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Une piste innovante pour combattre la douleur chronique

La douleur neuropathique est une maladie chronique qui affecte 7 à 10 % de la population française et pour laquelle aucun traitement n’est efficace. Des chercheurs de l’Institut des neurosciences de Montpellier (Inserm/Université de Montpellier) et du Laboratoire d’innovation thérapeutique (CNRS/Université de Strasbourg)1 ont mis en évidence le mécanisme responsable de l’installation et du maintien de la douleur. Grâce à leur découverte, ils ont mis au point un prototype de traitement innovant qui montre, sur des modèles animaux, un effet thérapeutique immédiat et durable sur les symptômes douloureux. Cette étude est publiée le 12 mars 2018 dans Nature Communications.

Des chercheurs français viennent de mettre en évidence un rôle inattendu dans la douleur chronique d’une molécule particulière, appelée FLT3, connue pour son rôle dans différentes fonctions sanguines et produite par les cellules souches hématopoïétiques à l’origine de toutes les cellules sanguines. La douleur neuropathique est le résultat d’une lésion des nerfs périphériques provoquée par des pathologies comme le diabète, le cancer ou le zona ou bien causée par un traumatisme accidentel ou par une intervention chirurgicale. Dans cette étude, les chercheurs ont montré que les cellules immunitaires sanguines qui envahissent le nerf au site de la lésion synthétisent et libèrent une autre molécule, appelée FL, qui s’accroche et active FLT3, ce qui déclenche dans le système sensoriel une réaction en chaîne qui est à l’origine de la douleur. Ils ont mis en évidence que FLT3 induit et maintient la douleur en agissant très en amont sur d’autres constituants du système sensoriel, connus pour rendre permanente la douleur : c’est le phénomène de « chronicisation ».

Au-delà de la découverte du rôle de FLT3, les chercheurs ont créé, en passant informatiquement au crible trois millions de configurations possibles, une molécule anti-FLT3 (BDT001) ciblant le site d’accrochage de FL. Cette molécule bloque la liaison entre FL et FLT3, empêchant ainsi la chaîne d’événements conduisant à la douleur chronique. Administrée à des modèles animaux, BDT001 a réduit, en trois heures, les symptômes douloureux neuropathiques typiques comme l’hyperalgie, une sensation douloureuse accrue, ou l’allodynie, une réaction douloureuse à des stimuli normalement non douloureux, avec un effet qui persiste 48 heures après une seule administration.

La douleur neuropathique, qui affecte environ 4 millions de personnes en France, est une maladie invalidante avec un coût social très élevé. Les traitements actuels, essentiellement constitués de médicaments repositionnés, comme les antidépresseurs et les antiépileptiques, sont peu efficaces : moins de 50 % des patients obtiennent une réduction significative de leurs douleurs. De plus, ils peuvent générer des effets secondaires importants. Le développement de l’innovation thérapeutique2 issue de ces travaux de recherche est assuré par la start-up Biodol Therapeutics, qui pourrait ainsi mettre au point la toute première thérapie spécifique des douleurs neuropathiques et, à terme, soulager de nombreuses personnes.

Vulnérabilité à l’addiction : une mauvaise production des nouveaux neurones en cause

©AdobeStock

Les comportements d’addiction aux drogues et la vulnérabilité aux rechutes seraient liés à l’aptitude de notre cerveau à produire de nouveaux neurones. C’est la conclusion de chercheurs de l’Inserm du Neurocentre Magendie de l’Université Bordeaux, obtenue après avoir observé le comportement de souris ayant appris à s’auto-administrer de la cocaïne. Leurs résultats, à paraître dans Molecular Psychiatry, mettent en évidence un lien entre production déficiente de nouveaux neurones dans l’hippocampe et dépendance aux drogues. 

Dans le cerveau, l’hippocampe est l’un des centres de la mémoire. Il comprend le gyrus dentelé, qui présente la particularité de produire de nouveaux neurones (neurogenèse) chez l’adulte. Une neurogenèse anormale est corrélée à de nombreux désordres neuropsychiatriques comme des troubles de la mémoire ou de l’humeur.

Bien qu’une relation entre neurogenèse erratique et addiction à la drogue ait déjà été soupçonnée, jusqu’à aujourd’hui aucune preuve scientifique concrète ne venait étayer cette hypothèse. Les équipes de recherche Inserm de Nora Abrous et de Pier-Vicenzo Piazza, du Neurocentre Magendie (Unité 1215) de l’Université de Bordeaux, se sont penchées sur le rôle de la neurogenèse dans la dépendance à la cocaïne.

Deux groupes de souris ont été comparés : un groupe sain et un groupe génétiquement modifié pour que la neurogenèse au niveau de l’hippocampe soit moindre. Les souris ont été entraînées à s’auto-administrer de la cocaïne en introduisant leur nez dans un trou, déclenchant ainsi la diffusion par voie intraveineuse de cocaïne dans leur sang. Le nombre d’actions à fournir pour obtenir une quantité similaire de drogue a ensuite été progressivement augmenté. Les chercheurs ont constaté que les souris transgéniques montraient une plus grande motivation (mesurée en nombre d’actions dans les trous) à « travailler » pour obtenir de la cocaïne.

Après plusieurs semaines de sevrage, les souris ont été de nouveau exposées à l’environnement dans lequel elles avaient appris à s’auto-administrer de la cocaïne. Les souris transgéniques ont alors montré une plus grande susceptibilité à la rechute en cherchant à nouveau à déclencher l’administration de la drogue.

La transition vers l’addiction est un processus associant l’exposition répétée à des stupéfiants et une vulnérabilité propre à chaque individu : en démontrant que la neurogenèse est un facteur clé dans la vulnérabilité à l’addiction, ces travaux offrent de nouvelles perspectives dans la compréhension de la fragilité individuelle face à la pharmacodépendance.

Ces recherches ouvrent également de nouvelles pistes pour la compréhension des conduites addictives chez les adolescents. « L’adolescence, période d’initiation à la consommation de drogues, est une étape de maturation du cerveau importante, caractérisée en particulier par une production de neurones extrêmement intense dans le gyrus dentelé »  précise Nora Abrous, chercheuse Inserm, qui avait déjà montré en 2002 l’impact négatif de la prise de drogues sur la production et la survie des nouveaux neurones de l’hippocampe. Elle ajoute que « la prise de drogue, en diminuant la production de ces neurones, rendraient les adolescents plus addicts et plus vulnérables à la rechute lors de tentatives de sevrage ».

Dans ses prochains travaux, son équipe « cherchera à manipuler les nouveaux neurones à l’aide d’approches de pharmacogénétique, de façon à diminuer la motivation des souris pour la drogue et à bloquer les rechutes au cours du sevrage ».

Des mécanismes de compensation intellectuelle chez les malades en début d’Alzheimer

©Tiago Muraro – Unsplash

L’étude INSIGHT-preAD, dirigée par le Pr Bruno Dubois et menée par des équipes AP-HP, Inserm, CNRS et Sorbonne Université au sein de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM) et de l’Institut de la mémoire et de la maladie d’Alzheimer (IM2A), à l’Hôpital Pitié Salpêtrière AP-HP, en collaboration avec la cohorte MEMENTO, vise à observer chez des sujets âgés de plus de 70 ans, bien portants et sans trouble cognitif, les facteurs de développement de la maladie d’Alzheimer. 

Promue par l’Inserm, cette étude montre, à 30 mois de suivi, que la présence de lésions amyloïdes (lésions Alzheimer) n’a pas d’impact sur la cognition et le comportement des sujets qui en sont porteurs.

Ses résultats, publiés le 28 février 2018 dans la revue Lancet neurology, suggèrent l’existence de mécanismes de compensation chez les sujets porteurs de ces lésions.

Les médicaments actuellement en développement dans le traitement de la maladie d’Alzheimer montrent une efficacité significative sur les lésions cérébrales des patients, sans toutefois réduire de manière conjointe les symptômes. Les essais thérapeutiques seraient ainsi réalisés trop tardivement, chez des patients trop avancés dans la maladie. D’où l’idée de tester l’efficacité des traitements de façon plus précoce, c’est-à-dire au début ou avant même l’apparition des symptômes chez des patients porteurs de lésions cérébrales de la maladie d’Alzheimer. Ce qui nécessite de bien comprendre les marqueurs de la progression de la maladie à son stade pré-clinique.

L’étude INSIGHT-preAD (pour “INveStIGation of AlzHeimer’s PredicTors in subjective memory complainers – Pre Alzheimer’s disease”), pilotée par le Pr Bruno Dubois, directeur du centre des maladies cognitives et comportementales de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP et professeur de neurologie à Sorbonne Université, vise à identifier ces facteurs de développement.

Elle s’appuie sur le suivi longitudinal (dans le temps) d’une cohorte active, lancée en mai 2013 à la Pitié-Salpêtrière AP-HP, de 318 patients volontaires âgés de plus de 70 ans, avec une plainte de mémoire subjective mais dont les performances cognitives et mnésiques sont normales.

Les participants ont accepté au départ que l’on détermine la présence ou non de lésions de la maladie d’Alzheimer (lésions dites « amyloïdes ») dans leur cerveau grâce à un examen d’imagerie. 28% d’entre eux étaient porteurs de lésions même s’ils n’en présentaient à ce stade aucun facteur.

A leur entrée dans l’étude INSIGHT-preAD, aucune différence n’était observée entre les sujets amyloïdes positifs et amyloïdes négatifs dans les tests cognitifs (mémoire, langage, orientation), fonctionnels et comportementaux. Aucune différence n’était observée entre les sous-groupes dans l’intensité de la plainte de mémoire, ni en neuro-imagerie structurelle (IRM) ou métabolique (PET-FDG).

L’étude INSIGHT-preAD prévoyait ensuite un suivi avec bilan neuropsychologique, électroencéphalogramme et actigraphie tous les ans, ainsi que des prélèvements sanguins (pour la recherche de biomarqueurs) et des examens de neuro-imagerie (IRM, PET-FDG et PET-amyloïde) tous les deux ans.

Les équipes ont analysé l’ensemble des données recueillies au démarrage de l’étude et à deux ans, en plus d’une évaluation clinique des sujets volontaires à 30 mois de suivi.

Elles n’ont pas noté de changement significatif entre les sujets amyloïdes positifs et ceux négatifs pour l’ensemble des marqueurs (comportementaux, cognitifs, fonctionnels) observés ainsi qu’en neuro-imagerie. En revanche, l’électroencéphalogramme montrait chez les patients porteurs de lésions une modification de l’activité électrique des régions antérieures de leur cerveau, notamment frontales, pour un maintien de leurs performances intellectuelles et mnésiques.

A deux ans et demi de suivi, seuls quatre sujets ont progressé vers la maladie d’Alzheimer. A leur entrée dans l’étude, ces patients présentaient des facteurs prédictifs, comme un âge plus avancé, une concentration de lésions amyloïdes plus élevée et un volume hippocampique diminué.

Ces résultats montrent ainsi que la présence de lésions amyloïdes cérébrales ne s’accompagne pas de modifications cognitives, morphologiques, métaboliques ou fonctionnelles chez les patients porteurs de ces lésions. Ils suggèrent l’existence de mécanismes de compensation confortés par les modifications électro-encéphalographiques observées.

La progression vers la maladie d’Alzheimer de ces patients âgés en moyenne de 76 ans est donc faible, ce qui témoigne d’une réserve cognitive importante pour ce type de population. Poursuivre ce suivi est donc nécessaire pour déterminer si ce constat se vérifie toujours après une plus longue période. 

L’étude INSIGHT-preAD fera l’objet d’un nouveau point d’étape en 2022. 

Ces travaux bénéficient d’un soutien financier du Ministère de la Recherche (Investissement d’avenir), de la Fondation Plan-Alzheimer et du laboratoire Pfizer.

En 2017 le pôle de recherche clinique de l’Inserm a été en charge de 238 études en phase de mise en conformité et en cours de réalisation et de 28 projets en cours d’expertise. Le pôle de recherche clinique accompagne 15 projets européens et/ou internationaux. En 2017, il a été impliqué dans l’élaboration de 6 futurs projets internationaux, dont 4 débuteront en 2018

Horloge biologique : à chaque organe, son rythme

©Adobe Stock

Une équipe de chercheurs de l’Inserm dirigée par Howard Cooper (Unité Inserm 1208  » Institut cellule souche et cerveau ») en collaboration avec des collègues américains fournit pour la première fois une cartographie inédite de l’expression des gènes, organe par organe, et selon le moment de la journée ; un travail colossal commencé il y a dix ans et qui a nécessité deux ans d’analyse. Ces résultats publiés dans Science montrent combien il est important de tenir compte de l’horloge biologique pour administrer les médicaments au bon moment afin d’améliorer leur efficacité et d’en réduire les effets indésirables. Les chercheurs préparent désormais un atlas qui sera disponible pour l’ensemble de la communauté.

Environ deux tiers des gènes codant pour des protéines sont exprimés de façon cyclique au cours des 24 heures avec des pics en matinée et en début de soirée. Néanmoins, cette expression varie beaucoup d’un tissu à l’autre confirmant que, en plus de l’horloge centrale interne, chaque organe exprime sa propre horloge. Une équipe Inserm le prouve pour la première fois chez une espèce diurne et fournit une cartographie spatio-temporelle inédite de l’expression circadienne des gènes pour l’ensemble des organes. Ces travaux marquent une avancée majeure dans le domaine de la chronobiologie.

Jusque-là, les études destinées à explorer le rythme circadien dans les différents organes étaient menées principalement chez des animaux modèles comme la drosophile (travaux récompensés l’année dernière par le prix Nobel) et les espèces nocturnes, en particulier la souris. L’horloge circadienne étant principalement synchronisée par le cycle de lumière jour-nuit, il aurait été tentant d’inverser le cycle pour obtenir des données chez les animaux diurnes. Mais les rongeurs ne sont pas seulement en décalage de phase par rapport à l’homme, ils ont aussi un mode de vie très différent : un sommeil fragmenté de jour comme de nuit contre un sommeil plus consolidé pendant la nuit pour les diurnes ou encore une alimentation permanente pendant la phase d’éveil nocturne alors que les hommes prennent  des repas répartis de façon régulière. Autant de facteurs qui contribuent également à la synchronisation de l’horloge biologique. Il était donc temps de travailler chez des espèces plus proches de l’homme pour en savoir plus chez ce dernier.

Pour cela, les chercheurs ont analysés les ARNs de plus de 25 000 gènes de 64 organes et tissus, toutes les deux heures et pendant vingt-quatre heures, chez des primates non humains. Les organes principaux ont été passés au crible ainsi que différentes régions du cerveau. Au total, les chercheurs ont analysé 768 prélèvements. Un travail colossal commencé il y a dix ans et qui a nécessité deux ans d’analyse ! Pour chacun d’entre eux, ils ont recherché, quantifié et identifié les ARN présents dans les cellules. Ces ARN deviennent ensuite des protéines ou restent à l’état d’ARN avec des propriétés régulatrices sur d’autres molécules. C’est ce qu’on appelle le transcriptome.

 

80% des gènes réglés sur l’horloge biologique assurent les fonctions essentielles des cellules

Les auteurs ont constaté que 80% des gènes exprimés de façon cyclique, codent pour des protéines assurant des fonctions essentielles de la vie des cellules comme l’élimination des déchets, la réplication et la réparation de l’ADN, le métabolisme, etc. Mais, il existe une très grande diversité des transcriptomes, c’est-à-dire de l’ensemble des ARN, présents dans les cellules des différents échantillons au cours des 24 heures.

Le nombre de gènes exprimés de façon cyclique varie en nombre (environ 3000 dans la thyroïde ou le cortex préfrontal contre seulement 200 dans la moelle osseuse) et en nature : moins de 1% des gènes « rythmiques » dans un tissu le sont également dans les autres tissus. 

Même les treize gènes connus de l’horloge biologique, que les auteurs s’attendaient à retrouver de façon cyclique dans tous les échantillons, n’y sont finalement pas tous présents, pas dans les mêmes quantités ou pas au même moment. Les seuls points communs entre ces 64 tissus sont finalement les pics bien définis d’expression des gènes au cours de la journée : en fin de matinée et en début de soirée. Le premier, le plus important, survient entre 6 et 8 heures après le réveil avec plus de 11.000 gènes exprimés à ce moment-là dans l’organisme. Et le second moins intense voit environ 5000 gènes en action dans les tissus. Puis, les cellules sont quasiment au repos au cours de la nuit, particulièrement lors de la première partie de la nuit.

Ces résultats ont surpris les auteurs par l’ampleur de la rythmicité des organes du primate non humain et des applications possibles.  » Deux tiers des gènes codants fortement rythmés, c’est beaucoup plus que ce à quoi nous nous attendions » clarifie Howard Cooper, directeur de recherche Inserm au sein de l’équipe « Chronobiologie et Désordres Affectifs » de l’Unité Inserm 1208. « Mais surtout, 82% d’entre eux codent des protéines ciblées par des médicaments ou sont des cibles thérapeutiques pour de futurs traitements. Cela prouve combien il est important de tenir compte de l’horloge biologique pour administrer les médicaments au bon moment de la journée afin d’améliorer l’efficacité et de réduire les effets indésirables. Quelques experts travaillent sur ces questions, notamment dans le domaine du cancer, mais il faut à mon avis aller beaucoup plus loin. C’est pourquoi nous préparons un véritable atlas, sous forme de base de données consultable, pour permettre aux scientifiques du monde entier de connaitre enfin le profil d’expression de chaque gène dans les différents organes au cours de 24 heures « , précise le chercheur

Migraine : ces zones du cerveau que l’on croyait indolores

©Carson Arias – Unsplash

Aurait-on cru à tort depuis 70 ans que certaines zones du cerveau étaient insensibles à la douleur ? C’est ce que laissent penser les résultats d’une équipe de chercheurs de l’Inserm, du CHU de Nice, d’Université Côte d’Azur et de l’hôpital St Anne à Paris. En collectant des observations de douleurs brèves lors de chirurgies du cerveau sur patients éveillés, les chercheurs ont pu observer que certaines structures, jusqu’alors considérées comme indolores, étaient à l’origine de sensations douloureuses lorsqu’elles étaient stimulées mécaniquement. Ces observations, publiées prochainement dans la revue Brain, ouvrent de nouvelles pistes à explorer dans le traitement des maux de tête et de la migraine en particulier.

Depuis plus de 70 ans, il est communément admis que la sensibilité douloureuse intracrânienne est limitée à la dure-mère – l’enveloppe méningée la plus externe qui tapisse la voûte et la base du crâne – et à ses vaisseaux nourriciers. La pie-mère – la méninge la plus fine, qui tapisse les circonvolutions et sillons cérébraux – et ses vaisseaux nourriciers sont considérés comme insensibles à la douleur. Ce postulat permet aux neurochirurgiens de réaliser des chirurgies intracrâniennes (craniotomies) indolores sur des patients éveillés. Jusqu’à présent, ce principe conditionnait également les recherches concernant le traitement des maux de tête et notamment de la migraine.

Afin de mieux comprendre l’origine des maux de tête, des chercheurs de l’Inserm, du CHU de Nice et d’Université Côte d’Azur se sont intéressés à cette insensibilité supposée de la pie-mère et de ses vaisseaux nourriciers. Pour réaliser cette étude, ils ont mis à contribution de 2010 à 2017, 3 neurochirurgiens et 53 de leurs patients atteints de tumeurs cérébrales devant être extraites en craniotomie éveillée. Durant l’opération, les patients soumis aux stimulations mécaniques inhérentes à l’acte chirurgical, devaient indiquer quand et où ils ressentaient une douleur. Le chirurgien notait quant à lui les structures crâniennes dont la stimulation avait provoqué la douleur.

En moyenne, près de deux sensations douloureuses ont été rapportées par patient, toutes du même côté que celui du stimulus. La douleur, brève et aiguë, s’arrêtait dès la fin de la stimulation. Les chercheurs ont notamment constaté que les stimulations de la pie-mère et de ses vaisseaux nourriciers entraînaient une douleur, localisée la plupart du temps dans le territoire sensitif V1. Ce territoire innerve le front, les orbites, la cornée, les régions temporales supérieures et antérieures, la racine du nez ainsi que la muqueuse nasale.                      

 

 

©Denys Fontaine – Correspondance entre à droite, les zones stimulées de la pie-mère lors des chirurgies et à gauche, les zones où le patient indique avoir ressenti la douleur.

Ces observations contredisent la théorie admise jusqu’à présent et plaident en faveur d’une sensibilité à la douleur de la pie-mère et de ses vaisseaux nourriciers. Elles permettent également de suggérer que ces structures peuvent être impliquées dans les céphalées, au même titre que les autres structures crâniennes sensibles.

Pour des raisons éthiques et pratiques, il n’a pas été possible lors de cette étude d’explorer systématiquement les structures crâniennes apparues comme sensibles. Cependant, l’identification des récepteurs impliqués dans la détection des messages douloureux pourrait constituer un nouvel axe de recherche pour le traitement des céphalées et, notamment, de la migraine.

Des puces pour modéliser et mieux comprendre la maladie de Huntington

©Inserm/Saudou, Frédéric

En combinant l’utilisation de neurones issus de souris modèles de la maladie de Huntington, une maladie neurologique d’origine génétique, et la technologie microfluidique, l’équipe de Frédéric Saudou, Directeur de Grenoble Institut des Neurosciences (GIN – Inserm/UGA) et responsable de l’équipe « Dynamiques intracellulaires et neurodégénérescence », en collaboration avec Benoit Charlot, de l’Institut d’électronique des systèmes (CNRS/Université de Montpellier), a reconstitué sur une puce le circuit neuronal atteint chez les patients. Cette étude qui a permis d’identifier un nouveau mécanisme pathogénique, a été publiée dans la revue Cell Reports le 2 janvier 2018.

La maladie de Huntington est une affection d’origine génétique qui touche en France environ 6 000 personnes, et concerne plus de 12 000 porteurs du gène muté, provisoirement indemnes de signes cliniques. Elle est caractérisée par des troubles cognitifs, psychiatriques et des mouvements incontrôlés.

Le gène HTT, responsable de la maladie, synthétise une protéine, la huntingtine, impliquée dans la régulation des dynamiques intracellulaires. À l’état normal, cette protéine contient des répétitions d’un acide aminé, la glutamine. Des répétitions qui peuvent devenir dangereuses : à partir d’un certain seuil (36 glutamines), la huntingtine est mutante et induit la maladie. Et plus les répétitions sont nombreuses, plus les symptômes apparaissent tôt.

Une des caractéristiques de la maladie est la dysfonction du circuit corticostriatal qui connecte deux régions du cerveau, le cortex et le striatum. Ces deux régions expriment la protéine mutante et dégénèrent dans la maladie de Huntington mais les mécanismes cellulaires impliqués sont encore mal compris. Jusqu’à présent, il était très difficile d’étudier les altérations du circuit avec une résolution subcellulaire.

Grace à l’approche microfluidique qui consiste à fabriquer dans un matériau biocompatible et transparent des chambres de culture et des canaux à l’échelle des cellules, les chercheurs ont pu contrôler la pousse et l’orientation des axones dans des canaux micrométriques pouvant atteindre jusqu’à 500 microns de longueur afin de reconstituer le circuit corticostriatal. Cette étude identifie ainsi les étapes critiques qui étaient altérées lorsque les neurones expriment la huntingtine mutante avec une résolution spatiotemporelle inédite. Cette étude montre le rôle fondamental du cortex dans la genèse des dysfonctions au niveau du circuit entier. En effet, grâce au système microfluidique, les chercheurs ont pu isoler les neurones du cortex et du striatum dans des compartiments identifiés afin de reconstituer des circuits hybrides contenant un cortex sain avec un striatum malade, et vice versa. L’équipe a ainsi montré que des neurones de cortex malade sont suffisants pour induire les dysfonctions du circuit alors même que les neurones du striatum sont sains. À l’inverse, des neurones corticaux sains sont capables de sauver les neurones du striatum malade.

Ces travaux permettent de mieux comprendre comment la huntingtine mutante induit la dysfonction et la mort sélective de ces deux régions du cerveau. Ces résultats devraient permettre de développer des stratégies thérapeutiques mieux adaptées pour les patients puisqu’elle identifie le cortex comme une cible d’importance pour empêcher la neurodégénerescence du striatum.

Ce modèle représente également une nouvelle approche pour tester et valider des molécules à intérêt thérapeutique.

Identification de marqueurs précoces de maladies neurodégénératives chez des personnes à risque

©Fotolia

Une étude promue par l’AP-HP a montré pour la première fois que des individus asymptomatiques risquant de développer une dégénérescence fronto-temporale (DFT) ou une sclérose latérale amyotrophique (SLA), car porteurs de la mutation c9orf72, présentent des altérations cognitives, anatomiques et structurelles très précoces, avant l’âge de 40 ans. 

L’identification de ces marqueurs avant l’apparition des symptômes de la maladie est une découverte majeure car de tels marqueurs sont essentiels pour la mise au point d’essais thérapeutiques et le suivi de leur efficacité.

Cette étude menée à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière – Inserm / CNRS / UPMC – à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP, par le Dr Isabelle Le Ber, Anne Bertrand et Olivier Colliot (chercheur CNRS),  a bénéficié d’un financement dans le cadre du programme de recherche translationnelle en santé (PRT-S).

Ses résultats ont été publiés le 02 décembre 2017 dans JAMA Neurology.

Les dégénérescences fronto-temporales (DFT) et la sclérose latérale amyotrophique (SLA) sont des maladies neurodégénératives pouvant avoir une cause génétique commune, dont la plus fréquente est une mutation du gène c9orf72. Certains développements précliniques ciblant ce gène offrent des perspectives thérapeutiques encourageantes. Afin de pouvoir tester l’efficacité de ces thérapeutiques potentielles, l’identification de marqueurs pour détecter l’apparition des lésions au stade précoce et suivre l’évolution de la maladie est indispensable.

En effet, il est maintenant établi que les maladies neurodégénératives causent des modifications biologiques et morphologiques plusieurs années avant l’apparition des premiers symptômes de la maladie. Ces stades pré-symptomatiques représentent probablement la meilleure fenêtre d’intervention thérapeutique pour stopper le processus neurodégénératif avant qu’il ne cause des dommages irréversibles au niveau du cerveau. L’objectif de ce travail est donc d’identifier des marqueurs du début du processus lésionnel, de la conversion clinique, c’est-à-dire de l’apparition des premiers symptômes cliniques et de la progression de la maladie.

Cette étude multimodale a été réalisée à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, sur une large cohorte de 80 personnes asymptomatiques porteuses de la mutation c9orf72, donc à risque de développer une DFT ou une SLA dans quelques années. Ces personnes ont été suivies pendant 36 mois (analyses neuropsychologiques, structurelles et micro-structurelles de la substance blanche du cerveau, du métabolisme cérébral, examens biologiques et cliniques) afin d’identifier des marqueurs cliniques, biologiques, de neuroimagerie, de métabolisme cérébral…

Les résultats de cette étude ont montré pour la première fois des altérations cognitives et structurelles très précoces chez des sujets de moins de 40 ans, qui sont détectables en moyenne 25 ans avant le début des symptômes. Des troubles praxiques (difficultés dans la réalisation de certains gestes) apparaissent de façon précoce. Ce ne sont pas des symptômes classiques des DFT, et l’une des hypothèses est qu’ils pourraient être dus à une modification précoce du développement de certaines régions cérébrales, peut-être liée à la mutation. De façon intéressante, des altérations de la substance blanche du cerveau, détectées précocement par l’IRM, prédominent dans les régions frontales et temporales, les régions cibles de la maladie, et pourraient donc constituer l’un des meilleurs biomarqueurs de la maladie. Dans son ensemble, cette étude apporte une meilleure compréhension du spectre de la maladie causée par des altérations de c9orf72.

La mise en évidence de biomarqueurs à des stades très précoces est un premier pas vers le développement d’outils nécessaires à l’évaluation de nouveaux traitements. En effet, afin de prévenir l’apparition de la maladie il est nécessaire d’administrer des médicaments aux stades présymptomatiques et donc de développer des outils qui permettent de savoir quand commencer le traitement et de mesurer son efficacité.

Et si la méditation permettait de mieux vieillir ?

© vege/fotolia

Et si méditer améliorait le vieillissement ? C’est ce que suggèrent les résultats d’une étude pilote menée par des chercheurs de l’Inserm basés à Caen et Lyon. 73 personnes âgées de 65 ans en moyenne ont passé des examens d’imagerie cérébrale. Parmi elles, les « experts en méditation » (avec 15 000 à 30 000 heures de méditation à leur actif) présentaient des différences significatives au niveau de certaines régions du cerveau. En permettant une réduction du stress, de l’anxiété, des émotions négatives et des problèmes de sommeil qui ont tendance à s’accentuer avec l’âge, la méditation pourrait réduire les effets néfastes de ces facteurs et avoir un effet positif sur le vieillissement cérébral. Ces résultats ont été publiés dans la revue Scientific Reports.

Avec l’âge, une diminution progressive du volume cérébral et du métabolisme du glucose apparaissent avec, pour conséquence, un déclin des fonctions cognitives. Ces changements physiologiques peuvent être exacerbés par le stress et une mauvaise qualité du sommeil. Ces deux derniers paramètres sont considérés comme des facteurs de risque de la maladie d’Alzheimer. Agir sur le stress et le sommeil pourrait donc faire partie de la panoplie d’outils utiles pour retarder le plus possible l’apparition de la maladie. Une des pistes de recherche, menée notamment à l’Inserm, se focalise sur l’aide de la méditation pour y parvenir.

C’est ainsi qu’une étude pilote menée par des chercheurs Inserm de Caen et Lyon a exploré la possibilité que la méditation puisse décaler de quelques années l’âge auquel les changements cérébraux favorables au développement d’Alzheimer apparaissaient. Pour cela, ils ont étudié le fonctionnement du cerveau de 6 personnes pratiquant la méditation. « Les « experts » ayant participé à l’étude sont âgés de 65 ans en moyenne et ont entre 15 000 et 30 000 heures de méditation derrière eux. Nous les avons sélectionnés car ils pratiquent la méditation selon différents courants traditionnels bouddhistes ce qui nous permet d’avoir un panel représentatif », explique Gaël Chételat, chercheuse Inserm et première auteure de ces travaux. Puis les chercheurs ont comparé le fonctionnement de leur cerveau à celui de 67 témoins non-méditants eux aussi âgés en moyenne de 65 ans. Un groupe plus large de 186 personnes âgées de 20 à 87 ans a également été inclus pour évaluer les effets classiques du vieillissement sur le cerveau et mieux comprendre les effets particuliers de la méditation.

L’ensemble des personnes ayant participé à cette étude ont été soumises à des examens neurologiques par IRM et TEP au sein de la plateforme d’imagerie biomédicale Cyceron à Caen. Des différences significatives ont été  mises en évidence au niveau du volume de la matière grise et du métabolisme du glucose. Dans le détail, les résultats d’examens montrent que le cortex frontal et cingulaire et l’insula des personnes pratiquant la méditation étaient plus volumineux et/ou avaient un métabolisme plus élevé que celui des témoins, et ce, même lorsque les différences de niveau d’éducation ou de style de vie étaient prises en compte. « Les régions cérébrales détectées avec un plus grand volume ou métabolisme chez les personnes pratiquant la méditation sont spécifiquement celles qui déclinent le plus avec l’âge », explique Gaël Chételat. Les effets de l’âge évalués dans cette même étude chez les personnes non-méditantes âgées de 20 à 87 ans se concentraient effectivement sur certaines régions bien particulières – les mêmes que celles qui étaient préservées chez les méditants âgés.

Ces premiers résultats suggèrent que la méditation pourrait réduire les effets néfastes de ces facteurs sur le cerveau et avoir un effet positif sur le vieillissement cérébral, possiblement en permettant une réduction du stress, de l’anxiété, des émotions négatives et des problèmes de sommeil qui ont tendance à s’accentuer avec l’âge.

Bien entendu, il s’agit d’une étude pilote donc il faudra réitérer ces observations sur des échantillons de personnes plus grands afin d’obtenir des résultats plus robustes. Par ailleurs, les chercheurs s’attellent aussi à comprendre quels sont les mécanismes qui permettraient à la médiation d’avoir cet impact positif sur le vieillissement cérébral.

Les chercheurs auteurs de cette étude se sont vus attribuer un financement de 6 millions d’euros par la Commission européenne pour mener à bien un projet de plus grande envergure sur le bien vieillir nommé silver santé study. Ce projet permettra de mieux comprendre les facteurs de vie qui déterminent le bien vieillir, et de tester les bienfaits d’entraînements mentaux à la méditation ou à l’apprentissage de l’anglais sur le bien-être et la santé mentale des seniors. Il est coordonné par l’Inserm (Gaël Chételat, U1237, Caen) et regroupe dix partenaires dans 6 pays européens (la France, la Suisse, l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique et l’Espagne). Les premiers résultats devraient être connus en 2019.

Le conscient et l’inconscient travaillent de concert pour trier les images

Notre cerveau est constamment bombardé d’informations sensorielles. Loin d’être surchargé, le cerveau est un véritable expert dans la gestion de ce flux d’informations. Des chercheurs de Neurospin (CEA/Inserm) ont découvert comment le cerveau intègre et filtre l’information. En combinant des techniques d’imagerie cérébrale à haute résolution temporelle et des algorithmes d’apprentissage automatique (machine learning), les neurobiologistes ont pu déterminer la séquence d’opérations neuronales qui permet au cerveau de sélectionner spécifiquement l’information pertinente. La majeure partie de l’information est traitée et filtrée inconsciemment par notre cerveau. Au sein de ce flux, l’information pertinente est sélectionnée par une opération en trois étapes, et diffusée vers les régions associatives du cerveau afin d’être mémorisée. Ces observations sont décrites dans Nature Communications le 5.12.2017.

Les chercheurs ont mesuré l’activité du cerveau de 15 participants, pendant que ces derniers devaient repérer une image « cible » dans un flux de 10 images par seconde . Les neurobiologistes ont ainsi pu observer trois opérations successives permettant aux participants de traiter et de trier le flux d’images :

► Même si une dizaine d’images est présentée chaque seconde, chacune de ces images est analysée par les aires sensorielles du cerveau pendant environ une demi-seconde. Ceci constitue une première phase de traitement automatique, inconscient et sans effort pour nous.
► Lorsqu’on demande aux participants de porter attention et de mémoriser une image en particulier, ce n’est pas uniquement l’image ‘cible’ qui est sélectionnée, mais toutes les images qui sont encore en cours de traitement dans les régions sensorielles. L’attention du sujet aura pour effet d’amplifier les réponses neuronales induites par ces images.
► La troisième phase de traitement correspond au rapport conscient du sujet. Seule l’une des images sélectionnées induit une réponse cérébrale prolongée et impliquant les régions pariétales et frontales. C’est cette image que le sujet indiquera avoir perçue.

« Dans cette étude, nous montrons que le cerveau humain est capable de traiter plusieurs images simultanément, et ce de manière inconsciente », explique le chercheur Sébastien Marti, qui signe cette étude avec Stanislas Dehaene, directeur de Neurospin (CEA/Inserm). « L’attention booste l’activité neuronale et permet de sélectionner une image spécifique, pertinente pour la tâche que le sujet est en train d’accomplir. Seule cette image sera perçue consciemment par le sujet », poursuit le chercheur.
Assailli par un nombre toujours croissant d’informations, notre cerveau parvient ainsi, malgré tout, à gérer le surplus de données grâce à un filtrage automatique, sans effort, et un processus de sélection en trois phases.
Les avancées technologiques en imagerie cérébrale et dans les sciences de l’information ont donné un formidable coup d’accélérateur à la recherche en neuroscience, et cette étude en est un bel exemple.

Une enzyme cruciale enfin démasquée

© L. Peris /GIN

Après 40 ans de recherche, des chercheurs du CEA, du CNRS, de l’Université Grenoble Alpes, de l’Université de Montpellier et de l’Inserm ont enfin démasqué l’enzyme responsable de la détyrosination de la tubuline. Surprise : ce n’est pas une enzyme mais deux qui ont été découvertes capables de modifier ce composant essentiel du squelette de la cellule. Ces travaux ouvrent de nouvelles pistes pour mieux comprendre le rôle de la tubuline dont les altérations accompagnent cancers, maladies cardiaques et défauts neuronaux. Ces résultats sont publiés le 16 novembre 2017 dans la revue Science.

Une collaboration internationale impliquant des chercheurs du CEA, du CNRS, de l’Inserm, de l’Université Grenoble Alpes, de l’Université de Montpellier et de l’Université de Stanford[1] a identifié une enzyme, la Tubuline CarboxyPeptidase (TCP), qui est responsable d’une transformation biochimique des microtubules cellulaires, la détyrosination. La détyrosination est une réaction biologique consistant à supprimer l’acide aminé terminal tyrosine[2], de la tubuline α, un composant des microtubules. Alors qu’elle était recherchée depuis quatre décennies, les biologistes ont réussi à isoler cette protéine par purification et ont ensuite apporté les preuves de son activité cellulaire.

Les microtubules contribuent à des fonctions cellulaires essentielles

Les microtubules sont des fibres dynamiques présentes dans toutes les cellules. Formés par l’assemblage de deux protéines (tubuline α et tubuline β), les microtubules assurent de  nombreuses fonctions. Ils séparent les chromosomes destinés aux deux cellules filles lors de la division cellulaire, ils contribuent à la polarité des cellules, à la morphologie et à la migration cellulaire. Ils forment des sortes de rails sur lesquels sont transportés des constituants cellulaires tels que des protéines ou des brins d’ARN.

Ces fonctions cellulaires sont régulées grâce à l’existence de « signaux » présents à la surface des microtubules. Ces signaux sont des modifications biochimiques des acides aminés (appelées modifications post-traductionnelles car elles ont lieu après la synthèse de la protéine) qui sont réalisées par plusieurs enzymes qui, ici, modifient les tubulines. 

L’enzyme TCP, identifiée après 40 ans de mystère

L’activité de l’une de ces enzymes a été mise en évidence pour la première fois en 1977 par des chercheurs argentins qui lui donnent le nom de TCP (Tubuline CarboxyPeptidase). Cette enzyme, qui n’avait jusqu’à ce jour jamais été identifiée (sa taille et sa séquence restaient inconnues), a comme fonction de supprimer le dernier acide aminé, une tyrosine, de l’extrémité de la tubuline α. C’est la réaction de détyrosination. Une enzyme réverse, la ligase TTL, est chargée de repositionner cette tyrosine à sa place. C’est la tyrosination. Ce cycle de détyrosination/tyrosination est vital pour la cellule et l’organisme. Une détyrosination massive (anormale) est observée dans plusieurs cancers sévères et maladies cardiaques. 

Identifier et caractériser la TCP constituait donc un objectif majeur pour comprendre la fonction physiologique de la détyrosination de la tubuline α et pour évaluer les conséquences de son inhibition.

Pour isoler la TCP, les chercheurs ont suivi son activité, utilisé des techniques classiques de biochimie et fait appel à des chimistes de l’Université de Stanford qui ont développé une petite molécule inhibitrice de son activité. Cette molécule a été utilisée comme hameçon pour « pêcher » l’enzyme convoitée.

Cycle de détyrosination/tyrosination de la tubuline
Les microtubules sont des fibres présentes dans toutes les cellules composées d’un empilement de tubulines α/β. La tubuline α porte une tyrosine (Y) à son extrémité qui est alternativement enlevée et replacée par deux enzymes, modifiant ainsi la surface des microtubules. La TCP (représentée par une scie composée de deux éléments, VASH/SVBP) est responsable de la détyrosination. La TTL (représentée par un tube de colle) replace la tyrosine sur la tubuline. Ce cycle est essentiel aux diverses fonctions des microtubules dans les cellules (division, migration, …) et vital pour l’organisme. © C. Bosc, GIN

Au final, ce ne sont pas une, mais deux enzymes qui ont été découvertes ! Ces dernières, dénommées VASH1 et VASH2, étaient déjà connues des scientifiques mais sans savoir qu’il s’agissait d’enzymes en lien avec le cytosquelette. Les chercheurs ont montré qu’à la condition d’être associées à une protéine partenaire appelée SVBP, VASH1 et VASH2 sont capables de détyrosiner la tubuline α. Pour le démontrer, les chercheurs ont supprimé leur expression (ou celle de leur partenaire SVBP) dans les neurones. Ils ont alors observé une très forte diminution du taux de détyrosination de la tubuline α, ainsi que des anomalies dans la morphologie des neurones (v. Figure). Les chercheurs sont allés plus loin en montrant que ces enzymes sont également impliquées dans le développement du cortex cérébral.

Des perspectives pour la lutte contre le cancer

Ainsi, quarante ans après les premiers travaux sur la détyrosination de la tubuline α, les enzymes responsables ont été démasquées ! Dorénavant, les scientifiques espèrent qu’en modulant l’efficacité de la TCP et en améliorant les connaissances du cycle détyrosination/tyrosination, ils pourront mieux lutter contre certains cancers et progresseront dans la connaissance des fonctions cérébrales et cardiaques.

Photographies de l’altération des neurones par une réduction de l’expression des enzymes TCP (VASH/SVBP. De gauche à droite : neurone contrôle, neurones dans lesquels l’expression de VASH1 et VASH2 est réduite, neurones dans lesquels l’expression de SVBP est réduite. Les neurones ayant moins d’enzyme présentent un retard de développement et des anomalies morphologiques. © L. Peris /GIN


[1] Les instituts suivants sont impliqués : Grenoble Institut des neurosciences, GIN (Inserm/Univ. Grenoble Alpes); l’Institut de biosciences et biotechnologies de Grenoble, BIG (Inserm/CEA/Univ. Grenoble Alpes) ; l’Institut pour l’avancée des biosciences, IAB (Inserm/CNRS/Univ. Grenoble Alpes), le Department of Pathology, Stanford University School of Medicine (Stanford, USA), l’Institut de génétique humaine, IGH (CNRS/Univ. de Montpellier), le Centre de recherche en biologie cellulaire de Montpellier, CRBM (CNRS/Univ. de Montpellier).

[2] La tyrosine est l’un des 22 acides aminés qui constituent les protéines

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