Macrophages de souris visualisés en imagerie par microscopie confocale. Les noyaux sont visibles en bleu, le réseau d’actine en orange. © Mónica Fernández Monreal, Bordeaux Imaging Centre
Les macrophages, cellules clés du système immunitaire, jouent un rôle central dans le nettoyage de l’organisme en ingérant et détruisant les agents pathogènes (bactéries, virus…) et les cellules endommagées. Des scientifiques de l’Inserm, du CNRS et de l’université de Bordeaux, en collaboration avec des équipes internationales, révèlent que cette fonction bien connue serait assortie d’une autre compétence surprenante : pour supporter leur activité et leur métabolisme, les macrophages seraient capables de se fournir en nutriments directement via la dégradation des bactéries ingérées. Ces travaux, à paraître dans Nature, montrent, en outre, que les macrophages extrairaient plus efficacement les nutriments des bactéries mortes que des bactéries vivantes. Des résultats qui éclairent de manière inédite le sort des pathogènes ingérés par les macrophages et ouvrent de nouvelles perspectives pour le développement de vaccins et d’antibiotiques innovants.
Les nutriments sont des molécules essentielles à l’organisme pour produire de l’énergie, maintenir son métabolisme, et assurer son développement et sa croissance. Ils participent notamment à l’activation, au fonctionnement et à la différenciation des cellules immunitaires. Parmi celles-ci, les macrophages sont des cellules de l’immunité innée qui contribuent à l’entretien et au bon fonctionnement des tissus de l’organisme. Pour ce faire, ces acteurs de l’immunité présentent la propriété d’ingérer diverses particules, débris et pathogènes de grande taille, allant de la cellule lésée ou vieillie aux bactéries et virus, et de les dégrader en les digérant ; ce phénomène est appelé « phagocytose ».
Si, chez les mammifères, la plupart des cellules consomment les nutriments provenant de l’alimentation, certaines présentent des compétences additionnelles leur permettant d’aller chercher des nutriments par des procédés alternatifs. De précédentes études ont par exemple montré que certains phagocytes[1] étaient capables d’extraire des nutriments à partir des cellules mortes qu’ils digéraient. Cependant, jusqu’à présent, les scientifiques ne savaient pas si cette particularité s’appliquait uniquement à la phagocytose des cellules propres à l’organisme, ou si elle pouvait également fonctionner pour extraire les nutriments des organismes pathogènes (bactéries, virus…) phagocytés.
Un groupe de recherche international codirigé par Johan Garaude, chercheur Inserm au sein de l’unité Immunologie conceptuelle, expérimentale et translationnelle – ImmunoConcEpT (Inserm/CNRS/Université de Bordeaux), s’est ainsi intéressé à la phagocytose des bactéries par les macrophages et à son rôle potentiel dans le métabolisme de ces derniers.
Dans cette optique, les scientifiques ont comparé le métabolisme de macrophages dans différents milieux : en présence de bactéries vivantes, de bactéries mortes, ou encore uniquement en présence d’un composant de la membrane de ces bactéries, bien connue pour activer les macrophages.
Leurs résultats montrent que les macrophages ayant phagocyté les bactéries entières, qu’elles soient mortes ou vivantes, présentaient une activité métabolique liée à l’utilisation des nutriments très différente de ceux ayant été activé uniquement par le composant de la membrane bactérienne.
« Ceci suggère que la fonction des macrophages pourrait aller bien au-delà de la détection et de la simple destruction des bactéries, analyse Johan Garaude : ils semblent en effet capables de les exploiter comme source de nutriments pour soutenir leur propre métabolisme et ainsi assurer la spécificité de leur fonction d’alarme du système immunitaire. »
L’équipe de recherche montre en outre que l’efficacité de ce recyclage métabolique dépend de la viabilité des bactéries : les bactéries mortes s’avèrent être des ressources plus efficaces que les bactéries vivantes ; les macrophages ayant internalisé des bactéries mortes présentaient une meilleure activité de transport et d’utilisation des nutriments issus de leur dégradation. Ainsi, ceux ayant phagocyté des bactéries mortes possédaient de bien meilleures chances de survie dans un milieu appauvri en nutriments, contrairement à ceux qui avaient phagocyté des bactéries vivantes.
« Cette différence pourrait constituer un avantage pour la survie des macrophages dans les tissus infectés, lorsque les nutriments sont rares car déjà consommés par des bactéries se reproduisant rapidement », explique Johan Garaude.
L’étude met en évidence que cette mobilisation différenciée des nutriments est orchestrée par un mécanisme interne aux macrophages[2]. Celui-ci aurait pour fonction de restreindre le prélèvement de nutriments par le macrophage lors de la phagocytose d’une bactérie vivante. Il pourrait également limiter l’accumulation excessive de nutriments au sein du macrophage, lorsque celui-ci doit digérer en simultané un grand nombre de bactéries.
« Cela pourrait être un mécanisme protecteur pour éviter aux macrophages d’utiliser des molécules potentiellement dangereuses, qui seraient dérivées d’agents infectieux, ou encore pour réguler l’intensité de la réaction inflammatoire à l’infection, en limitant l’accès à des nutriments qui pourraient la « booster » », complète Juliette Lesbats, docteure de l’université de Bordeaux et première autrice de ces travaux.
« Nos résultats mettent en évidence la capacité des phagocytes à ajuster leur métabolisme cellulaire au « potentiel nutritif » représenté par les bactéries phagocytées, précise la chercheuse. Ils montrent comment, associée à une capacité de détection de la viabilité microbienne, cette compétence permet de réguler l’adaptation métabolique des cellules immunitaires. »
Bien que l’importance de ce mécanisme lors d’infections bactériennes reste encore à explorer, cette étude ouvre de nouvelles perspectives prometteuses pour lutter contre les résistances aux antibiotiques ou pour imaginer de nouvelles approches vaccinales.
[1] Cellules capables de phagocytose.
[2] Il s’agit de la voie de signalisation intracellulaire mTORC1.