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Obésité : de nouveaux travaux remettent en question les connaissances actuelles sur le métabolisme des graisses

Rôles de la HSL dans les adipocytesRôles de la HSL dans les adipocytes. La HSL participe à la mobilisation des graisses stockées dans la gouttelette lipidique. Dans le noyau, elle assure le fonctionnement harmonieux de l’adipocyte. © I2MC, 2025. Créé avec biorender.com.

Depuis les années 1960, la lipase hormono-sensible (HSL) est connue comme l’enzyme qui permet d’accéder à l’énergie stockée dans nos graisses. On pourrait dès lors penser que son absence provoquerait une obésité avec un excès de masse grasse. Ce n’est pourtant pas le cas, c’est même l’inverse qui se produit. Une équipe de l’Université de Toulouse et de l’Inserm à l’Institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires (I2MC) a résolu ce paradoxe en montrant que cette protéine agit également de façon inattendue dans le noyau de nos cellules graisseuses. Cette découverte, publiée dans Cell Metabolism le 23 octobre, ouvre de nouvelles pistes pour prévenir les complications liées à l’obésité.

Nos cellules graisseuses, appelées adipocytes, ne servent pas seulement à stocker des kilos en trop. Elles jouent un rôle clé dans la gestion de l’énergie de notre corps. Les adipocytes accumulent des graisses sous forme de gouttelettes lipidiques que l’organisme peut utiliser en cas de besoin, par exemple lors des périodes de jeûne entre les repas. Pour ce faire, il utilise la protéine HSL comme une sorte d’interrupteur. Quand le corps manque d’énergie, elle est activée par des hormones comme l’adrénaline et libère les graisses pour fournir du carburant à divers organes.

En l’absence de la protéine HSL, on pourrait supposer que le robinet à énergie est fermé et que les graisses vont inexorablement s’accumuler. Pourtant, de façon paradoxale, on constate chez la souris et chez des patients atteints de mutations du gène codant HSL que cela ne conduit pas à une obésité avec un excès de graisse. C’est l’opposé qui se produit : l’absence de cette protéine provoque une baisse de masse grasse, une condition pathologique nommée lipodystrophie.

Obésité et lipodystrophie, pourtant opposées en apparence, partagent un point commun : dans les deux cas, les adipocytes dysfonctionnent, entraînant des complications métaboliques et cardiovasculaires similaires.

Pour comprendre cette singularité, l’équipe scientifique menée par Dominique Langin, professeur à l’Université de Toulouse au sein de l’I2MC (Inserm/Université de Toulouse), a remarqué que HSL se situait dans une zone insoupçonnée jusque-là. Dans les adipocytes, la protéine est connue pour être en surface de la gouttelette lipidique où elle joue son rôle d’enzyme découpant les graisses, mais l’étude révèle qu’elle est aussi dans le noyau des cellules graisseuses.

« Dans le noyau des adipocytes, HSL est capable de s’associer avec de nombreuses autres protéines et de participer à un programme qui maintient une quantité optimale de tissu adipeux et des adipocytes ‘en bonne santé’ », précise Jérémy Dufau, co-auteur de l’étude et qui a soutenu sa thèse sur ce sujet.

De plus, l’étude montre que la quantité de HSL dans le noyau est finement contrôlée. L’adrénaline, qui permet l’activation de l’enzyme sur la gouttelette lipidique, favorise également sa sortie du noyau. C’est ce qui se passe lors du jeûne. Dans un contexte pathologique, la quantité de HSL du noyau est augmentée chez des souris obèses.

« HSL est connue depuis les années 1960 comme une enzyme de déstockage des graisses. Mais on sait désormais qu’elle joue aussi un rôle essentiel dans le noyau des adipocytes, où elle participe au maintien d’un tissu adipeux sain », conclut Dominique Langin.

Ce nouveau rôle pourrait expliquer la lipodystrophie des patients qui n’ont pas de HSL et ouvre des pistes pour mieux comprendre les maladies métaboliques telles que l’obésité et ses complications.

Cette découverte arrive à point nommé. Le surpoids et l’obésité touchent un adulte sur deux en France. Au niveau mondial, cela concerne 2 milliards et demi d’individus. L’obésité augmente le risque de nombreuses maladies dont le diabète et de maladies du cœur et affecte la qualité de vie. La poursuite des recherches est essentielle pour améliorer la prévention et la prise en charge des patients.

Cette étude s’inscrit dans le cadre du projet SPHERES, qui est un projet de 7 ans (2020-2027) financé par le Conseil européen de la recherche (ERC) dans le cadre du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne (accord de subvention N°856404).

Staphylocoque doré, facteur aggravant d’une maladie rare de la peau chez les enfants

Staphylococcus aureus et globules blancs © National Institute of Allergy and Infectious Diseases, NIH

Les équipes du service de microbiologie clinique et du service de dermatologie de l’hôpital Necker-Enfants malades AP-HP, de l’institut Necker-Enfants malades, de l’Inserm, de l’institut Imagine, du CNRS et de l’université Paris Cité, coordonnées par les Drs Anne Jamet, Christine Bodemer et Maria Leite-de-Moraes, ont étudié la façon dont certaines souches de Staphylocoque doré présentes sur la peau des enfants atteints d’une maladie génétique rare influencent la gravité de leur inflammation et de leurs symptômes. Les résultats de cette étude ont fait l’objet d’une publication parue le 27 août 2025 dans la revue Science Translational Medicine.

L’épidermolyse bulleuse dystrophique récessive (RDEB) est une maladie génétique rare et grave qui rend la peau extrêmement fragile. Les enfants atteints développent des plaies chroniques douloureuses, souvent colonisées par une bactérie appelée staphylocoque doré1. Cette bactérie, normalement présente sur la peau, peut devenir pathogène lorsque la peau est lésée. Elle est systématiquement recherchée lors de la prise en charge des enfants atteints de RDEB car elle peut être présente en grande quantité sur la peau. La raison pour laquelle certains enfants développent une forme beaucoup plus sévère de la maladie que d’autres reste encore floue.

Les équipes ont cherché à comprendre comment les souches du staphylocoque doré présentes sur la peau des enfants pouvaient influencer la gravité de leur maladie, en modifiant la réponse de leur système immunitaire.

Une analyse a été menée chez 15 enfants atteints de RDEB (formes modérées ou sévères), parmi lesquels dix avaient une forme sévère (avec des plaies étendues, douloureuses et qui ne guérissent pas), et cinq une forme plus modérée. Pour comparer, les chercheurs ont également analysé des prélèvements réalisés chez 18 enfants de la même tranche d’âge, sans maladies de peau. Les chercheurs ont étudié les bactéries prélevées sur les plaies, les cellules de l’immunité et des protéines de l’inflammation du sang, ainsi que la réaction des cellules de l’immunité du patient en laboratoire lorsqu’elles sont mises en contact avec ces bactéries.

Les enfants atteints de formes sévères de la maladie avaient un syndrome inflammatoire marqué, autrement dit leur sang contenait de grandes quantités de molécules pro-inflammatoires, comme si leur corps était constamment en train de se défendre contre une infection, même sans menace immédiate. Ce déséquilibre peut aggraver les plaies, ralentir leur guérison et retentir sur l’état général du patient. De plus, les souches de staphylocoque doré présentes sur la peau de ces enfants avaient une agressivité particulière, déclenchant une réaction immunitaire plus forte que celles trouvées chez les enfants avec des formes moins graves de la maladie.

Ces résultats permettent d’envisager la personnalisation du traitement de l’enfant malade en fonction de la souche bactérienne présente sur sa peau. Ils permettront également à terme de mieux comprendre et surveiller l’évolution de la maladie grâce à des marqueurs dans le sang, sans recours à la biopsie.

1 . Les staphylocoques sont des bactéries présentes naturellement sur la peau et les muqueuses de l’être humain. Il existe plusieurs espèces de staphylocoques, dont Staphylococcus aureus (staphylocoque doré), qui peut être à l’origine de maladies infectieuses.

Obésité : des résultats prometteurs contre le développement de la fibrose

Images représentatives de tissu adipeux omental (graisse abdominale profonde) provenant de personnes atteintes d’obésité, observées en lumière blanche et en lumière polarisée. Les coupes histologiques ont été colorées au rouge picrosirius, un colorant qui permet de révéler les zones de fibrose, visibles autour des adipocytes (cellules graisseuses) ou à la surface des lobules graisseux. Images représentatives de tissu adipeux omental (graisse abdominale profonde) provenant de personnes atteintes d’obésité, observées en lumière blanche et en lumière polarisée. Les coupes histologiques ont été colorées au rouge picrosirius, un colorant qui permet de révéler les zones de fibrose, visibles autour des adipocytes (cellules graisseuses) ou à la surface de lobules graisseux. © Geneviève Marcelin

Chez les personnes vivant avec l’obésité, le tissu adipeux viscéral — situé en profondeur autour des organes — peut devenir fibreux et rigide. Ce phénomène, appelé fibrose, perturbe le fonctionnement normal de la graisse et contribue à des complications métaboliques comme l’insulino-résistance ou le diabète de type 2. Une équipe de chercheuses et chercheurs  de Sorbonne Université, de l’Inserm et de l’AP-HP, au sein  du laboratoire Nutriomique a identifié une nouvelle stratégie thérapeutique pour contrer les effets de la fibrose. En effet, l’utilisation de deux médicaments déjà approuvés pour d’autres indications parvient à bloquer la fibrose du tissu adipeux et à restaurer son bon fonctionnement chez des souris obèses. Ces résultats sont publiés dans la revue Cell Reports Medicine.
Le tissu adipeux joue un rôle central dans le contrôle de l’équilibre énergétique de l’organisme. Le phénomène de fibrose chez les personnes atteintes d’obésité altère le fonctionnement normal de la graisse et sa plasticité. Il aggrave également les complications métaboliques telles que l’insulino-résistance ou le diabète de type 2, et constitue un frein à la perte de poids.

Pour mieux comprendre les mécanismes impliqués dans la fibrose, l’équipe de chercheuses et chercheurs s’est intéressée à une population de cellules appelées progéniteurs CD9+. L’étude publiée révèle que l’abondance de ces cellules dans le tissu adipeux des patients atteints d’obésité est associée à une fibrose accrue, à une altération du contrôle de la glycémie et à une incidence plus élevée de diabète de type 2.

Par ailleurs, chez les patients avec obésité sévère et diabète de type 2, une augmentation de l’abondance de ces progéniteurs CD9+ avant une intervention de chirurgie bariatrique (ou chirurgie de l’obésité) est associée à une moindre amélioration métabolique un an après l’intervention. Ces résultats positionnent donc les progéniteurs CD9+ comme des cibles thérapeutiques de premier plan pour  améliorer localement le fonctionnement du tissu graisseux, avec des effets bénéfiques potentiels sur la santé globale.

L’équipe a ensuite mené une étude préclinique sur des souris, afin de valider cette hypothèse. Grâce à des analyses moléculaires approfondies, les chercheuses et chercheurs ont identifié les voies de signalisation activées dans ces cellules et testé des médicaments capables de les inhiber.

La combinaison de deux molécules déjà utilisées en clinique, le nintédanib (antifibrosant) et le célécoxib (anti-inflammatoire), s’est révélée particulièrement efficace. En effet, elle a permis de réduire significativement le développement de la fibrose du tissu adipeux chez les souris obèses et d’améliorer leur santé métabolique.

L’équipe a aussi découvert que le traitement agissait sur les cellules mésothéliales, des cellules spécialisées formant une barrière protectrice à la surface des organes viscéraux, mais qui, en contexte d’obésité, contribuent à la fibrose en surface du tissu graisseux.

Ces résultats sont prometteurs car ils reposent sur des traitements combinés déjà disponibles, ouvrant ainsi la voie à une translation rapide vers des essais cliniques. Préserver ou restaurer le bon fonctionnement des tissus adipeux pourrait ainsi constituer une stratégie clé pour limiter les effets délétères de l’obésité.

Vieillir en bonne santé : le secret pourrait se trouver dans les cellules de la peau

Visualisation en microscopie de fibroblastes de peau humaine © AdobeStock

Et si, bien avant l’apparition des premiers signes de fragilité, nos cellules portaient en elles les indices de la façon dont nous allions vieillir ? Grâce à l’analyse de cellules de peau, les fibroblastes, issues de biopsies réalisées chez les participants de la cohorte Inspire-T, des chercheuses et chercheurs de l’Inserm, de l’Université de Toulouse, du CNRS, de l’Établissement français du sang (EFS)[1], en collaboration avec l’IHU HealthAge, ont découvert que ces cellules fourniraient des indices précieux sur l’état de santé global des individus. Leurs travaux montrent que certains marqueurs biologiques témoignant du bon fonctionnement des fibroblastes permettraient de détecter et d’anticiper des signes de fragilité ou de baisse des capacités physiques et psychiques, indépendamment de l’âge des personnes. Leurs résultats, parus dans Aging Cell, ouvrent des perspectives en médecine préventive personnalisée pour accompagner un vieillissement en meilleure santé.

Alors que le vieillissement représente un défi sociétal majeur, la recherche en santé s’est longtemps focalisée sur des marqueurs biologiques liés à l’âge chronologique, en les déconnectant souvent de l’état de santé global ou fonctionnel des individus[2].

Pour mieux comprendre la place du vieillissement cellulaire dans le processus global de vieillissement, les fibroblastes, se présentent comme une cible d’étude privilégiée. Présents dans l’ensemble des tissus de l’organisme, on les retrouve dans le derme cutané où ils assurent un rôle structurel essentiel en sécrétant la matrice extracellulaire – un réseau de protéines qui soutient les tissus et permet aux cellules qui y résident de réaliser leurs fonctions. Les fibroblastes sont également impliqués dans la régénération et la cicatrisation de la peau ainsi que dans son immunité. Facilement accessibles via de simples biopsies de peau, ils constituent de précieux modèles pour identifier de nouveaux marqueurs biologiques liés au vieillissement.

Une équipe de chercheuses et chercheurs, menée par Isabelle Ader, chercheuse Inserm, et Louis Casteilla, professeur à l’université de Toulouse, au sein du laboratoire Geroscience and Rejuvenation Research Center – RESTORE (Inserm/Université de Toulouse/CNRS/EFS) et en collaboration avec l’IHU Health Age, s’est ainsi intéressée à la façon dont les fibroblastes pourraient renseigner sur l’état de santé au cours du vieillissement, grâce à l’identification de marqueurs biologiques spécifiques.

Leur étude s’est appuyée sur l’analyse de fibroblastes prélevés à partir de biopsies cutanées réalisées chez 133 femmes et hommes âgés de 20 à 96 ans, présentant des profils de santé variés. Ces participants, inclus dans la cohorte française Inspire-T (voir encadré), étaient classés comme étant plus ou moins fragiles ou robustes en fonction de leur âge et de leur état de santé relatif.

Les scientifiques ont soumis ces fibroblastes à différents facteurs de stress mimant ceux rencontrés au cours de la vie (stress métaboliques, infectieux, chimiothérapie…). Ils ont ensuite évalué leur fonctionnalité globale à travers trois de leurs grandes fonctions : structurelle, immunitaire/inflammatoire et métabolique. L’objectif était d’identifier des marqueurs biologiques associés à l’état de santé général et fonctionnel des donneurs, en lien avec les différentes étapes du vieillissement.

Deux marqueurs de l’état de santé fonctionnelle ont attiré l’attention de l’équipe : les fibroblastes issus de personnes pré-fragiles ou fragiles présentaient une activité réduite de leurs mitochondries – les « centrales énergétiques » des cellules. Ces cellules sécrétaient en outre moins de périostine, une protéine de la matrice extracellulaire. La diminution de cette dernière était également observée chez les personnes présentant une faible capacité intrinsèque, un indicateur de vieillissement défavorable et de moindre état de santé général.

 « Ces deux marqueurs biologiques, liés à la fonctionnalité métabolique et structurelle des fibroblastes et indépendants de l’âge chronologique ou du sexe, apparaissent comme des indicateurs de la fragilité cellulaire d’un individu, et ce, même lorsque les fibroblastes sont cultivés en laboratoire après biopsie, indique Isabelle Ader. En cela, ils reflètent ce que l’on pourrait qualifier d’une “mémoire de santé” au niveau cellulaire et présentent un potentiel intéressant pour la détection précoce de la fragilité et de la mauvaise santé avant tout signe clinique », ajoute la chercheuse.

La périostine apparaît en outre pour la première fois comme un marqueur biologique clé associé à la capacité intrinsèque telle que définie par l’OMS, et donc comme un potentiel indicateur de la santé fonctionnelle des individus.

Ces résultats mettent en lumière les signaux fiables que les cellules de notre corps pourraient fournir sur l’état de santé global d’un individu.

« Nos travaux ouvrent des perspectives concrètes dans la détection précoce des signes de fragilité ou de baisse des capacités physiques et cognitives en médecine préventive », complète Isabelle Ader. « Identifier précocement les altérations de la santé cellulaire pourrait permettre de développer des stratégies ciblées de médecine personnalisée pour mieux préserver la santé fonctionnelle et prolonger l’autonomie tout au long de la vie », conclut la chercheuse.

Ces travaux font l’objet d’un brevet déposé auprès d’Inserm Transfert en 2024.

À propos de la cohorte Inspire-T

Inspire-T est une étude longitudinale française dédiée au vieillissement en bonne santé, impliquant plus de 1 000 participants âgés de 20 à plus de 100 ans. Pilotée par l’IHU Health Age, elle vise à identifier les facteurs biologiques, cliniques et environnementaux influençant les trajectoires de santé au cours du temps. Les participants sont suivis régulièrement pour évaluer l’évolution de cinq grandes fonctions – cognitives, locomotrices, sensorielles, psychosociales et de vitalité – dont l’ensemble constitue le score de capacité intrinsèque.

L’IHU Health Age est porté par l’Inserm, le CHU et l’université de Toulouse.

[1]Également en collaboration avec des équipes d’INRAE et de l’université Columbia à New York

[2]La santé fonctionnelle correspond à la capacité d’une personne à réaliser les activités du quotidien tout en maintenant sa santé et son bien-être. Elle dépend de deux variables : l’environnement de vie et la capacité intrinsèque, un concept développé par l’OMS et qui désigne l’ensemble des capacités physiques et mentales propres à la personne, indépendamment de son environnement. Une diminution du score de capacité intrinsèque est associée à une altération de la santé globale, pouvant conduire à une perte d’autonomie et à la dépendance.

Hyperglycémie : vers une meilleure compréhension de son impact délétère sur la peau

Fibroblastes humains observés en microscopie de fluorescence. Les mitochondries sont marquées en rouge, l’ADN du noyau des fibroblastes est marqué en bleu. © Nivea Dias Amoedo/Inserm

Une dégradation de la qualité de la peau, de sa capacité à cicatriser, et de son vieillissement normal, est souvent observée chez les personnes présentant une hyperglycémie chronique. Une équipe de chercheuses et chercheurs de l’Inserm, de l’université de Bordeaux et de LVMH Recherche, s’est intéressée à la façon dont l’hyperglycémie altère le derme humain et en particulier les cellules impliquées dans sa cicatrisation, les fibroblastes. Ses travaux, parus dans Redox Biology, montrent qu’une trop forte concentration en glucose dans le derme vient perturber une mécanique complexe et finement régulée de production de l’énergie par les fibroblastes, avec des impacts sur leur capacité à maintenir l’intégrité de la peau.

Le glucose est un sucre vital pour les cellules des mammifères : il permet notamment la synthèse de nombreuses molécules essentielles à l’organisme, comme l’ADN, ainsi que la transformation d’énergie par les mitochondries, les « centrales énergétiques » du corps humain, via le mécanisme dit de « respiration mitochondriale ». Bien que les concentrations en glucose dans le derme (l’une des trois couches constituant la peau, située entre l’épiderme – la couche externe – et l’hypoderme) reflètent celles retrouvées dans le sang, le métabolisme du glucose dans la peau reste peu étudié et mal connu.

Au sein du derme, on retrouve les fibroblastes, des cellules, impliquées notamment dans la régénération de l’épiderme et dans la cicatrisation de la peau, grâce à leur capacité à produire du collagène et à se déplacer sur le site d’une blessure. Ces fibroblastes cutanés subissent directement le stress métabolique causé par l’hyperglycémie[1], une conséquence des régimes alimentaires riches en sucres.

Or, l’hyperglycémie et les maladies métaboliques qui lui sont liées (comme le diabète par exemple) sont fréquemment associées à une dégradation de la qualité et de l’intégrité de la peau, avec en particulier une moins bonne cicatrisation et un vieillissement cutané prématuré. Une des clés pour limiter ces altérations pourrait ainsi être de mieux comprendre comment l’hyperglycémie impacte le métabolisme et la structure de la peau.

Une équipe projet co-dirigée par Rodrigue Rossignol, directeur de recherche Inserm et co-directeur du laboratoire Maladies rares : génétique et métabolisme (Inserm/université  de Bordeaux) et Anne-Laure Bulteau à LVMH Recherche, s’est intéressée à la façon dont les fibroblastes du derme humain et les mitochondries qu’ils contiennent se comportent lorsqu’ils sont exposés à plusieurs degrés d’hyperglycémie : normale, modérée, élevée et extrême[2].

Ces études ont été menées dans 4 modèles complémentaires : sur des fibroblastes cultivés in vitro, dans un derme reconstitué (un modèle in vitro reproduisant la structure en trois dimensions du derme), dans une peau humaine reconstituée (similaire au derme reconstitué mais combinant derme et épiderme) et enfin dans une biopsie cutanée prélevée sur un patient diabétique.

Les résultats mettent en évidence un système très sensible et complexe de régulation du métabolisme énergétique et de l’activité des mitochondries au sein des fibroblastes humains, en réponse à la variation du taux de glucose dans le derme.

Les scientifiques ont notamment constaté qu’une hyperglycémie croissante inhibe la respiration cutanée réalisée par les mitochondries. Ils ont identifié des mécanismes moléculaires inédits débutant par la répression de l’activité des mitochondries, puis menant à leur fragmentation, jusqu’à l’activation de leur dégradation.

« Le blocage de la chaîne respiratoire des mitochondries produit des molécules toxiques pour la peau, impliquées dans son vieillissement, explique Rodrigue Rossignol, on parle alors de stress oxydatif. » 

Parmi les acteurs de la régulation de l’activité mitochondriale, les scientifiques ont identifié un facteur de croissance, appelé GDF15, dont l’activité était fortement inhibée dès l’apparition de l’hyperglycémie modérée et qui tendait à continuer de diminuer avec l’augmentation du taux de glucose environnant. Cette inhibition entraînait alors la diminution de la production de nouvelles mitochondries dans les fibroblastes. En revanche, une supplémentation des modèles de peau en GDF15 permettait d’inverser les altérations observées du métabolisme énergétique, même si l’hyperglycémie persistait.

« Nos résultats suggèrent que GDF15 pourrait être au cœur d’une potentielle stratégie pharmacologique ou dermatologique visant à limiter les dommages cutanés causés par le stress métabolique chez les personnes hyperglycémiques, indique Rodrigue Rossignol. Le chercheur tempère cependant : en conditions réelles, l’hyperglycémie chronique implique des phénomènes inflammatoires. Ceux-ci, non reproduits dans nos modèles, pourraient être susceptibles d’entraver l’action protectrice d’une supplémentation en GDF15. »

Enfin, l’équipe a pu observer que l’altération de l’activité mitochondriale des fibroblastes dégradaient leur capacité à produire un réseau de collagène cutané qualitatif.

« En cas de lésion cutanée, le réseau de collagène sert notamment aux fibroblastes à se déplacer dans le derme pour aller réparer les zones abîmées, détaille Rodrigue Rossignol, nos résultats montrent que, sous l’effet de l’hyperglycémie, le réseau étant défaillant, les fibroblastes s’y déplaçaient plus difficilement et la reconstruction cutanée était donc moins efficace. »

Ces données apportent de nouvelles connaissances fondamentales sur la façon dont l’hyperglycémie altère la physiologie de la peau et des mitochondries. Elles offrent de nouvelles perspectives concernant les causes de la dégradation de la qualité de la peau chez les personnes présentant une hyperglycémie et ouvrent la voie à de potentielles stratégies innovantes ciblant spécifiquement les mitochondries

Ces travaux sont co-financés par l’Inserm, l’université de Bordeaux, LVMH Recherche, la Fondation pour la recherche médicale (FRM) et la région Nouvelle-Aquitaine.

Seyta Ley Ngardigal, première autrice de cette étude et docteure de l’université de Bordeaux, a bénéficié d’une bourse doctorale financée par LVMH Recherche. Ces travaux s’inscrivent ainsi dans le cadre d’une thèse CIFRE dirigée par Rodrigue Rossignol et Anne-Laure Bulteau, au sein de l’unité Maladies Rares : génétique et métabolisme (Inserm/université de Bordeaux) et de LVMH Recherche (Orléans).

Les CIFRE, ou Conventions industrielles de formation par la recherche, sont des dispositifs financés par le ministère chargé de l’Enseignement supérieur de la Recherche ayant pour vocation à renforcer les échanges entre les laboratoires de recherche publique et les milieux socio-économiques, favoriser l’emploi des docteurs dans les entreprises et contribuer au processus d’innovation des entreprises établies en France.

[1]Selon l’OMS, un niveau de concentration sanguine en glucose normal est de 700 à 1000 mg de glucose par litre de sang (3,9 à 5,6 mmol/L). Entre 1200 et 2162mg/L (6,9 à 12 mmol/L), la personne est considérée en hyperglycémie ; 1200mg/L est considérée comme une hyperglycémie modérée et 2162 mg/L comme une hyperglycémie élevée.

[2]25mmol/L, soit environ deux fois la valeur d’une hyperglycémie élevée.

L’intelligence artificielle au service de la prévention de la mort subite

image décorative© Adobe stock

De nombreux décès par mort subite d’origine cardiaque pourraient être évités grâce à l’intelligence artificielle. Dans le cadre d’une nouvelle étude parue dans l’European Heart Journal, le 30 mars 2025, un réseau de neurones artificiels imitant le cerveau humain a été développé par des chercheurs et des chercheuses de l’Inserm, de l’Université Paris Cité, et de l’AP-HP, en collaboration avec des chercheurs américains. En analysant les données de plus de 240 000 électrocardiogrammes ambulatoires, cet algorithme a permis d’identifier les patients à risque de faire une arythmie grave pouvant provoquer un arrêt cardiaque au cours des deux semaines suivantes dans plus de 70 % des cas.

Chaque année, la mort subite d’origine cardiaque est responsable de plus de 5 millions de décès à travers le monde[1]. Un bon nombre de ces arrêts cardiaques surviennent brutalement sans signe précurseur identifiable, et frappent des individus de la population générale parfois sans antécédent connu de maladie cardiaque.

L’intelligence artificielle pourrait permettre de mieux anticiper les arythmies, des troubles inexpliqués du rythme du cœur dont les formes les plus sévères peuvent provoquer un arrêt cardiaque fatal, selon une nouvelle étude dirigée par une équipe de chercheurs et de chercheuses de l’Inserm, de l’Université Paris Cité et de l’AP-HP, en collaboration avec des chercheurs américains.

Dans le cadre de cette étude, un réseau de neurones artificiels a été développé par une équipe d’ingénieurs de l’entreprise Cardiologs (groupe Philips) en collaboration avec l’Université Paris Cité et l’université d’Harvard. Concrètement, cet algorithme imite les fonctions du cerveau humain, avec pour objectif d’améliorer la prévention de la mort subite d’origine cardiaque.

Les chercheurs ont analysé plusieurs millions d’heures de battements du cœur grâce aux données de 240 000 électrocardiogrammes ambulatoires recueillies dans six pays (États-Unis, France, Royaume-Uni, Afrique du Sud, Inde et République tchèque).

Grâce à l’intelligence artificielle, ils sont parvenus à identifier de nouveaux signaux faibles annonçant un risque d’arythmie. Les chercheurs se sont notamment intéressés au temps nécessaire à la stimulation électrique et à la relaxation des ventricules dans le cœur pendant un cycle complet de contraction et de relaxation cardiaque.

« Nous nous sommes rendu compte qu’il était possible d’identifier, sur l’analyse de leur signal électrique pendant 24 heures, les sujets susceptibles de développer une arythmie cardiaque grave dans les deux semaines qui suivent. Ce type d’arythmie, s’il n’est pas pris en charge, peut évoluer vers un arrêt cardiaque fatal », explique Laurent Fiorina, premier auteur de l’étude, chercheur au sein du laboratoire Paris – Centre de recherche cardiovasculaire (Inserm/Université Paris Cité), cardiologue à l’Institut cardiovasculaire Paris Sud et directeur médical en charge de l’intelligence artificielle chez Philips.

Le réseau de neurones artificiels est encore en phase d’évaluation, mais, dans le cadre de cette étude, il a montré qu’il était capable de détecter les patients à risque dans 70 % des cas, et les patients sans risque dans 99,9 % des cas.

Dans le futur, cet algorithme pourrait servir à surveiller les patients à risque à l’hôpital. À condition d’affiner ses performances, il pourrait aussi être intégré à des dispositifs comme les holters ambulatoires qui mesurent la pression artérielle pour mettre en évidence les risques d’hypertension, voire à des montres connectées.

« Ce que nous proposons ici, c’est un changement de paradigme dans la prévention de la mort subite, commente Eloi Marijon, directeur de recherche à l’Inserm au sein du laboratoire Paris – Centre de recherche cardiovasculaire (Inserm/Université Paris Cité), professeur de cardiologie à l’Université Paris Cité et chef du service de cardiologie à l’Hôpital européen Georges-Pompidou AP-HP. Jusqu’à présent, nous essayions d’identifier les patients à risque sur le moyen et long terme, mais nous étions incapables de prédire ce qui pouvait se passer dans les minutes, les heures ou les jours précédant un arrêt cardiaque.  Aujourd’hui, grâce à l’intelligence artificielle, nous sommes capables de prédire ces événements à très court terme et, potentiellement, d’agir avant qu’il ne soit trop tard. »

Les chercheurs souhaitent désormais réaliser des études cliniques prospectives pour tester l’efficacité de ce modèle en conditions réelles.

« Il est essentiel que cette technologie soit évaluée dans des essais cliniques avant de pouvoir être intégrée à la pratique médicale, insiste Laurent Fiorina. Mais ce que nous avons déjà montré, c’est que l’intelligence artificielle a le potentiel de transformer radicalement la prévention des arythmies graves. »

[1] https://www.thelancet.com/commissions/sudden-cardiac-death

Maladies cardiovasculaires : un médicament à l’essai pour prévenir de la sténose aortique

Photo d'imagerie par fluorescence. Visualisation des collagènes constitutifs d'une fibrose cardiaque dans le coeur d'une souris modèle pour l'hypertrophie cardiaque causée provoquée par une sténose aortique.

Visualisation des collagènes constitutifs d’une fibrose cardiaque dans le coeur d’une souris modèle pour l’hypertrophie cardiaque causée provoquée par une sténose aortique. Le collagène I est marqué en vert, le collagène III en rouge. © C Heron et D Godefroy/ Inserm.licence CC-BY-NC 4.0 international.

Elle est l’une des pathologies cardiaques les plus fréquentes chez le sujet âgé. En effet, la sténose aortique concerne près de 5 % des adultes de plus de 65 ans. Cette maladie grave, due à une calcification progressive de la valve aortique, demeure à ce jour sans traitement médicamenteux efficace. Une équipe de recherche du CHU de Lille, de l’Inserm, de l’Université de Lille et de Institut Pasteur de Lille, a priorisé ses recherches sur l’identification de médicaments capables de stopper ou de ralentir ce processus de calcification. Les résultats de ces travaux ont été publiés ce 24 février dans la revue Circulation.

« Cette découverte pourrait non seulement améliorer rapidement la prise en charge des patients souffrant de sténose aortique, mais également prolonger la durée de vie des prothèses valvulaires artificielles. » Prs Sophie SUSEN et Eric VAN BELLE, médecins-chercheurs au CHU de Lille.

Le rétrécissement aortique calcifié, appelé également sténose aortique dégénérative, est la maladie des valves cardiaques la plus fréquente dans le monde occidental. Sa fréquence augmente avec l’âge, car les tissus se rigidifient et se calcifient avec le temps. Elle se manifeste par un essoufflement à l’effort, parfois même au repos ; un gonflement des chevilles ou des jambes ; des douleurs thoraciques et parfois même des évanouissements à l’effort. En cas de sténose aortique sévère, le cœur doit travailler beaucoup plus à chaque battement pour pomper la même quantité de sang. Au lieu d’éjecter le sang à travers un orifice de la taille d’une pièce de deux euros, il doit le faire à travers un orifice de la taille d’une pièce de 50 centimes. En l’absence de traitement, le cœur devient plus gros et s’affaiblit progressivement. Cette maladie évolue classiquement vers une défaillance irréversible du cœur avec un risque d’œdème du poumon et de décès précoce. Une fois les symptômes présents, le taux de mortalité sans intervention TAVI (implantation de valve aortique par voie percutanée) ou chirurgicale est de plus de 30% à un an et 50% à deux ans.

Prévenir de la calcification : un défi majeur en cardiologie

La sténose aortique est un problème mécanique. L’orifice par lequel le sang est éjecté étant trop petit, le seul moyen actuel de l’agrandir est de remplacer la valve aortique. C’est dans cette optique que l’avènement des techniques de remplacement percutané a fortement progressé avec l’utilisation des bioprothèses. Toutefois, celles-ci ont tendance à calcifier également 10 à 15 ans après leur implantation, rendant nécessaire une nouvelle intervention, souvent risquée.

L’identification de cibles thérapeutiques permettant de ralentir ou de prévenir ces mécanismes de calcification reste un défi majeur en cardiologie. La communauté scientifique et les sociétés savantes considèrent la découverte de molécules capables de stopper ou ralentir ce processus comme une priorité. En ce sens, l’équipe des Pr Sophie SUSEN et Eric VAN BELLE (Inserm, Université de Lille, CHU de Lille, Institut Pasteur de Lille) a adopté une approche allant du modèle cellulaire au pré-clinique, combinant de multiples analyses permettant l’identification de cibles pharmacologiques innovantes, tout en favorisant le repositionnement de molécules déjà commercialisées.

Un dérivé de la vitamine A comme médicament contre la calcification de la valve

En collaboration avec l’Hôpital Européen Georges Pompidou et l’European Homograft Bank de Bruxelles, l’équipe lilloise s’est appuyée sur des cohortes de patients suivis au CHU de Lille. Grâce à une approche d’étude de l’expression des gènes de valves calcifiées et non calcifiées, les chercheurs ont mis en évidence la forte réduction de l’expression de l’enzyme ALDH1A1 permettant la synthèse d’un dérivé de la vitamine A dans les valves atteintes de sténose aortique. Cette réduction impactant certaines cellules valvulaires et favorisant le développement d’une nature plus calcifiante.

Grâce à cette mise en évidence, les chercheurs se sont intéressés à l’acide rétinoïque, le principal produit synthétisé par l’enzyme à partir de la vitamine A. Ils ont découvert que celui-ci était efficace in vitro et dans deux modèles animaux précliniques de dégénérescence tissulaire pour contrer la calcification. Ces travaux, publiés ce 24 février dans la revue Circulation, confirment que l’acide rétinoïque protège les cellules valvulaires de toute transformation calcifiante. Déjà commercialisé et utilisé comme traitement pour des indications en oncologie ou dermatologie, l’acide rétinoïque offre une opportunité de disponibilité rapide et sûre pour traiter la sténose aortique et prévenir la dégénérescence des bioprothèses. Ces résultats ouvrent la voie à des essais cliniques, capables d’améliorer la qualité de vie des patients et de prolonger la durée de vie des bioprothèses.

Des organoïdes humains de trompes de Fallope cultivés pour mieux comprendre les causes d’infertilité et améliorer la PMA

Images de microscopie électronique à balayage des organoïdes de trompes de Fallope humaines avec ou sans spermatozoïdes humains. © Nicolas Gatimel.

Une équipe de scientifiques de l’Université de Toulouse, du CHU de Toulouse et de l’Inserm a réussi une double avancée qui pourrait avoir des répercussions sur l’optimisation des techniques de procréation médicalement assistée (PMA). Non seulement ils ont réussi à fabriquer des organoïdes de trompes de Fallope humaines fonctionnels, mais ils ont aussi démontré que leur utilisation permettait le maintien d’une mobilité des spermatozoïdes à des niveaux supérieurs à ceux obtenus dans les milieux de culture utilisés actuellement pour la PMA. Ces résultats sont publiés dans l’édition de janvier de la revue Human Reproduction.

L’infertilité est un réel problème de santé publique qui touche un couple sur cinq en France, ainsi que plus de 200 millions de personnes dans le monde[1]. Les couples ont ainsi de plus en plus recours aux techniques de PMA pour concevoir un enfant. Toutefois, ces techniques ont besoin d’être améliorées car elles montrent encore des résultats sous-optimaux.

C’est dans ce contexte que deux équipes associant cliniciens et chercheurs se sont intéressées à une partie de l’appareil génital féminin importante dans le processus de reproduction humaine : les trompes de Fallope. Au moment de l’ovulation, les trompes de Fallope transportent l’ovocyte et permettent sa rencontre avec les spermatozoïdes pour initier la fécondation et les premières étapes du développement embryonnaire.

Afin de pouvoir étudier les trompes de Fallope sous toutes les coutures, Nicolas Gatimel, praticien hospitalier au sein du centre de PMA du CHU de Toulouse et professeur universitaire à l’Université de Toulouse au sein du laboratoire Développement embryonnaire, fertilité et environnement (DEFE – Inserm/UM/UT), et l’équipe de Nathalie Vergnolle, directrice de recherche Inserm au sein de l’Institut de recherche en santé digestive à Toulouse (IRSD – Inserm/Inrae/UT/ENVT), ont développé au laboratoire des organoïdes de trompes de Fallope humaines à partir de tissus de patientes ayant subi une ablation (salpingectomie) contraceptive.

Les organoïdes sont de petites structures biologiques en 3D qui reproduisent certaines fonctions d’un organe. Comme les trompes de Fallope sont le lieu d’événements majeurs pour la reproduction – notamment le maintien de la mobilité et l’acquisition du pouvoir fécondant des spermatozoïdes –, l’hypothèse des scientifiques était qu’une version organoïde des trompes de Fallope pourrait, en reproduisant des conditions proches de celles de l’organe in vivo, améliorer les capacités fécondantes des spermatozoïdes de manière plus efficace que dans les conditions in vitro appliquées au cours d’une PMA. Si l’hypothèse se confirmait, les scientifiques imaginaient que la connaissance de cet environnement pourrait aider à l’amélioration des milieux de culture actuellement utilisés en PMA.

Pour mener à bien ces recherches, des tissus ont été récupérés sur les organes retirés et ont été traités pour produire des cultures d’organoïdes. Ceux-ci sont des modèles in vitro, reproduisant une partie de l’organe et s’auto-reconstituant à partir de cellules souches issues de l’organe en question.

« Rapidement, les cellules isolées des trompes ont formé des organoïdes. Par rapport à d’autres expériences du même type, nos organoïdes étaient différents puisqu’ils avaient des caractéristiques morphologiques plus avancées et des dimensions exceptionnelles », détaille Guillaume Perez, chercheur à l’Université de Toulouse et co-auteur de l’étude. « Ils étaient également tout à fait aptes à ce pour quoi ils ont été conçus : accueillir des spermatozoïdes humains. »

Néanmoins, en se développant in vitro dans les boîtes de culture, les organoïdes se replient en formant des sphères difficilement accessibles aux spermatozoïdes. Pour résoudre cette problématique, les scientifiques des deux équipes de recherche ont conçu une nouvelle méthode résolvant cette difficulté d’accès et permettre une mise en culture combinée des organoïdes de trompes et des spermatozoïdes, mimant l’arrivée de spermatozoïdes au contact des trompes tel que cela se produit dans l’organe reproducteur de la femme.

« Les spermatozoïdes ainsi cultivés sur les organoïdes de trompes de Fallope ont montré une mobilité qualitativement et quantitativement supérieure à celle obtenue avec des milieux utilisés communément pour les techniques de PMA », souligne le professeur universitaire.

C’est par ailleurs la première fois que des organoïdes montrent une potentielle application clinique directe en médecine de la reproduction. Les scientifiques vont désormais pouvoir étudier plus précisément les interactions entre les trompes de Fallope et les spermatozoïdes, les ovocytes ou les embryons, et ainsi mieux comprendre certaines infertilités.

Enfin, selon Nicolas Gatimel, « grâce à notre travail, ce sont les conditions de préparation et de culture des spermatozoïdes et des embryons pour la PMA qui pourraient être améliorées », et ainsi offrir un horizon plus dégagé pour les couples ayant des difficultés à concevoir.

Ce travail de recherche fait l’objet d’un dépôt de brevet déposé par l’Inserm.

Les cultures des organoïdes se sont déroulées sur la plateforme Organoïdes de l’IRSD, dirigée par Nathalie Vergnolle, directrice de recherche Inserm, et David Sagnat, ingénieur d’études Inserm.

[1] selon le rapport sur les causes d’infertilité, produit par le Pr Hamamah et Mme Berlioux, rendu au ministère de la Santé en 2022 ; Vander Borght et al. 2018 ; Slama et al. 2012 ; Ben Messaoud et al. 2020

Augmentation des cas de scorbut chez les enfants en France depuis la pandémie de Covid

Oranges et citrons dans une coupe.Le scorbut est une maladie causée par une carence profonde en vitamine C. © Yann Khatchadourian sur Unsplash

Les équipes du service de pédiatrie générale et du centre de référence des rhumatismes inflammatoires et maladies auto-immunes systémiques de l’enfant (RAISE) de l’hôpital Robert-Debré AP-HP, de l’Inserm, de l’université Paris Cité et du département de pédiatrie de l’hôpital Cayenne en Guyane, coordonnées par les Drs Zein Assad, Maelle Trad et le Professeur Ulrich Meinzer, ont réalisé une étude sur l’augmentation de la maladie de scorbut chez les enfants en France depuis la pandémie de Covid-19. Les résultats de cette étude ont fait l’objet d’une publication parue le 6 décembre 2024 dans la revue The Lancet Regional Health – Europe.

Le scorbut est une maladie causée par une carence profonde en vitamine C et qui avait pratiquement disparue à la fin du XXe siècle dans les pays à haut revenu, en particulier en Europe. Le scorbut peut être responsable, entre autres, de douleurs osseuses intenses et d’une faiblesse musculaire invalidante, d’hémorragies et d’une altération de l’état général. Le retour inquiétant de cette maladie met en lumière les possibles conséquences de l’augmentation de la précarité socio-économique depuis 2020 sur l’état nutritionnel des enfants en France.

L’objectif principal de l’étude était d’évaluer les tendances de l’incidence du scorbut chez les enfants hospitalisés en France sur une période de neuf ans et d’examiner l’impact de la pandémie de Covid-19. L’étude a également analysé l’évolution de la malnutrition, en différenciant les formes sévères des formes modérées et légères.

Cette étude repose sur des données collectées à partir du système national PMSI (programme de médicalisation des systèmes d’information). Elle a inclus des patients âgés de 18 ans et moins, atteints de scorbut et de malnutrition sévère, entre janvier 2015 et novembre 2023. L’étude couvre deux périodes distinctes : pré-pandémie (2015-2020) et post-pandémie (2020-2023). Les facteurs socio-économiques tels que l’indice des prix à la consommation ont été intégrés pour évaluer les corrélations avec l’incidence des maladies.

Un total de 888 patients atteints de scorbut a été hospitalisé, dont l’âge moyen était de 11 ans. L’augmentation des hospitalisations est estimée à 34,5 % après le début de la pandémie de Covid-19. Par ailleurs, la hausse des cas de malnutrition sévère, estimée à 20,3 %, conforte le lien du scorbut avec une dégradation de l’état nutritionnel des enfants. L’augmentation des cas de scorbut et de malnutrition sévère était associée à une aggravation de la précarité socio-économique et de l’inflation. Cette association ne constitue pas nécessairement une relation causale, bien que plausible.

La réémergence du scorbut peut être liée à différentes causes incluant des facteurs environnementaux, sociaux mais aussi liés aux habitudes alimentaires. Il faut également souligner l’impact inattendu, de la pandémie et des crises socio-économiques et politiques mondiales qui l’ont suivie, sur l’aggravation de l’insécurité alimentaire. Ainsi, en France, l’inflation des prix alimentaires a atteint 15 % au début de 2023, touchant particulièrement les familles précaires.

A la suite des résultats de cette étude, des recommandations pourraient être proposées, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre de programmes d’aide alimentaire ciblés, l’amélioration de l’accès à des aliments nutritifs et financièrement abordables, ainsi qu’un renforcement de la formation clinique pour la prévention et la détection précoce des carences alimentaires.

Stéatohépatite associée à un dysfonctionnement métabolique (MASH) : il n’existe pas un mais deux types de maladie

La MASH est une pandémie croissante dans le monde entier, qui va de pair avec l'augmentation de l'obésité et du diabète. Il s'agit également d'un domaine où les besoins médicaux non satisfaits sont importants. Crédits : François PattouLa MASH est une pandémie croissante dans le monde entier, qui va de pair avec l’augmentation de l’obésité et du diabète. Il s’agit également d’un domaine où les besoins médicaux non satisfaits sont importants. © François Pattou

La MASH, anciennement connu sous le nom de la NASH, est une maladie hépatique chronique grave, qui concerne environ 4 à 6 % de la population adulte mondiale[1]. Une nouvelle étude révèle que contrairement à ce qui était admis jusqu’ici, il n’existe pas une seule forme de MASH mais deux. Elles se distinguent à la fois par des caractéristiques biologiques et des progressions différentes. L’une est d’origine génétique quand l’autre est la conséquence de désordres métaboliques. Cette découverte faite au CHU de Lille dans le cadre du RHU PreciNASH, un vaste projet de recherche hospitalo-universitaire coordonné par l’Inserm, a nécessité la collaboration de plusieurs équipes scientifiques issues d’Inria, du CNRS, de l’université, du CHU, et de l’Institut Pasteur de Lille[2]. Cette étude fait l’objet d’une publication dans Nature Medicine et pourrait marquer un tournant dans la façon d’appréhender la maladie sur le plan clinique et thérapeutique.

La stéatose hépatique métabolique (MASLD) est caractérisée par un excès de gras dans le foie. Cette maladie n’est pas nécessairement grave, mais si la graisse continue à s’accumuler, le foie devient le siège d’une inflammation appelée hépatite. On parle alors plus précisément de « stéatohépatite associée à un dysfonctionnement métabolique » (MASH). Dans ce cas, l’inflammation ne disparait pas, elle va au contraire s’aggraver avec le temps et peut évoluer vers la fibrose du foie[3], voire vers une cirrhose, avec un risque de cancer hépatique.

Deux types de MASH

La progression vers la MASH est variable d’un patient à un autre, à la fois en ce qui concerne sa sévérité et les complications associées. Cela suggère qu’il existe différents types de MASH. Pour vérifier cette hypothèse, des équipes lilloises regroupées dans un consortium international coordonné par le Pr François Pattou[4], ont eu recours à plusieurs cohortes de patients et à l’intelligence artificielle.

En analysant les données cliniques et de biopsie de foie de 1800 patients par un « algorithme », ils ont mis en évidence deux profils distincts de patients présentant un risque de MASH. Ces deux profils peuvent être distingués sur la base de seulement six variables cliniques et biologique simples : l’indice de masse corporelle, le taux d’enzyme hépatique alanine aminotransférase (ALT), l’âge, le taux de LDL cholestérol, le taux de triglycérides (un type d’acides gras), et celui d’HbA1c qui reflète le taux moyen de glucose dans le sang.

Les scientifiques montrent notamment que l’un des deux groupes de patients est caractérisé par un taux de triglycérides et d’HbA1c élevés et l’autre par un taux anormal d’enzyme hépatique ALT. Ces résultats ont été obtenus à partir de la cohorte ABOS, composée de personnes suivies au CHU de Lille, dans le cadre du projet européen IMI Sophia. Ces patients en situation d’obésité ont accepté la réalisation d’une biopsie hépatique dans le cadre d’une chirurgie de l’obésité. Les principaux résultats ont ensuite été validés à l’aide de quatre cohortes européennes indépendantes en Italie, Finlande, Belgique et au Royaume-Uni.

Forts de ces observations, le Pr François Pattou et ses collègues sont allés plus loin dans l’analyse des différents cas de MASH issus de la cohorte lilloise. Ils ont découvert que les deux profils de patients identifiés présentaient en fait deux formes de MASH différentes.

Origine génétique ou cardio-métabolique

Le premier groupe de patients qui présente un taux anormal d’enzyme hépatique ALT développe une MASH spécifique du foie, d’origine génétique, caractérisée par un dysfonctionnement hépatique qui conduit le foie à produire des acides gras qui s’accumulent à l’intérieur de cet organe.

Le deuxième groupe qui a des taux élevés de triglycérides et d’HbA1c présentent une MASH de type cardio-métabolique. Dans celle-ci, des lipides circulants sont importés dans foie via le sang.

« Ces deux formes ne peuvent pas être distinguées par la biopsie hépatique qui sert au diagnostic de la MASH et qui permet seulement de constater l’association d’une stéatose et d’une inflammation dans le foie. En revanche, nous montrons ici que les mécanismes physiopathologiques conduisant à l’apparition de ces deux formes de la maladie ainsi que leur progression, diffèrent », clarifie Stefano Romeo, spécialiste suédois des maladies métaboliques et chercheur associé de l’université de Lille.

Concrètement, la MASH spécifique du foie apparait chez des personnes plus jeunes et provoque essentiellement des maladies hépatiques graves alors que la seconde, de type cardio-métabolique, expose aussi au diabète de type 2 et à la survenue d’accidents cardiovasculaires.

 « Ce travail permet de stratifier les cas de MASH en deux endotypes distincts, caractérisés chacun par des mécanismes biologiques spécifiques et une progression clinique différente », résume Francois Pattou.

« Il s’agit d’une avancée importante vers une médecine de précision, avec l’idée que nous pourrions adapter à l’avenir la prise en charge des patients selon le type dont ils sont atteints. En particulier, plusieurs médicaments sont en développement pour lutter contre cette maladie, avec des résultats hétérogènes. Il serait utile de les évaluer de façon distincte selon le type de MASH », précise le professeur Philippe Mathurin, hépatologue, également impliqué dans le projet.

Pour accompagner ces prochaines étapes, l’équipe a mis au point l’application RShiny librement accessible en ligne pour les cliniciens : ce programme permet d’identifier le type de MASH d’un patient, sur la seule base des six variables simples prises en compte dans ce travail.

« Cet outil statistique n’est pas un dispositif médical, mais permet aux cliniciens de classer bien facilement de nouveaux patients sans avoir besoin de connaissance en programmation » conclut Guillemette Marot, biostatisticienne, impliquée dans la construction des deux endotypes.

 

[1] La « Metabolic dysfunction-associated steatotic liver disease » (MASLD), anciennement appelée « nonalcoholic fatty liver disease (NAFLD) », touche environ 30 % de la population adulte mondiale. Cette maladie englobe un spectre allant de l’accumulation bénigne de graisse dans le foie (stéatose) à sa forme plus sévère, la « metabolic dysfunction-associated steatohepatitis » (MASH), auparavant connue sous le nom de « nonalcoholic steatohepatitis » (NASH). La MASH, qui concerne environ 4 à 6 % de la population adulte, représente une progression dangereuse de la maladie, pouvant conduire à des complications graves telles que la cirrhose, le cancer du foie.

[2] Ce travail a été menée dans le cadre du projet RHU PreciNASH, coordonné par l’Inserm et impliquant l’Université de Lille, le CHU de Lille, L’Institut Pasteur de Lille, le CNRS. Il a été mené en lien avec le laboratoire Sanofi.

[3] Fibrose :  accumulation de tissu cicatriciel non fonctionnel

[4] François Pattou est chef du service de chirurgie générale et endocrinienne au CHU de Lille, et directeur du laboratoire de recherche translationnelle sur le diabète (U1190-EGID, Inserm, Institut Pasteur de Lille, Université de Lille, CHU de Lille)

 

Pour aller plus loin sur le sujet : regarder l’émission de l’Inserm « Le foie, ce super organe méconnu »

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