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Covid-19 : Identification d’une signature génique propre aux patients atteints de formes critiques grâce à l’intelligence artificielle

SARS-CoV-2

Covid-19: Observation intracellulaire d’épithélium respiratoire humain reconstitué MucilAir™ infecté par le SARS-CoV-2. © Manuel Rosa-Calatrava, Inserm ; Olivier Terrier, CNRS ; Andrés Pizzorno, Signia Therapeutics ; Elisabeth Errazuriz-Cerda  UCBL1 CIQLE. VirPath (Centre International de Recherche en Infectiologie U1111 Inserm – UMR 5308 CNRS – ENS Lyon – UCBL1). Colorisé par Noa Rosa C.

Quelles sont les caractéristiques moléculaires et génétiques qui distinguent les patients atteints de formes critiques de Covid-19, et notamment de syndrome de détresse respiratoire aigüe (SDRA)? Pour répondre à cette question, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm et de l’Université de Strasbourg au sein de l’unité U1109 « Immunologie et Rhumatologie Moléculaire », en collaboration avec les cliniciens‑chercheurs des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, se sont intéressés aux données biologiques et génomiques d’une cohorte ciblée de patients jeunes. Les patients hospitalisés en réanimation avec un SDRA ont été comparés aux patients Covid‑19 hospitalisés en secteur conventionnel.

Dans le cadre d’une collaboration franco-américaine avec des chercheurs de l’entreprise Genuity Science (Boston, États-Unis), et de l’Université de Californie du Sud (Los Angeles, États-Unis) et en s’appuyant sur les techniques les plus avancées de l’intelligence artificielle pour l’interprétation de ces données, les scientifiques sont parvenus à identifier une signature génique différenciant ces patients critiques des non-critiques. Certains des gènes inclus dans cette signature pourraient à terme constituer des cibles thérapeutiques contre les formes graves de Covid-19 ou SDRA. Les résultats de ces travaux sont publiés dans la revue Science Translational Medicine.

La Covid-19 est caractérisée par une grande hétérogénéité clinique. Alors que certains patients sont asymptomatiques, d’autres développent des symptômes similaires à ceux de la grippe. D’autres encore évoluent vers des formes graves de la maladie, développant dans certains cas un syndrome de détresse respiratoire aigüe (SDRA) nécessitant d’être placé sous ventilation mécanique en unité de réanimation. Ces patients ne représentent qu’une petite proportion des personnes infectées par le virus, mais le taux de mortalité dans ce groupe est important puisqu’il peut atteindre environ 25 %.

Si l’âge et les comorbidités comme le diabète et les pathologies cardio-vasculaires constituent les facteurs de risque principaux pour développer ces formes graves de Covid-19 et de décès, les scientifiques ne savent pas encore précisément expliquer pourquoi certains patients plus jeunes et antérieurement en bonne santé évoluent dans cette direction. Que distingue ces patients atteints de symptômes respiratoires sévères des autres, sur le plan moléculaire et génétique ?

Des travaux ont été menés sur le sujet depuis le début de la pandémie et quelques pistes ont été soulevées, mais jusqu’à présent chaque étude abordait la question sous un seul angle méthodologique, s’intéressant généralement uniquement à un aspect (facteur génétiques, paramètres de la réponse immunitaire, métabolique, etc.).

 

Patients jeunes et sans comorbidités

Les scientifiques de l’Inserm et de l’Université de Strasbourg, en lien avec le CHU de Strasbourg, se sont ici au contraire intéressés à une cohorte de patients avec des critères d’inclusions restrictifs et strictes. Il s’agissait de personnes hospitalisées pendant la première vague de la pandémie, âgées de moins de 50 ans et ne présentant aucune comorbidité majeure. Au total, 72 patients ont été recrutés en deux groupes, l’un constitué de patients en réanimation atteints de SDRA et l’autre de patients hospitalisés en secteur dit conventionnel, atteints d’une forme moins grave de Covid-19 . Un groupe de de 22 individus « contrôles » – des individus en bonne santé – a également été étudié.

« Nous avons fait le choix de nous pencher sur une cohorte de patients restreinte mais très bien définie, en excluant les facteurs confondants comme l’âge ou certaines pathologies, afin de pouvoir vraiment étudier les mécanismes moléculaires et génétiques directement associés aux formes graves, qui soient exclusivement liés à l’infection virale et non à d’autres facteurs de risque préexistants », souligne Seiamak Bahram[1], dernier auteur de l’étude.

Les scientifiques ont collecté différents échantillons afin de mener une analyse « multi‑omique », c’est-à-dire de récupérer et d’analyser l’ensemble des données génomiques, protéomiques, transcriptomiques (investigation de la totalité des ARN messagers) et autres données virologiques, immunologiques et sérologiques de ces patients.

Cela leur a permis de confirmer que le SDRA est associé à un état inflammatoire très important et à un emballement du système immunitaire (la fameuse « tempête cytokinique »).

 

S’appuyer sur l’intelligence artificielle

Toutefois, au vu de la masse considérable de données générées dans le cadre de cette analyse multi-omique, il était impossible d’aller plus loin dans l’interprétation sans l’aide de l’intelligence artificielle (IA). Ainsi, en collaboration avec l’institut d’intelligence artificielle de l’entreprise biotechnologique Genuity Science[2] à Boston (États-Unis), l’équipe a pu identifier un réseau de 600 gènes impliqués dans l’évolution vers les formes critiques de Covid-19, grâce à l’application croisée de plusieurs algorithmes d’intelligence artificielle (y compris un algorithme ayant tourné sur l’ordinateur quantique mis à disposition par l’Université de Californie du Sud à Los Angeles).

Toujours dans le cadre de cette collaboration transatlantique, ces nombreuses données ont pu être modélisées et analysées avec l’aide de l’IA, permettant d’identifier plus précisément cinq gènes surexprimés chez ces patients.

L’un d’entre eux, le gène ADAM9, est un « gène driver » particulièrement intéressant. En effet, de précédentes études ont montré que celui-ci interagit avec des protéines du SARS-CoV-2. Les résultats obtenus ici vont dans ce sens, suggérant qu’une surexpression d’ADAM9 « conduirait » (d’où le terme de « gène driver ») certains patients vers les formes graves de Covid-19 et le SDRA.

Les chercheurs ont ensuite réalisé des expériences in vitro qui ont montré que le fait de bloquer le gène ADAM9 dans des lignées cellulaires est associé à une réduction des quantités de virus SARS-CoV-2 dans ces cellules, ainsi qu’à une diminution de la réplication du virus, confirmant donc son importance dans la maladie critique mais aussi son potentiel en tant que cible thérapeutique.

D’autres études devront bien entendu être menées afin de confirmer ce dernier point, mais les scientifiques estiment que ces résultats ouvrent une piste thérapeutique intéressante, d’autant que des essais cliniques en oncologie pour tester des anticorps monoclonaux qui inhibent justement ADAM9 sont en cours. Des stratégies de repositionnement thérapeutique pourraient donc être envisagées à plus long terme.

 

[1]Le Professeur Seiamak Bahram est PU-PH, directeur de l’Unité 1109 de l’Inserm, responsable de l’Institut Thématique Interdisciplinaire de Médecine de Précision de Strasbourg et chef de service d’immunologie biologique aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg.

[2] Devenue depuis la société Hibercell

Confirmation de l’intérêt d’un schéma vaccinal à deux doses contre Ebola

vacnni anti Ebola

© Adobe Stock

 

En réponse à l’épidémie d’Ebola qui a sévi de 2014 à 2016, le développement clinique d’un schéma vaccinal à deux doses comprenant les vaccins Ad26.ZEBOV et MVA-BN-Filo a été accéléré. Ce schéma approuvé dès 2020 par la commission européenne pour une utilisation en situation d’urgence épidémique continue à démontrer son intérêt. Une étude de l’Inserm menée sous la direction de Rodolphe Thiébaut (Inserm, INRIA, Université de bordeaux, Vaccine Research Institute) a ainsi contribué à l’évaluation de l’innocuité et l’immunogénicité de ce vaccin chez des adultes sains ou infectés par le VIH. L’étude a aussi permis de comparer différents intervalles de temps entre les deux doses. Cette étude a confirmé la bonne tolérance de ce schéma vaccinal et l’acquisition d’anticorps persistants au moins un an et facilement réactivables par une nouvelle injection de rappel. Les résultats de cet essai sont parus dans Plos Medicine.

Depuis sa découverte en 1976 le virus Ebola a été retrouvé dans plusieurs pays d’Afrique équatoriale avec des épidémies de plus en plus fréquentes (plus de 30 comptabilisées à ce jour). L’infection se déclare sous forme d’état grippal mais se complique souvent entrainant des défaillance d’organes et des hémorragies potentiellement mortelles. Lors de la plus importante épidémie en Afrique de l’Ouest entre 2014 et 2016, 28 616 cas ont été recensés entrainant 11.310 décès. Au cours de cette épidémie, un premier vaccin à dose unique a obtenu une autorisation et a été utilisé sur le terrain (Ervebo). En parallèle, le laboratoire Janssen a lancé le développement accéléré d’un autre schéma vaccinal[1]. Il s’agit d’administrer deux doses différentes ; la première avec le vaccin Janssen Ad26.ZEBOV composé d’un vecteur adénoviral renfermant la protéine d’enveloppe du virus Ebola Zaire déclenchant la production d’anticorps, et la seconde avec le vaccin MVA-BN-Filo de la société Bavarian Nordic utilisant un autre vecteur viral et renfermant quatre antigènes différents de virus de la famille du virus Ebola, dont la glycoprotéine du virus Ebola Zaire.

« L’utilisation du vecteur viral permet de faire pénétrer l’antigène du virus Ebola (la glycoprotéine) dans les cellules immunitaires tel un cheval de Troie, pour déclencher la réponse immunitaire. Avec cette stratégie de double administration, nous supposions que la réponse immunitaire serait plus durable qu’avec un vaccin à dose unique », précise Rodolphe Thiébaut, directeur d’équipe Inserm et Professeur de Santé Publique à l’Université de Bordeaux, qui participe à ce programme de développement accéléré EBOVAC.

Cette hypothèse vient d’être validée par la publication des résultats d’un essai clinique de phase II (EBOVAC 2) destiné à évaluer la sécurité d’utilisation et l’immunogénicité de ce vaccin chez des personnes saines ou porteuses du VIH vivant en Afrique. Entre temps, ce schéma vaccinal avait été approuvé en juillet 2020 par l’agence européenne du médicament chez l’adulte et l’enfant de plus d’un an, sur la base des données déjà disponibles.

Néanmoins le développement de ce schéma vaccinal se poursuit sur différentes populations (adultes, enfants, femmes enceintes, soignants), dans différentes régions du monde (pour confirmer le profil de tolérance et de réponse immunitaire robuste dans différentes population) et avec des durées de suivi différentes, pour confirmer les données préliminaires et évaluer la pertinence d’une utilisation en prévention chez des populations potentiellement exposées au virus, notamment les populations rurales dans les pays d’Afrique équatoriale. Le but étant de prévenir l’apparition d’une nouvelle épidémie. « Les épidémies sont générées par le passage du virus de la chauve-souris à l’homme mais leur progression est facilitée par la mobilité des individus qui augmente grâce aux progrès des infrastructures » prévient Rodolphe Thiébaut et « disposer de vaccins testés en Afrique avec la  collaboration  des équipes de recherche des pays africains pour protéger les populations est un enjeu majeur de développement pour nos pays aux ressources hospitalières et aux moyens limités» renchérit Houreratou Barry, médecin investigateur responsable de l’essai au Centre Muraz à Bobo-Dioulasso au Burkina Faso.

Cet essai de phase 2 va dans ce sens. Il a inclus 668 adultes de 18 à 70 ans en bonne santé et 142 personnes de 18 à 50 ans infectées par le VIH (une affection répandue dans les populations africaines susceptible d’influencer la réponse immunitaire au vaccin) mais avec une charge virale contrôlée par une thérapie anti-virale. Les participants ont été recrutés au Kenya, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et en Ouganda. Ils ont reçu le vaccin ou une solution placébo selon le schéma suivant : une dose d’Ad26.ZEBOV ou placébo, suivi 28, 56 ou 84 jours après du MVA-BN-Filo ou d’un placébo. Dans la cohorte de sujets sains, 90 personnes ont par ailleurs reçu une dose supplémentaire de rappel d’Ad26.ZEBOV un an plus tard.

Les chercheurs ont analysé les déclarations d’événements indésirables sur l’année de suivi ainsi que l’évolution des taux d’anticorps dirigés contre la glycoprotéine du virus Ebola. Aucun événement indésirable grave imputable au vaccin n’a été constaté, seulement des évènements légers à modérés fréquents en cas de vaccination ; douleur au site d’injection, fatigue, maux de tête ou douleurs musculaires.

L’augmentation de l’intervalle entre les vaccinations de 28 à 56 jours a amélioré la réponse immunitaire et les anticorps ont persisté jusqu’à au moins un an chez les sujets sains et ceux porteurs du VIH. Ces anticorps ont été retrouvés chez 78 à 88 % des participants. Prolonger l’intervalle à 84 jours n’a pas apporté de bénéfice supplémentaire, prolongeant inutilement le calendrier de vaccination, ce qui a confirmé l’intervalle de 56 jours comme optimal pour ce schéma vaccinal.

En outre, le rappel un an plus tard a largement stimulé la production d’anticorps avec des taux multipliés par 55, indiquant que la première vaccination a déclenché une réponse immunitaire mémoire facilement réactivable, « ce qui est très important dans le contexte des épidémies récurrentes observées en Afrique », conclut Rodolphe Thiébaut.

 

[1] Soutenu par le programme européen EBOLA+ d’IMI (une initiative conjointe de la Commission Européenne et de l’EFPIA) dans le cadre d’un consortium avec les équipes académiques de l’Inserm, de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, de l’université de Oxford et du Centre Muraz au Burkina Faso. Ce projet a été financé par l’initiative conjointe Innovative Medicines Initiative 2 (www.imi.europa.eu) dans le cadre de la convention de subvention EBOVAC2 n° 115861. Cette initiative conjointe bénéficie du soutien du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne et de la Fédération européenne d’associations et d’industries pharmaceutiques (EFPIA).

Les cellules souches hématopoïétiques se déforment pour se différencier

Le réseau de microtubules (en jaune) d'une CSH (à gauche) s'est "branchée" sur une cellule de la moelle osseuse (à droite).

Le réseau demicrotubules (en jaune) d’une CSH (à gauche) s’est « branchée » sur une cellule de la moelle osseuse (à droite). © Manuel Thery/CEA

 
Une équipe conjointe CEA et Inserm, avec le soutien de l’Hôpital Saint-Louis, de l’Université Paris Diderot et de la Fondation Bettencourt Schueller, a pu observer le début de la différenciation de cellules souches en cellules du sang. En s’appuyant sur une « moelle osseuse sur puce », les chercheurs ont mis en contact des cellules souches avec d’autres types de cellules présentes dans la moelle osseuse. Résultat : certaines d’entre elles changent de forme et d’architecture intérieure. Une découverte inattendue qui ouvre des pistes nouvelles pour étudier de nombreuses maladies du sang. Les résultats de cette étude paraissent dans The journal of Cell Biology lundi 1er novembre.

Les cellules souches
hématopoiétiques (CSH), présentes dans la moelle osseuse, sont à l’origine de toutes les cellules du sang (macrophages, lymphocytes, neutrophiles, globules rouges, plaquettes, etc.). Le moindre défaut dans ce processus de différenciation peut entrainer des maladies graves (leucémies, déficit immunitaire, lymphopénies, myélodisplasies). Mais ces erreurs sont difficiles à étudier car les CSH opèrent au cœur de la moelle osseuse, un terrain difficile à observer en raison de l’opacité de l’os.
 
Pour y parvenir, les chercheurs du CEA ont mis au point une puce microfluidique transparente avec différents compartiments contenant chacun des types cellulaires présents dans la moelle. Or, en y injectant les CSH via des micro-canaux, les chercheurs ont découvert que celles-ci se déplacent et rendent « visite » aux cellules qui tapissent la structure de l’os.
Puce microfluidique
 
En zoomant sur la structure interne des CSH, les chercheurs constatent que le noyau des CSH non différenciées ou destinées à devenir des lymphocytes (voie lymphoïde) est entouré de façon homogène par les constituants du cytosquelette (microtubules). En revanche, le noyau des CSH destinées à devenir des macrophages ou des cellules dendritiques (voie myéloïde) est comme étranglé et fortement déformé. Les biologistes montrent alors que l’architecture intérieure des cellules dirige la différenciation des CSH (publication précédente).

Lorsque les CSH arrivent au contact des cellules de la moelle osseuse, il se produit un phénomène totalement inattendu : elles s’ancrent et s’allongent en réorganisant totalement leur architecture intérieure.

Pour mieux comprendre ce nouveau mécanisme de « polarisation » des CSH sur les cellules osseuses, les chercheurs ont réalisé une nouvelle puce comprenant un réseau de micropuits, permettant le contact entre une cellule de moelle et une CSH uniques. La polarisation des CSH peut alors être observée sous différents angles.

Cette découverte, ainsi que le développement de « moelles osseuses sur puce » qui l’a permise, ouvrent de toutes nouvelles voies de recherche sur les maladies liées à des dysfonctionnements des cellules souches hématopoïétiques, et en particulier les leucémies.

Les cellules souches leucémiques se polarisent-elles normalement au contact de la moelle ? Si ce n’est pas le cas, quel est l’impact de ce défaut sur la prolifération des cellules cancéreuses ? Les puces permettront d’analyser l’effet de nouveaux composés sur la migration, l’ancrage, la polarisation et la prolifération des cellules souches et des cellules tumorales et ainsi d’identifier de futurs médicaments.

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