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Cancer du sein bilatéral : la première étude complète révèle que les tumeurs sont indépendantes l’une de l’autre

cancer sein

Marquage immunofluorescent sur les différents sous types de cellules immunitaires du microenvironnement tumoral (marquage CD68 (jaune) – CD 163 (violet) – CD138 (orange)– CKIT (vert)– AE1/AE3 (bleu clair). © Institut Curie

Cette étude menée par l’Institut Curie, en collaboration avec l’Inserm et le German Breast Cancer Group, est la première à décrire le cancer du sein bilatéral avec des technologies de séquençage aussi avancées. Si les deux tumeurs dans chaque sein sont d’origines différentes, le type de chaque tumeur (luminal, HER2, triple négatif) influe sur le microenvironnement tumoral dans l’autre sein, notamment le système immunitaire, et modifie la réponse au traitement. Publiés dans Nature Medicine le 6 mars 2023, ces travaux ouvrent des perspectives cliniques pour améliorer la prise en charge des patientes atteintes de cancer du sein bilatéral.

Le cancer du sein bilatéral concerne entre 2 et 11% de l’ensemble des cancers du sein, avec une incidence qui ne cesse d’augmenter. Il se caractérise par la survenue d’une tumeur dans chacun des deux seins, soit exactement au même moment, soit dans un laps de temps d’environ six mois. Jusqu’à présent, le cancer du sein bilatéral n’a pas été associé à un fort déterminant génétique.

Menés à l’Institut Curie par le Dr Joshua Waterfall, chercheur Inserm et chef d’équipe dans l’unité « Cancer, Hétérogénéité, Instabilité et Plasticité » (Inserm/Institut Curie), le Pr Fabien Reyal, chef de service de chirurgie gynécologique sénologique et reconstructrice et le Dr Anne-Sophie Hamy-Petit, oncologue et chercheuse à l’Institut Curie dans l’équipe Résidu tumoral et réponse au traitement, ces travaux portent sur une cohorte de 17 500 patientes de tous âges dont 404 étaient porteuses d’un cancer du sein bilatéral (soit 2 %).

Dans un premier temps, l’équipe de recherche a analysé l’ensemble des 17 500 dossiers médicaux. Elle a ainsi caractérisé la nature des tumeurs mais également observé la réponse du système immunitaire et la réponse à un traitement néoadjuvant (administré aux patientes avant la chirurgie). Chercheurs et médecins ont alors découvert que le système immunitaire ne réagissait pas de la même manière si les tumeurs droites et gauches étaient de sous-groupes différents (luminal, triple négatif ou HER2).

« Un exemple :  les cancers du sein de type luminal[1] ne répondent habituellement pas au traitement néoadjuvant, mais en présence d’une tumeur controlatérale de type triple négatif la réponse immunitaire et la réponse au traitement sont augmentées », explique Joshua Waterfall. « Un mécanisme systémique, pour lequel il n’y a pas encore d’explication ».

Dans un deuxième temps, une plus petite cohorte de 6 patientes a été analysée : leurs tumeurs ont été caractérisées sur le plan génomique, en comparant les profils des patientes avant et après le traitement néoadjuvant. Grâce à un séquençage nouvelle génération, l’équipe est parvenue à observer l’ordre des nucléotides dans le génome entier ou dans certaines régions spécifiques de l’ADN ou de l’ARN.

« Cette technologie de pointe nous a permis de montrer que, du point de vue des mutations génétiques, les deux tumeurs sont complètement indépendantes l’une de l’autre », explique Joshua Waterfall.

Malgré un outil de séquençage très complet, la taille très réduite du groupe de patientes rend impossible la recherche d’un gène commun à toutes ces tumeurs.

« C’est une possibilité que nous ne pouvons pas éliminer mais nous ne voyons aucun élément qui va dans ce sens. Les tumeurs bilatérales ont beau ne pas être rares, leur survenue s’avère indépendante et peut être attribuée à la malchance », poursuit Joshua Waterfall.

Indépendantes d’un point de vue génomique, en termes de mutations, de copies d’altérations et d’expression, leur survenue pourrait être influencée par des facteurs du microenvironnement dans les cellules et les tissus.

Ces nouveaux résultats permettent de mieux comprendre comment traiter les patientes atteintes d’un cancer du sein bilatéral. En effet, les chercheurs et médecins qui signent ces travaux recommandent de considérer ces tumeurs comme deux entités différentes avant de décider d’un traitement qui les cibleraient toutes les deux.

« Étant donné que les deux tumeurs sont indépendantes mais peuvent avoir une influence l’une sur l’autre, le choix du traitement peut s’avérer complexe. Nous espérons que nos résultats pourront guider les soignants dans leurs décisions et améliorer la prise en charge des patientes », espère Joshua Waterfall.

 

[1] Le cancer du sein de type luminal est la forme la plus fréquente de cancer du sein, caractérisée par l’expression du récepteur œstrogène.

Mucoviscidose : une nouvelle perspective thérapeutique grâce à des recherches sur un champignon comestible

Lepista flaccida, champignon comestible

Lepista flaccida, un champignon comestible que l’on retrouve dans l’hémisphère nord, a été au centre des recherches menées par des équipes françaises pour identifier des moyens de corriger certaines mutations génétiques, dites mutations non-sens. © MNHN/CNRS – Christine Bailly

Une molécule issue d’un champignon comestible pourrait ouvrir des perspectives thérapeutiques pour des patients atteints de mucoviscidose, la maladie génétique rare la plus fréquente. Une équipe de recherche dirigée par Fabrice Lejeune, chercheur Inserm au sein du laboratoire Hétérogénéité, plasticité et résistance des cancers aux thérapies (Inserm/ CNRS/ Université de Lille/Institut Pasteur de Lille/CHU Lille) a testé les effets de la 2,6-diaminopurine (DAP), l’un des principes actifs contenus dans le champignon Lepista flaccida, dans différents modèles expérimentaux de la maladie. Les scientifiques ont ainsi montré que cette molécule pourrait avoir un intérêt thérapeutique pour les patients atteints de mucoviscidose liée à une mutation particulière, dite mutation non-sens. Les résultats sont publiés dans le journal Molecular Therapy.

La mucoviscidose est une maladie génétique qui touche environ 6 000 personnes en France et affecte principalement les fonctions digestives et respiratoires, avec une espérance de vie comprise entre 40 et 50 ans. Des innovations thérapeutiques ont toutefois permis d’améliorer le pronostic des patients ces dernières années. Des traitements sont aujourd’hui disponibles pour la grande majorité des patients dont la maladie est causée par la mutation delta F508 au niveau du gène CFTR. Chez ces derniers, la protéine CFTR (codée par le gène CFTR) est présente en petite quantité, mais dysfonctionnelle. Les molécules actuellement disponibles permettent de corriger ce dysfonctionnement et d’améliorer significativement leurs symptômes cliniques.

En revanche, elles ne sont pas efficaces chez 10 % des patients pour qui la protéine est complètement absente comme c’est le cas lorsque la maladie est liée à une mutation non-sens (voir encadré).

Les mutations non-sens et les maladies génétiques

L’ADN est constitué de molécules organiques, les nucléotides, qui codent les acides aminés impliqués dans la synthèse des protéines nécessaires au bon fonctionnement de l’organisme. En pratique, les mutations non-sens introduisent un « codon stop » au niveau du gène muté, c’est-à-dire une séquence de nucléotides qui conduit à un arrêt prématuré de la synthèse de la protéine correspondante. Dès lors, la protéine n’est plus fabriquée, entraînant l’apparition des symptômes cliniques de la maladie.

Identifier des moyens de corriger les mutations non-sens est donc un enjeu important pour les chercheurs qui étudient les maladies génétiques et qui espèrent notamment développer de nouvelles options thérapeutiques contre la mucoviscidose.

Dans ce contexte, le chercheur Inserm Fabrice Lejeune et son équipe[1] étaient parvenus en 2017 à un résultat novateur en montrant que des extraits d’un banal champignon comestible connu sous le nom de Lepista flaccida pouvaient réparer les mutations non-sens dans trois lignées cellulaires isolées de patients atteints de mucoviscidose. Quelques années plus tard, en 2020, ils avaient publié une étude identifiant le principe actif dans le champignon capable de corriger les mutations non-sens associées au codon stop UGA, le plus courant des trois codons stop du code génétique humain. Il s’agissait de la molécule DAP (2,6 diaminopurine).

Dans leurs nouveaux travaux, les scientifiques ont testé les effets de cette molécule dans quatre modèles expérimentaux de mucoviscidose : des modèles animaux de la maladie, développés au laboratoire ; des lignées cellulaires ; des cellules de patients et des organoïdes. Cette diversité des modèles utilisés permet d’être au plus proche de ce qui se passe dans l’organisme des patients, afin d’évaluer au mieux les éventuels bénéfices thérapeutiques qu’ils pourraient en tirer.

Les résultats obtenus par l’équipe suggèrent que la DAP permet de corriger la mutation non-sens dans les différents modèles étudiés, en rétablissant la production des protéines et en restaurant efficacement la fonction du gène muté.

Sur le plan clinique, cela se traduit chez l’animal par une amélioration des symptômes. Le traitement à la DAP permet de restaurer l’expression de CFTR dans les poumons et les intestins ainsi que la fonction de cette protéine, réduisant significativement la mortalité prématurée observée avant l’administration de cette molécule.

Par ailleurs, l’équipe de recherche montre aussi que la DAP peut être donnée oralement et qu’elle se distribue efficacement dans tout l’organisme, pendant environ deux heures. Ces caractéristiques sont aussi un signal positif pour envisager la DAP comme une piste thérapeutique sérieuse, car cela signifie que l’on pourrait atteindre l’ensemble des tissus d’un organisme tout en limitant la durée d’exposition à la molécule et donc en réduisant de possibles effets secondaires.

« La DAP pourrait représenter la première molécule capable d’apporter un bénéfice thérapeutique aux patients atteints de mucoviscidose liée à une mutation non-sens et plus largement aux patients atteints de maladie génétique liée à une mutation non-sens », précise Fabrice Lejeune.

Ces résultats ouvrent la voie à l’organisation d’un éventuel essai clinique dans les années à venir pour tester l’efficacité de la molécule chez des patients. Avant cela, l’objectif est de développer la meilleure formulation possible pour le médicament et de réaliser des tests de toxicité pour s’assurer de son innocuité chez l’humain. À plus court terme, les équipes souhaitent également tester la DAP dans des modèles d’autres maladies génétiques rares, notamment la myopathie de Duchenne et le syndrome de Rett, pour lequel plus de 60 % des patients sont affectés par mutations non-sens.

 

[1]Ont également participé à ces résultats les unités de recherche suivantes : Molécules de communication et adaptation des microorganismes (CNRS/MNHN), Laboratoire de biométrie et biologie évolutive (CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/VetAgro Sup), Plateformes lilloises en biologie et santé (CNRS/CHU Lille/Inserm/Institut Pasteur Lille/Université Lille), Plateforme de chimie biologique intégrative de Strasbourg (CNRS/Université de Strasbourg).

Immunothérapie : une nouvelle arme deux-en-un contre les tumeurs résistantes

anti cancer cGAMP-VLP

Image de microscopie électronique qui montre le cGAMP-VLP (larges sphères sur l’image, indiquées par les flèches), nouveau médicament anticancer en immunothérapie développé par l’équipe du Dr Nicolas Manel. © Institut Curie


Appuyer sur l’accélérateur et lever le frein, en même temps, c’est l’idée innovante du Dr Nicolas Manel, chercheur Inserm et chef d’équipe à l’Institut Curie (unité Immunité et cancer – Institut Curie, Inserm) pour améliorer la réponse aux immunothérapies. Depuis plusieurs années, les chercheurs ont identifié une voie de signalisation – STING – indispensable accélérateur de la réponse aux immunothérapies. Aujourd’hui, l’équipe franchit une nouvelle étape en identifiant un nouveau médicament biologique capable d’activer STING spécifiquement dans les cellules clefs du système immunitaire. Ces travaux, publiés dans la revue Science Immunology le 13 janvier 2023, ouvrent la voie à des perspectives thérapeutiques prometteuses pour développer de nouvelles stratégies et augmenter l’efficacité des immunothérapies contre le cancer.

L’immunothérapie est une stratégie anticancéreuse qui fait beaucoup parler d’elle depuis une quinzaine d’années. Chez les patients réceptifs, elle donne des résultats spectaculaires, mais 50 à 80 % des malades ne répondent pas à ces traitements. A l’Institut Curie, l’équipe Immunité Innée du Dr Nicolas Manel, directeur de recherche Inserm, vient de développer une stratégie innovante qui pourrait bien changer la donne pour ces patients.

Le chercheur utilise la métaphore mécanique pour expliquer le fonctionnement des immunothérapies actuelles dites anti-checkpoint [inhibiteurs de point de contrôle] : « Ces thérapies lèvent « le frein » du système immunitaire pour qu’il reconnaisse les cellules cancéreuses du patient comme des cellules à détruire (sans ces inhibiteurs, le système immunitaire ne peut attaquer les cellules cancéreuses). Mais ils fonctionnent uniquement s’il y a un « accélérateur naturel » pour que le système immunitaire attaque ces cellules. Cet accélérateur est lié à une voie biochimique appelée STING et il est manquant chez 50 à 80% des patients. »

Bien comprendre les mécanismes fondamentaux

C’est il y a environ cinq ans que les chercheurs ont compris le rôle d’accélérateur de STING. Des laboratoires pharmaceutiques ont immédiatement développé de petites molécules pour activer STING. Probants in vitro, leurs résultats se sont révélés décevants en clinique.

A l’Institut Curie, le Dr Nicolas Manel et son équipe sont revenus aux fondamentaux pour décrypter toute la cascade d’évènements en jeu : « Ce que révèle notre étude, c’est qu’il faut activer STING sélectivement dans certaines cellules, les cellules dendritiques, pour avoir un effet accélérateur, alors qu’activer STING dans d’autres cellules peut détruire la réponse immunitaire. »

Les chercheurs ont utilisé des particules pseudovirales (qui ressemblent à des virus mais sont non infectieuses) car celles-ci sont efficacement capturées par les cellules dendritiques. Ils ont ensuite placé, à l’intérieur de ces particules, la molécule naturelle qui active STING, appelée cGAMP. Le médicament ainsi obtenu, nommé cGAMP-VLP, active STING préférentiellement dans les cellules dendritiques, sans impacter négativement les autres cellules du système immunitaire. Ces cellules dendritiques activées ont ainsi éduqué des lymphocytes pour qu’ils reconnaissent les antigènes de la tumeur. Les chercheurs ont ainsi identifié un produit thérapeutique, tant recherché, capable d’activer l’accélérateur !

« Testée dans différents systèmes (in vitro, chez l’animal et sur des échantillons de tumeurs humaines), cette stratégie a montré un effet antitumoral fort, même à faible dose. Combinée à une immunothérapie anti-checkpoint, elle est encore plus efficace, » se réjouit le chercheur.

Pour lui, il est donc temps de proposer cette nouvelle arme thérapeutique aux patients. C’est l’objectif de Stimunity, la société de biotechnologie dont il est co-fondateur, qui, avec la levée de fonds en cours, pourrait lancer le développement clinique de cette immunothérapie innovante.

Si ces résultats se confirmaient chez l’humain, il serait possible de s’attaquer à des cancers jusqu’ici résistants à tous les traitements connus, et ce, sans chimiothérapie ni radiothérapie.

Retour sur 5 avancées marquantes à l’Inserm en 2022

© Inserm

L’année 2022 a été marquée par de belles avancées pour l’Inserm qui ont, chacune dans leur domaine, contribué à améliorer la santé des citoyens et le quotidien de nombreux patients. Avant d’entamer une nouvelle année, nous vous proposons de jeter un coup d’œil dans le rétro. Très belle année 2023 à tous et au plaisir d’échanger autour de la devise qui nous anime : la Science pour la santé.

 

Janvier 2022 – Une thérapie génique prometteuse contre la drépanocytose et la bêta-thalassémie

La drépanocytose et la bêta-thalassémie sont deux maladies génétiques sanguines très fréquentes. Elles se caractérisent par une baisse anormale du taux d’hémoglobine des malades, avec des conséquences graves sur divers organes et une espérance de vie réduite. La seule option curative consiste actuellement à greffer des cellules de moelle osseuse issues de donneurs compatibles. Néanmoins, moins de 20 % des malades peuvent actuellement en bénéficier.

Des équipes de l’AP-HP, d’Université de Paris, de l’Inserm, au sein de l’Institut Imagine, ont mené une étude clinique de thérapie génique consistant à transplanter chez le patient ses propres cellules souches de moelle osseuse, génétiquement modifiées.

Pour tester cette thérapie génique, les équipes de recherche ont mené une étude clinique sur des patients bêta-thalassémiques et des patients drépanocytaires. Chez les premiers, le taux d’hémoglobine est revenu à la normale. Chez les seconds, il était corrigé pour deux tiers des patients. Ces résultats très prometteurs se sont maintenus sur la durée, sur plus de 4 ans.

Février 2022 – Une étude confirme les bénéfices du traitement intermittent contre le VIH

 Améliorer la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH et réduire les coûts des traitements sont deux enjeux majeurs de la recherche actuelle en santé. Pour y parvenir, le traitement intermittent est l’une des pistes explorées. Cette approche consiste à prendre le traitement pendant quatre jours consécutifs suivi de trois jours de « pause », au lieu d’une prise quotidienne. Il est important de tester rigoureusement cette stratégie thérapeutique afin de voir si elle pourrait être utilisée largement par les patients.

Mené en collaboration avec des médecins de l’AP-HP, le projet Quatuor financé par l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes, agence de l’Inserm, a confirmé l’efficacité du traitement intermittent. Les résultats obtenus ont souligné que la prise d’un traitement 4 jours par semaine était en effet aussi efficace que 7 jours sur 7 en ce qui concerne la suppression du virus et la tolérance au traitement. Il est également intéressant de souligner que le traitement intermittent a été associé dans cette étude à une amélioration de l’observance et de l’acceptabilité du traitement par les patients – ce qui est crucial pour leur santé à long terme ainsi que pour lutter efficacement contre l’épidémie mondiale de VIH.

 

Avril 2022 – Syndromes d’hypercroissance dysharmonieuse : premier et unique traitement autorisé par les autorités américaines

Les syndromes d’hypercroissance dysharmonieuse sont un groupe de maladies génétiques rares qui se caractérisent par le développement d’excroissances déformant certaines parties du corps et responsables de douleurs intenses, de fatigue, de saignements et de divers dysfonctionnements. Les malades souffrent ainsi de handicaps sévères et leur pronostic vital peut être parfois engagé.

Une étude clinique majeure menée par des équipes de l’Inserm, l’AP-HP et l’Université Paris Cité a démontré l’efficacité d’un médicament habituellement utilisé dans le cancer du sein. Il fonctionne en bloquant le gène défaillant responsable de ces syndromes. Les patients traités ont vu leurs lésions régresser et leurs symptômes s’améliorer. Ces résultats importants ont abouti cette année à une autorisation de mise sur le marché de ce médicament comme premier et unique traitement de ces maladies, par l’agence américaine du médicament (FDA).

 

Août 2022 – Trisomie 21 : une nouvelle thérapie pour améliorer les fonctions cognitives

Le syndrome de Down, ou trisomie 21, touche environ une naissance sur 800 et se traduit par diverses manifestations cliniques, parmi lesquelles un déclin des capacités cognitives. Une perte progressive de l’olfaction, typique des maladies neurodégé­nératives, est également fréquemment observées à partir de la période prépubère, et les hommes peuvent aussi présenter des déficits de maturation sexuelle.

Pour expliquer ces symptômes, les chercheurs de l’Inserm ont identifié des anomalies géné­tiques sur le chromosome 21 surnuméraire. Ces dernières entraînent un dysfonctionnement des neurones qui secrètent la GnRH, une hormone connue pour son rôle dans la repro­duction.

A partir de cette découverte, les scientifiques ont ensuite mené un essai clinique afin de tester les effets d’injections de la GnRH via un patch pendant 6 mois, sur des hommes porteurs de trisomie 21. Les résultats sont très prometteurs puisque ce traitement a permis d’améliorer leurs fonctions cognitives. Cela justifie le lancement d’une étude plus vaste – incluant des femmes – visant à confirmer l’efficacité de ce traitement pour les personnes atteintes de trisomie 21, mais aussi pour d’autres pathologies neurodégénératives, telles que la maladie d’Alzheimer.

 

Septembre 2022 – Tolérance et efficacité démontrées d’un vaccin thérapeutique contre le cancer

Dans de nombreux cancers, la reproduction illimitée des tumeurs est liée à une enzyme, la télomérase. En temps normal, celle-ci est essentielle au renouvellement de nos cellules, en protégeant nos chromosomes et donc notre ADN. Or dans les cancers, son activité anormalement élevée entraîne une prolifération des cellules. Cibler cette enzyme ouvre la voie au développement de nouveaux traitements, notamment pour des cancers difficiles à traiter avec des chances de survie faible, comme le cancer du poumon, principale cause de mortalité liée au cancer dans le monde.

Les chercheurs ont développé un vaccin qui active le système immunitaire afin qu’il soit en mesure de détecter et de détruire les cellules cancéreuses porteuses de la télomérase. Ils ont ensuite démontré son innocuité, sa bonne tolérance et son efficacité chez 80 % de patients vac­cinés atteints de cancer du poumon métastatique et en impasse thérapeutique. Une amélioration de la survie a été constatée pour la moitié d’entre eux.

Prochaine étape : démontrer l’efficacité de ce vaccin sur des tumeurs du cerveau, le cancer du foie ou encore cancers liés au papillomavirus. Des essais cliniques sont en cours.

Une découverte scientifique ouvre la voie à de nouveaux traitements d’immunothérapie plus efficaces

© Cellule cancéreuse réalisée en 3D, Fotalia

L’acidité des tumeurs nuit à l’efficacité des thérapies anticancéreuses, selon une étude internationale publiée dans la revue scientifique Science Immunology. Cette découverte significative dans le domaine des biothérapies émane notamment du travail de recherche des scientifiques du CHU de Lille, de l’Université de Lille, de l’Inserm et du CNRS au sein du laboratoire CANTHER ainsi que de l’institut ONCOLille. Ces résultats pourraient conduire à une nouvelle génération de traitements d’immunothérapie fondée sur leur activation possible dans un environnement plus acide.

Les tumeurs ont un environnement plus acide (pH 6, 5) que les tissus sains normaux (pH 7, 2). La nouvelle recherche, menée par les laboratoires lillois du chercheur Inserm Suman Mitra (CANTHER, ONCOLille, France), du Dr Ignacio Moraga, de l’École des sciences de la vie de Dundee, et du Dr Rahul Roychoudhuri (Cambridge), a montré pour la première fois que cette acidité bloque les activités des cytokines – protéines essentielles au développement de puissantes réponses anti-tumorales et utilisées en immunothérapie pour activer ou améliorer la réponse de l’organisme. Face à ce constat, les équipes de recherche ont décidé de concevoir de nouvelles cytokines capables de résister à l’acidité présente dans l’environnement tumoral, conduisant à des réponses anti-tumorales plus efficaces.

« De fortes doses d’un type de cytokine appelé interleukine 2 (IL-2) sont actuellement utilisées en clinique pour traiter le cancer et notre découverte aide à expliquer pourquoi ce traitement ne fonctionne pas pour la plupart des gens. L’IL-2 est une cytokine très puissante pour conduire l’activation des cellules T, qui sont essentielles pour éliminer les tumeurs, mais elle est également très sensible à l’environnement acide » explique Suman Mitra, qui a coordonné l’étude.

Face à ce constat, l’équipe de recherche a ensuite examiné différentes approches pour contourner cette limitation et a utilisé l’ingénierie des protéines pour manipuler la façon dont les cytokines réagissent dans l’environnement acide. Les scientifiques viennent ainsi de concevoir une variante de l’IL-2 capables d’activer les lymphocytes T du système immunitaire et de favoriser des réponses anti tumorales très puissantes.

Les équipes souhaitent désormais poursuivre le développement de ces nouvelles cytokines sélectives au pH et prévoient de démarrer de premiers essais cliniques d’ici quelques années. Ils espèrent ainsi pouvoir améliorer les thérapies actuelles et sauver des vies.

Une piste thérapeutique pour réduire les effets secondaires d’une chimiothérapie

Effet convergent du cisplatine et du KW6002 sur les cassures double brin de l’ADN dans des cellules tumorales pulmonaires. Le bleu correspond aux noyaux des cellules et le rouge à une protéine qui marque les dommages à l’ADN. © Dewaeles et al.

Le cisplatine est une chimiothérapie indiquée pour lutter contre les tumeurs dans de nombreux cancers. Elle s’accompagne toutefois d’effets secondaires importants, en particulier une toxicité au niveau des reins qui peut entraîner une insuffisance rénale aiguë. Par ailleurs, les patients traités par le cisplatine rapportent aussi souvent souffrir de douleurs neuropathiques importantes. Des scientifiques de l’Inserm, de l’université et du CHU de Lille, du CNRS et de l’Institut Pasteur de Lille, au sein des laboratoires CANTHER[1] et Lille Neuroscience & Cognition, en collaboration avec des chercheurs de l’université d’état du Michigan (États-Unis) ont identifié un médicament qui pourrait changer la donne pour les patients. Déjà autorisée contre la maladie de Parkinson, cette molécule appelée istradefylline pourrait non seulement réduire les effets délétères de la chimiothérapie mais aussi améliorer ses propriétés anti-tumorales. Ces résultats devront maintenant être consolidés dans le cadre d’un essai clinique. L’étude est publiée dans The Journal of Clinical Investigation.

Le cisplatine est une chimiothérapie utilisée dans le traitement de plusieurs cancers, dont le cancer des poumons, des ovaires ou encore des testicules. Si son efficacité anti-tumorale est avérée, cette thérapie s’accompagne également d’effets secondaires, notamment de douleurs intenses (neuropathie périphérique) et de dommages pour les reins, qui peuvent aller jusqu’à une insuffisance rénale aiguë dans un tiers des cas. A l’heure actuelle, il n’existe pas de solution spécifique pour limiter ces problèmes qui touchent de nombreux patients exposés au cisplatine.

Afin d’améliorer leur prise en charge, le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques constitue donc un axe de recherche majeur pour de nombreux scientifiques.

C’est le cas des équipes menées par Christelle Cauffiez, David Blum et Geoffroy Laumet des laboratoires CANTHER (Inserm/ /CNRS/Université de Lille/CHU de Lille), Lille Neuroscience & Cognition (Inserm/Université de Lille/CHU de Lille) et du Département de Physiologie de l’Université d’État du Michigan qui ont identifié une molécule capable de réduire les effets secondaires du cisplatine, tout en préservant, voire en augmentant ses propriétés anti-tumorales.

Un médicament pour la maladie de Parkinson

Les scientifiques se sont intéressés à un médicament appelé « istradefylline » qui a déjà été approuvé aux États-Unis et au Japon pour le traitement de la maladie de Parkinson. Ce médicament fonctionne en bloquant des récepteurs à la surface de nos cellules, les récepteurs de l’adénosine.

L’équipe de David Blum, qui travaille sur les pathologies neurodégénératives s’était déjà aperçue que ces récepteurs sont en quantité augmentée dans le cerveau des patients en contexte pathologique et que ce phénomène est impliqué dans le développement de ces maladies. Or, une augmentation similaire des récepteurs de l’adénosine a également été observée par l’équipe de Christelle Cauffiez au niveau rénal lorsque l’organisme est exposé au cisplatine.

Face à ce constat, les scientifiques ont donc décidé de travailler ensemble pour tester les effets de l’istradefylline afin de déterminer si le fait de bloquer ces récepteurs permet de réduire les effets délétères du cisplatine.

Des résultats à confirmer dans un essai clinique

Leurs expériences, menées à partir de modèles animaux et cellulaires ont effectivement suggéré le rôle bénéfique de l’istradefylline. En effet, chez les souris exposées à cette chimiothérapie, la molécule agit en réduisant non seulement les dommages causés aux cellules rénales mais également la douleur induite par le cisplatine.

En outre, la capacité du cisplatine à réduire la croissance tumorale était augmentée chez les animaux qui recevaient de l’istradefylline, ce qui a ensuite été confirmé dans les modèles cellulaires.

Avant d’envisager la généralisation de cette approche thérapeutique aux patients atteints de cancers, ces résultats devront d’abord être consolidés en organisant un essai clinique rigoureux. Néanmoins, le fait que l’istradefylline soit déjà utilisée chez l’humain pour traiter une autre pathologie constitue d’ores et déjà une perspective intéressante.

 « De fait, nous disposons déjà de nombreuses données issues d’essais cliniques qui montrent que cette molécule est sûre. S’il est nécessaire de mener une étude clinique afin de tester son efficacité pour réduire les effets secondaires de la chimiothérapie, la possibilité d’un repositionnement thérapeutique est une perspective prometteuse pour améliorer la prise en charge des patients à court terme », soulignent les chercheurs.

 

[1] Laboratoire Hétérogénéité, plasticité et résistance aux thérapies des cancers (CANTHER)

Le Pr Bruno Quesnel, nouveau directeur du pôle recherche et innovation de l’Institut national du cancer et directeur de l’institut multi-organismes d’Aviesan

Le Pr Bruno Quesnel, hématologue au CHU de Lille et responsable d’équipe à l’Inserm, prendra à compter du 2 novembre la direction du pôle Recherche et Innovation de l’Institut national du cancer. Il dirigera par ailleurs l’institut thématique cancer de l’Inserm. Il devient également directeur de l’Institut multi-organismes cancer d’AVIESAN. [1]

Âgé de 59 ans, le professeur Bruno Quesnel est hématologue clinicien. Il a obtenu son doctorat en médecine en 1994 et sa thèse d’université en 1997, et est professeur des universités, praticien hospitalier (PU-PH) à l’Université de Lille depuis 2003. Il dirige l’activité clinique « leucémies aigues et syndromes myélodysplasiques » dans le service des Maladies du Sang du CHU de Lille. Depuis 2005, il est responsable de l’équipe de recherche « Facteurs de persistance des cellules leucémiques » (Inserm UMR1277 CNRS UMR9020) au sein de l’Institut pour la Recherche sur le Cancer de Lille, et l’Institut ONCOLille.

Une des avancées majeures de son équipe est la démonstration du rôle des molécules d’immunoévasion dans le phénomène de dormance tumorale, en particulier PD-L1. Bruno Quesnel a copiloté le contrat de plan État-Région d’Institut ONCOLille.

Parallèlement, il a mené de nombreuses missions d’évaluation de médicaments innovants au sein du Comité permanent médicaments oncologie et hématologie (CPOH) de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), de la Haute Autorité de santé (HAS), et est membre du Scientific Advisory Group (SAG) Oncology de l’European Medecines Agency (EMA).

« La recherche est un pilier majeur et transversal de la Stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030. En 2022, l’Institut y consacre plus de de 82,5 millions d’euros soit 58 % de son budget annuel. Nous sommes très heureux et fiers d’acceuillir le Pr Bruno Quesnel qui va nous aider à relever les formidables défis fixés par cette stratégie dans tous les domaines de la recherche sur les cancers. Je sais qu’il saura, avec ses équipes, porter l’ambition de l’Institut en matière de recherche et d’innovation au bénéfice des personnes malades. »

Pr Norbert Ifrah, président de l’Institut national du cancer.

« Les pathologies cancéreuses continuent à représenter un défi pour la recherche en santé. Il ne fait aucun doute qu’à la tête de l’Institut multi-organismes cancer, le Pr Bruno Quesnel saura le relever, en s’appuyant sur sa grande expertise et ses travaux d’excellence, au bénéfice de la santé de toutes et de tous ».

Dr. Gilles Bloch, président-directeur général de l’Inserm. Président de l’alliance Aviesan

« Le paysage de la recherche en cancérologie évolue actuellement très rapidement, avec l’émergence de nouveaux paradigmes et la dissolution progressive des frontières entre disciplines. Au cours de ma carrière scientifique,  je me suis toujours attaché à promouvoir des projets et soutenir des chercheurs dans des domaines très variés avec une forte interdisciplinarité. La confiance qui m’est faite aujourd’hui par l’Institut national du cancer et l’Inserm va me permettre de mettre cette expérience au service de la communauté des chercheurs et des patients »

Pr Bruno Quesnel, directeur du pôle Recherche et Innovation de l’Institut national du cancer et directeur de l’Institut multi-organismes cancer d’AVIESAN.

 

[1] L’Institut multi-organismes Cancer (ITMO Cancer) d’AVIESAN (alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé) a pour mission de fédérer les équipes de recherche qui étudient les pathologies cancéreuses, pour mettre le progrès scientifique au service les personnes malades de cancers, assurer l’excellence et la compétitivité de la recherche française, accroître la coordination entre les chercheurs en favorisant les échanges interdisciplinaires.

Immunothérapie et cancer : la découverte d’un biomarqueur soluble dans le sang fait avancer la thérapie personnalisée

Interaction entre une cellule tumorale exprimant CD70 et un lymphocyte T-CD27 à partir d’une biopsie d’un patient atteint de cancer du rein. © Professeur Eric Tartour – Université Paris Cité

En moins de dix ans, l’immunothérapie a considérablement progressé au point de constituer aujourd’hui une indication thérapeutique dans plus d’une vingtaine de cancers. L’équipe de recherche dirigée par le Pr Eric Tartour, au PARCC (UMR-S 970 Université Paris Cité, Inserm, Hôpital Européen Georges Pompidou – AP-HP), conduit ses recherches en immunothérapie sur le cancer du rein. Dans ses récents travaux, l’équipe a mis en évidence, non seulement l’existence d’un mécanisme qui permet à certaines cellules tumorales dérivées du cancer du rein de survivre à l’action du système immunitaire mais également l’existence d’un biomarqueur soluble dans le sang, CD27, caractéristique de certaines formes de cancer. Ces travaux ont été publiés dans la revue Clinical Cancer Research et ont donné lieu au dépôt de deux brevets.

Ces dix dernières années la recherche a permis de grandes avancées dans le domaine de l’immunothérapie[1] au point que cette approche complète aujourd’hui l’arsenal thérapeutique disponible en cancérologie dans plus d’une vingtaine de cancer. Pour preuve, seul ou associé à un traitement anti-angiogénique, l’immunothérapie est désormais le traitement de première ligne dans le cas de cancer du rein.

L’équipe de recherche dirigée par le Pr E. Tartour s’intéresse au cancer du rein qui est particulièrement sensible à l’immunothérapie. Aujourd’hui, plusieurs traitements d’immunothérapie sont disponibles pour ce cancer mais encore faut-il pouvoir personnaliser le traitement en proposant celui le plus adapté à chaque forme de cancer. Pour cela, il est indispensable de caractériser de façon approfondie la cellule tumorale et son microenvironnement, composé en partie de cellules immunitaires. Cette identification passe par celle d’un ou plusieurs biomarqueurs (protéine, gène, mutation dans un gène…) spécifiques et donc caractéristiques de chaque forme de cancer. La plupart des biomarqueurs sont identifiés à partir de biopsies réalisées dans la tumeur, ce qui reste un acte médical invasif. L’équipe du Pr E. Tartour, a justement cherché à identifier des biomarqueurs détectables dans le sang grâce à une simple prise de sang et ce, à un stade le plus précoce possible de la maladie.

L’équipe a montré que, dans la tumeur du rein, les cellules tumorales étaient au contact de certaines cellules immunitaires ce qui inhibait la fonction de ces dernières et constituait donc un mécanisme d’échappement de la tumeur au système immunitaire. Plus précisément, ils ont mis en évidence la présence, dans les cellules tumorales, d’une molécule, CD70, qui se lie avec une molécule, CD27, présente sur les cellules immunitaires et particulièrement les lymphocytes T. Quand cette interaction se met en place, les lymphocytes T meurent par apoptose (mécanisme de mort cellulaire) et donc le système immunitaire n’agit plus contre la tumeur.

En mourant, les lymphocytes T libèrent la molécule CD27 sous forme soluble dans le sang. L’équipe du Pr E. Tartour a démontré qu’il y avait un lien étroit entre la présence de CD27 soluble dans le sang et l’interaction entre les cellules tumorales et les lymphocytes T. Elle a également démontré, de manière rétrospective grâce à l’étude de cohortes de biopsies de tumeurs et de plasmas humains, que la présence de CD27 soluble à des taux élevés dans le sang était associée à une mauvaise réponse des patients à l’immunothérapie puisque leurs lymphocytes T, cibles de l’immunothérapie, sont mourants. Ces résultats, publiés dans la revue Clinical Cancer Research, ont donné lieu au dépôt d’un 1er brevet.

Désormais l’équipe s’intéresse au mécanisme amont d’interaction entre CD27 et CD70, interaction délétère puisqu’à l’origine de la mort des lymphocytes T et donc de l’inhibition du système immunitaire. Pourquoi ne pas tenter de bloquer cette interaction par une approche thérapeutique adaptée ? Tel est le questionnement au cœur de leurs travaux pré-cliniques en cours et qui ont, eux aussi, donné lieu au dépôt d’un 2e brevet.

Le Pr E. Tartour se réjouit que ce projet de recherche translationnelle avec des applications cliniques réelles ait été co-porté par Université Paris Cité et l’Inserm transfert, ce qui a permis de bénéficier d’un financement IdEx dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) « Pré-Maturation » d’Université Paris Cité. Cet AMI vise à accompagner les acteurs de la recherche dans leurs projets de transfert technologique et de propriété intellectuelle à valeur marchande vers le monde socio-économique. Ce travail a également bénéficié de l’aide de la plateforme « Cytometry andBiomarkers UtechS » de l’Institut Pasteur.

L’ensemble des travaux et résultats déjà obtenus pourraient intéresser d’autres types de cancers dont les tumeurs expriment, elles aussi, la molécule CD70. Désormais, l’équipe va travailler avec un industriel pour les prochains essais cliniques de façon à tester, de façon prospective, le biomarqueur pour ensuite pouvoir proposer le traitement le mieux adapté au patient selon la forme de cancer qu’il développe.

[1] L’immunothérapie consiste à stimuler, par diverses techniques, le système immunitaire du patient pour que l’organisme se défende seul et ainsi éviter, lorsque c’est possible, de recourir à des traitements lourds aux effets secondaires notables comme la chimiothérapie.

Cancer du pancréas : la bioélectricité éclaire la communication intercellulaire au sein de la tumeur

Illustration 3D du pancréas © Fotalia

Décrypter les relations entre les cellules cancéreuses et l’écosystème tumoral est un défi majeur pour comprendre le développement de la maladie et identifier des pistes thérapeutiques dans l’adénocarcinome pancréatiques (AdKP), l’un des cancers solides les plus agressifs, avec un taux de survie à 5 ans inférieur à 10%.

Dans cette étude, les équipes d’Olivier Soriani Professeur à Université Côte d’Azur (Nice, iBV, Institut de Biologie Valrose) et Richard Tomasini, Directeur de recherche Inserm (Marseille, CRCM, Centre de Recherches sur le Cancer) dévoilent comment un canal potassique (SK2) stimule la formation des métastases en sensibilisant les cellules cancéreuses aux signaux du microenvironnement tumoral. Ces travaux sont prochainement publiés dans la revue GUT.

Le cancer du pancréas ou adénocarcinome pancréatique (AdKP) est un cancer dont le pronostic demeure grave avec un taux de survie à 5 ans inférieur à 10%. C’est une tumeur solide dont la structure particulière est en partie responsable de la résistance aux traitements. Elle est en effet constituée de cellules cancéreuses peu nombreuses (<20% des cellules) dispersées au sein d’un compartiment très dense, peu vascularisé, le stroma, majoritairement constitué de cellules fibroblastiques associées au cancer (CAF).

Éléments clefs du stroma, les CAF sont issus de fibroblastes normaux, cellules de soutien naturellement présentes dans le pancréas. Sous l’influence des cellules tumorales, ces fibroblastes prolifèrent, sécrètent des signaux chimiques et des protéines qui forment un réseau, la matrice extracellulaire. Cet environnement très particulier contrôle en retour les cellules tumorales en stimulant leur fonctions pro-invasives. Plus agressives, les cellules cancéreuses forment des métastases qui vont coloniser des organes distants, et en particulier le foie.

La compréhension des voies de communication entre les cellules tumorales et les CAF représente un défi majeur pour permettre le développement de nouveaux traitements.

Quels sont donc les acteurs du dialogue entre les CAF et les cellules tumorales ?

L’équipe d’Olivier Soriani a focalisé ses recherches sur une famille de protéines encore peu étudiée dans le cadre de la recherche sur le cancer, celle des canaux ioniques, qui regroupe plus de 300 membres.

Un canal ionique est une protéine intégrée dans la membrane des cellules, autorisant le passage de petites molécules chargées électriquement, les ions. Le passage des ions à travers les canaux ioniques induit de petits courants qui déterminent un champ électrique à travers la membrane des cellules vivantes. Ce phénomène de « bioélectricité » est à la base de la transmission de l’information dans de nombreux organes tels que le système nerveux, le cœur, les muscles, ou encore le système endocrinien.

Trois questions sont au départ de cette étude : Les canaux ioniques sont-ils impliqués dans le dialogue entre les CAF et les cellules cancéreuses ? Si oui, sont-ils capables de contrôler le comportement des cellules cancéreuses ? Enfin, peut-on cibler ces canaux spécifiquement dans la tumeur à des fins thérapeutiques, sans altérer le fonctionnement normal des autres organes ?

Pour répondre à ces interrogations, les chercheurs de Nice de l’équipe d’Olivier Soriani, spécialistes des canaux ioniques, se sont associés à l’équipe marseillaise de Richard Tomasini, reconnue pour ses travaux sur le rôle des CAF dans le cancer du pancréas.

Dans un premier temps, ils ont montré que la stimulation des cellules cancéreuses par des CAF prélevés chez des patients, induit dans les cellules tumorales, un courant électrique généré par l’ouverture d’un canal ionique particulier, le canal potassique SK2. De plus, des expériences sur des cellules tumorales en culture indiquent que l’inhibition de l’activité du canal SK2 protège ces dernières de l’influence pro-invasive des CAF. Ces résultats sont confirmés in vivo, puisque les CAF ne sont plus capables d’induire la formation de métastases dans le foie de souris-modèles déficientes pour le canal SK2.

Enfin, l’analyse de banques de tumeurs du pancréas humaines montre que l’expression du canal SK2 est associée aux métastases hépatiques.

Par quel mécanisme le canal SK2 est-il capable d’augmenter la réponse des cellules tumorales à l’influence des CAF ?

Les chercheurs ont observé que les CAF, en sécrétant certaines protéines nécessaires à la formation de la matrice extracellulaire (collagène et fibronectine), stimulaient dans les cellules cancéreuses une voie de signalisation primordiale dans l’agressivité tumorale : la voie dépendante de l’AKT, une enzyme qui régule l’activité de nombreuses protéines cellulaires. L’exploration fine de cette voie par les chercheurs niçois a révélé deux faits majeurs : tout d’abord, le canal SK2 est une cible directe de l’AKT : c’est par cette voie que le canal est activé en présence des CAF. Ensuite, le canal se comporte comme un amplificateur de signal dont l’activité augmente considérablement l’efficacité de la voie AKT, et donc la sensibilité des cellules aux signaux pro-métastatiques émis par les CAF. L’utilisation de techniques de microscopie quantitative a d’ailleurs permis de montrer que la stimulation des cellules tumorales par les CAF provoquait le couplage physique entre SK2 et AKT.

Comment agir sur SK2 sans altérer la fonction du canal dans les tissus sains (cerveau, vaisseaux sanguins, cœur) ?

L’équipe d’Olivier Soriani s’intéresse depuis plusieurs années à une protéine auxiliaire de nombreux canaux ioniques : SigmaR1. SigmaR1 est une protéine intracellulaire exprimée dans tous les tissus. Silencieuse dans des conditions normales, elle s’active dans les tissus lésés pour accompagner des protéines –partenaires, contribuant ainsi à la survie des cellules en état de stress. De cette manière, SigmaR1 contribue à ralentir la progression ou à limiter la mort cellulaire dans des pathologies telles que les maladies neurodégénératives, les accidents vasculaires cérébraux, ou encore l’infarctus du myocarde.

En analysant des tumeurs prélevées chez des patients atteints de cancer du pancréas, Olivier Soriani et Richard Tomasini ont remarqué que la distribution de SigmaR1 se superposait très exactement à celle de du canal SK2.

Dans cette configuration, SigmaR1 était-elle susceptible de contribuer à la mobilisation de SK2 dans les cellules cancéreuses du pancréas ? La réponse est positive : la présence de SigmaR1 est même absolument nécessaire à la stimulation de SK2 par les CAF, et pour cause : c’est SigmaR1 qui pilote l’association physique entre AKT et le canal SK2 !

Les chercheurs niçois et marseillais se sont alors tournés vers Patricia Melnyk, chimiste lilloise spécialisée dans la synthèse de petites molécules de type ligands pour des cibles impliquées dans les pathologies du SNC, parmi elles, SigmaR1. Les résultats obtenus avec l’un des ligands sigma qu’elle développe dans son laboratoire sont extrêmement prometteurs : cette molécule inhibe, dans les cellules cancéreuses, l’activation de SK2 par les CAF en empêchant l’association AKT/SK2 via SigmaR1.

Mais les résultats les plus spectaculaires ont été observés in vivo, dans un modèle de souris modifiées génétiquement pour développer spontanément des cancers du pancréas.

Les chercheurs ont constaté la disparition totale des lésions tumorales dans le pancréas des souris traitées avec le ligand sigma ; en parallèle, la survie des animaux traités progresse considérablement, et ceci même si le traitement est mis en place après l’apparition des premières tumeurs.

Ces travaux démontrent pour la première fois le rôle des canaux ioniques dans le dialogue entre les cellules tumorales et les acteurs de leur écosystème. Des études complémentaires permettront de préciser la place de cette nouvelle voie thérapeutique utilisant des ligands sigma comme adjuvant aux traitements de référence ou comme traitement de première ligne. Les perspectives offertes par ces résultats pourraient s’élargir à d’autres cancers dans lesquels le rôle du stroma est prédominent (cancer du sein ou du colon).

 

Schéma décrivant le mécanisme par lequel la Fibronectine (FN) et le Collagène 1 (Col1) sécrétés par les fibroblastes associés au cancer (CAFs) stimulent l’axe de signalisation β-1-intégrine-EGFR-AKT via le canal SK2.

Panneau supérieur : Cible directe de l’AKT, le canal exerce une boucle de rétroaction positive de l’axe de signalisation stimulé de façon paracrine par les CAFs. La présence du canal au sein du complexe augmente la sensibilité des cellules cancéreuses du pancréas (PCC) à la FN et au Col1, renforçant la transition épithélio-mésenchymateuse (EMT) et la formation des métastases.

Panneau inférieur : La protéine chaperon SigmaR1 conditionne l’association locale entre le canal et ses partenaires et peut être spécifiquement ciblée par de petites molécules exogènes (ligands sigma, 1(S)) pour inhiber la communication intercellulaire entre les CAFs et les PCC, ce qui abolit la formation des métastases et augmente la survie in vivo.

L’azithromycine après une allogreffe de cellules souches hématopoïétiques augmenterait la rechute des hémopathies malignes

Sang circulant dans une artère (Globules rouges) © AdobeStock

 

Des équipes du service d’hématologie greffe de l’hôpital Saint Louis AP-HP, de l’Inserm et d’Université Paris Cité ont décrypté les mécanismes biologiques associés aux rechutes hématologiques des patients recevant de l’azithromycine à la phase précoce d’une allogreffe de cellules souches hématopoïétiques. Les résultats de cette étude, coordonnée par le Dr David Michonneau ont fait l’objet d’une publication le 19 août 2022 au sein de la revue Blood.

L’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques1 est un traitement curatif majeur des hémopathies malignes (un groupe hétérogène de cancers des cellules sanguines et de leurs précurseurs).

Elle est compliquée dans près de 50% des cas par une réaction immunitaire sévère des cellules du greffon dirigée contre les tissus du receveur, appelée réaction du greffon contre l’hôte (GVHD). L’atteinte pulmonaire de la GVHD est l’une des plus sévères.

Entre 2014 et 2015, un essai clinique randomisé contre placebo, en double aveugle (ALLOZITHRO), à promotion AP-HP, impliquant la plupart des centres de greffe français, et coordonné par le Pr Bergeron, avait évalué chez 465 malades allogreffés, l’intérêt d’un antibiotique, l’azithromycine, administré au tout début du processus de la greffe dans la prévention de la GVHD pulmonaire2. Cet essai a été interrompu prématurément en décembre 2016, en raison de l’augmentation du risque de décès observé chez les patients ayant reçu de l’azithromycine en lien avec une rechute hématologique.

Les résultats de cette étude avaient alors conduit l’Agence européenne des médicaments (EMA) et la Food and Drug Administration (FDA) en 2018 à émettre une mise en garde quant à l’utilisation de ce médicament dans ce contexte.

Une étude complémentaire avait de plus conclu à l’augmentation du risque de cancers solides secondaires chez les patients ayant reçu de l’azithromycine plus tardivement après la greffe3. L’analyse clinique des données à 5 ans pour les patients inclus dans l’étude ALLOZITHRO est désormais en cours.

L’ensemble de ces résultats a alors conduit à poser des hypothèses physiopathologiques devant être vérifiées notamment du fait de la large utilisation de l’azithromycine dans d’autres contextes.

L’équipe de recherche du Dr Michonneau a alors étudié les échantillons sanguins de 240 des 465 patients qui avaient été inclus dans l’étude ALLOZITHRO, grâce à la collection biologique nationale multicentrique Cryostem.

Les chercheurs ont montré que le système immunitaire des patients exposés à l’azithromycine évalués dans cette étude était caractérisé par une diminution de 20% des lymphocytes T et par un épuisement de leurs fonctions effectrices4, ainsi que par des altérations du métabolome5 plasmatique et intracellulaire, en particulier des voies du métabolisme énergétique. Ainsi, 9 populations immunitaires et 50 métabolites significativement modifiés par la prise d’azithromycine étaient également associés à la rechute.

L’étude des transcriptomes6 de plus de 60 000 cellules uniques a montré une inhibition de l’expression des gènes impliqués dans le cycle cellulaire, des voies de l’inflammation et du métabolisme énergétique (métabolisme des acides gras, glycolyse et phosphorylation oxydative).

In vitro, l’exposition des lymphocytes T à l’azithromycine inhibait leurs principales fonctions : prolifération cellulaire, synthèse de cytokines et diminuait la capacité de cellules CAR-T à éliminer des cellules tumorales.

L’azithromycine inhibait les voies de signalisation mTOR7 et du récepteur des cellules T (TCR) ainsi que la glycolyse lors de l’activation des lymphocytes T.

Après 5 jours d’exposition, l’azithromycine altérait également la chaine respiratoire mitochondriale.

Ces résultats ont mis en évidence que l’azithromycine pourrait inhiber directement la réponse immunitaire anti-tumorale et favorise ainsi la survenue de cancer ou de rechute chez les patients exposés à cet antibiotique.

 

[1] Les cellules souches hématopoiétiques (CSH), présentes dans la moelle osseuse, sont à l’origine de toutes les cellules du sang (macrophages, lymphocytes, neutrophiles, globules rouges, plaquettes, etc.).

[2] Bergeron et al., JAMA, 2017

[3] étude rétrospective bi-centrique franco-américaine – Azithromycin Use and Increased Cancer Risk among Patients with Bronchiolitis Obliterans after Hematopoietic Cell Transplantation, ScienceDirect

[4] grâce à l’étude de la métabolomique, de la transcriptomique et de la protéomique

[5] ensemble complet des molécules présentes dans une cellule

[6] ensemble des molécules d’ARN messager d’une cellule 

[7] mammalian target of rapamycin : contrôleur central de la croissance cellulaire en réponse aux facteurs de croissance et aux nutriments

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