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Résultats d’une étude internationale sur la prédiction de perte de poids après chirurgie bariatrique

balance© Photo de i yunmai sur Unsplash

Les équipes lilloises des Professeurs François Pattou (Université de Lille, CHU de Lille, Inserm, Institut Pasteur de Lille) et Philippe Preux (Université de Lille, Inria) ont développé un outil capable de prédire, de manière personnalisée, la perte de poids attendue durant 5 ans chez un patient après une chirurgie bariatrique. Basé sur 7 variables ainsi que l’intelligence artificielle, il a été construit à partir d’une cohorte de 1.500 patients opérés et suivis depuis plus de quinze ans au CHU de Lille. Les performances du modèle ont ensuite été validées chez plus de 10.000 patients suivis en France (Montpellier, Lyon, Valenciennes, Boulogne) et à l’étranger (Pays-Bas, Finlande, Suède, Suisse, Singapour, Mexique, Brésil), dans le cadre du projet européen IMI Sophia. L’application est déjà en ligne, à la disposition des équipes de soins et des patients.  La publication de ces résultats dans la prestigieuse revue The Lancet Digital Health vient souligner l’excellence de ce projet interdisciplinaire original initié il y a 3 ans.

 

Personnaliser la prise en charge des patients grâce à l’intelligence artificielle

Face à l’augmentation de la prévalence de l’obésité dans nos sociétés, la chirurgie bariatrique s’est imposée comme un traitement efficace pour une perte de poids durable et une prolongation de l’espérance de vie en meilleure santé. Il est cependant difficile de prévoir les résultats de celle-ci dans la durée après l’intervention. De nombreux modèles ont été développés pour fournir aux chirurgiens des outils de prédiction de perte de poids postopératoire. Mais pour que ces modèles soient pertinents d’un point de vue clinique, ils doivent permettre de pouvoir la prédire sur une période d’au moins cinq ans.

Le Pr François Pattou, Chef du service de chirurgie générale et endocrinienne au CHU de Lille, et directeur du laboratoire de recherche translationnelle sur le diabète (Inserm, Institut Pasteur de Lille, Université de Lille, CHU de Lille) s’est rapproché de Philippe Preux, professeur à l’Université de Lille et responsable de l’équipe-projet Inria SCOOL (intégrée au laboratoire CRIStAL commun à l’Université de Lille, au CNRS et à Centrale Lille Institut) pour développer son propre outil à partir de données collectées depuis 2006 sur les résultats de ses chirurgies bariatriques. Les chercheurs sollicités ont mis en œuvre des algorithmes capables de prédire la perte de poids attendue après une chirurgie bariatrique à partir de ces données.

« Les données dont nous disposions pour chaque patient étaient vastes mais le nombre de patients, lui, était restreint à quelques milliers » précise Patrick Saux, doctorant Inria et premier auteur de la publication. « Nous avons donc compensé ce faible échantillon en nous appuyant sur l’expertise des médecins et des diététiciens. C’est là tout l’intérêt du travail interdisciplinaire ».

 

Une collaboration remarquable entre chercheurs en intelligence artificielle et professionnels de santé

Le modèle mis au point aboutit à une courbe, propre à chaque individu, décrivant l’évolution attendue du poids jusqu’à cinq ans après la chirurgie. Ce qui présente plusieurs avantages : d’abord, pour le patient, qui peut réellement visualiser sa future perte de poids.

« Certains ont des attentes irréalistes avant une chirurgie bariatrique. Un support graphique permet d’éviter un trop grand décalage avec la réalité et de mieux anticiper la trajectoire de poids attendue après la chirurgie », estime Patrick Saux.

Ensuite, pour le médecin, car un écart important avec l’évolution prévue peut être synonyme de complication, d’un besoin de réopérer ou de changer le traitement postopératoire.

Les algorithmes utilisés pour ce modèle reposent sur des arbres de décision, c’est-à-dire des séries de questions : l’âge du patient, son poids, s’il est fumeur ou non, s’il a du diabète, le type de chirurgie envisagée…. Ils sont très robustes, leurs prédictions sont relativement précises et ils sont en outre facilement interprétables. Les médecins ont ainsi pu vérifier que les algorithmes prenaient en compte suffisamment de critères pertinents pour faire leurs prédictions.

Les experts en santé ont également contribué à affiner les algorithmes de lissage : le modèle n’étant créé qu’à partir de données récoltées ponctuellement (avant la chirurgie, puis après trois mois, un an, deux ans…), il fallait combler les vides entre ces collectes.

« Là encore, le médecin sait à quoi ressemble habituellement la courbe de poids, donc il nous aide à chercher dans la bonne direction », apprécie Patrick Saux.

 

Une publication dans The Lancet Digital Health qui présente les résultats de l’étude

Les objectifs de l’étude étaient les suivants :

  • Concevoir un système pour prédire la trajectoire de perte de poids postopératoire ;
  • En étudier la performance à l’échelle mondiale, d’abord en validant les trajectoires prédites par l’algorithme dans une dizaine de cohortes indépendantes, non seulement en Europe, mais aussi à Singapour, Mexico ou Sao Paulo. Les résultats ont montré la supériorité du nouvel algorithme sur tous les modèles existants. Cette étude a confirmé l’impact du type d’intervention, de la durée du diabète et du tabagisme chez les patients.
  • Intégrer l’algorithme dans un outil facile à utiliser et à interpréter, permettant une prédiction préopératoire individuelle de la trajectoire de poids postopératoire.

 

Aujourd’hui, l’une des raisons d’être de cet outil est de prédire l’utilité des visites postopératoires et d’éclairer la prise de décision clinique. L’outil est accessible en ligne à l’adresse suivante : bariatric-weight-trajectory-prediction.univ-lille.fr

10.231 participants suivis durant 5 ans dans 8 pays et 3 continents

Xénotransplantation : pour la 1re fois, la réponse immunitaire après la greffe de reins de porcs génétiquement modifiés chez l’humain est décryptée

xenogreffe rein porcLa pénurie mondiale d’organes est un problème majeur de santé publique. La xénotransplantation, qui consiste à transplanter un organe d’un donneur dont l’espèce biologique est différente de celle du receveur, est une solution prometteuse pour y remédier. © Célestin Ricada.

Dans une étude publiée le 18 août 2023, dans la revue The Lancet, l’équipe de recherche Approches Multidimensionnelles en Transplantation d’Organe d’Université Paris Cité, de l’Inserm et de l’AP-HP, dirigée par le Professeur Alexandre Loupy à l’Institut de transplantation multi-organes et de médecine régénératrice de Paris (PITOR), en collaboration avec l’Institut NYU Langone Health aux États-Unis, a pour la première fois élucidé les mécanismes en jeu dans la réponse immunitaire survenant après la greffe de reins de porcs génétiquement modifiés chez l’humain et identifié des solutions thérapeutiques pour prévenir le rejet de l’organe greffé.

La pénurie mondiale d’organes est un problème majeur de santé publique. La xénotransplantation, qui consiste à transplanter un organe d’un donneur dont l’espèce biologique est différente de celle du receveur, est une solution prometteuse pour y remédier. Le porc est considéré comme l’espèce donneuse de choix, du fait de nombreuses similarités physiologiques et morphologiques entre les organes humains et porcins. Néanmoins, l’utilisation de ces derniers a historiquement été limitée par les barrières immunologiques inter-espèces, notamment par la présence naturelle dans la circulation sanguine humaine d’anticorps dirigés contre des xénoantigènes1 présents à la surface des cellules porcines, responsables d’un phénomène de rejet hyper aigu qui aboutit inexorablement à la perte du greffon en quelques minutes.

 

Une révolution médicale

Les nouvelles biotechnologies permettant la modification du génome porcin ont complètement révolutionné la xénotransplantation. En effet, chez les porcs, certains gènes sont à l’origine de la fabrication d’enzymes responsables de la formation de xénoantigènes, qui, une fois présents dans l’organisme humain, induisent une très forte réaction immunitaire du receveur, réaction à l’origine des rejets des greffons de reins porcins. Grâce à ces nouvelles biotechnologies, il est désormais possible de supprimer ces gènes porcins spécifiques, ce qui permet de réduire considérablement le risque de rejet hyperaigu. Cela a permis d’obtenir des taux inédits de survie de greffons et cliniquement acceptables dans les modèles pré-cliniques, mais aucune tentative n’avait encore été réalisée chez l’humain… jusqu’à récemment.

Fin 2021, les premières xénotransplantations de reins de porcs génétiquement modifiés (afin qu’ils n’expriment pas le xénoantigène alpha-1,3-gal) ont été réalisées, aux États-Unis, avec succès chez des receveurs humains. Il s’agissait de patients en état de mort encéphalique, pour lesquels la famille et les comités éthiques avaient donné leur accord pour maintenir artificiellement la circulation sanguine afin de réaliser ces transplantations. L’équipe de recherche Approches Multidimensionnelles en Transplantation d’Organe dirigée par le Pr Alexandre Loupy, collaborant avec l’équipe américaine, a donc eu accès aux biopsies de ces xénogreffes et a ainsi pu conduire et développer les versants histologique, immunologique et transcriptomique2 de cette recherche collaborative.

« Il s’agit d’une véritable révolution en transplantation et dans le milieu médical en général. Ce qui pouvait auparavant s’apparenter à de la science-fiction est désormais devenu une réalité grâce aux biotechnologies qui ont permis de prévenir le rejet hyperaigu. Néanmoins, la réponse immunitaire des patients recevant ce type de greffe n’avait pas encore été caractérisée. Cela est pourtant primordial pour augmenter les chances de succès de la xénogreffe. Nous avons donc conçu une étude et réuni un groupe pluridisciplinaire d’experts pour décrypter ces phénomènes complexes de rejet de xénogreffe chez l’humain », indique le Pr Alexandre Loupy, PU-PH, néphrologue à l’hôpital Necker-Enfants malades AP-HP, expert mondial du rejet, directeur de l’unité 970 Approches Multidimensionnelles en Transplantation d’Organe et directeur de l’Institut de Transplantation multi-organes et de médecine régénératrice, PITOR, à Université Paris Cité.

 

La médecine de précision au service de la xénotransplantation

Afin de mieux caractériser la réponse immunitaire des patients contre ces organes porcins, l’équipe de recherche a décidé d’utiliser une approche innovante, dite multimodale, basée sur des technologies de pointe adaptées pour le diagnostic de précision.

« Nous avons réalisé une étude exhaustive des xénotransplants en utilisant des biotechnologies d’immunologie et de microscopie moléculaire capables de caractériser et localiser précisément les cellules immunitaires dans les greffons », indique le Dr Valentin Goutaudier, néphrologue et co-premier auteur de l’article. « Le caractère novateur de notre approche réside dans son caractère multimodal, c’est-à-dire combinant une analyse conjointe de données complexes – histologiques, immunologiques et transcriptomiques – avec des logiciels de bio-ingénierie, pathologie digitale et bio-informatique. »

 

Une réponse immunitaire hybride

Les résultats ont rapidement été sans appel : les patients présentaient des signes précoces d’une forme particulière de rejet, dite « médiée par les anticorps », quasi invisibles avec les technologies de microscopie standard. Les chercheurs ont également observé des cellules inflammatoires dans les xénotransplants.

« Nous avons mis en évidence une forme très particulière de rejet, partageant à la fois des caractéristiques moléculaires d’une réponse immune intra-espèce et inter-espèces, » précise le Dr Alessia Giarraputo, chercheuse et co-première auteure de l’étude. « La localisation des cellules inflammatoires était également inhabituelle, car elles étaient principalement concentrées dans les glomérules porcins, c’est-à-dire les filtres sanguins rénaux, alors qu’elles sont classiquement réparties dans toute la circulation des greffons dans le cas de la transplantation humaine. »

Les cellules inflammatoires observées dans les xénotransplants sont recrutées par des anticorps humains dirigés contre la xénogreffe (les xénoanticorps), et qui sont présents dans la circulation sanguine des receveurs. Contrairement à ce qui est habituellement observé dans ce type de rejet en transplantation humaine (organe humain transplanté chez un autre humain), ces cellules inflammatoires étaient des cellules de l’immunité innée, c’est-à-dire de l’immunité « ancestrale » partagée par de nombreuses espèces biologiques. Néanmoins, l’étude a permis de montrer que lorsque ces cellules immunitaires se manifestent chez l’humain contre un xénogreffon, elles ont la même « signature moléculaire » que lorsqu’elles se manifestent contre un greffon humain. Elles exprimaient donc des gènes typiques d’un rejet habituel, qui reproduisaient la signature moléculaire d’un rejet médié par les anticorps contre un organe humain.

 

Un grand pas vers une implémentation en clinique

Lors d’une transplantation humaine, s’il n’est pas traité à temps, ce type de rejet médié par des anticorps, évolue inéluctablement vers la perte du greffon à moyen ou long terme. Les chercheurs estiment qu’ils peuvent donc anticiper la même évolution lors d’une xénotransplantation. Loin d’être un frein pour le développement ultérieur de cette discipline, ces nouvelles données ont permis à l’équipe dirigée par le Pr Alexandre Loupy, d’identifier des cibles moléculaires pour optimiser les modèles de porcs génétiquement modifiés et les traitements immunosuppresseurs à administrer aux patients pour limiter le risque de rejet. Des modèles de porcs surexprimant des gènes qui permettent de limiter l’infiltration des greffons par les cellules de l’immunité innée sont déjà disponibles et seront à étudier plus en détail. De plus, le rejet médié par les anticorps étant bien connu en transplantation humaine, les traitements déjà existant pourront quant à eux être testés en xénotransplantation afin d’augmenter les chances de succès des prochains essais cliniques.

Cette étude ouvre de grandes perspectives pour réussir un jour à transplanter des reins de porcs génétiquement modifiés chez des receveurs humains vivants, avec une survie des greffons acceptable à long terme. Les découvertes de l’équipe du Pr Alexandre Loupy, identifiées comme majeures par le National Institutes of Health (NIH), qui conçoit actuellement les futurs essais cliniques, hissent ainsi la France à la pointe de la xénotransplantation. Ces résultats ont notamment contribué au très récent succès d’une greffe de rein de porc génétiquement modifié chez un receveur humain jusqu’à 32 jours après la reperfusion de l’organe.

 

[1] Antigène extérieur à l’organisme, provenant d’une espèce différente. xéno-antigène

[2] Etude de la structure des tissus vivants, de l’ensemble des mécanismes de défense de l’organisme contre les antigènes, et de l’ensemble des molécules d’ARN (transcrits) résultant de la transcription du génome

Troubles du neurodéveloppement chez l’enfant : un nouveau gène mis en cause

ADN© ADN double hélice – National Human Genome Research Institute, National Institutes of Health.

Face aux troubles neurodéveloppementaux infantiles, comment sortir de l’impasse thérapeutique ? La réponse pourrait bien se trouver dans les gènes du protéasome, une machinerie intracellulaire responsable de l’élimination des protéines défectueuses de la cellule. Une équipe de recherche de l’Inserm, du CNRS, de Nantes Université et du CHU de Nantes, au sein de l’Institut du thorax et en collaboration avec des équipes internationales, a étudié le génome de 23 enfants atteints de troubles du neurodéveloppement. Elle a ainsi mis en évidence quinze mutations du gène PSMC3 du protéasome susceptibles d’être impliquées dans leur maladie. Ces travaux, parus dans Science Translational Medicine, ouvrent de nouvelles perspectives de recherche pour mieux comprendre ces maladies et identifier des traitements.

L’origine d’un trouble du neurodéveloppement chez l’enfant demeure encore aujourd’hui difficile à identifier et les patients et leur famille sont souvent confrontés à plusieurs années d’errance diagnostique.

Une équipe de recherche de l’Institut du thorax (Inserm/CNRS/Nantes Université/CHU de Nantes), menée par Stéphane Bézieau, chef du service de génétique médicale du CHU de Nantes, travaille depuis plusieurs années sur la génétique des troubles du neurodéveloppement chez l’enfant. Ses travaux ont notamment mené à identifier le rôle d’un gène appelé PSMD12 dans une maladie neurodéveloppementale infantile. Ce gène s’exprime dans un grand complexe de protéines situé dans les cellules et baptisé protéasome.

Le protéasome fonctionne comme une sorte d’« éboueur » au sein de la cellule. En permettant l’élimination des protéines défectueuses qu’elle contient, il joue un rôle déterminant dans un grand nombre de processus cellulaires. Les altérations qui peuvent apparaître sur certains des gènes le constituant sont susceptibles d’impacter sa capacité à dégrader les protéines défectueuses. Leur accumulation a pour conséquence l’apparition de pathologies très variées.

Dans de nouveaux travaux[1], en collaboration avec des équipes internationales, l’équipe de recherche a continué à explorer les liens entre mutations des gènes du protéasome et maladies du neurodéveloppement. Elle s’est cette fois plus spécifiquement intéressée au gène PSMC3 du protéasome et à son implication dans les troubles neurodéveloppementaux de 23 jeunes patients européens, américains et australiens, atteints de symptômes neurologiques (retard de langage, déficience intellectuelle ou problèmes comportementaux) fréquemment associés à des anomalies du visage et à des malformations du squelette, du cœur et d’autres organes.

Grâce au séquençage complet du génome de ces patients, les chercheuses et chercheurs ont ainsi mis en évidence quinze mutations du gène PSMC3 susceptibles d’expliquer l’origine des symptômes.

« Il est rapidement apparu que les cellules de patients porteuses d’un gène PSMC3 défaillant se retrouvaient littéralement surchargées de protéines inutiles et toxiques pour elles », explique Frédéric Ebstein, chercheur Inserm et premier auteur de l’étude. Il compare ce phénomène à celui observé dans certaines maladies neurodégénératives liées à l’âge, telles que les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson.

« La découverte de l’implication d’un second gène dans les troubles du neurodéveloppement infantile apporte un éclairage inédit sur ce groupe de maladies rares encore inconnu il y a peu, précise le chercheur Sébastien Küry, ingénieur au CHU de Nantes, qui a co-signé ces travaux. Ce travail, associé à la découverte récente par l’équipe d’autres gènes impliqués [mais encore non publiés à ce jour, ndlr.], ouvre des perspectives majeures dans la compréhension de ce groupe de maladies neurodéveloppementales ainsi que des perspectives de traitement », conclut-il.

 

[1]Ces travaux sont soutenus financièrement par l’Agence nationale de la recherche (ANR), l’Union européenne (European Joint Programme on Rare Diseases) et la compagnie d’assurance AXA.

Une intelligence artificielle pour prédire le vieillissement

Ordinateur et stéthoscope© Unsplash

Si l’on vieillit toutes et tous à chaque instant passé, le processus de vieillissement ne se fait pas à la même vitesse au niveau biologique et il est très variable selon les individus. D’autant plus qu’il est le facteur de risque le plus important dans la majorité des pathologies, notamment chroniques. Une équipe de scientifiques internationaux, dirigée par Louis Casteilla et Paul Monsarrat, professeurs à l’université Toulouse III – Paul Sabatier en physiologie animale et odontologie, exerçant au sein de l’institut Restore (CNRS/ENVT/Inserm/UT3), a utilisé une intelligence artificielle afin de réussir à discerner l’âge physiologique de l’âge chronologique. Une approche, publiée dans la revue Aging Cell le 10 juin, qui permet de mieux comprendre, prédire et prendre en charge de manière individualisée les individus et patients.

Identifier les mécanismes sous-jacents qui conduisent pour un même âge chronologique à une usure biologique variable selon les personnes est l’objectif d’un domaine scientifique nouveau : les gérosciences. Pour réussir à discerner le plus finement possible ce vieillissement biologique plus ou moins prononcé, les scientifiques ont adopté comme approche celle de l’apprentissage machine, autrement dit l’intelligence artificielle, en lui donnant une masse importante de données de biologie médicale à traiter.

Jusqu’à présent, les méthodes biostatistiques utilisées s’appuyaient le plus souvent sur un choix réduit et déterminé de variables pour estimer le vieillissement biologique. Cependant, elles peinent à tenir compte de la complexité des relations entre ces paramètres.

L’utilisation d’intelligences artificielles n’est pas nouvelle dans le domaine biomédical. Toutefois, des questions de transparence se posent en ce qui concerne les résultats produits, ce qui peut soulever des inquiétudes lors de son utilisation par un professionnel de santé.

Pour éviter ces écueils et proposer une méthode fiable, l’équipe de Louis Casteilla a développé un cadre méthodologique innovant pour déterminer un âge physiologique personnalisé en utilisant différemment l’intelligence artificielle. Celle-ci est désormais plus « transparente » : elle définit à l’échelle de l’individu le poids des paramètres utilisés dans le résultat donné, un point crucial pour sa future acceptabilité clinique.

Cette IA calculatrice d’âge physiologique, dite PPA pour Personalized physiological age, a été conçue sur une très large base de données de population américaine, à partir de 26 variables biologiques simples (hémoglobine glyquée, glycémie, urémie…) pouvant être mesurées dans n’importe quel laboratoire d’analyses médicales. Elle permet de prédire les maladies chroniques et la mortalité indépendamment de l’âge chronologique.

« Ce travail n’a pu se faire que grâce à un effort collectif intense et soutenu d’une équipe pluridisciplinaire qui incluait des biologistes, des cliniciens, des informaticiens et des épidémiologistes », souligne Louis Casteilla.

Cette méthode, qui a fait l’objet d’un dépôt de brevet, ouvre la voie à un futur suivi clinique spécifique et personnalisé pour un vieillissement en bonne santé et toutes les pathologies liées à l’âge.

« Le PPA permettra au professionnel de santé d’identifier précocement la déviation de son patient par rapport à sa trajectoire de vieillissement ‘normal’ et de mettre ainsi en place les stratégies pour prévenir l’apparition des maladies chroniques ou diminuer leur gravité. Nous pensons que ce type d’approche est particulièrement pertinent pour analyser la complexité des facteurs de risque dans le médical sans sacrifier l’humanité de la relation patient – soignant », rajoutent les auteurs.

Une nouvelle équation d’estimation de la fonction rénale améliore les soins du patient transplanté

Coupe de rein humainCoupe de rein humain grossie 400 fois par un microscope à immunofluorescence polychromatique. © Inserm/Oriol, Rafael

Les équipes du Service de Néphrologie-transplantation rénale adultes de l’hôpital Necker – Enfants malades AP-HP, de l’Inserm et d’Université Paris Cité1, et du Paris Institute for Transplantation and Organ Regeneration, coordonnées par le Pr Alexandre Loupy et le Dr Marc Raynaud, ont démontré qu’une nouvelle équation d’estimation de la fonction rénale2 sans paramètre ethnique, pourrait significativement améliorer le suivi et la gestion des patients transplantés du rein. Ces travaux ont fait l’objet d’une publication en open access le 31 mai 2023 dans la revue BMJ.

La transplantation rénale est la meilleure option pour les personnes en insuffisance rénale terminale, en termes d’augmentation de l’espérance de vie et d’amélioration de la qualité de vie. Dans un contexte de pénurie d’organes, les échecs de greffes aggravent le nombre grandissant de personnes en insuffisance rénale.

Aucune équation d’estimation de la fonction rénale n’a été spécifiquement développée pour les patients transplantés alors que cela pourrait permettre une prise de décision clinique optimale et ainsi la possibilité de mieux lutter contre l’échec de greffe.

Les équations actuelles d’estimation de la fonction rénale ont été développées sur des reins natifs3, ce qui a été critiqué4, car les receveurs de reins ont des facteurs spécifiques affectant leurs fonctions rénales, incluant les traitements immunosuppresseurs et les comorbidités liées à la transplantation.

L’équipe de recherche a cherché à créer une nouvelle équation d’estimation de la fonction rénale4 qui pourrait significativement améliorer le suivi et la gestion des patients transplantés du rein.

Plus de 15 000 patients ont été inclus dans la plus grande cohorte mondiale de patients transplantés, pour un total de 50 000 mesures de fonction rénale.

La nouvelle équation prend en compte l’âge, le sexe et la créatinine des receveurs. Les chercheurs ont montré que cette nouvelle équation était plus performante que les équations actuelles, quels que soient les centres, les pays, et les sous-populations de receveurs de rein.

« Les receveurs de rein ne partagent pas les mêmes caractéristiques que les patients avec des maladies rénales chroniques non transplantés » explique le Pr Alexandre Loupy, du Service de Néphrologie-transplantation rénale adultes à l’hôpital Necker – Enfants malades AP-HP, et directeur d’une équipe de recherche Inserm, Université Paris Cité et directeur du Paris Institute for Transplantation and Organ Regeneration. « Les équations actuelles d’estimation de la fonction rénale, développées chez les reins natifs, ne sont pas donc pas entièrement adaptées aux receveurs de reins, ce qui empêche d’avoir un suivi optimal après la greffe. »

« Nous souhaitions avoir une approche mathématique pour développer la meilleure équation d’estimation de la fonction rénale pour les transplantés du rein » explique le Dr Marc Raynaud, mathématicien et directeur scientifique au sein du Paris Institute for Transplantation and Organ Regeneration. « Nous avons ensuite validé extensivement cette nouvelle équation dans de nombreux centres de greffe français, italiens, danois, croates, néerlandais, australiens, américains, etc. Nous avons veillé à ce que cette équation soit applicable à n’importe quelle personne transplantée du rein dans le monde. »

Cette nouvelle équation d’estimation de la fonction rénale pourrait améliorer la prise de décisions cliniques pour les transplantés du rein. L’équipe de recherche est par conséquent actuellement en train de travailler avec les agences médicales afin de promouvoir cette équation.

Alors que la Food and Drug Administration et l’Agence Européenne des Médicaments sont actuellement en train de considérer le déclin de la fonction rénale comme un critère de jugement prédisant l’échec de greffe5, cette nouvelle équation pourrait être utilisée au sein d’essais cliniques comme critère de jugement afin d’accélérer la recherche et l’identification potentielle de nouveaux traitements.

 

[1]  en collaboration avec les équipes du Paris Institute of Transplantation and Organ Regeneration

[2] formule permettant d’estimer la capacité du rein/greffon rénal à filtrer le sang

[3] rein qu’une personne possède depuis sa naissance, rein non transplanté.

[4] https://kidneyinternational-online.org/article/S0085-2538(23)00382-4/fulltext

[5] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31473020/

Une avancée majeure sur la génétique et les facteurs de risque d’une forme d’infarctus qui touche majoritairement les femmes

cœur

La SCAD est une forme d’infarctus touchant essentiellement les femmes. © Fotalia

La dissection spontanée de l’artère coronaire, plus connue sous l’acronyme SCAD, est une cause d’infarctus dont 9 victimes sur 10 sont des femmes dans la quarantaine, en apparente bonne santé. Encore mal comprise, elle est souvent sous-diagnostiquée, ce qui complique la prise en charge alors qu’elle pourrait représenter jusqu’à un tiers des cas d’infarctus chez les femmes de moins de 60 ans. Afin de comprendre les causes génétiques et les mécanismes biologiques à son origine, une nouvelle étude internationale dirigée par Nabila Bouatia-Naji, directrice de recherche à l’Inserm au Paris Centre de recherche cardiovasculaire – PARCC (Inserm/Université Paris Cité) a été mise en place. Les résultats obtenus montrent que les causes génétiques qui définissent le risque de la SCAD sont très nombreuses et réparties sur l’ensemble du génome des patients. L’étude identifie 16 régions génomiques associées à un risque plus élevé de SCAD, ouvrant la voie à une meilleure compréhension des mécanismes biologiques sous-jacents à cette maladie. L’étude est parue le 29 mai 2023 dans Nature Genetics.

Contrairement à la majorité des maladies cardiovasculaires comme l’infarctus de myocarde, qui affectent principalement les hommes âgés et/ou en surpoids, la dissection spontanée de l’artère coronaire (SCAD) est une forme d’infarctus qui touche les femmes dans 9 cas sur 10. Celles-ci sont souvent dans la quarantaine, même si la maladie peut également survenir plus tôt, dans l’année qui suit un accouchement, ou plus tard, pendant la transition vers la ménopause. De plus en plus reconnue comme une forme importante d’infarctus au sein de cette population, la SCAD demeure toutefois encore assez mal documentée du fait notamment d’un manque de données et d’une méconnaissance des facteurs de risque qui lui sont spécifiques, notamment génétiques.

Dans les 20 dernières années, des progrès considérables ont été réalisés pour détailler les mécanismes du développement de pathologies coronaires comme l’athérosclérose et sur les formes très rares et syndromiques des maladies cardiovasculaires. De telles connaissances sont primordiales pour mieux appréhender ces pathologies et concevoir des stratégies de prévention et de traitements améliorés et personnalisés.

Néanmoins, la recherche a pris un retard important dans la compréhension des maladies comme la SCAD qui touchent des femmes à des étapes charnières de leur vie. Il est donc essentiel de s’intéresser maintenant à cette maladie cardiovasculaire si peu étudiée et au risque génétique qui lui est propre.

L’équipe de la généticienne Inserm Nabila Bouatia-Naji donc mené un travail de grande ampleur sur le sujet, en coordonnant une méta-analyse de 8 études d’association pangénomique (en anglais genome-wide association study, GWAS)[1].  En comparant les données génétiques de plus de 1900 patients et d’environ 9300 personnes non-malades, les scientifiques ont identifié 16 régions génomiques (ou loci) de prédisposition génétique à la SCAD.

 

Vers une meilleure compréhension des mécanismes biologiques

Ce travail a d’abord permis de montrer que les variations génétiques que l’on retrouve le plus souvent chez les patient(e)s ayant survécu à la SCAD jouent un rôle dans la composition du « ciment » qui entoure les cellules de l’artère coronaire.

Cependant, un des gènes identifiés est F3 et il code le facteur de coagulation tissulaire. En temps normal, le facteur tissulaire initie la coagulation au niveau des cellules afin de résorber d’éventuelles hématomes. Les résultats de l’étude suggèrent qu’un défaut d’expression de F3 est souvent retrouvé chez les patient(e)s ce qui constitue une cause potentielle d’une mauvaise réparation des artères, pouvant aboutir à leur déchirure. La mauvaise résorption de l’hématome serait donc une cause génétique de l’infarctus qui était inconnue jusqu’à présent.

L’un des autres objectifs de cette étude a été de positionner la SCAD par rapport à d’autres maladies cardiovasculaires afin de mieux connaître ses spécificités épidémiologiques. En utilisant les données qui déterminent les facteurs de risque cardiovasculaires génétiques et des méthodes de statistiques astucieuses, les scientifiques ont mis en évidence un lien robuste entre la pression artérielle élevée et le risque de la SCAD, tout en confirmant que le cholestérol élevé, le surpoids et le diabète de type 2 n’avaient aucun impact sur ce risque.

« Ce résultat pourrait donc s’avérer intéressant sur le plan clinique à plus long terme, pour encourager les médecins à surveiller de près l’évolution de la pression artérielle chez les patients et patientes qui présentent un risque génétique accru de SCAD », explique Nabila Bouatia-Naji, directrice de recherche à l’Inserm et dernière auteure de l’étude.

Finalement, ce travail met en évidence un lien génétique entre l’infarctus dû à la SCAD et l’infarctus dû à l’athérosclérose (aussi appelé infarctus athéromateux). En effet, les chercheurs ont montré qu’un grand nombre de régions génomique de prédisposition à la SCAD sont partagées avec celles de l’infarctus athéromateux.

Cependant, même s’il s’agissait des mêmes variantes génétiques, les allèles[2] qui sont plus fréquents chez les patients atteints de SCAD sont systématiquement décrites comme moins fréquents chez les sujets atteints de l’infarctus athéromateux.

« Ce résultat est très surprenant, car ils montrent que selon si l’on est face à une jeune femme sans facteurs de risques, ou un homme plus âgé et présentant des facteurs de risque, les causes génétiques et les mécanismes biologiques associés à leur infarctus peuvent être opposés.  Nos résultats alertent sur le besoin de mieux comprendre les spécificités des maladies cardiovasculaires chez les femmes jeunes afin d’améliorer leur suivi qui est actuellement identique à celui de l’infarctus athéromateux », conclut Nabila Bouatia-Naji.

Forte de ces résultats, l’équipe travaille désormais au développement de nouveaux modèles cellulaires et animaux qui rendent mieux compte des facteurs génétiques impliqués dans la maladie, afin notamment de mieux étudier leur impact sur l’état des artères. Avec toujours un objectif en tête à plus long terme : celui de faire sortir de l’ombre une maladie cardiovasculaire essentiellement féminine et trop souvent négligée, et d’améliorer la manière dont elle est comprise et prise en charge.

 

[1] Étude d’association génétique à grande échelle (Genome-Wide Association Studies), largement pratiquées depuis plusieurs années, qui consiste à analyser le génome entier de milliers de personnes saines et malades, afin d’identifier les régions génomiques dans lesquelles doivent se trouver des gènes influençant la vulnérabilité des personnes à l’affection en cause

[2] Un allèle est une version d’une variante génétique résultant d’un changement dans la séquence de l’ADN. Toute séquence d’ADN peut avoir plusieurs allèles, qui déterminent souvent l’apparition de caractères héréditaires différents.

Un assistant informatique automatisé spécialisé dans le diagnostic du rejet de greffe

Coupe de rein humain grossie 400 fois par un microscope à immunofluorescence polychromatique.Coupe de rein humain grossie 400 fois par un microscope à immunofluorescence polychromatique. © Inserm/Oriol, Rafael

Dans une récente étude publiée dans la revue Nature Medicine, une équipe de recherche d’Université Paris Cité, de l’Inserm et de l’AP-HP, dirigée par le Professeur Alexandre Loupy au Centre d’expertise de la transplantation multi-organes de Paris, a créé un assistant informatique automatisé qui permet de corriger 40 % des diagnostics erronés de rejet d’allogreffe chez l’humain et de mieux orienter la prise en charge des patients.

Le rejet est la principale cause d’échec de greffe après transplantation rénale. Il constitue donc, compte-tenu de la pénurie mondiale d’organes, un problème majeur de santé publique.

Le diagnostic du rejet repose sur une classification internationale qui s’est considérablement complexifiée au cours des 30 dernières années. Il est maintenant nécessaire pour les médecins d’analyser et intégrer des données complexes et extrêmement diversifiées – données histologiques, immunologiques, ou encore transcriptomiques – pour poser un diagnostic correct, qui guidera la prise en charge thérapeutique des patients.

Cette complexité dans le diagnostic du rejet, initialement nécessaire pour mieux comprendre et définir son type et sa gravité, est devenue une problématique quotidienne pour les médecins, confrontés à des situations où il peut être difficile de poser un diagnostic correct.

Par conséquent, face au nombre grandissant d’erreurs diagnostiques qui sont continuellement documentées dans la littérature scientifique, les sociétés savantes internationales de transplantation ont appelé les chercheurs du monde entier à réagir et trouver une solution pour simplifier et fiabiliser le diagnostic du rejet.

L’équipe de recherche a eu une idée originale pour résoudre ce problème.

« La médecine de précision a besoin d’outils d’aide au diagnostic qui soient fiables, robustes, précis, largement validés et démontrant un bénéfice réel et mesurable pour les patients. Il est également capital que ces systèmes digitaux soient éthiques et bénéficient d’une transparence complète tant dans leur construction que dans l’interprétation et le rendu des résultats. Dans notre étude nous avons pu démontrer qu’un assistant informatique automatisé permettait aux médecins de poser des diagnostics plus précis », indique le Professeur Alexandre Loupy.

« Notre principal défi était d’établir un consortium réunissant des experts en transplantation, néphrologie, anatomopathologie mais aussi en sciences des données, épidémiologie, biostatistiques, programmation informatique et intelligence artificielle, capables de développer ce système informatique et de recruter des patients dans le monde entier afin de tester s’il était capable de correctement diagnostiquer les rejets. Les résultats sont sans appel, puisque plus de 40 % des diagnostiques sont corrigés et requalifiés par la machine. Cet outil permettra de mieux traiter les patients et également d’améliorer les essais cliniques et le développement de traitements immunosuppresseurs ».

Le consortium a dans un premier temps conduit une revue systématique de la littérature scientifique afin de colliger l’ensemble des règles diagnostiques de la classification du rejet publiées au cours des 30 dernières années. Les médecins et les pathologistes ont ensuite travaillé avec les data scientists, développeurs et programmeurs informatiques, afin que ces derniers puissent traduire ces règles diagnostiques en un algorithme informatique couvrant l’ensemble des scénarios possibles de rejets. Ils ont ensuite créé un assistant informatique automatisé disponible en ligne et facile d’utilisation, qui interprète instantanément grâce à l’algorithme les données médicales complexes renseignées par les médecins, afin de fournir aux patients un diagnostic en appliquant scrupuleusement les règles de la classification internationale.

« Il s’agit en quelque d’un agent conversationnel spécialisé dans les rejets », indique Daniel Yoo, data scientist et co-premier auteur de l’étude. « Nous avons mis au point un système intelligent et très simple d’utilisation. Les médecins peuvent en quelques clics obtenir un diagnostic correct pour leurs patients. L’assistant informatique leur fournit également un compte-rendu de l’analyse ainsi qu’un arbre décisionnel qui explique le raisonnement de l’algorithme ».

La deuxième partie de l’étude a consisté à démontrer l’utilité clinique de cet assistant informatique, c’est-à-dire sa capacité à correctement identifier les rejets. Pour cela, les chercheurs ont recruté plus de 4000 patients transplantés rénaux dans 20 centres de référence en transplantation européens et nord-américains. Ils disposaient pour chaque patient des diagnostics initiaux des médecins, ainsi que de l’ensemble des données nécessaires pour que le système automatisé puisse poser son propre diagnostic. Cela leur a permis de comparer l’humain à la machine et de déterminer lequel trouvait le diagnostic le plus pertinent.

« Une des forces de cet assistant informatique est qu’il peut également traiter de grandes bases de données et améliorer les essais cliniques », souligne Valentin Goutaudier, néphrologue et épidémiologiste, premier auteur de l’étude, « Le système informatique nous a permis de reclasser plus de 40% de diagnostics erronés de rejets parmi les patients que nous avions recrutés, et de poser des diagnostics plus précis. Ces résultats permettent donc de mieux orienter la prise en charge des patients.»

Les résultats de cette étude ont fait l’objet d’une publication le 4 mai 2023 dans la revue Nature Medicine et sont accompagnés d’un éditorial. Il s’agit d’une avancée majeure vers une médecine de précision accompagnée par des systèmes informatiques automatisés, et de la première étude, toutes spécialités médicales confondues, à démontrer qu’un assistant informatique peut aider les médecins à poser un meilleur diagnostic.

Cet assistant informatique, qui permet d’améliorer la performance diagnostique des phénomènes de rejet, a été validé par toutes les sociétés internationales de transplantation, et sera donc prochainement utilisé par les équipes de transplantation du monde entier pour améliorer la prise en charge des patients. Il permettra également de standardiser les diagnostics de rejet dans les essais cliniques de nouvelle génération, afin de faciliter le développement de nouveaux traitements immunosuppresseurs.

La transplantation n’est pas la seule spécialité médicale à être confrontée à des données de plus en plus complexes. D’autres spécialités, telles que l’oncologie et l’immunologie, où des données variées et complexes sont de plus de plus utilisées, pourraient se tourner vers l’automatisation des classifications des maladies pour améliorer la prise en charge des patients.

Évaluation de l’activité de l’artérite de Takayasu par microscopie localisée par ultrasons

artérite de Takayasu

Microscopie ultrasonore de localisation de la paroi carotidienne commune d’un même patient atteint d’une artérite de Takayasu initialement quiescente (A), et d’une réactivation de la maladie 9 mois plus tard avec une nouvelle imagerie montrant un passage significatif de microbulles dans la paroi artérielle (B), à partir d’une acquisition de 8 s après correction du mouvement et accumulation des données de microscopie ultrasonore de localisation. © 2023 The Authors /eBioMedicine 2023 90

L’équipe du centre de référence des maladies artérielles rares1 de l’hôpital européen Georges-Pompidou, de l’Inserm et d’Université Paris Cité, coordonnée par le Pr Tristan Mirault, a pour la première fois utilisé la microscopie localisée par ultrasons pour évaluer l’activité de l’artérite de Takayasu.

Ces travaux, promus par la Société française de cardiologie et le Programme ART (Accélérateur de Recherche Technologique) d’échographie biomédicale de l’Inserm, ont fait l’objet d’une publication le 7 mars 2023 dans la revue eBioMedicine.

L’artérite de Takayasu est une maladie inflammatoire vasculaire des vaisseaux sanguins la plupart du temps localisée à l’aorte et ses branches cervicales, viscérales et sur les membres inférieurs. Elle se complique d’anévrysmes ou sténoses artériels.

La microscopie localisée par ultrasons (ultrasound localized microscopy ULM), basée sur l’imagerie ultrasonore ultrarapide de microbulles circulantes (MB) permet d’imager les flux sanguins microvasculaires in vivo jusqu’à l’échelle du micron.

L’équipe de recherche a cherché à démontrer que l’ULM peut fournir des marqueurs d’imagerie pour évaluer l’activité de l’artérite de Takayasu. Pour ce faire, elle a réalisé une ULM des vasa vasorum2 de la paroi carotidienne. 16 patients atteints d’artérite de Takayasu selon les critères du National Institute of Health3 ont été inclus. 5 avaient une artérite de Takayasu active (âge médian 35,8 ans) et 11 avaient une artérite de Takayasu quiescente4 (37,2 ans). L’ULM a été réalisée à l’aide d’une sonde de 6,4 MHz et d’une séquence d’imagerie dédiée (ondes planes avec 8 angles, fréquence d’images de 500 Hz), couplées une injection intraveineuse de MB. Les MB individuelles ont été localisées, puis suivies, ce qui a permis de reconstruire l’anatomie et la vitesse du flux vasa vasorum.

L’ULM a permis de montrer les microvaisseaux et de mesurer leur vitesse d’écoulement dans la paroi artérielle. Le nombre de MB détectés par seconde dans la paroi était de 10 (image A) dans les cas quiescents contre 121 (image B) dans les cas actifs, avec une vitesse moyenne de 40,5 mm/s dans les cas actifs.

L’ULM permet de visualiser les microvaisseaux à l’intérieur de la paroi carotidienne épaissie dans l’artérite de Takayasu, avec une densité de MB significativement plus élevée dans les cas actifs. L’ULM permet une visualisation précise in vivo des vasa vasorum et donne accès à la quantification de la vascularisation de la paroi artérielle.

Ceci pourrait permettre un suivi rapproché par échographie de l’activité de l’artérite de Takayasu impossible avec les imageries actuelles : irradiantes (scanner et TEP-scanner) ou coûteuse et peu disponible (IRM). Plus largement, cette technologie permet d’explorer la vascularisation de la paroi artérielle, un marqueur utile dans l’instabilité des plaques d’athérome, pathologie fréquente actuellement investigué dans l’étude ULTRAVASC.

 

[1] Du département dédié à la prise en charge des maladies vasculaires HYPERVASC (Pr Emmanuel Messas)

[2] Vaisseaux de très petit calibre cheminant dans l’adventice (tunique externe de la paroi d’une artère) et irriguant la paroi artérielle.

[3] The American College of Rheumatology 1990 criteria for the classification of Takayasu arteritis.Arthritis Rheum. 1990; 33: 1129-1134

[4] inactive, contrôlée, arrêtée dans son évolution

Une nouvelle cible identifiée pour faire régresser la fibrose hépatique

La cirrhose constitue le dernier stade évolutif de la fibrose associée aux maladies chroniques du foie. Elle touche 200 000 à 500 000 individus en France et est responsable de 170 000 décès par an en Europe. © Adobe Stock

Les maladies chroniques du foie sont caractérisées par une inflammation persistante qui contribue à leur progression vers des stades plus sévères. Elles peuvent évoluer vers une fibrose et une cirrhose, et alors nécessiter une transplantation de foie. Limiter la progression de la fibrose et la faire régresser est donc un enjeu thérapeutique important. Plusieurs études ont récemment suggéré que cibler la réponse inflammatoire pourrait être une approche intéressante. Dans de nouveaux travaux, des scientifiques de l’Inserm et d’Université Paris-Cité au Centre de Recherche sur l’Inflammation (CRI), en collaboration avec des équipes de l’AP-HP[1], ont montré que bloquer l’activation d’une population particulière de lymphocytes T, les lymphocytes associés aux muqueuses (MAIT), pourrait permettre de stopper la progression de la fibrose et même de la faire régresser. Cibler les cellules MAIT, qui sont impliquées dans l’inflammation observée dans les fibrose et cirrhose, ouvrirait ainsi de nouvelles perspectives pour une meilleure prise en charge thérapeutique des patients. Cette étude fait l’objet d’une publication dans la revue Nature Communications.

Principalement d’origine alcoolique, virale ou métabolique, la cirrhose constitue le dernier stade évolutif de la fibrose associée aux maladies chroniques du foie. Elle touche 200 000 à 500 000 individus en France et est responsable de 170 000 décès par an en Europe. À terme, elle aboutit à une insuffisance hépatique, dont le seul traitement curatif est la transplantation.

Une caractéristique des maladies chroniques du foie est une inflammation persistante qui contribue à leur progression vers des stades plus sévères, et notamment l’évolution vers la fibrose et son stade ultime, la cirrhose. Mieux comprendre comment réguler cette réponse inflammatoire constitue donc un enjeu important pour développer de nouvelles stratégies thérapeutiques contre ces pathologies.

En 2018, l’équipe de la chercheuse Inserm Sophie Lotersztajn avait montré qu’une population de lymphocytes T appelée MAIT favorisait la progression de la fibrose du foie. Ces cellules immunitaires sont particulièrement abondantes dans le foie humain et sont impliquées dans les processus inflammatoires associés à la fibrose.

Dans leur nouvelle étude, la scientifique et ses collègues ont travaillé à partir d’échantillons de foie de patients cirrhotiques ainsi que de modèles murins de la maladie.

Leurs travaux montrent que l’administration d’un agent pharmacologique inhibant l’activation des cellules MAIT permet de limiter l’inflammation hépatique et de stopper non seulement la progression de la fibrose, mais également de la faire régresser.

Il est aujourd’hui bien connu que d’autres cellules immunitaires, comme les macrophages, jouent un rôle central dans la progression et la régression de fibrose. Ici, l’analyse des mécanismes impliqués a permis de montrer que le fait de bloquer l’activation des cellules MAIT interrompt leur dialogue avec les macrophages « pro-fibrogéniques », c’est-à-dire accélérateurs de la fibrose, et favorise l’émergence de macrophages résolutifs de la fibrose.

cellules MAIT

Dans la première image, les cellules MAIT (en rouge, désignées par les flèches) sont localisées près des cellules fibrogéniques (en vert) dans le foie de patients cirrhotiques. Dans la deuxième image, les cellules MAIT (en rouge) sont activées (marqueur d’activation en vert) dans le foie de patients cirrhotiques. Cette activation est bloquée en présence d’un inhibiteur des cellules MAIT. © Sophie Lotersztajn

« La cirrhose est un problème majeur de santé publique. Alors que le seul traitement est la transplantation de foie, notre travail permet d’ouvrir d’autres pistes thérapeutiques pour cibler l’inflammation et parvenir à stopper, voire même à faire régresser la fibrose. Il faut maintenant poursuivre les recherches, notamment pour développer des candidats médicaments ciblant et inhibant les MAIT », conclut Sophie Lotersztajn.

 

[1] Ce travail est le fruit d’une collaboration entre l’équipe des Drs Sophie Lotersztajn et Hélène Gilgenkrantz, (centre de recherche sur l’inflammation (CRI) Inserm-Université Paris Cité), l’équipe du Dr Valérie Paradis au CRI (également service de Pathologie hôpital Beaujon), le service d’anesthésie-réanimation (Pr Emmanuel Weiss), les équipes de l’Institut Curie (Dr Olivier Lantz), de l’Institut St Louis (Dr Michèle Goodhardt) et Génosplice (Dr Pierre de la Grange)

La « maladie du foie gras » augmente le risque de développer des troubles du cerveau

Cellules du foie envahies par des gouttelettes lipidiques (en blanc) provenant d’un animal sous régime riche en sucres et en graisses. © Institut Universitaire de Pathologie de l’Université de Lausanne.

La stéatose hépatique non alcoolique touche environ 200 000 personnes en France et se caractérise par une accumulation de graisses dans le foie pouvant conduire à une inflammation puis à la cirrhose. Pour la première fois, des travaux de recherche menés par des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, de l’université de Poitiers, du King’s College à Londres et de l’université de Lausanne, suggèrent que les personnes atteintes par cette maladie causée par une consommation excessive de sucre et de graisse pourraient aussi présenter un risque accru de développer des troubles neurologiques graves tels que la démence. Les résultats sont publiés dans la revue Journal of Hepatology.

La stéatose hépatique non alcoolique, aussi appelée « maladie du foie gras », est de plus en plus fréquente dans les sociétés touchées par l’obésité et la sédentarité. Jusqu’à 80 % des personnes souffrant d’obésité morbide seraient concernées.

Plusieurs travaux ont signalé les effets négatifs d’un régime alimentaire déséquilibré et de l’obésité sur la fonction cérébrale, mais cette nouvelle étude est la première à établir une association entre stéatose hépatique non alcoolique et problèmes neurologiques dans des modèles animaux, et à identifier une cible thérapeutique potentielle.

Les scientifiques de l’Inserm, de l’université de Poitiers, de l’Institut d’Hépatologie Robert Williams du King’s College et de l’université de Lausanne ont notamment découvert que l’accumulation de graisse dans le foie entraîne une diminution de l’oxygène dans le cerveau et une inflammation des tissus cérébraux – deux phénomènes associés à une augmentation du risque de maladies neurologiques graves comme par exemple la démence.

Deux régimes alimentaires, des effets différents

Dans le détail, les travaux ont consisté à donner deux régimes alimentaires différents à des souris. La moitié des animaux ont suivi un régime dont l’apport calorique ne contenait pas plus de 10 % de matières grasses, tandis que l’autre moitié avait un apport calorique de 55 % de matières grasses (pour ressembler à un régime composé d’aliments transformés et de boissons sucrées).

Après 16 semaines, les chercheurs ont effectué une série de tests pour comparer les effets de ces deux régimes sur l’organisme, et plus particulièrement sur le foie et le cerveau. Ils ont constaté que toutes les souris consommant les niveaux les plus élevés de graisses étaient considérées comme obèses et développaient une stéatose hépatique non alcoolique ainsi qu’une résistance à l’insuline. Par ailleurs, les scientifiques ont aussi observé chez ces animaux un dysfonctionnement cérébral marqué, qui se traduisait par des troubles du comportement.

L’étude a également montré que le cerveau des souris atteintes de stéatose hépatique non alcoolique présentait des niveaux d’oxygène plus faibles. Selon les scientifiques, deux hypothèses pourraient expliquer ce phénomène : la maladie réduirait le nombre et le diamètre des vaisseaux sanguins cérébraux, qui apporteraient ainsi moins d’oxygène aux tissus. Des cellules spécifiques pourraient aussi consommer davantage d’oxygène à cause de l’inflammation détectée dans le cerveau. Ces souris étaient également plus anxieuses et présentaient des signes de dépression.

« Il est très inquiétant de constater l’effet que l’accumulation de graisses dans le foie peut avoir sur le cerveau, en particulier parce que cette maladie est souvent bénigne au départ et qu’elle peut exister silencieusement pendant de nombreuses années sans que les gens en soient conscients », a déclaré Anna Hadjihambi, première auteure de l’étude et maître de conférences honoraire au King’s College de Londres.

Une protéine cible pour protéger le foie et le cerveau

Pour trouver des solutions permettant de contrer les effets délétères de la pathologie sur le cerveau, les scientifiques ont dans un second temps élevé des souris présentant des niveaux plus faibles d’une protéine connue sous le nom de Monocarboxylate Transporter 1 (MCT1). Celle-ci est spécialisée dans le transport de substrats énergétiques utilisés par diverses cellules pour leur fonctionnement normal. Aux yeux des chercheurs, cette protéine présentait un intérêt particulier en raison de sa distribution dans différents organes impliqués dans la balance énergétique de l’organisme (dont le foie et le cerveau).

Lorsque ces souris ont été soumises à un régime riche en graisses et en sucres, identique à celui de l’expérience initiale, elles n’ont pas présenté d’accumulation de graisses dans le foie ni de signe de dysfonctionnement cérébral.

« L’identification de MCT1 comme élément clé dans le développement de la stéatose hépatique non alcoolique et du dysfonctionnement cérébral qui lui est associé ouvre des perspectives intéressantes », précise Luc Pellerin, dernier auteur de l’étude.

« Elle met en évidence les mécanismes potentiels en jeu dans l’axe foie-cerveau et indique une cible thérapeutique possible. »

Ces travaux de recherche soulignent donc que la réduction de la quantité de sucre et de graisse dans notre alimentation n’est pas seulement importante pour lutter contre l’obésité, mais elle permettrait aussi de protéger le foie afin de préserver la santé du cerveau et de minimiser le risque de développer des maladies comme la dépression et la démence au cours du vieillissement.

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