériences et de notre environnement. Des données robustes, issues de l’imagerie cérébrale et de la pratique clinique, manquaient toutefois pour confirmer cette théorie.

Pour départager les deux courants de pensée, le chercheur Inserm Maxime Bertoux et l’équipe du laboratoire « Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine » (Inserm/Université de Caen Normandie/École pratique des hautes études) associés aux CHU de Caen et de Rennes et au GIP Cyceron se sont intéressés à 16 patients atteints d’une maladie neurodégénérative rare, la « démence sémantique ».

Celle-ci se caractérise par une dégradation de la mémoire conceptuelle, c’est-à-dire par une perte des connaissances que l’on a sur le monde et sur le langage. « Les patients ont des difficultés à mobiliser ce qu’ils ont appris tout au long de la vie, par exemple à se rappeler que Paris est la capitale de la France. Ils ont aussi une incapacité à identifier les objets du quotidien et à se rappeler leur fonctionnement ou leur utilité, ou encore à comprendre le sens des mots. Cependant, la dégradation des connaissances conceptuelles associée à cette maladie ne devrait pas avoir d’impact sur la capacité des patients à connaître et à reconnaître les émotions, si celles-ci sont réellement innées », explique Maxime Bertoux.

Réseau cérébral identifié

Les participants ont été testés sur leurs connaissances conceptuelles de quatre émotions : la colère, la fierté, la surprise et l’embarras. Dans un premier temps, ils étaient invités à donner un synonyme de chacune de ces émotions puis à choisir un autre mot s’en approchant au sein d’une liste. Ils devaient ensuite donner un exemple de contexte dans lequel cette émotion pouvait être ressentie puis, parmi une liste de situations, choisir celle qui était la plus susceptible de provoquer l’état émotionnel en question. Dans un second temps, les participants ont regardé des photos et des vidéos d’acteurs qui exprimaient des émotions. Ils devaient alors reconnaître celle qui était représentée.

Comparée à des participants sains, la mémoire conceptuelle des émotions était plus dégradée chez les participants souffrant de démence sémantique. En moyenne, ces patients étaient par exemple moins capables de donner ou de choisir le synonyme correct d’une émotion particulière mais aussi de sélectionner le contexte approprié dans lequel on peut s’attendre à la ressentir. Ils avaient également une plus grande difficulté à reconnaître les états émotionnels exprimés par d’autres individus, que ceux-ci soient positifs ou négatifs, présentés en photographie ou en vidéo.

En s’appuyant sur ces résultats, les chercheurs mettent à jour une corrélation étroite entre la perte de mémoire des connaissances conceptuelles et la difficulté à reconnaître les émotions et leur caractère positif ou négatif.

Les chercheurs ont aussi eu recours à des techniques d’imagerie cérébrale afin d’identifier les réseaux cérébraux mobilisés lors de la réalisation de ces différents exercices. Leurs résultats suggèrent qu’un même réseau est à l’œuvre à la fois lors des tâches de reconnaissance des émotions faciales et des tâches de mobilisation des connaissances conceptuelles sur les émotions.

« Notre étude souligne l’intrication forte de processus neurocognitifs « affectifs », liés à la reconnaissance des émotions, et « conceptuels » qui étaient supposément distincts. Nous montrons que nos connaissances conceptuelles et notre connaissance du langage ont un rôle déterminant dans la manière dont nous percevons les émotions. Cela nous permet d’apporter de nouveaux éléments pour confirmer la théorie constructionniste des émotions : nous construirions culturellement nos émotions depuis l’enfance », souligne Maxime Bertoux.

Ces travaux présentent aussi un intérêt dans le domaine clinique. En effet, de nombreuses maladies psychiatriques et neurodégénératives entraînent des perturbations émotionnelles.

« Notre étude soutient l’intérêt des approches cognitives, comportementales et émotionnelles dans les maladies mentales ou les neuroatypies. Reconnaître une émotion chez les autres mais aussi réguler nos propres émotions dépendent de notre capacité à avoir appris à les nommer et à les distinguer sur le plan conceptuel », conclut Maxime Bertoux.

Une nouvelle canalopathie cérébrale associant déficience intellectuelle et mouvements anormaux

Brain scan, X-ray © Fotolia

Les dysfonctionnements des canaux ioniques – ou canalopathies – dans le cerveau sont aujourd’hui associés à plus de 30 maladies neurologiques comme l’épilepsie ou encore les ataxies cérébelleuses. Structures situées sur la membrane des cellules permettant le passage d’ions (par exemple les ions sodium et potassium) entre l’intérieur d’une cellule et son environnement extérieur (milieu extracellulaire), ces canaux permettent notamment de générer et contrôler les potentiels d’action dans les neurones. Une étude menée à l’Institut du cerveau (Sorbonne Université/Inserm/AP-HP/CNRS) a permis d’identifier une nouvelle canalopathie cérébrale ayant pour origine des mutations dominantes du gène KCNN2, codant pour le canal ionique SK2. Les résultats ont été publiés dans Brain le 27 novembre 2020.

 

Les variants pathogéniques du gène KCNN2 identifiés chez les patients et leur localisation sur la structure protéique du canal SK2.

Les variant en rouge sont des variants pathogènes tronquant (introduisant un codon stop dans la séquence protéique). Les variants en noirs sont les variants pathogènes faux-sens associés à une perte de fonction. Le variant en gris a été classé de signification inconnue car le canal avec ce variant n’a pas montré de déficit particulier en électrophysiologie.

 

Le Dr Fanny Mochel, généticienne au sein du département de génétique de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP et chercheuse à l’Institut du cerveau (Sorbonne Université/Inserm/AP-HP/CNRS) et le Pr Christel Depienne, généticienne à l’institut de génétique humaine de l’Hôpital Universitaire d’Essen (Allemagne) et également chercheuse à l’Institut du cerveau ont identifié un nouveau syndrome associé à des mutations du canal SK2. L’étude publiée dans la revue scientifique Brain porte sur 10 patients, 6 hommes et 4 femmes âgés de 2 à 60 ans présentant des retards intellectuels plus ou moins sévères associés, pour certains, à des troubles du spectre autistique ou des épisodes psychotiques. Ces troubles cognitifs sont dans tous les cas associés à des tremblements, à des symptômes d’ataxie cérébelleuse ou encore à des mouvements anormaux.

Grâce à une collaboration avec Agnès Rastetter de la plateforme de génotypage/séquençage de l’Institut du cerveau (Sorbonne Université/Inserm/AP-HP/CNRS), le génome d’un premier patient recruté à la Pitié-Salpêtrière a été analysé à la recherche de mutations génétiques à l’origine de ce syndrome. Cette analyse a mis en évidence une mutation du gène KCNN2 interrompant sa séquence codante, absente des parents du patient (mutation de novo). L’imagerie cérébrale par IRM (imagerie par résonance magnétique) chez ce patient a mis en évidence des anomalies de structure et d’intégrité de la substance blanche du cerveau, c’est-à-dire la gaine cérébrale protectrice des axones des neurones.

Par ailleurs, une collaboration internationale a permis aux chercheurs d’identifier 9 autres patients avec mutations du gène KCNN2. La majorité de ces mutations étaient survenues de novo tandis qu’une mutation était transmise dans une forme familiale du même syndrome.

Enfin, en travaillant conjointement avec Carine Dalle de la plateforme d’exploration cellulaire d’électrophysiologie de l’Institut du cerveau, les équipes des Dr Mochel et Depienne ont montré un rôle délétère de ces mutations sur la fonction du canal SK2, c’est-à-dire une perte de fonction entrainant un dysfonctionnement du canal ionique SK2 et donc une perte de régulation du potentiel d’action, support du message nerveux.

Les résultats de cette nouvelle étude ont permis d’identifier une nouvelle canalopathie cérébrale ayant pour origine des mutations dominantes du gène KCNN2, codant pour le canal ionique SK2. Ce nouveau syndrome se caractérise par la présence, d’une part, de symptômes cognitifs, en particulier une déficience intellectuelle et, d’autre part, de symptômes moteurs tels que des mouvements anormaux.

Cette nouvelle pathologie, dont on connaît maintenant la cause, est très hétérogène d’un point de vue des symptômes et nécessite une prise en charge multidisciplinaire à la frontière entre la génétique, pour la recherche des mutations du gène KCNN2, la neuropédiatrie et la neurologie pour la prise en charge des manifestations cognitives et motrices des patients.

Découverte, chez la souris, d’un mécanisme pouvant expliquer l’anorexie et d’un traitement efficace transposable à l’homme

Récepteurs muscariniques de l’acétylcholine dans le cerveau humain. Coupe sagittale, marquage par radioautographie à l’aide de 3H-QNB. © Inserm/U339

 

Ce que l’on sait :

L’anorexie mentale est un trouble psychiatrique très sévère qui touche jusqu’à 4% de la population. De plus, c’est la maladie mentale avec le plus fort taux de mortalité (1% des personnes atteintes en meurent chaque année). À ce jour, il n’existe pas de traitement pharmacologique spécifique pour lutter contre cette maladie. Cela tient au fait que les mécanismes neuronaux impliqués dans l’anorexie mentale sont encore mal compris.

Récemment, l’équipe du Pr Salah El Mestikawy (Centre de recherche de l’Institut Douglas /UPMC) a montré le rôle essentiel d’un neurotransmetteur – l’acétylcholine – dans une partie du cerveau, appelée le striatum. Le striatum est impliqué dans la régulation de l’activité locomotrice ou de la recherche de récompenses. En revanche, sa fonction dans la formation de nos habitudes quotidiennes et de nos automatismes est moins bien connue.

 

Ce que l’on a découvert :

L’étude publiée dans la revue Journal of Clinical Investigation illustre comment une diminution d’acétylcholine dans le striatum entraîne la formation excessive d’habitudes qui peuvent conduire à une restriction alimentaire. Les chercheurs de GHU Paris, du Douglas Institute, de l’Inserm et du CNRS ont aussi découvert qu’on pouvait compenser le faible taux d’acétylcholine par l’administration d’un médicament couramment utilisé dans le cadre du traitement de la maladie d’Alzheimer. Ce traitement a pour effet d’abolir les comportements pathologiques des souris. Les chercheurs se sont alors rapprochés de l’équipe du Pr Philip Gorwood, chercheur à l’Institut de psychiatrie et neurosciences de Paris (Inserm/Université de Paris) et chef de pôle de la Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale, GHU Paris/Sainte-Anne, spécialisée dans la prise en charge des personnes avec des troubles alimentaires, afin de pouvoir transposer chez l’homme les résultats obtenus chez les souris. Grâce à des tests neuropsychologiques, leurs investigations cliniques auprès de cohortes de patients ont déjà permis d’identifier les profils souffrant d’anorexie mentale sévère concernés par ces mécanismes dysfonctionnels liés aux habitudes. Ils ont élaboré un protocole basé sur l’utilisation de ce médicament. C’est un exemple original de collaboration directe entre recherche fondamentale et clinique.

 

Ce que cela change :

Alors qu’il n’existe pas de traitement médicamenteux avéré pour l’anorexie cette étude-passerelle entre le laboratoire et l’hôpital ouvre une piste de cible thérapeutique sérieuse. Une première étude pilote devrait commencer sous peu et les chercheurs espèrent obtenir des résultats cliniques d’ici un ou deux ans. Au-delà de l’anorexie, cette découverte pourrait également s’appliquer aux pathologies qui impliquent la création d’habitudes et de compulsions telles que les addictions ou les comportements obsessionnels et compulsifs (TOC).

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