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Les macrophages, ces fins gourmets de l’immunité

Macrophages de souris visualisés en imagerie par microscopie confocale. Les noyaux sont visibles en bleu, le réseau d'actine en orange. © Mónica Fernández Monreal, Bordeaux Imaging CentreMacrophages de souris visualisés en imagerie par microscopie confocale. Les noyaux sont visibles en bleu, le réseau d’actine en orange. © Mónica Fernández Monreal, Bordeaux Imaging Centre

Les macrophages, cellules clés du système immunitaire, jouent un rôle central dans le nettoyage de l’organisme en ingérant et détruisant les agents pathogènes (bactéries, virus…) et les cellules endommagées. Des scientifiques de l’Inserm, du CNRS et de l’université de Bordeaux, en collaboration avec des équipes internationales, révèlent que cette fonction bien connue serait assortie d’une autre compétence surprenante : pour supporter leur activité et leur métabolisme, les macrophages seraient capables de se fournir en nutriments directement via la dégradation des bactéries ingérées. Ces travaux, à paraître dans Nature, montrent, en outre, que les macrophages extrairaient plus efficacement les nutriments des bactéries mortes que des bactéries vivantes. Des résultats qui éclairent de manière inédite le sort des pathogènes ingérés par les macrophages et ouvrent de nouvelles perspectives pour le développement de vaccins et d’antibiotiques innovants.

Les nutriments sont des molécules essentielles à l’organisme pour produire de l’énergie, maintenir son métabolisme, et assurer son développement et sa croissance. Ils participent notamment à l’activation, au fonctionnement et à la différenciation des cellules immunitaires. Parmi celles-ci, les macrophages sont des cellules de l’immunité innée qui contribuent à l’entretien et au bon fonctionnement des tissus de l’organisme. Pour ce faire, ces acteurs de l’immunité présentent la propriété d’ingérer diverses particules, débris et pathogènes de grande taille, allant de la cellule lésée ou vieillie aux bactéries et virus, et de les dégrader en les digérant ; ce phénomène est appelé « phagocytose ».

Si, chez les mammifères, la plupart des cellules consomment les nutriments provenant de l’alimentation, certaines présentent des compétences additionnelles leur permettant d’aller chercher des nutriments par des procédés alternatifs. De précédentes études ont par exemple montré que certains phagocytes[1] étaient capables d’extraire des nutriments à partir des cellules mortes qu’ils digéraient. Cependant, jusqu’à présent, les scientifiques ne savaient pas si cette particularité s’appliquait uniquement à la phagocytose des cellules propres à l’organisme, ou si elle pouvait également fonctionner pour extraire les nutriments des organismes pathogènes (bactéries, virus…) phagocytés.

Un groupe de recherche international codirigé par Johan Garaude, chercheur Inserm au sein de l’unité Immunologie conceptuelle, expérimentale et translationnelle – ImmunoConcEpT (Inserm/CNRS/Université de Bordeaux), s’est ainsi intéressé à la phagocytose des bactéries par les macrophages et à son rôle potentiel dans le métabolisme de ces derniers.

Dans cette optique, les scientifiques ont comparé le métabolisme de macrophages dans différents milieux : en présence de bactéries vivantes, de bactéries mortes, ou encore uniquement en présence d’un composant de la membrane de ces bactéries, bien connue pour activer les macrophages.

Leurs résultats montrent que les macrophages ayant phagocyté les bactéries entières, qu’elles soient mortes ou vivantes, présentaient une activité métabolique liée à l’utilisation des nutriments très différente de ceux ayant été activé uniquement par le composant de la membrane bactérienne.

« Ceci suggère que la fonction des macrophages pourrait aller bien au-delà de la détection et de la simple destruction des bactéries, analyse Johan Garaude : ils semblent en effet capables de les exploiter comme source de nutriments pour soutenir leur propre métabolisme et ainsi assurer la spécificité de leur fonction d’alarme du système immunitaire. »

L’équipe de recherche montre en outre que l’efficacité de ce recyclage métabolique dépend de la viabilité des bactéries : les bactéries mortes s’avèrent être des ressources plus efficaces que les bactéries vivantes ; les macrophages ayant internalisé des bactéries mortes présentaient une meilleure activité de transport et d’utilisation des nutriments issus de leur dégradation. Ainsi, ceux ayant phagocyté des bactéries mortes possédaient de bien meilleures chances de survie dans un milieu appauvri en nutriments, contrairement à ceux qui avaient phagocyté des bactéries vivantes.

« Cette différence pourrait constituer un avantage pour la survie des macrophages dans les tissus infectés, lorsque les nutriments sont rares car déjà consommés par des bactéries se reproduisant rapidement », explique Johan Garaude.

L’étude met en évidence que cette mobilisation différenciée des nutriments est orchestrée par un mécanisme interne aux macrophages[2]. Celui-ci aurait pour fonction de restreindre le prélèvement de nutriments par le macrophage lors de la phagocytose d’une bactérie vivante. Il pourrait également limiter l’accumulation excessive de nutriments au sein du macrophage, lorsque celui-ci doit digérer en simultané un grand nombre de bactéries.

« Cela pourrait être un mécanisme protecteur pour éviter aux macrophages d’utiliser des molécules potentiellement dangereuses, qui seraient dérivées d’agents infectieux, ou encore pour réguler l’intensité de la réaction inflammatoire à l’infection, en limitant l’accès à des nutriments qui pourraient la « booster » », complète Juliette Lesbats, docteure de l’université de Bordeaux et première autrice de ces travaux.

« Nos résultats mettent en évidence la capacité des phagocytes à ajuster leur métabolisme cellulaire au « potentiel nutritif » représenté par les bactéries phagocytées, précise la chercheuse. Ils montrent comment, associée à une capacité de détection de la viabilité microbienne, cette compétence permet de réguler l’adaptation métabolique des cellules immunitaires. »

Bien que l’importance de ce mécanisme lors d’infections bactériennes reste encore à explorer, cette étude ouvre de nouvelles perspectives prometteuses pour lutter contre les résistances aux antibiotiques ou pour imaginer de nouvelles approches vaccinales.

[1] Cellules capables de phagocytose.

[2] Il s’agit de la voie de signalisation intracellulaire mTORC1.

Maladies cardiovasculaires : un médicament à l’essai pour prévenir de la sténose aortique

Photo d'imagerie par fluorescence. Visualisation des collagènes constitutifs d'une fibrose cardiaque dans le coeur d'une souris modèle pour l'hypertrophie cardiaque causée provoquée par une sténose aortique.

Visualisation des collagènes constitutifs d’une fibrose cardiaque dans le coeur d’une souris modèle pour l’hypertrophie cardiaque causée provoquée par une sténose aortique. Le collagène I est marqué en vert, le collagène III en rouge. © C Heron et D Godefroy/ Inserm.licence CC-BY-NC 4.0 international.

Elle est l’une des pathologies cardiaques les plus fréquentes chez le sujet âgé. En effet, la sténose aortique concerne près de 5 % des adultes de plus de 65 ans. Cette maladie grave, due à une calcification progressive de la valve aortique, demeure à ce jour sans traitement médicamenteux efficace. Une équipe de recherche du CHU de Lille, de l’Inserm, de l’Université de Lille et de Institut Pasteur de Lille, a priorisé ses recherches sur l’identification de médicaments capables de stopper ou de ralentir ce processus de calcification. Les résultats de ces travaux ont été publiés ce 24 février dans la revue Circulation.

« Cette découverte pourrait non seulement améliorer rapidement la prise en charge des patients souffrant de sténose aortique, mais également prolonger la durée de vie des prothèses valvulaires artificielles. » Prs Sophie SUSEN et Eric VAN BELLE, médecins-chercheurs au CHU de Lille.

Le rétrécissement aortique calcifié, appelé également sténose aortique dégénérative, est la maladie des valves cardiaques la plus fréquente dans le monde occidental. Sa fréquence augmente avec l’âge, car les tissus se rigidifient et se calcifient avec le temps. Elle se manifeste par un essoufflement à l’effort, parfois même au repos ; un gonflement des chevilles ou des jambes ; des douleurs thoraciques et parfois même des évanouissements à l’effort. En cas de sténose aortique sévère, le cœur doit travailler beaucoup plus à chaque battement pour pomper la même quantité de sang. Au lieu d’éjecter le sang à travers un orifice de la taille d’une pièce de deux euros, il doit le faire à travers un orifice de la taille d’une pièce de 50 centimes. En l’absence de traitement, le cœur devient plus gros et s’affaiblit progressivement. Cette maladie évolue classiquement vers une défaillance irréversible du cœur avec un risque d’œdème du poumon et de décès précoce. Une fois les symptômes présents, le taux de mortalité sans intervention TAVI (implantation de valve aortique par voie percutanée) ou chirurgicale est de plus de 30% à un an et 50% à deux ans.

Prévenir de la calcification : un défi majeur en cardiologie

La sténose aortique est un problème mécanique. L’orifice par lequel le sang est éjecté étant trop petit, le seul moyen actuel de l’agrandir est de remplacer la valve aortique. C’est dans cette optique que l’avènement des techniques de remplacement percutané a fortement progressé avec l’utilisation des bioprothèses. Toutefois, celles-ci ont tendance à calcifier également 10 à 15 ans après leur implantation, rendant nécessaire une nouvelle intervention, souvent risquée.

L’identification de cibles thérapeutiques permettant de ralentir ou de prévenir ces mécanismes de calcification reste un défi majeur en cardiologie. La communauté scientifique et les sociétés savantes considèrent la découverte de molécules capables de stopper ou ralentir ce processus comme une priorité. En ce sens, l’équipe des Pr Sophie SUSEN et Eric VAN BELLE (Inserm, Université de Lille, CHU de Lille, Institut Pasteur de Lille) a adopté une approche allant du modèle cellulaire au pré-clinique, combinant de multiples analyses permettant l’identification de cibles pharmacologiques innovantes, tout en favorisant le repositionnement de molécules déjà commercialisées.

Un dérivé de la vitamine A comme médicament contre la calcification de la valve

En collaboration avec l’Hôpital Européen Georges Pompidou et l’European Homograft Bank de Bruxelles, l’équipe lilloise s’est appuyée sur des cohortes de patients suivis au CHU de Lille. Grâce à une approche d’étude de l’expression des gènes de valves calcifiées et non calcifiées, les chercheurs ont mis en évidence la forte réduction de l’expression de l’enzyme ALDH1A1 permettant la synthèse d’un dérivé de la vitamine A dans les valves atteintes de sténose aortique. Cette réduction impactant certaines cellules valvulaires et favorisant le développement d’une nature plus calcifiante.

Grâce à cette mise en évidence, les chercheurs se sont intéressés à l’acide rétinoïque, le principal produit synthétisé par l’enzyme à partir de la vitamine A. Ils ont découvert que celui-ci était efficace in vitro et dans deux modèles animaux précliniques de dégénérescence tissulaire pour contrer la calcification. Ces travaux, publiés ce 24 février dans la revue Circulation, confirment que l’acide rétinoïque protège les cellules valvulaires de toute transformation calcifiante. Déjà commercialisé et utilisé comme traitement pour des indications en oncologie ou dermatologie, l’acide rétinoïque offre une opportunité de disponibilité rapide et sûre pour traiter la sténose aortique et prévenir la dégénérescence des bioprothèses. Ces résultats ouvrent la voie à des essais cliniques, capables d’améliorer la qualité de vie des patients et de prolonger la durée de vie des bioprothèses.

Quand la résistance aux antibiotiques renforce l’agressivité des bactéries

Image décorativeObservation au microscope électronique à transmission de vésicules émises par la bactérie Pseudomonas aeruginosa produisant CprA. Image obtenue par coloration négative. © Audrey Goman et Priscilla Branchu.Observation au microscope électronique à transmission de vésicules émises par la bactérie Pseudomonas aeruginosa produisant CprA. Image obtenue par coloration négative. © Audrey Goman et Priscilla Branchu.

Chaque année, la bactérie Pseudomonas aeruginosa est à l’origine de centaines de milliers de décès à travers le monde faisant d’elle l’une des cinq bactéries les plus mortelles. Sa résistance croissante aux antibiotiques la rend d’autant plus inquiétante. Pour la première fois, un mécanisme complexe d’antibiorésistance et de virulence a pu être décrit par une équipe de l’Ecole nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT), l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et de l’Université de Toulouse, réunie au sein de l’Institut de recherche en santé digestive (IRSD) de Toulouse. Cette découverte majeure offre de nouvelles perspectives pour développer des thérapies capables de réduire la menace que représentent ces bactéries infectieuses. L’étude a été publiée dans Journal of extracellular vesicles, le 22 janvier.

Pseudomonas aeruginosa représente une menace sanitaire majeure, notamment par son caractère opportuniste. Cette bactérie est particulièrement redoutable dans les unités de soins intensifs et chez les patients atteints de mucoviscidose, où elle peut déclencher des infections respiratoires sévères, qu’elles soient temporaires ou persistantes. Or, cette bactérie développe des stratégies lui permettant de survivre aux traitements antibiotiques, la rendant de plus en plus difficile à traiter. C’est précisément un de ces mécanismes d’antibiorésistance qui a été étudié par l’équipe du professeur Eric Oswald, de l’Université de Toulouse, praticien hospitalier au CHU de Toulouse.

Chez certaines bactéries, comme P. aeruginosa, une protéine particulière, CprA, contribue à la résistance à la colistine – un antibiotique utilisé généralement en dernier recours – ainsi qu’aux peptides antimicrobiens, naturellement produits par notre corps pour combattre les infections. Elle est codée par le gène cprA, présent chez toutes les souches de P. aeruginosa et son expression est induite quand la bactérie est traitée avec la colistine.

« Quand il s’exprime, le gène cprA entraîne un phénomène redoutable », explique Eric Oswald, « il conduit à la production de vésicules provenant de la membrane externe de la bactérie. »

Ces vésicules se présentent sous la forme de minuscules bulles projetées depuis la bactérie et qui agissent comme de véritables armes biologiques. Dans notre organisme, elles perturbent un processus essentiel de nettoyage des cellules endommagées et de destruction des agents infectieux : l’autophagie. En paralysant ce mécanisme, les vésicules permettent à la bactérie de mieux se protéger et de causer des infections plus graves. Elles entraînent aussi une réponse inflammatoire excessive, aggravant les dégâts causés par l’infection.

L’étude, fruit d’une collaboration de scientifiques français et japonais, révèle que la dangerosité de ces vésicules réside dans leur composition particulière. « L’expression du gène cprA va permettre à la bactérie de modifier les lipides de la membrane bactérienne, conférant aux vésicules qui en sont projetées des propriétés hautement toxiques », souligne le professeur de l’Université de Toulouse.

Des expériences menées en laboratoire ont démontré que CprA est essentielle à la virulence de P. aeruginosa.Une version de la bactérie modifiée pour ne pas produire CprA s’est révélée bien moins agressive que la version normale, démontrant l’importance de cette protéine dans la capacité de la bactérie à causer des infections graves.

Cette découverte prend également une dimension plus large, car des mécanismes similaires ont été observés par les chercheurs chez d’autres bactéries pathogènes.

« Certaines souches très pathogènes de Escherichia coli produisent une protéine, HlyF avec les mêmes propriétés que CprA » Des versions similaires de ces protéines ont également été trouvées lors de cette étude chez d’autres bactéries pathogènes comme Yersinia pestis (responsable de la peste) et Ralstonia solanacearum (responsable d’une maladie redoutable notamment pour la pomme de terre et la tomate).

Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives thérapeutiques prometteuses pour lutter contre des bactéries pathogènes pour l’homme, mais aussi les animaux et les plantes. En identifiant cette nouvelle famille de facteurs de virulence chez cette famille de bactéries, dites Gram-négatives, Eric Oswald et ses collègues ont mis en lumière de potentielles cibles pour le développement de nouveaux traitements. Ces découvertes pourraient permettre de contourner les mécanismes de résistance en ciblant spécifiquement ces protéines, offrant ainsi de nouvelles solutions pour combattre les infections résistantes aux antibiotiques.

Cellules allo-CAR-T : un pas de plus vers des thérapies cellulaires standardisées et accessibles

cellule cancéreuse réalisée en 3D. crédits : FotoliaCellule cancéreuse réalisée en 3D © Fotalia

Dans le cadre des projets de développement de thérapies cellulaires allogéniques (issues d’un donneur sain), des chercheurs de l’Institut Curie, de Gustave Roussy, du CNRS et de l’Inserm, ont identifié une combinaison de gènes à cibler pour réduire la destruction des cellules injectées par le système immunitaire des patients, obstacle majeur de ces nouveaux traitements. Publiés dans Nature Biomedical Engineering, ces premiers résultats ouvrent la voie à un développement académique de cellules CAR-T standardisées à l’efficacité renforcée.

Les thérapies par cellules CAR-T (Chimeric Antigen Receptor T cells) représentent une approche innovante et personnalisée en cancérologie, particulièrement efficace contre certains cancers du sang, tels que les leucémies et les lymphomes. Cette technique repose sur la modification génétique (CAR) de lymphocytes T, des cellules du système immunitaire, pour leur rendre leur capacité à éliminer les cellules cancéreuses. Les lymphocytes T modifiés peuvent être issus du patient lui-même, ou d’un donneur sain – on parle alors de cellules CAR-T allogéniques. Ces dernières présentent plusieurs avantages, notamment en termes d’accessibilité, de coût, de standardisation, de même que leur qualité est homogène.

Cependant, comme pour toute injection d’un corps étranger, dans le cas des greffes par exemple, il existe un risque de rejet. Contourner cet obstacle médical et scientifique majeur est tout l’objet de cette étude. Grâce à la technique d’édition CRISPR à l’échelle du génome développée par le Dr Laurie Menger (chercheuse Inserm, cheffe d’une équipe de recherche Inserm/Gustave Roussy centrée sur les cellules CAR-T), les chercheurs ont testé 18 400 gènes en même temps et ainsi identifié les cibles majeures permettant la résistance au rejet dans un hôte non compatible (allogénique). Parmi ces cibles, le gène FAS, codant pour un récepteur membranaire impliqué dans la mort cellulaire.

« Notre utilisation systématique des « ciseaux moléculaires » CRISPR-Cas9 et l’interrogation in vivo des gènes candidats, nous ont permis de mieux comprendre la biologie impliquée dans le rejet cellulaire allogénique et d’accélérer la découverte des cibles améliorant la persistance et l’efficacité des thérapies cellulaires », explique le Dr Laurie Menger.

Le Dr Silvia Menegatti, chercheuse postdoctorale à l’Institut Curie dans l’équipe du Dr Sebastian Amigorena, directeur de recherche CNRS et chef d’équipe dans l’unité Immunité et cancer (Institut Curie, Inserm, Université-PSL U932) a ensuite apporté la preuve de concept et de faisabilité de l’approche en établissant des modèles de validation complexes impliquant des cellules  CAR-T.

« Notre objectif dans cette étude était d’identifier des gènes des cellules injectées qui pourraient agir en réduisant cette réponse du système immunitaire de l’hôte, tout en limitant la croissance tumorale. Il serait ainsi possible de produire des lymphocytes T modifiés pour traiter des patients avec des systèmes immunitaires différents. On appelle ces lymphocytes des cellules allo-CAR-T  » explique le Dr Silvia Menegatti.« Nous avons observé l’intérêt de la désactivation de deux gènes : B2M, démontré dans de précédentes études, et un nouveau gène, FAS », poursuit-elle. « En effet, quand l’expression du gène FAS est bloquée dans les cellules CAR-T, leur survie dans l’hôte est plus longue, indiquant que le système immunitaire de celui-ci met plus de temps pour les détruire. C’est dans un groupe de cellules allo-CAR-T, où nous avons bloqué l’expression de FAS et d’un autre gène appelé CD3, que nous avons observé la meilleure efficacité de contrôle de la croissance des cellules tumorales leucémiques dans notre modèle » continue Silvia Menegatti.

« J’ai ensuite établi une collaboration avec l’université du Minnesota et l’équipe du Dr Moriarty, pour valider nos cibles en développant une technologie d’édition du génome précise, hautement efficace et fiable pour l’injection chez les patients, le base-editing », poursuit le Dr Laurie Menger.

Ces résultats suggèrent que la modification génétique de FAS dans les cellules allo-CAR-T améliorerait leur efficacité et réduirait leur destruction dans l’hôte, ouvrant ainsi la voie de potentielles applications cliniques très prometteuses.

« Les approches et technologies que nous avons développées dans cette étude pourront conduire à un transfert réel des résultats de recherche vers la clinique, de manière à proposer des thérapies innovantes, rapides et accessibles aux patients dans les années à venir » conclut le Dr Sebastian Amigorena.

Le microbiote, un allié de choix pour prédire la sensibilité de chacun aux additifs alimentaires

Coupe de tissu intestinal avec un marquage des cellules immunitaires. © Héloïse RytterCoupe de tissu intestinal avec un marquage des cellules immunitaires. © Héloïse Rytter

Largement utilisés par l’industrie agroalimentaire, les agents émulsifiants, un type d’additifs alimentaires, sont retrouvés dans de nombreux aliments de notre quotidien (pain de mie, glaces, crème fraîche, laits végétaux…). Les effets de leur consommation sur la santé sont devenus un véritable sujet de santé publique, tant leur présence dans l’alimentation actuelle est importante. Benoit Chassaing, directeur de recherche Inserm et responsable de l’équipe Interactions Microbiote-Hôte à l’Institut Pasteur (Inserm/Université Paris Cité/CNRS), a précédemment montré que ces additifs pourraient favoriser le développement de maladies inflammatoires chroniques et de dérégulations métaboliques en agissant directement sur notre microbiote intestinal. Dans une nouvelle étude, publiée dans le journal Gut, son équipe et lui ont développé un modèle de microbiote humain capable de prédire la sensibilité de chacun à un agent émulsifiant, et ceci grâce à un simple échantillon de selles. Cette découverte ouvre ainsi la voie à une approche de nutrition personnalisée fondée sur le microbiote intestinal afin de maintenir une bonne santé intestinale et métabolique.

L’industrie agroalimentaire a de plus en plus recours à de nombreux additifs afin d’améliorer la texture et d’allonger la durée de conservation de ses produits. Plusieurs études ont fait état de leurs effets néfastes sur la santé intestinale et métabolique, en lien avec leurs interactions avec notre microbiote. En 2015, Benoit Chassaing, directeur de recherche à l’Inserm, s’était notamment intéressé aux effets sur le microbiote et la santé intestinale de la consommation d’un émulsifiant, le carboxyméthylcellulose (CMC), communément retrouvé dans les brioches industrielles, le pain de mie ou encore les glaces[1]. Les résultats de ses recherches suggéraient alors qu’une consommation à long terme de cet additif pouvait impacter négativement le microbiote et, par conséquent, favoriser les maladies inflammatoires chroniques ainsi que des dérégulations métaboliques.

Par la suite, lors d’un essai clinique mené sur des volontaires sains, le chercheur et son équipe ont pu montrer que nous ne sommes pas tous égaux face aux agents émulsifiants : certaines personnes, dites sensibles, possèderaient un microbiote très réactif à ces composés, tandis que d’autres semblent posséder un microbiote complètement résistant aux impacts négatifs de ces additifs. Cette classe d’additifs alimentaires étant omniprésente dans notre alimentation moderne, il est alors apparu nécessaire de mieux comprendre ces variations de sensibilité entre individus, afin de promouvoir une meilleure santé intestinale et métabolique.

Dans cette optique, l’équipe dirigée par Benoit Chassaing est ainsi parvenue à prédire la sensibilité d’une personne donnée à un agent émulsifiant, via une analyse approfondie de son microbiote.

Pour cela, les chercheurs ont développé un modèle de microbiote en laboratoire capable de reproduire le microbiote humain. Ce modèle a permis aux chercheurs de tester in vitro l’effet du CMC sur différents microbiotes. Ils ont ici aussi observé qu’un microbiote donné peut être soit sensible soit résistant à cet agent émulsifiant. De plus, la sensibilité prédite d’un microbiote donné a pu être parfaitement validée grâce à des approches de transfert de microbiote dans un modèle souris, avec l’observation que seuls les microbiotes prédits sensibles aux agents émulsifiants étaient en effet capables de conduire à une colite sévère chez les animaux consommant du CMC.

Les chercheurs ont par la suite identifié, à partir d’échantillons de selles, une signature spécifique (analyse de l’ADN bactérien contenu dans notre microbiote intestinal) de  la sensibilité au CMC, permettant ainsi de prédire parfaitement, grâce à de simples analyses moléculaires, si un microbiote donné est sensible ou résistant à cet agent émulsifiant.

« Ces découvertes pourraient être utilisées dans un futur proche afin de déterminer la sensibilité ou la résistance d’une personne à des agents émulsifiants, et ceci afin de proposer à chacun un programme nutritionnel adapté, explique Benoit Chassaing, directeur d’une équipe de recherche Inserm à l’Institut Pasteur et dernier auteur de l’étude.

« Détecter cette sensibilité chez les personnes saines pourrait, de plus, permettre d’éviter la survenue de certains troubles intestinaux – et chez les patients malades, d’empêcher la progression de la maladie ou d’en atténuer les symptômes. »

Les scientifiques vont maintenant exploiter une cohorte bien plus large de patients atteints de la maladie de Crohn afin de valider ces approches prédictives de sensibilité d’un patient donné à ces additifs. Ils tentent aussi désormais d’expliquer les raisons moléculaires de cette sensibilité du microbiote intestinal aux agents émulsifiants, et essayent d’identifier des approches visant à modifier la sensibilité individuelle à ces additifs alimentaires.

[1]Le CMC est aussi désigné E466 sur les produits transformés.

Vers une meilleure compréhension des cancers hématologiques associés à la grossesse

femme enceinte© Photo de freestocks sur Unsplash

Les équipes des départements d’hématologie clinique et biologique, de gynécologie obstétrique, de pharmacovigilance, de réanimation médicale, d’infectiologie, ainsi que de l’unité de recherche clinique de l’hôpital Cochin-Port Royal AP-HP, de l’université Paris Cité, de l’Inserm, et du réseau HEMAPREG, coordonnées par Monsieur Pierre Pinson et les Docteurs Ismael Boussaid et Rudy Birsen, ont mené une étude sur les cancers hématologiques associés à la grossesse. Les résultats de cette étude d’HEMAPREG ont fait l’objet d’une publication parue le 7 octobre 2024 dans la revue The Lancet Haematology

La survenue d’un cancer hématologique (hémopathie maligne) en cours de grossesse représente une situation qui pose des défis diagnostiques et thérapeutiques. Il s’agit en effet de concilier deux impératifs : le traitement optimal de la maladie maternelle et considérer les risques auxquels peut être exposé le fœtus. Etant donné la rareté de ces évènements, les données disponibles qui permettent de prendre les décisions médicales et d’informer les femmes et leurs familles sont actuellement limitées.

L’étude d’HEMAPREG est fondée sur une cohorte nationale issue du Système National des Données de Santé (SNDS). Elle a plusieurs objectifs clés, dont l’évaluation de l’incidence des hémopathies malignes survenant pendant la grossesse en France, l’analyse des complications maternelles et obstétricales mais aussi l’obtention des données épidémiologiques robustes qui pourraient orienter les pratiques médicales et guider la prise en charge et l’information de ces femmes dans ce contexte clinique complexe.

L’étude a inclus toutes les femmes en France dont les grossesses ont pris fin entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2022. Ont été exclues les grossesses se terminant par une fausse couche ou une interruption volontaire de grossesse dont la prise en charge n’était pas hospitalière, ainsi que les femmes ayant des antécédents d’hémopathies malignes avant la grossesse.

Entre 2012 et 2022, en France, sur un total de 9 996 523 grossesses, 1 366 cas de cancers hématologiques associés à la grossesse ont été identifiés, ce qui représente une fréquence de 13,66 pour 100 000 grossesses. Parmi ceux-ci, 413 cas ont été diagnostiqués pendant la grossesse, avec une fréquence de 4,13 pour 100 000 grossesses, et 953 cas dans l’année suivant la grossesse, soit 9,53 pour 100 000 grossesses​. L’étude montre également un taux plus élevé de naissances prématurées pour ces femmes (45,2 %) par rapport aux femmes sans hémopathie (6,6 %).

Cette étude montre par ailleurs que les femmes atteintes d’hémopathies malignes pendant la grossesse avaient la même probabilité de survie à long terme que les femmes atteintes d’hémopathies malignes et non enceintes. Ainsi, le fait d’être enceinte au moment du diagnostic n’impacte pas négativement la survie à long terme de ces patientes.

Ces résultats mettent en évidence l’importance d’une prise en charge multidisciplinaire dans des centres spécialisés, afin de garantir une gestion optimale de ces situations à haut risque. Cette étude constitue également une ressource pour les professionnels de santé confrontés à ces cas, en fournissant des informations essentielles pour mieux informer les femmes et les impliquer dans les décisions thérapeutiques et la planification des soins, favorisant ainsi une prise en charge éclairée et partagée.

Le réseau HEMAPREG est composé de chercheurs et de soignants impliqués dans la prise en charge des femmes atteintes d’hémopathies malignes survenant pendant la grossesse ou dans l’année qui suit. Il a pour objectif de réaliser et de promouvoir la recherche fondamentale, translationnelle et clinique sur ces maladies, d’améliorer la prise en charge et le traitement de ces patientes.

Prédominance de la transmission zoonotique du virus mpox en République démocratique du Congo

mpoxMicrographie électronique à transmission colorisée de particules du virus mpox (orange) trouvées dans une cellule infectée (marron), cultivée en laboratoire. Image prise au NIAID Integrated Research Facility (IRF), Fort Detrick, Maryland. © NIAID

L’Afrique centrale, et la République démocratique du Congo (RDC) en particulier, paie un lourd tribut face aux flambées épidémiques successives de mpox. Jusqu’à présent, la diversité génétique du virus n’avait pas été bien documentée dans cette région du monde. Pour la première fois, dans le cadre du projet AFROSCREEN[1] et du projet PANAFPOX[2], des équipes de l’Institut National de Recherche Biomédicale (INRB) en RDC, de l’IRD et de l’Inserm ont fourni de nouvelles informations importantes concernant la diversité génétique de mpox circulant en RDC et sur le type de transmission prédominant. Le résultat de ces travaux vient de paraître sur le site internet de Cell le 24 octobre 2024.

La maladie mpox est une zoonose transmise à l’humain très probablement par les rongeurs. Le premier cas a été reporté en 1970 en République démocratique du Congo (RDC). Cette maladie, qui était endémique et concernait des zones principalement rurales et forestières en Afrique de l’Ouest et du centre depuis plusieurs décennies, a touché plusieurs pays du monde en 2022, y compris des pays européens. Pour la première fois, cette maladie s’est propagée rapidement entre individus, par contact sexuel, un mode de transmission peu observé jusqu’alors. De par son ampleur, la flambée épidémique a donné lieu à une déclaration d’une urgence de santé publique de portée internationale.

Le virus mpox responsable de la maladie se distingue en deux principaux clades*. Le clade I, la souche « historique » du virus, que l’on retrouve dans le Bassin du Congo et en Afrique centrale, et le clade II, présent en Afrique de l’Ouest, avec le clade IIb, originaire du Nigeria qui est à l’origine de la pandémie de 2022.

Le pays le plus touché au monde est la RDC, avec un nombre de cas qui a doublé ces dernières années, passant d’environ 3 000 cas en 2021 à 5 600 en 2022, de plus de 14 000 en 2023 à plus de 20 000 au 1er septembre 2024. Cette hausse s’accompagne d’une expansion préoccupante de la zone de propagation du virus en Afrique centrale, d’abord dans la partie est de la RDC et dans les zones urbaines comme la capitale Kinshasa, puis dans des pays frontaliers indemnes jusqu’à présent (Rwanda, Burundi, Kenya et Ouganda). La gravité de la situation épidémiologique a conduit pour la deuxième fois l’Organisation mondiale de la santé à déclarer, le 14 août 2024, l’épidémie de mpox comme une urgence de santé publique de portée internationale. Ces nouvelles infections ont été attribuées au clade Ib, un nouveau variant du clade I présentant des mutations de type APOBEC3** qui témoignent d’une adaptation du virus aux hôtes humains.

Le but de l’étude menée en RDC, entre février 2018 et mars 2024, était de voir si l’augmentation du nombre de cas dans le pays résultait d’un emballement de la transmission zoonotique ou bien d’une évolution du virus qui favoriserait la transmission interhumaine. Le génome de 337 virus provenant de 14 des 26 régions du pays a été séquencé. Toutes les nouvelles séquences du virus provenant de la province orientale du Sud-Kivu correspondaient au clade Ib récemment décrit. Ce variant est associé à une transmission par contact sexuel et à une transmission interhumaine soutenue. La diversité génétique limitée est compatible avec son émergence récente en 2023. Tous les autres génomes, originaires des autres provinces, soit 95 % des cas, appartenaient au clade Ia qui se caractérise par une grande diversité génétique et un faible nombre de mutations APOBEC3 par rapport au clade Ib. Le résultat de l’étude suggère donc une prédominance de la transmission zoonotique du virus dans la population humaine. La co-circulation de lignées virales génétiquement diverses dans de petites zones géographiques sous-entend même des multiples introductions zoonotiques sur une courte période à partir d’une ou de plusieurs espèces réservoirs.

Pour la première fois, un grand nombre de séquences de virus mpox de clade I a été analysé. Cette étude a fourni de nouvelles informations importantes concernant la diversité génétique des virus mpox circulant en RDC et montre qu’on y trouve deux modes de transmission : la transmission zoonotique qui prédomine (clade Ia) et la transmission inter-humaine qui émerge (clade Ib) au Sud-Kivu et se propage rapidement vers d’autres régions de la RDC et dans les pays voisins. La présence de plusieurs variants du clade I dans les zones urbaines, en particulier Kinshasa, souligne également la nécessité de continuer à surveiller l’évolution de la diversité des souches virales en RDC et les modes de transmission du virus mpox. Il est aussi urgent de mieux documenter les animaux réservoirs impliqués dans les transmissions zoonotiques.

* groupe d’organismes, vivants ou ayant vécu, comprenant un organisme particulier et la totalité de ses descendants.

** les APOBEC3 (Apolipoprotein B Editing Complex) sont des protéines qui aident à protéger contre les infections virales.

[1] Projet coordonné par l’ANRS MIE en partenariat avec l’IRD et l’Institut Pasteur, et financé par l’Agence française de développement (AFD)

[2] Projet multidisciplinaire avec une approche « Une seule santé » (One Health), financé par l’ANRS MIE

Une avancée dans l’évaluation des biomarqueurs en transplantation rénale

Coupe de rein humain grossie 400 fois par un microscope à immunofluorescence polychromatique.Coupe de rein humain grossie 400 fois par un microscope à immunofluorescence polychromatique. © Inserm/Oriol, Rafael

Les équipes de recherche de l’Institut de Transplantation et Régénération d’Organes de l’université Paris Cité (PITOR), des services de néphrologie-transplantations des hôpitaux Saint-Louis et Necker-Enfants Malades AP-HP, et de l’Inserm, coordonnées par le Professeur Alexandre Loupy, ont étudié l’utilisation de biomarqueurs non invasifs dans le suivi du rejet en transplantation rénale. Les résultats de cette étude ont fait l’objet d’une publication parue le 26 août 2024 dans la revue Kidney International.

Malgré des progrès thérapeutiques considérables, le rejet demeure une cause majeure de perte des greffons rénaux, soulignant l’urgence d’améliorer les méthodes de surveillance et de détection précoce. Depuis deux décennies, de nombreux biomarqueurs innovants ont démontré des performances prometteuses pour révolutionner le suivi post-transplantation et réduire le nombre de biopsies inutiles. Cependant, ces biomarqueurs nécessitaient une évaluation rigoureuse dans le cadre d’études internationales spécifiquement conçues pour déterminer leur utilité clinique. Il s’agit précisément de l’objectif de l’étude EU-TRAIN (EUropean TRAnsplantation and Innovation).

Cette étude a été financée à hauteur de 6,6 millions d’euros sur six ans par la Commission européenne dans le cadre du programme Horizon 2020, promue par l’AP-HP et soutenue par l’Inserm et l’université Paris Cité. Elle est composée de 14 partenaires dans cinq pays (France, Espagne, Suisse, Allemagne et Royaume-Uni) dont neuf centres européens de référence en transplantation (hôpitaux Saint-Louis, Necker et Kremlin-Bicêtre AP-HP, CHU de Nantes, Barcelone-Vall d’Hebròn, Barcelone-Bellvitge, Berlin-Charité Mitte, Berlin-Charité Virchow, et Genève,) et la Société Européenne de Transplantation (ESOT).

L’étude EU-TRAIN se distingue par son approche méthodologique innovante, conçue pour répondre aux défis spécifiques de l’évaluation des biomarqueurs en vie réelle.

« Pour la première fois, nous avons mené une étude à grande échelle, prospective et multicentrique, spécifiquement conçue pour évaluer l’utilité clinique de multiples biomarqueurs non invasifs en les confrontant aux paramètres utilisés dans le soin courant et sans sélection des patients pour favoriser les biomarqueurs. De plus, aucune des multiples plateformes analytiques de l’étude ne connaissaient le statut des patients au moment des mesures des biomarqueurs sanguins. » Pr Carmen Lefaucheur (PU-PH UPCité – AP-HP), cheffe du service de néphrologie de l’hôpital Saint-Louis (AP-HP) et le Pr Alexandre Loupy (PU-PH UPCité – AP-HP), néphrologue à l’hôpital Necker-Enfants Malades AP-HP et directeur de l’Institut PITOR, co-derniers auteurs de l’article.

23 biomarqueurs sanguins ont été étudiés simultanément (19 ARN messagers sanguins et 4 anticorps ciblant des antigènes endothéliaux non-HLA) pour détecter le rejet dans une cohorte non sélectionnée de 412 patients ayant eu une transplantation rénale entre novembre 2018 et juin 2020. Au total, 812 biopsies de greffons rénaux avec mesure concomitante des biomarqueurs sanguins ont été réalisées chez ces patients.

Parmi eux, aucun ne présentait de valeur additionnelle par rapport aux paramètres du soin courant (fonction rénale, protéinurie et autres paramètres clinico-biologiques) pour détecter le rejet.

« Ces résultats soulignent l’importance d’une évaluation rigoureuse des biomarqueurs avant leur adoption clinique. Notre étude démontre que des biomarqueurs non invasifs prometteurs peuvent ne pas apporter de valeur ajoutée significative par rapport aux méthodes de suivi standard des patients. » Dr Valentin Goutaudier, néphrologue et chercheur à l’Institut PITOR, premier auteur de l’étude.

Ces résultats indiquent que ces biomarqueurs ne peuvent pas être généralisés à toutes les situations ni à tout moment après la transplantation et soulignent la nécessité de les évaluer dans des contextes d’utilisation spécifiques.

L’étude EU-TRAIN établit un nouveau paradigme pour la recherche en transplantation et sa méthodologie ouvre la voie à une nouvelle ère dans l’évaluation des biomarqueurs. Son design pourrait être appliqué à d’autres domaines de la médecine de transplantation, voire à d’autres spécialités médicales, ouvrant ainsi la voie au développement de nouveaux outils diagnostiques et pronostiques.

 » Notre approche offre un cadre robuste pour identifier les bons biomarqueurs de rejet. Une meilleure évaluation des biomarqueurs candidats permettra d’améliorer la sécurité des patients et de limiter les coûts de la recherche pour des candidats avec peu ou pas d’utilité clinique. «  Pr Carmen Lefaucheur.

Les résultats de l’étude EU-TRAIN ont des implications directes et significatives pour la pratique clinique en transplantation rénale. Ils fournissent des informations précieuses pour guider les décisions cliniques et orienter les futures recherches. Cette étude représente ainsi une étape importante vers une médecine de précision, en établissant des standards rigoureux pour l’évaluation et l’adoption de nouveaux biomarqueurs. Elle souligne également l’importance de la collaboration internationale et du financement de la recherche par des institutions comme la Commission européenne pour faire progresser la médecine de transplantation.

« Nos résultats confirment l’importance de certains biomarqueurs déjà utilisés, tout en nous incitant à la prudence dans l’adoption de nouveaux biomarqueurs sans preuves solides de leur utilité clinique, » conclut la Pr Carmen Lefaucheur.

Ebola : une étude en Guinée révèle la persistance d’une immunité cinq ans après la vaccination

Dans ce travail, les scientifiques ont analysé l’immunité cellulaire chez 230 participants en Guinée. © Aurélie Wiedemann

Des épidémies de maladies à virus Ebola surviennent périodiquement dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne. Deux vaccins ont déjà reçu une préqualification[1] de l’OMS contre l’espèce Ebolavirus Zaïre. Néanmoins, les informations concernant la réponse immunitaire à long terme à ces vaccins demeurent encore parcellaires. Il est nécessaire de consolider les connaissances sur le sujet pour continuer à développer les stratégies de vaccination les plus sûres et efficaces possible, chez les adultes comme chez les enfants. Dans une nouvelle étude menée en Guinée, des scientifiques du Vaccine Research Institute (VRI), de l’Inserm et de l’université Paris-Est Créteil (unité 955 Institut Mondor de recherche biomédicale)[2] ont franchi une étape supplémentaire dans cette direction. Ils ont en effet montré que la réponse immunitaire cellulaire induite par trois stratégies vaccinales différentes se maintient jusqu’à cinq ans après la vaccination. Ces résultats, qui viennent conforter les stratégies vaccinales actuelles contre Ebola, sont publiés dans Nature Communications.

Le virus Ebola est responsable de fortes fièvres et d’hémorragies souvent mortelles. De nombreux pays d’Afrique subsaharienne font régulièrement face à des flambées épidémiques. En Afrique de l’Ouest, en 2014, le virus Ebola a ainsi provoqué la plus grande épidémie connue jusqu’à présent. Il a depuis réémergé plusieurs fois en République démocratique du Congo (RDC), mais aussi en Guinée. La vaccination constitue aujourd’hui l’un des outils les plus efficaces pour lutter contre la maladie, et l’un des enjeux majeurs pour la recherche est de continuer à améliorer les connaissances sur la réponse immunitaire induite à long terme par les vaccins actuellement disponibles.

Depuis 2019, deux vaccins ont obtenu une préqualification de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) contre la souche Ebolavirus Zaïre : le vaccin rVSVΔG-ZEBOV-GP (Ervebo®), développé par Merck, et la stratégie vaccinale comprenant les vaccins Ad26.ZEBOV (Zabdeno®) et MVA-BN-Filo (Mvabea®) de Janssen.

En 2022, le consortium international PREVAC (voir encadré final), comprenant des équipes de l’Inserm, du NIH (National Institute of Health) et de la London School of Hygiene and Tropical Medicine (LSHTM) a publié une étude dans le New England Journal of Medicine s’intéressant à la sûreté et l’efficacité de trois schémas vaccinaux :

  • le premier schéma vaccinal testé consistait à injecter une dose du vaccin Ad26.ZEBOV suivie 56 jours plus tard d’une dose de MVA-BN-Filo ;
  • le deuxième schéma consistait à injecter une dose de rVSVΔG-ZEBOV-GP ;
  • enfin, le troisième schéma commençait par une dose de rVSVΔG-ZEBOV-GP suivie, 56 jours après, d’un rappel avec ce même vaccin.

Les résultats publiés ont montré une forte réponse anticorps sérique suite à la vaccination 12 mois après l’entrée dans l’étude. Cependant, il était essentiel d’obtenir des informations sur le maintien de la réponse à long terme et notamment sur la réponse cellulaire (voir encadré ci-dessous).

Réponse humorale et réponse cellulaire

Les réponses immunitaires adaptatives se divisent en deux grandes catégories : la réponse humorale, fondée sur la production d’anticorps produits par les lymphocytes B qui reconnaissent et neutralisent le virus avant qu’il n’infecte les cellules, et la réponse cellulaire, où les lymphocytes T CD8+ identifient et détruisent les cellules déjà infectées pour limiter la propagation du virus et où   les lymphocytes T CD4+ jouent un rôle crucial en aidant les lymphocytes B à produire des anticorps, renforçant ainsi l’efficacité de la réponse immunitaire.

Dans cette étude, les scientifiques se sont intéressés spécifiquement à la réponse cellulaire, à court, moyen et long terme (5 ans) chez les participants suite à la vaccination, selon trois schémas vaccinaux différents.

En décembre 2023, le suivi à 5 ans des participants de l’essai clinique PREVAC s’est achevé, les résultats sont en cours d’analyse et permettront d’évaluer l’immunité à long terme induite par les vaccins. Les scientifiques ont analysé l’immunité cellulaire chez 230 participants en Guinée, juste après vaccination, à un an et cinq ans après vaccination.

« Il s’agit de la première étude issue du consortium PREVAC à s’intéresser spécifiquement à la réponse immunitaire cellulaire des participants. Elle vient compléter les connaissances déjà acquises sur la réponse humorale à un an et propose les premiers résultats de suivi à 5 ans », souligne Aurélie Wiedemann, immunologiste au VRI et à l’Institut Mondor de recherche biomédicale (Inserm/Université Paris-Est Créteil) et première autrice de l’étude.

À partir de prélèvements sanguins réalisés à Conakry, les scientifiques ont pu analyser la réponse des lymphocytes T CD4+ et CD8+ à la vaccination. Ils ont montré la présence de cellules T CD4+ anti-Ebola cinq ans après la vaccination, quel que soit le schéma vaccinal. La persistance de ces réponses est importante pour le maintien de la mémoire immunitaire humorale en cas d’exposition au virus Ebola. Les auteurs montrent d’ailleurs, chez un sous-groupe de volontaires, une corrélation entre la réponse cellulaire T CD4+ et la quantité d’anticorps spécifiques à long terme.

Si la réponse T CD4+ est importante pour le maintien d’une réponse anticorps, la présence de cellules T CD8+ cytotoxiques est également cruciale pour une protection antivirale efficace. Une réponse T CD8+ spécifique a été mise en évidence chez les individus vaccinés par deux des trois schémas vaccinaux.

« Ces résultats seront complétés prochainement par les données de la réponse humorale – sur la production d’anticorps – issues de l’ensemble des pays du consortium PREVAC, sur un plus grand nombre de participants. Toutefois, ces résultats sont prometteurs et suggèrent que la vaccination contre le virus Ebola peut induire une immunité durable. Ils ouvrent également la voie à un ajustement des stratégies de vaccination actuelles, en permettant d’évaluer, par exemple, la nécessité d’un rappel vaccinal à long terme », précise Yves Lévy, directeur du VRI et dernier auteur de l’étude.

En 2020, l’équipe avait également publié une étude dans Nature Communications sur l’immunité des personnes ayant survécu à une infection par le virus Ebola, deux ans après leur sortie de l’hôpital. Un des prochains axes de recherche pourrait consister à comparer la réponse immunitaire à long terme de ces survivants avec celle induite par la vaccination, afin d’identifier des corrélats de protection[3] possibles contre l’infection, ceux-ci étant pour l’instant indéterminés.

Ainsi, cette nouvelle étude pourrait contribuer à identifier les réponses vaccinales qui seraient efficaces contre l’infection, à améliorer les stratégies vaccinales actuelles, et à définir des stratégies vaccinales de rappel à long terme pour maintenir la protection des personnes particulièrement à risque comme les travailleurs de santé en Afrique.

À propos de PREVAC

PREVAC (Partnership for Research on Ebola Vaccinations ou Partenariat pour la recherche sur la vaccination contre Ebola ; NCT02876328) est un consortium international qui mène des recherches en Afrique de l’Ouest pour évaluer la sécurité et l’efficacité de la vaccination contre Ebola.

Le projet bénéficie d’un cofinancement de l’Inserm, du National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID), de la London School of Hygiene & Tropical Medicine (LSHTM) et du College of Medicine and Allied Health Sciences (Comahs), ainsi que d’un soutien de la Guinée, du Liberia, du Mali et de la Sierra Leone. Le soutien sur le terrain de l’ONG Alima a également été crucial pour favoriser l’adhésion de la population à la recherche et le suivi des volontaires. Les industriels Merck et Janssen ont fourni les vaccins utilisés dans le cadre de l’essai.

Le projet a aussi bénéficié d’un financement supplémentaire pour continuer le suivi des volontaires sur le long terme (projet PREVAC-UP coordonné par l’Inserm) via le programme EDCTP2 (European and Developing Countries Clinical Trials Partnership) soutenu par l’Union européenne.

[1]La préqualification signifie qu’un vaccin satisfait aux normes de qualité, d’innocuité et d’efficacité de l’OMS. Sur la base de cette recommandation, les organismes du système des Nations unies et l’alliance Gavi peuvent acheter le vaccin pour les pays à risque.

[2]Cette analyse a été effectuée en collaboration avec l’équipe SISTM du Bordeaux Population Health Research Center (unité 1219 Inserm/Université de Bordeaux).

[3]Ce sont des marqueurs immunologiques qui sont associés à la protection contre une infection : par exemple le taux d’anticorps post-vaccination contre l’hépatite B est un bon corrélat de la protection. Autrement dit, dans le contexte de la vaccination, ils désignent les paramètres que les scientifiques surveillent pour savoir si le vaccin fonctionne et protège efficacement contre l’infection.

L’hepcidine, hormone du fer dans la peau : nouvelle cible dans le traitement du psoriasis ?

Présence d’hepcidine (visualisée en marron) dans l’épiderme d’un patient souffrant de psoriasis pustuleuxPrésence d’hepcidine (visualisée en marron) dans l’épiderme d’un patient souffrant de psoriasis pustuleux. © Élise Abboud

 Le psoriasis est une maladie inflammatoire chronique caractérisée par une multiplication rapide et excessive des cellules de la peau. Si la recherche progresse et que certains traitements peuvent déjà améliorer le quotidien des patients, cette pathologie demeure toujours incurable. L’équipe menée par Carole Peyssonnaux, directrice de recherche Inserm à l’Institut Cochin (Inserm/CNRS/Université Paris Cité) a montré qu’une hormone qui régule le fer dans l’organisme, appelée hepcidine, est produite par la peau des patients et est essentielle pour déclencher le psoriasis. Cette découverte ouvre de nouvelles pistes de traitement. Des médicaments bloquant l’action de l’hepcidine pourraient en effet être une alternative thérapeutique dans le psoriasis. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature Communications.

Le psoriasis est une maladie inflammatoire chronique qui s’exprime principalement au niveau de la peau. C’est une maladie fréquente touchant 2 à 3 % de la population mondiale. Malgré de nombreuses options de traitement disponibles pour améliorer la prise en charge des patients, le psoriasis demeure aujourd’hui une pathologie chronique, qui ne peut être définitivement guérie.

Caractérisée par des plaques rouges recouvertes de squames, la maladie se manifeste par une prolifération excessive des cellules de l’épiderme ainsi que par un excès de cellules immunitaires au niveau de la peau, qui s’accompagne d’une réaction inflammatoire locale.

Au cours des dernières décennies, de nombreux progrès ont été faits dans la compréhension de la maladie, comme l’identification de certains facteurs génétiques. Plusieurs études, dont les résultats sont encore peu connus de la communauté scientifique, ont aussi montré qu’il y avait une accumulation de fer dans la peau des patients souffrant de psoriasis. On sait qu’au niveau de l’organisme, la régulation des niveaux de fer est contrôlée par une hormone : l’hepcidine. Celle-ci est principalement synthétisée par le foie, mais peut être produite par d’autres organes ou tissus en conditions pathologiques.

Depuis des années, l’équipe Fer et Immunité de l’Institut Cochin, dirigée par Carole Peyssonnaux, directrice de recherche à l’Inserm, s’intéresse de près à l’hepcidine. Malgré la présence avérée de fer dans l’épiderme des patients atteints de psoriasis, la production par la peau et le rôle potentiel de cette « hormone du fer » dans le psoriasis n’avaient jamais été investigués. Les chercheurs ont donc décidé d’aller étudier cette piste de plus près.

L’équipe[1] a d’abord montré que l’hepcidine était exprimée dans la peau des patients atteints de psoriasis, particulièrement dans les formes sévères comme le psoriasis pustuleux, qui se caractérise par une accumulation d’un type de globules blancs – les neutrophiles – au sein de l’épiderme.

Afin d’étudier plus précisément le rôle de l’hepcidine dans le psoriasis, l’équipe a ensuite développé de nouveaux modèles murins dans lesquels le gène de l’hepcidine était spécifiquement inactivé ou surexprimé dans l’épiderme. Les scientifiques ont alors montré que lorsque le gène de l’hepcidine était activé, certaines caractéristiques du psoriasis étaient induites, notamment les lésions de la peau et le recrutement des neutrophiles dans l’épiderme. À l’inverse, quand le gène était inactivé, les marqueurs du psoriasis disparaissaient.

« L’hepcidine joue un rôle clé dans le développement du psoriasis. À partir de nos résultats, nous montrons que lors du déclenchement du psoriasis, l’hepcidine produite par l’épiderme joue un rôle crucial dans la rétention du fer dans les cellules de la peau. Le fer étant un métal essentiel pour la prolifération cellulaire, cette rétention du fer favorise la division des cellules de l’épiderme de la peau “psoriasique”. D’autre part la rétention de fer médiée par l’hepcidine contribue également au recrutement des neutrophiles, une autre caractéristique des lésions cutanées psoriasiques, notamment pustuleux », précise Carole Peyssonnaux.

La prochaine étape serait d’approfondir ces résultats, dans la perspective de développer des médicaments qui bloqueraient l’action de l’hepcidine et qui pourraient donc être bénéfiques aux patients atteints de psoriasis, notamment chez ceux qui souffrent d’une forme aiguë et résistante. Dans cette optique, l’équipe développe, avec le soutien d’Inserm Transfert[2], de nouveaux médicaments capables de neutraliser l’hepcidine, afin de les tester dans des modèles animaux de psoriasis.

« À l’avenir, si nos résultats s’avéraient concluants, de tels médicaments pourraient être utilisés comme traitement d’entretien après une poussée ou, pendant les phases de rémission, afin de prévenir la récurrence de la maladie. Des études complémentaires permettront de déterminer si l’hepcidine joue également un rôle dans d’autres maladies inflammatoires de la peau », conclut Carole Peyssonnaux.

[1]En collaboration avec les équipes de Selim Aractingi (hôpital Cochin) et d’Hervé Bachelez (hôpital Saint-Louis)

[2] Brevet WO2016/146587 / EP3268027B1 et US11203753B2

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