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Drépanocytose : rémission des signes de la maladie chez le premier patient au monde traité par thérapie génique

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Une équipe dirigée par le Pr. Marina Cavazzana a réalisé à l’hôpital Necker-Enfants malades, AP-HP et à l’Institut Imagine (AP-HP/Inserm/Université Paris Descartes) en octobre 2014 une thérapie génique dans le cadre d’un essai clinique de phase I/II chez un patient de 13 ans atteint de drépanocytose sévère. Menée en collaboration avec le Pr. Philippe Leboulch (CEA/Facultés de médecine de l’université Paris-Sud et de l’université d’Harvard) qui a mis au point le vecteur utilisé et dirigé les études précliniques, ce traitement novateur a permis la rémission complète des signes cliniques de la maladie ainsi que la correction des signes biologiques. Les résultats (suivi de 15 mois après la greffe) font l’objet d’une publication dans le New England Journal of Medicine le 2 mars 2017 et confirment l’efficacité de cette thérapie d’avenir. 

La drépanocytose, forme grave d’anémie chronique d’origine génétique, est caractérisée par la production d’une hémoglobine anormale et de globules rouges déformés (falciformés), dus à une mutation dans le gène codant pour la β-globine. Cette maladie entraîne des épisodes de douleurs très importantes provoqués par des crises vaso-occlusives. Elle cause également des lésions de tous les organes vitaux, une grande sensibilité aux infections, ainsi qu’une surcharge en fer et des troubles endocriniens. On estime que les hémoglobinopathies touchent  7% de la population mondiale. Parmi elles, la drépanocytose est considérée comme la plus fréquente avec 50 millions de personnes porteuses de la mutation – ayant un risque de transmettre la maladie – ou atteintes. Les anomalies génétiques de la β-globine, drépanocytose et β-thalassémie, sont les maladies héritées les plus répandues dans monde, plus fréquentes que toutes les autres maladies génétiques additionnées.

L’essai clinique, coordonné par le Pr Marina Cavazzana*, a été mené à l’hôpital Necker-Enfants malades de l’AP-HP et à l’Institut Imagine.

La première phase a consisté à prélever des cellules souches hématopoïétiques, à l’origine de la production de toutes les lignées de cellules sanguines, au niveau de la moelle osseuse du patient. Un vecteur[1] viral porteur d’un gène thérapeutique, déjà mis au point pour traiter la ß-thalassémie, a ensuite été introduit dans ces cellules afin de les corriger. Ce vecteur lentiviral, capable de transporter de longs segments d’ADN complexes, a été développé par le Pr Philippe Leboulch** et est produit à grande échelle par la société américaine bluebird bio[2].

Les cellules traitées ont ensuite été réinjectées au jeune patient par voie veineuse en octobre 2014. L’adolescent a ensuite été pris en charge durant son hospitalisation dans le service d’immunohématologie pédiatrique de l’Hôpital Necker-Enfants malades en collaboration avec le Pr. Stéphane Blanche et le Dr. Jean-Antoine Ribeil.

Quinze mois après la greffe des cellules corrigées, le patient n’a plus besoin d’être transfusé, ne souffre plus de crises vaso-occlusives, et a complètement repris ses activités physiques et scolaires. « Nous notons aussi que l’expression de la protéine thérapeutique provenant du vecteur, hautement inhibitrice de la falciformation pathologique, est remarquablement élevée et efficace » explique le Pr Philippe Leboulch.

« Nous souhaitons, avec cette approche de thérapie génique, développer de futurs essais cliniques et inclure un nombre important de patients souffrant de drépanocytose, en Ile-de-France et sur le territoire national » indique le Pr. Marina Cavazzana.

[1] Un vecteur est une molécule d’ADN ou d’ARN capable de s’autorépliquer (plasmide, cosmide, ADN viral) dans laquelle on introduit de l’ADN étranger et que l’on utilise ensuite pour faire pénétrer cet ADN dans une cellule cible.

[2] Société fondée par le Pr. Philippe Leboulch et promotrice de l’essai clinique.

Le rituximab efficace dans le traitement de la glomérulopathie extramembraneuse

Un essai national sur la glomérulopathie extramembraneuse chez 80 patients a été coordonné par le Pr Pierre Ronco, du service de néphrologie et dialyses de l’hôpital Tenon AP-HP, de l’unité Inserm « Des maladies rénales rares aux maladies fréquentes, remodelage et réparation » [1] et de l’université Pierre et Marie Curie, et par le Dr Karine Dahan, du service hôpital de jour de néphrologie de l’hôpital Tenon AP-HP. Cette maladie auto-immune grave est la cause la plus fréquente de syndrome néphrotique chez l’adulte, elle évolue dans 30% des cas en insuffisance rénale très sévère. Mené en collaboration avec le Pr Tabassome Simon, du département de pharmacologie clinique et de l’Unité de recherche clinique de l’Est Parisien à l’hôpital Saint-Antoine, AP-HP, cet essai démontre pour la première fois l’efficacité et l’innocuité du rituximab pour traiter la maladie.

Ces travaux ont été publiés le 27 juin 2016 dans le Journal of the American Society of Nephrology.

La glomérulopathie extramembraneuse est une maladie auto-immune rare (un nouveau cas recensé chaque année pour 100 000 habitants), induite dans la plupart des cas par des anticorps dirigés contre une protéine (PLA2R) qui est localisée dans le filtre rénal (le glomérule). Les traitements immunosuppresseurs -visant à atténuer cette réaction immunitaire de l’organisme- utilisés jusqu’à présent ont démontré une certaine efficacité mais associée à une toxicité importante : risques d’infection, de troubles de la fertilité, de développement retardé d’un cancer ou d’altération de la fonction rénale.

Le rituximab est quant à lui un anticorps monoclonal dirigé spécifiquement contre les lymphocytes B producteurs des anticorps toxiques. Jusqu’à présent, son innocuité et son efficacité n’ont pas été démontrées.

Dans ce contexte, le Pr Pierre Ronco et le Dr Karine Dahan ont conduit à l’hôpital Tenon AP-HP une étude chez 80 patients ayant une forme sévère de glomérulopathie extramembraneuse. Ils ont été inclus de janvier 2012 à juillet 2014 dans 31 services de néphrologie français, dont 9 services AP-HP [2], avec un suivi annuel jusqu’à deux ans.

Cette étude randomisée a permis de comparer l’efficacité du traitement classique dit « anti-protéinurique » à celle d’une combinaison de 2 perfusions de rituximab (375mg/m2) à une semaine d’intervalle et d’un traitement anti-protéinurique. La surveillance a porté sur la survenue d’une rémission immunologique (disparition des anticorps), d’une rémission clinique (diminution ou disparition de la protéinurie) et sur les effets indésirables du traitement.

Les résultats montrent que le rituximab est efficace sur la rémission immunologique (50% dès 3 mois) et la rémission clinique (64% des patients entrant en rémission avant la fin de l’étude), les valeurs correspondantes étant respectivement de 12% et 34% seulement chez les patients recevant le traitement anti-protéinurique.

Le pourcentage de rémission est similaire à celui obtenu avec d’autres traitements immunosuppresseurs, mais avec un risque thérapeutique beaucoup plus faible, le nombre d’évènements indésirables étant le même dans les 2 groupes de traitement (avec ou sans rituximab).

« Cette étude apporte un élément très important dans le débat autour des traitements immunosuppresseurs dans la glomérulopathie extramembraneuse » explique le Pr Pierre Ronco. « En clinique, elle incite à utiliser le rituximab en première intention dans les formes sévères et à surveiller très régulièrement le taux des anticorps anti-PLA2R chez ces patients ».

Cette étude servira de base à d’autres protocoles dont l’objectif sera d’augmenter le pourcentage de rémission clinique et immunologique sans augmenter les effets indésirables. Il est en effet probable que certains patients n’ont pas répondu au traitement en raison de la fuite du rituximab dans les urines. Ces protocoles comporteront notamment l’utilisation de doses plus fortes ou plus fréquentes et de nouvelles perfusions chez les patients qui gardent des taux d’anticorps élevés.

Les enjeux éthiques de la technologie CRISPR-Cas9

Le 13 juin dernier, le comité d’éthique de l’Inserm a rassemblé plus d’une centaine de personnes lors de sa journée annuelle. L’occasion pour toutes les personnes présentes de disposer d’un éclairage éthique sur de nombreuses problématiques posées par la recherche biomédicale. Parmi les questions abordées, celle de la technologie CRISPR-Cas9. Le comité d’éthique y consacre un avis alors que les NIH viennent d’obtenir un premier feu vert pour un essai d’immunothérapie anticancéreuse chez l’homme.

 

Le comité d’éthique de l’Inserm peut être « saisi » ou s’autosaisir pour réfléchir sur les questions éthiques soulevées par la recherche scientifique médicale et la recherche en santé telle qu’elle est mise en œuvre au sein de l’Institut. Au terme de sa réflexion, il rend un avis sous forme de notes qui peuvent évoluer en relation avec de nouvelles contributions. En 2015, le PDG de l’Inserm a saisi le comité d’éthique afin qu’il  examine spécifiquement les questions liées au développement de la technologie CRISPR et notamment :

1- Quelles sont les questions soulevées par la technologie en tant que telle ?

2- La rapidité de son développement soulève-t-elle des problèmes particuliers ?

3- Sa simplicité d’utilisation appelle-t-elle un encadrement de sa mise en œuvre en laboratoire ?

Compte tenu des avantages techniques de la méthode et de sa très rapide diffusion, la question est aujourd’hui d’évaluer où, quand et comment son usage pourrait poser un problème éthique. Il est apparu d’emblée important de distinguer trois domaines aux enjeux différents :

1/ l’application de la technologie  à l’homme qui soulève essentiellement la question des modifications de la lignée germinale ;

2/ l’application à l’animal, en particulier aux espèces « nuisibles », qui soulève la question d’un éventuel transfert latéral de gènes et l’émergence de dommages irréversibles à la biodiversité ;

3/ des risques d’atteinte à l’environnement.

 

Recommandations du comité d’éthique de l’Inserm

Le comité propose dans l’immédiat que l’Inserm adopte les principes suivants :

1- Encourager une recherche dont l’objectif est d’évaluer l’efficacité et l’innocuité de la technologie CRISPR et des autres technologies d’édition du génome récemment publiées, dans des modèles expérimentaux pouvant permettre au cas par cas de déterminer la balance bénéfice/risque d’une application thérapeutique y compris éventuellement sur des cellules germinales et l’embryon. Cette information est essentielle pour pouvoir définir, dans le futur, ce qui pourrait être autorisé chez l’homme en termes d’approches thérapeutiques.

2- Les effets potentiellement indésirables du guidage de gènes doivent être évalués avant toute utilisation hors d’un laboratoire respectant des règles de confinement déjà en vigueur pour d’autres modifications génétiques. Les évaluations doivent se faire sur des périodes longues compte-tenu du caractère transmissible du gène guide. Des mesures de réversibilité devraient être prévues en cas d’échappement ou d’effet indésirable. De telles analyses et l’élaboration de scénarios multiples nécessitent la constitution d’équipes pluridisciplinaires.

3- Respecter l’interdiction de toute modification du génome nucléaire germinal à visée reproductive dans l’espèce humaine, et n’appuyer aucune demande de modification des conditions légales avant que les incertitudes concernant les risques ne soient clairement évaluées, et avant qu’une concertation élargie incluant les multiples partenaires de la société civile n’ait statué sur ce scénario.

4- Participer à toute initiative nationale ou internationale qui traiterait les questions de liberté de la recherche et d’éthique médicale y compris avec les pays émergents qui seront également impactés par le développement des technologies d’édition du génome.

5- Enfin attirer l’attention sur la question plus philosophique qui met en tension la plasticité du vivant avec l’idée d’une nature humaine fondée sur le seul invariant biologique. Il convient de susciter une conscience qui fasse la part de l’utopie et des dystopies que peuvent engendrer certaines promesses thérapeutiques.

 

2 minutes pour comprendre la technologie Crispr-cas 9

L’origine des troubles cardiaques dans la dystrophie myotonique identifiée

Une équipe internationale, incluant en France, des chercheurs de l’Inserm, du CNRS et de l’Université de Strasbourg réunis au sein de l’IGBMC[1] lève le voile sur les mécanismes moléculaires à l’origine des troubles cardiaques de la dystrophie myotonique, une maladie génétique touchant un individu sur 8 000. Cette nouvelle étude publiée cette semaine dans Nature Communications pourrait contribuer à la découverte d’un traitement.

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Cellules musculaire de patient atteint de dystrophie myotonique (ADN nucleaire en bleu, aggregats d’ARN typique de la dystrophie myotonique en rouge et cytoplasme en vert)

(c) Inserm/IGBMC



La dystrophie myotonique, aussi connue sous le nom de maladie de Steinert, est la forme adulte la plus commune de dystrophie musculaire. Les patients atteints de cette affection génétique souffrent d’un affaiblissement des muscles squelettiques mais aussi d’arythmie et d’autres troubles cardiaques. Il s’agit d’une maladie particulièrement invalidante pour laquelle il n’existe pour le moment aucun traitement.

La dystrophie myotonique est due à une mutation conduisant à l’expression d’ARN contenant de longues répétitions du tri-nucléotide CUG. Ces ARN mutés s’accumulent et altèrent la régulation de l’épissage alternatif[2] de nombreux gènes. Malgré l’importance des travaux déjà effectués sur cette maladie, de nombreux points restent à élucider. C’est le cas de l’origine des arythmies et autres troubles cardiaques, qui représentent la deuxième cause de décès dans cette maladie.

Dans cette nouvelle étude, les chercheurs ont identifié de nouvelles altérations d’épissage dans les ARN messagers des échantillons de cœur de patients atteints. Parmi ces nombreuses altérations, les biologistes ont établi que celles concernant le canal sodique cardiaque (SCN5A) étaient fondamentales pour comprendre les troubles cardiaques de ces patients.

Les scientifiques ont alors éclairci les mécanismes moléculaires conduisant à l’altération de SCN5A chez ces patients. Une collaboration avec l’équipe de Denis Furling l’Institut de myologie à Paris, a permis de reproduire ces altérations cardiaques dans un modèle de souris.

« La prochaine étape serait de voir si en rétablissant un épissage correct de SCN5A, nous réussissons à retrouver aussi un fonctionnement normal du cœur », explique Nicolas Charlet-Berguerand, directeur de recherche Inserm, qui a coordonné ce travail. Les chercheurs espèrent que cette avancée donnera un nouvel élan à la recherche sur cette maladie rare.

Modèle d'épissage alternatif du canal sodique cardiaque

Modèle d’épissage alternatif du canal sodique cardiaque (SCN5A) dans la dystrophie myotonique.

(c) Inserm/IGBMC

Ce travail a été financé par l’association française contre les myopathies (AFM), l’European research council (ERC), le programme européen E-rare (ANR), l’Inserm et le Labex-INRT (ANR)

[1] Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (Inserm/CNRS/Université de Strasbourg)

[2] Chez les eucaryotes, il s’agit d’un processus par lequel l’ARN transcrit à partir d’un gène peut subir différentes étapes de coupure et ligature conduisant à l’élimination de diverses régions. Ce procédé permet la production à partir d’un même gène de protéines ayant des propriétés distinctes.

Un nouveau type de sarcome identifié

Les équipes Inserm du Pr Jean-Yves Blay et de Christophe Caux à Lyon[1], de Franck Tirode et d’Olivier Delattre à Paris[2] viennent de mettre en évidence un nouveau variant génétique de tumeurs non identifiées à ce jour. Leurs résultats permettent de mieux diagnostiquer ces tumeurs grâce à un biomarqueur validé. Cette étude est publiée dans la revue Nature Genetics.

L’application en cancérologie des techniques de séquençage dites de « haut débit » bouleverse actuellement notre compréhension de la genèse et de l’évolution naturelle des cancers. Ces nouvelles données ont partiellement remis en cause les classifications des tumeurs établies à partir des techniques classiques comme l’anatomopathologie. Selon le Pr Jean-Yves Blay, codirecteur de cette étude, « notre priorité est d’affiner les classifications des tumeurs utilisées en pratique clinique afin d’offrir aux patients l’option thérapeutique la plus adaptée. C’est particulièrement important dans le domaine des sarcomes, où nous sommes régulièrement confrontés au problème de tumeurs très indifférenciées dont le classement est difficile ».

Un même objectif, deux stratégies

L’étude publiée dans Nature Genetics vise à caractériser des tumeurs malignes suspectées d’appartenir au groupe des sarcomes mais restées jusqu’à présent inclassables. Les investigations moléculaires ont mis en évidence des altérations du gène SMARCA4 codant une des sous-unités des complexes BAF. Ces complexes participent à la régulation de la structure de la chromatine, forme compactée de l’ADN dans le noyau des cellules.

Pour obtenir ces résultats, deux approches complémentaires et indépendantes ont été menées (schéma en annexe page 4). La première, basée sur des analyses anatomopathologiques, a été conduite par les chercheurs du Centre de recherche en cancérologie de Lyon (Inserm/CNRS/Université Lyon 1/Centre Léon Bérard), et s’est focalisée sur des sarcomes non classés à partir de leurs caractéristiques microscopiques.

Parallèlement, les chercheurs de l’Institut Curie ont entrepris une démarche de caractérisation « à l’aveugle » en effectuant l’analyse des profils d’expression par séquençage de l’ARN à haut-débit d’une trentaine de sarcomes indifférenciés. Franck Tirode, chargé de recherche Inserm et codirecteur de l’étude, a ainsi identifié dans cette cohorte un sous-groupe de tumeurs dont les profils d’expression étaient très semblables, suggérant leur nature commune.

Les chercheurs parisiens et lyonnais ont ensuite mis en commun leurs résultats après s’être aperçu qu’ils s’intéressaient au même type de pathologie. Ils ont validé ces résultats préliminaires prometteurs en retrouvant d’autres cas ou observations similaires en un an grâce à la collaboration de nombreux établissements hospitaliers répartis sur toute la France.

Une nouvelle entité tumorale

Cette étude collaborative a permis d’identifier au final 19 échantillons tumoraux comportant tous une inactivation du gène SMARCA4. Ces tumeurs présentaient des caractéristiques cliniques et pathologiques similaires, produisant de larges masses tumorales comprimant les voies respiratoires et progressant très rapidement, le plus souvent chez des hommes jeunes et consommateurs de tabac. Par ailleurs, elles étaient toutes, vues au microscope, très proches des tumeurs rhabdoïdes, une forme de cancer pédiatrique de très mauvais pronostic. Or, ces mêmes tumeurs, décrites il y a près de 17 ans par l’équipe d’Olivier Delattre à l’Institut Curie sont, de manière remarquable, associées à des mutations du gène SMARCB1, codant une sous-unité du complexe BAF, dont SMARCA4 fait partie.

Les chercheurs ont comparé les profils d’expression de toutes leurs tumeurs avec de nombreux autres types tumoraux et confirment non seulement l’exceptionnelle homogénéité de ces tumeurs entre elles mais surtout la parenté de leur signature avec les tumeurs rhabdoïdes. « Toutefois, bien que l’événement oncogénique soit comparable, la complexité génomique des tumeurs que nous avons étudiées diffère considérablement de la génomique simple des tumeurs rhabdoïdes », précise Franck Tirode.

Forts de ces résultats, les scientifiques ont ainsi pu affirmer que leur cohorte correspondait à une nouvelle entité homogène qu’ils ont baptisée « sarcome thoracique SMARCA4-déficient ».

Mieux diagnostiquer pour accélérer la prise en charge

Les chercheurs soulignent que ces tumeurs sont très agressives et résistent aux modalités actuelles de traitements. Le complexe BAF présente des altérations dans près de 20% des cancers humains et fait l’objet d’intenses recherches pour son ciblage thérapeutique. Si cette publication n’apporte pas dans l’immédiat de proposition thérapeutique pour les patients affectés, elle démontre en revanche que ces tumeurs sont facilement reconnaissables dans la pratique clinique. En effet, des nouveaux cas « prospectifs » ont pu être identifiés pendant l’étude permettant d’accélérer la prise en charge des patients.

C’est dans cet objectif que les auteurs de l’étude ont validé le biomarqueur SOX2, qui est particulièrement surexprimé par cette nouvelle entité tumorale, facilitant ainsi le diagnostic clinique. Ils soulignent que l’agressivité de ces tumeurs n’est sans doute pas sans lien avec la surexpression de SOX2, capable de conférer aux cellules des propriétés de cellules souches.

En conclusion, ce travail s’inscrit pleinement dans la conception actuelle de l’oncologie et de la « thérapie personnalisée », dans laquelle établir un diagnostic précis est un préalable indispensable au succès de la médecine de précision.

Les sarcomes

Les sarcomes sont des tumeurs rares qui représentent moins de 1 % de tous les nouveaux cas de cancer, soit environ 3 500 nouveaux cas par an. Ils affectent des personnes de tous âges, même si on les observe le plus souvent chez des enfants et jeunes adultes. Ils sont situés dans les os, le cartilage, les tissus adipeux, les muscles, les vaisseaux sanguins ou d’autres tissus conjonctifs ou de soutien. Le diagnostic de ces tumeurs rares est coordonné à l’échelle nationale par le réseau du Groupe Sarcome Français comprenant 3 centres de référence régionaux incluant l’Institut Bergonié (Bordeaux), le Centre Léon Bérard (Lyon) et l’Institut Gustave Roussy (Villejuif).

[1] Centre de recherche en cancérologie de Lyon, Inserm U1052 CNRS 5286 Université Claude Bernard Lyon 1 Centre Léon Bérard, Equipe Ciblage thérapeutique de la cellule tumorale et de son environnement immunitaire

[2] Institut Curie, Inserm U830, Equipe Génétique et Biologie des cancers pédiatriques

De la pluripotence à la totipotence

Alors qu’il est déjà possible d’obtenir in vitro des cellules pluripotentes (capables de générer tous les tissus d’un organisme) à partir de n’importe quelle cellule, les chercheurs de l’équipe de Maria-Elena Torres Padilla, directrice de recherche Inserm au sein de l’IGBMC (CNRS/Université de Strasbourg/Inserm) à Strasbourg sont parvenus pour la première fois à obtenir des cellules dites totipotentes, ayant les mêmes caractéristiques que celles des tous premiers stades embryonnaires, des cellules aux propriétés encore plus intéressantes. Ces résultats obtenus en collaboration avec Juanma Vaquerizas, du Max Planck Institute (Münster, Allemagne) sont publiés le 3 août dans la revue Nature Structural & Molecular Biology.

Juste après la fécondation, aux stades 1 ou 2 cellules, les cellules sont dites « totipotentes », c’est-à-dire capables de produire un embryon entier mais également le placenta et le cordon ombilical qui l’accompagnent. Ensuite, au fil des divisions cellulaires et ce jusqu’au stade blastocyste (près d’une trentaine de cellules), les cellules perdent cette plasticité. Devenues « cellules souches embryonnaires », elles sont encore pluripotentes et en mesure de se différencier en n’importe quel tissu. Elles ne peuvent cependant pas à elles seules donner naissance à un fœtus. La totipotence est donc un état beaucoup plus plastique que la pluripotence. Après le stade blastocyste, les cellules se spécialisent et forment les différents tissus de l’organisme, on parle alors des cellules différenciées.

Depuis quelques années, il est possible de transformer une cellule différenciée en une cellule pluripotente, mais pas en cellule totipotente. Afin de mieux comprendre les raisons pour lesquelles ce « retour » à l’état a totipotent n’était pas accessible, l’équipe de Maria-Elena Torres-Padilla s’est attelée à observer les caractéristiques des cellules totipotentes et à rechercher les facteurs d’induction de cet état.

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A la recherche des clés de la totipotence © IGBMC

In vitro, il arrive que des cellules totipotentes apparaissent parmi les cellules pluripotentes ; elles sont qualifiées de « cellules semblables au stade 2 cellules ». Les chercheurs ont donc comparé ces cellules aux cellules de l’embryon précoce afin de trouver leurs caractéristiques communes, différentes des stades pluripotents. Ils ont notamment montré que leur ADN était moins condensé et que l’expression du complexe protéique CAF1 était diminuée dans ces cellules. CAF1, déjà connu pour son rôle dans l’assemblage de la chromatine (état organisé de l’ADN), serait ainsi responsable du maintien de l’état pluripotent en participant à la condensation de l’ADN.

Sur la base de cette hypothèse, les chercheurs sont parvenus à induire un état totipotent en inactivant l’expression de ce complexe, ayant pour effet une reprogrammation de la chromatine dans un état moins condensé


Ces résultats apportent de nouveaux éléments dans la compréhension de la totipotence et laissent entrevoir de prometteuses perspectives en médecine régénérative.

La structure fine du ribosome humain dévoilée

Une équipe de l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC – CNRS/Université de Strasbourg/Inserm) vient de mettre en évidence, à l’échelle atomique, la structure tridimensionnelle du ribosome humain complet et les interactions fines qui y ont lieu. Ces résultats, obtenus grâce à une technologie unique en France, ouvrent la voie à de nouvelles explorations sur certains effets secondaires des antibiotiques et, à terme, pour le traitement de maladies liées aux dysfonctionnements du ribosome et à la dérégulation de la synthèse des protéines. Ces travaux sont publiés dans Nature le 22 avril 2015.

Les ribosomes sont de grands complexes constitués de protéines et d’ARN repliés ensemble qui, au sein des cellules de tous les êtres vivants, interviennent comme des nano-machineries moléculaires dans l’expression des gènes et la bio-synthèse des protéines. La structure des ribosomes de différentes espèces était déjà précisément connue à l’échelle atomique, mais déterminer celle particulièrement complexe du ribosome humain restait un défi majeur à relever.

L’équipe de Bruno Klaholz, à l’IGBMC (CNRS/Université de Strasbourg/Inserm) vient de visualiser la structure atomique du ribosome humain complet avec une résolution supérieure à 3 angströms (0,3 nanomètres). Le modèle obtenu représente les 220 000 atomes qui constituent les deux sous-unités du ribosome et permet, pour la première fois, d’explorer son agencement en détail, de voir et d’identifier les différents acides aminés et nucléotides en 3 dimensions. Les chercheurs se sont plus particulièrement intéressés aux différents sites de liaison et aux interactions fines qui y ont lieu. Leurs travaux révèlent par exemple qu’après avoir livré les acides aminés qu’ils transportaient, les ARN de transfert continuent à interagir avec le ribosome dans un site particulier (le site de sortie des ARNt). Ils mettent également en lumière la dynamique des deux sous-unités du ribosome qui tournent légèrement sur elles-mêmes au cours du processus de bio-synthèse des protéines, entrainant un fort remodelage de la configuration 3D de la structure à leur interface.

Ces résultats ont été rendus possibles par un ensemble de technologies de pointe. Les échantillons, hautement purifiés puis congelés, ont été visualisés par cryo-microscopie électronique. Cette méthode permet de travailler sur des objets figés dont l’orientation ne change pas et dont la structure et les fonctions biologiques sont préservées. Une combinaison de traitement d’images et de reconstruction 3D appliquée aux images obtenues par le cryo-microscope électronique nouvelle génération de l’IGBMC – unique en France – a abouti à ce degré de précision rare.

Cette connaissance fine de la structure et de la dynamique du ribosome humain complet ouvre la voie à de nouvelles explorations majeures. Il est désormais envisageable d’étudier les effets secondaires de certains antibiotiques, destinés à s’attaquer aux ribosomes bactériens, qui peuvent cibler « par erreur » le ribosome humain. La constitution d’un répertoire des sites de liaison existants est une première étape pour augmenter la spécificité des molécules thérapeutiques et éviter qu’elles ne se fixent au mauvais endroit. A terme, ces résultats pourront également être utilisés pour la mise au point de traitement de maladies liées aux dysfonctionnements du ribosome et à la dérégulation de la synthèse des protéines. Dans le cas des cancers par exemple, pouvoir cibler les ribosomes des cellules malades permettrait de réduire leurs taux de synthèse de protéines.Klaholz

Exemple d’éléments tridimensionnels qui ont pu être distingués au sein de la structure atomique du ribosome humain complet (en encadré). La résolution (de l’ordre de l’angström) permet de déterminer s’il y a interaction ou non entre les différents éléments. © H. Khatter, A.G. Myasnikov, S. K. Natchiar & B.P. Klaholz

Première étape vers un nouvel outil pour le traitement de la myopathie

Des travaux de recherche associant des chercheurs du CNRS, de l’UVSQ et de l’Inserm au sein du laboratoire END-ICAP[1], en collaboration avec une équipe de l’université de Berne, démontrent le potentiel thérapeutique d’une nouvelle classe d’oligonucléotides[2] de synthèse pour le traitement de la myopathie de Duchenne (DMD) par chirurgie de l’ARN. Testée chez la souris, cette nouvelle génération de molécules se révèle cliniquement supérieure à celles en cours d’évaluation chez les patients DMD, notamment au niveau des fonctions cardiaque et respiratoire et du système nerveux central. Ces résultats sont publiés le 2 février 2015 dans la revue Nature Medecine.Etude de la myopathie de Duchenne

Etude de la myopathie de Duchenne –  Lésions nécrotiques (mort cellulaire) de fibres musculaires constituées de myofibrilles. Coloration trichrome de Gomori. ©Inserm/Fardeau, Michel

Les maladies neuromusculaires regroupent un ensemble de plusieurs centaines de maladies, principalement d’origine génétique, définies par un défaut de commande du muscle ou par une destruction du tissu musculaire. Conjointement, elles affectent plusieurs dizaines de milliers de personnes en France et constituent un enjeu majeur de santé publique. La plus emblématique d’entre elles, la dystrophie musculaire de Duchenne (DMD) est causée par des mutations qui affectent le gène codant pour la dystrophine, une protéine indispensable au bon fonctionnement des cellules musculaires. Cette myopathie particulièrement sévère et très invalidante ne bénéficie encore d’aucun traitement satisfaisant.

La « chirurgie » de l’ARN est une approche développée dans le but de corriger certaines anomalies génétiques. Cette thérapie est fondée sur l’utilisation de petites séquences d’oligonucléotides antisens (AON)[3] capables de s’hybrider spécifiquement avec des ARN messagers, d’agir sur ces ARN et de permettre la synthèse d’une protéine manquante. Plusieurs études sont en cours pour synthétiser différents types d’AON destinés à agir sur la production de dystrophine. Malgré les résultats encourageants de certains essais cliniques, ces AON existants présentent des limites : leur niveau de toxicité reste parfois élevé et ils ne peuvent pas agir au niveau cardiaque ou passer la barrière hémato-encéphalique. La conception d’un traitement efficace simultanément pour l’ensemble de la musculature squelettique, le cœur et le système nerveux central reste encore un défi.

Les auteurs de ces travaux ont mis au point de nouveaux nucléotides pour la synthèse des AON : les tricyclo-DNA (tcDNA). Les AON-tcDNA, analogues synthétiques de l’ADN, s’hybrident avec les ARN cibles et vont entraîner l’excision d’un fragment de l’ARN[4]. En agissant ainsi sur la partie du gène comportant une erreur, ils permettent la synthèse d’une dystrophine certes tronquée mais stable et fonctionnelle. Le suivi chez les souris DMD traitées par ces AON-tcDNA montre qu’ils sont plus performants que leurs équivalents des générations précédentes. Administrés par voie intraveineuse, ils sont distribués efficacement à l’ensemble de la musculature squelettique. Ils atteignent aussi le tissu cardiaque et accèdent au système nerveux central, ce qui n’était pas le cas de leurs prédécesseurs. La restauration de la production de dystrophine est également plus efficace qu’avec les AON précédents. Après une douzaine de semaines de traitement hebdomadaire, les souris présentent une amélioration très significative de la fonction musculaire et surtout des fonctions respiratoire et cardiaque, qui sont les principales cibles à atteindre chez les patients souffrant de cette myopathie.

Les chercheurs ont aussi mis en évidence une correction des réponses émotionnelles naturellement exacerbées chez les sujets dystrophiques et pouvant entraîner des retards d’apprentissage et des défauts cognitifs. Cette partie de l’étude, menée en collaboration avec une équipe de l’Institut des neurosciences Paris Saclay (CNRS/Université Paris-Sud), démontre que la dystrophine est cruciale pour le bon fonctionnement de certains neurones et que les problèmes comportementaux observés lorsqu’il y a un déficit de cette protéine sont au moins partiellement réversibles chez la souris dystrophique adulte.

En plus de ces résultats prometteurs, les AON-tcDNA sont caractérisés par un temps long de persistance au sein des tissus ce qui permettrait à terme d’espacer les traitements. Autre avantage, ils ne sont pas dégradés mais évacués progressivement par l’organisme, permettant ainsi la réversibilité du traitement et limitant sa toxicité. Les analyses toxicologiques nécessaires sont toujours en cours mais les premiers résultats semblent en effet indiquer que ces nouveaux AON sont bien tolérés à fortes doses chez la souris.

Les mécanismes responsables de l’efficacité de ces AONs de troisième génération sont encore mal compris mais plusieurs de leurs propriétés pourraient entrer en jeu, notamment leur forte affinité pour l’ARN et leur capacité à former spontanément des agrégats de type « nanoparticules ». 

La chimie des tcDNA ouvre ainsi de nombreuses perspectives vers des applications pour différentes maladies génétiques. Il s’agit surtout d’une nouvelle étape dans la marche vers un médicament systémique[5] pour la myopathie de Duchenne.

Les premiers essais chez l’homme sont prévus d’ici un an et demi à deux ans avec le concours de la société Synthena.

Ces travaux s’inscrivent dans le cadre d’un vaste projet collaboratif international (ICE – International Collaborative Effort for DMD) à l’initiative de l’Association monégasque contre les myopathies (AMM) et du Duchenne Parent Project France (DPP-F) et sont pour partie soutenus par la Chaire d’excellence HandiMedEx – Investissements d’avenir.

[1] Le laboratoire END-ICAP : Handicap neuromusculaire : physiopathologie, biotechnologies et pharmacologies appliquées (UVSQ/Inserm) est partie intégrante du laboratoire international Biothérapies appliquées aux handicaps neuromusculaires (LIA BAHN – UVSQ/CSM).

[2] Les oligonucléotides sont des courts segments d’acides nucléiques (ARN ou ADN).

[3] Ces séquences sont appelées antisens car elles sont complémentaires de l’ARN messager. Le brin de synthèse aura donc une séquence inverse de celle du brin d’ARN.

[4] Après la transcription de l’ADN en ARN, l’ARN va subir un certain nombre de modifications, dont l’épissage, au cours duquel des fragments non-codants vont être exclus afin de donner l’ARN mature utilisé pour la traduction en protéines.

[5] Administré par voie générale.

 

Bisphénol A : des produits de remplacement ont la même dangerosité

Le bisphénol F et le bisphénol S, substituts du bisphénol A dans certaines applications, ont le même effet négatif sur le testicule fœtal humain que celui du bisphénol A. C’est ce que viennent de démontrer René Habert et ses collaborateurs de l’Unité mixte de recherche 967 « Cellules souches, Radiations et instabilité génétique » (CEA/Inserm/université Paris Diderot)[1] avec la même méthode in vitro qui avait permis à l’équipe d’analyser, en 2012, l’effet négatif du bisphénol A sur le testicule[2].

Ces résultats sont en ligne sur le site de la revue Fertility & Sterility.

Depuis janvier 2011, la fabrication et la commercialisation des biberons contenant du bisphénol A sont interdites en Europe. De plus, une loi récente interdit en France, dès janvier 2015, la fabrication, l’exportation, l’importation et la mise sur le marché de tout conditionnement alimentaire contenant du bisphénol A. Le bisphénol S et le bisphénol F sont des produits de remplacement du bisphénol A, actuellement à l’étude ou déjà utilisés. Bien qu’ils aient une structure chimique proche de celle du bisphénol A, leur dangerosité n’a encore jamais été testée chez l’Homme et les autres mammifères, et il n’y a actuellement aucune réglementation les concernant.
Culture de testicules foetaux humains

Crédit photo : R habert/Inserm

Pour évaluer la dangerosité des perturbateurs endocriniens[3] sur le développement du testicule pendant la vie fœtale, René Habert et ses collaborateurs du Laboratoire de Développement des Gonades (UMR 967 « Cellules souches, Radiations et instabilité génétique » – CEA/Inserm/université Paris Diderot) utilisent depuis de nombreuses années une approche expérimentale originale qu’ils ont mise au point et appelée Fetal Testis Assay (FeTA)[4]. Cette méthode permet de maintenir en vie des testicules fœtaux humains dans une boîte de culture pendant plusieurs jours et de tester les effets de l’addition de différents produits chimiques sur leur développement et leurs fonctions. En 2012, et grâce à cette méthode, les chercheurs ont apporté la première preuve expérimentale que le bisphénol A inhibe la production de testostérone par le testicule du fœtus humain. Une concentration de bisphénol A de 2 microgrammes par litre dans le milieu de culture est suffisante pour induire ces effets. Celle-ci équivaut à la concentration moyenne généralement retrouvée dans le sang, les urines et le liquide amniotique de la population.

Dans cette nouvelle étude, dont les résultats viennent d’être publiés sur le site de la revue Fertility and Sterility, les chercheurs ont utilisé le même système de culture. Ils ont observé que l’exposition in vitro des testicules fœtaux humains au bisphénol S ou au bisphénol F réduit la production de testostérone, par le testicule fœtal humain, de façon tout à fait identique à la réduction provoquée par le bisphénol A. C’est la première fois que l’on démontre un effet délétère des bisphénols S et F sur une fonction physiologique chez l’Homme.

Par ailleurs, les chercheurs ont comparé la réponse aux bisphénols S et F des testicules fœtaux humains avec celle des testicules fœtaux de souris. Ils ont observé que, comme pour le bisphénol A, l’espèce humaine est beaucoup plus sensible aux bisphénols S et F que ne l’est la souris.

Pour rappel :

Le bisphénol A est un composé chimique qui entre dans la composition de plastiques et de résines. Il est notamment utilisé dans la fabrication de récipients alimentaires et est présent dans les films de protection à l’intérieur des canettes et des boîtes de conserves. Plusieurs études ont montré que ce composé induit des effets néfastes sur la reproduction, le métabolisme et le cerveau. L’impact maximal du bisphénol A se produit pendant la vie fœtale.

Chez l’homme et les mammifères, la testostérone produite par le testicule pendant la vie fœtale impose la masculinisation des organes génitaux internes et externes. En son absence, ces organes évolueraient spontanément dans le sens femelle. Une diminution de la production de testostérone fœtale peut se traduire par des défauts de la masculinisation observés à la naissance (tels que l’hypospadias et la cryptorchidie). De plus, il est probable qu’un défaut de la production de testostérone pendant la vie fœtale puisse se traduire par une altération de la production spermatique à l’âge adulte.

[1] CEA-IRCM (Institut de radiobiologie cellulaire et moléculaire), centre CEA de Fontenay-aux-Roses.

[2] Communiqué 17.01.2013 – L’effet néfaste du bisphénol A prouvé expérimentalement (Plos One, déc 2012)

[3] Substance ou mélange non produit par l’organisme altérant les fonctions du système hormonal, et induisant donc des effets nocifs sur la santé d’un organisme intact, de ses descendants ou sous-populations.

[4] En collaboration avec l’hôpital Antoine-Béclère à Clamart.

Une nouvelle forme d’hérédité décrite chez la paramécie

Longtemps considérée comme une théorie obsolète, la transmission des caractères acquis revient sur le devant de la scène grâce à l’essor des recherches en épigénétique1. Dans cette dynamique, une équipe de l’Institut de biologie de l’École normale supérieure (CNRS/ENS/Inserm)2 vient de décrire comment, chez la paramécie, les types sexuels se transmettent de génération en génération par un mécanisme inattendu. Ils ne sont pas déterminés par la séquence du génome, mais par de petites séquences d’ARN, transmises par le cytoplasme maternel. Celles-ci inactivent spécifiquement certains gènes au cours du développement. Ainsi, une paramécie peut acquérir un type sexuel nouveau et le transmettre à sa descendance sans qu’aucune modification génétique ne soit impliquée. Ces travaux, publiés dans Nature le 7 mai 2014, pointent un nouveau mécanisme sur lequel peut jouer la sélection naturelle et qui permet donc l’évolution des espèces.

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©Fotolia

Les paramécies, organismes unicellulaires eucaryotes, sont hermaphrodites : lors de leur reproduction sexuelle, appelée conjugaison, les partenaires s’échangent réciproquement du matériel génétique. Les paramécies présentent néanmoins deux ‘types sexuels’, appelés E et O. La conjugaison ne peut avoir lieu qu’entre types sexuels différents. Dès les années 1940, des chercheurs comme Tracy Sonneborn avaient remarqué que le type sexuel ne se transmettait pas à la descendance en suivant les lois de Mendel : un nouveau type de transmission des caractères, ne dépendant pas des chromosomes, devait être à l’œuvre. Cependant, ils n’avaient pas réussi à l’élucider.

Aujourd’hui, l’équipe d’Éric Meyer à l’institut de biologie de l’ENS et ses collaborateurs2 viennent de décrire le mécanisme de cette hérédité alternative. Pour cela, ils ont d’abord montré que la différence entre les types sexuels E et O tient à une protéine transmembranaire appelée mtA. Bien que le gène qui la code soit présent chez les deux types sexuels, il ne s’exprime que chez les individus E. Les chercheurs ont ensuite montré le mécanisme par lequel, chez le type O, ce gène est inactivé.

Les paramécies possèdent deux noyaux : un micronoyau germinal qui est transmis lors de la reproduction sexuelle et un macronoyau somatique, issu de ce dernier, où s’expriment les gènes de la cellule. Le mécanisme de transmission des types sexuels se base sur de petits ARN, appelés scnARN, qui sont produits durant la méiose. La fonction originelle de ces ARN est d’éliminer du macronoyau toute une série de séquences génétiques, appelées éléments transposables, qui, à la manière des introns3, se sont introduits à l’intérieur des gènes au cours de l’évolution. Dans un premier temps, les scnARN scannent le macronoyau maternel afin d’identifier les séquences qui avaient été éliminées à la génération précédente, puis effectuent les mêmes réarrangements dans le nouveau macronoyau. Or, de façon inattendue, ce mécanisme de « nettoyage » du génome permet aussi à la cellule de mettre sous silence des gènes fonctionnels. Chez l’espèce Paramecium tetraurelia, chez les individus de type O, les scnARN éliminent le promoteur du gène mtA, ce qui annule son expression. Ainsi, c’est par le biais des scnARN hérités avec le cytoplasme maternel, et non d’une séquence génétique particulière, que le type sexuel de la paramécie est défini.

Ce processus de mise sous silence peut a priori toucher n’importe quel gène. Les paramécies peuvent donc, en théorie, transmettre à leur descendance sexuelle une infinie variété de versions du génome macronucléaire à partir du même génome germinal. Comme pour l’hérédité génétique, ce mécanisme peut conduire à des erreurs qui, de temps en temps, peuvent apporter à la descendance un avantage sélectif. Autrement dit, le génome du macronoyau somatique de la paramécie pourrait évoluer en continu et permettre, dans certains cas, une adaptation à court terme aux changements de conditions environnementales. Ceci, sans que des mutations génétiques soient impliquées. Cette forme d’hérédité de type lamarckien4 offrirait ainsi un levier d’action encore insoupçonné à la sélection naturelle.

(1) L’épigénétique fait partie de la génétique au sens large, c’est-à-dire l’étude des mécanismes de l’hérédité. Elle désigne plus particulièrement l’étude de la transmission héréditaire de caractères variables qui ne dépendent pas de séquences d’ADN variables.

(2) En collaboration avec le Centre de génétique moléculaire (CNRS), le laboratoire Biométrie et biologie évolutive (CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1), l’Institut Jacques Monod (CNRS/Université Paris Diderot) et le CEA (Institut de génomique). Des équipes polonaises, russes et américaines ont également collaboré à ces travaux.

(3) Portions de la séquence des gènes, souvent non-codantes, qui doivent être retirées pour que la séquence soit fonctionnelle.

(4) En référence à Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829) dont la théorie sur l’évolution du vivant abordait la transmission des caractères acquis.

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