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Enquête nationale périnatale : résultats de l’édition 2021

L’ENP a pour objectif de fournir des indicateurs fiables qui permettent de surveiller l’évolution de la santé périnatale. Crédits : Adobe Stock

Les enquêtes nationales périnatales (ENP) sont réalisées à intervalles réguliers depuis près de 30 ans sous la direction de l’Équipe de recherche en épidémiologie obstétricale périnatale et pédiatrique de l’Inserm (EPOPé) et copilotées par la direction générale de la Santé (DGS), la direction générale de l’Offre de soins (DGOS), la direction de la Recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) et Santé publique France. Elles ont pour objectif de fournir des indicateurs fiables qui permettent de surveiller l’évolution de la santé périnatale et d’orienter les politiques publiques relatives à la prévention et à la prise en charge au cours de la grossesse, de l’accouchement et de la période de post-partum en France. Jusqu’ici, cinq enquêtes avaient déjà eu lieu, en 1995, 1998, 2003, 2010 et 2016 (voir encadré).

Rendus publics le 6 octobre 2022, les résultats de l’enquête nationale périnatale 2021 (ENP 2021) apportent un éclairage essentiel sur l’état de santé actuel des mères et des nouveau-nés, les pratiques médicales pendant la grossesse et l’accouchement, ainsi que les caractéristiques démographiques et sociales des femmes et des familles.

Les résultats de cette nouvelle édition sont issus d’une enquête de terrain réalisée en mars 2021, ayant permis un recueil sur 13 631 naissances auprès de 13 404 femmes, dont 12 939 naissances et 12 723 femmes en métropole et 692 naissances et 681 femmes dans les départements et régions d’outre-mer (DROM).

L’édition 2021 de l’ENP se distingue des enquêtes précédentes à plusieurs égards. D’une part, l’enquête s’est enrichie pour la première fois d’un volet « suivi à deux mois », qui permet d’interroger les mères deux mois après la naissance, et de préciser leur état de santé et celui de leurs enfants. Ce suivi a été réalisé grâce à un questionnaire en ligne ou par téléphone, pour les femmes l’ayant accepté.

D’autre part, l’enquête de terrain s’est déroulée au cours de la troisième vague de la pandémie de Covid-19 et les femmes interrogées avaient ainsi traversé la deuxième vague de la pandémie (octobre-décembre 2020) durant leur grossesse. Ce contexte particulier doit être pris en compte pour l’interprétation de certaines évolutions présentées dans le rapport.

Les résultats présentés ci-dessous ne concernent que la métropole. Les données relatives aux DROM feront l’objet de rapports spécifiques par département, publiés début 2023.

 

Trente ans d’enquêtes nationales périnatales

Les enquêtes nationales périnatales portent sur la totalité des naissances survenues pendant une semaine dans l’ensemble des maternités françaises (y compris les maisons de naissance en 2021). Ces enquêtes sont réalisées depuis 1995, à intervalles réguliers.

Les informations sont recueillies à partir d’un entretien avec les mères lors de leur séjour en maternité et à partir des informations de leur dossier médical. Par ailleurs, des données sur les caractéristiques des maternités et l’organisation des soins dans les services sont recueillies. L’ensemble des informations obtenues fournit des estimations fiables des indicateurs et de leur évolution depuis la précédente enquête en 2016.

L’analyse des données et la rédaction du rapport ont été menées par les scientifiques de l’Inserm, en collaboration avec Santé publique France, la direction de la Recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la direction générale de l’Offre de soins et la direction générale de la Santé.

Résultats concernant la grossesse

Caractéristiques des femmes

 

L’enquête s’est intéressée à l’âge des femmes au moment de la grossesse. Les données recueillies permettent de constater que la tendance au report des naissances à des âges maternels plus élevés (déjà observée depuis plusieurs décennies) se poursuit.

Ainsi, la part des femmes âgées de 35 à 39 ans à l’accouchement et celle de 40 ans et plus sont en augmentation depuis 2016 (19,2 % en 2021 contre 17,2 % en 2016 et 5,4 % en 2021 contre 3,9 %, respectivement).

Par ailleurs, les données montrent aussi une augmentation du nombre de femmes en surpoids ou obèses avant la grossesse. En 2021, 23,0 % des femmes interrogées étaient en surpoids et 14,4 % obèses, contre respectivement 19,9 % et 11,8 % en 2016.

L’ENP s’est également penchée sur les conditions économiques et sociales des femmes. L’enquête révèle une augmentation du niveau d’études. On observe en 2021 que 59,4 % des femmes enceintes ont un niveau d’études supérieur au baccalauréat (contre 55,4 % en 2016) et 22,3 % un niveau bac+5 ou plus (contre 17,9 % en 2016).

Entre 2016 et 2021, le taux de femmes sans couverture sociale en début de grossesse et/ou couverture maladie complémentaire a diminué.

La part des femmes arrivées en France depuis moins d’un an au moment de l’accouchement est plus faible en 2021 qu’en 2016 – ce qui peut s’expliquer par la fermeture des frontières pendant la pandémie.

Prévention pendant la grossesse

 Le suivi de la grossesse est principalement réalisé par un gynécologue-obstétricien, qui demeure le professionnel le plus fréquemment consulté pour la surveillance prénatale. Toutefois, pour près de 40 % des femmes, une sage-femme a été la responsable principale de la surveillance dans les six premiers mois de la grossesse, en particulier en secteur libéral. Ce chiffre est en augmentation notable depuis 2016.

Ce suivi de la grossesse est l’occasion de mettre en place des mesures de prévention visant à améliorer la santé des mères et de leurs bébés. Certains indicateurs se sont d’ailleurs nettement améliorés depuis 2016.

C’est notamment le cas de la consommation de substances psychoactives, les professionnels de santé étant particulièrement actifs pour mettre en place des mesures de prévention dans ce domaine. On observe ainsi que la proportion des femmes déclarant une consommation de tabac au 3e trimestre de grossesse est en diminution (12,2 % en 2021 contre 16,3 % en 2016), de même que celle des femmes déclarant consommer du cannabis durant la grossesse (1,1 % contre 2,1 %). En 2021, environ 97 % des femmes ont déclaré n’avoir jamais consommé d’alcool durant la grossesse. Néanmoins, ces chiffres sont à prendre avec précaution surtout concernant la consommation d’alcool qui est souvent sous-déclarée par les femmes enceintes.

Concernant la vaccination contre la grippe, on constate également des progrès. En 2021, le vaccin a été proposé à 58,9 % des femmes et 30,4 % des femmes ont été vaccinées, soit une très forte augmentation par rapport à 2016, où cette dernière proportion ne s’élevait qu’à 7,4 %. La campagne de vaccination 2020-2021 a toutefois été marquée par une demande de vaccination contre la grippe inhabituelle de la part de la population, dans le contexte d’épidémie de Covid-19 et à un moment où le vaccin anti-Covid n’était pas encore disponible.

Malgré ces progrès, plusieurs points de vigilance sont soulignés dans le rapport. La prévention des anomalies de fermeture du tube neural par la prise d’acide folique (vitamine B9) est encore mise en place trop tardivement puisque seules 28,3 % des femmes commencent à prendre de l’acide folique en supplément avant la grossesse, comme recommandé.

De même, seules 16,0 % des femmes déclarent avoir reçu des conseils pour limiter la transmission du cytomégalovirus (CMV), traduisant un faible impact des recommandations.

 

Pathologies et état psychologique au cours de la grossesse

L’enquête permet aussi un éclairage sur la santé physique et mentale des femmes au cours de la grossesse.

En cette période de pandémie de Covid-19, des données ont été recueillies sur l’infection par le SARS-CoV-2. Au total, 678 femmes (soit 5,7 % de l’effectif) ont été infectées durant leur grossesse, dont 9,8 % au cours du 1er trimestre, 40,9 % pendant le 2e trimestre et 49,3 % lors du 3e trimestre.

Complication fréquente au cours de la grossesse, le diabète gestationnel a fait l’objet d’un dépistage pour 76,1 % des femmes en 2021 contre 73,2 % en 2016. Ce taux est élevé par rapport à ce que l’on pourrait attendre, faisant penser que le dépistage est encore fréquemment réalisé chez des femmes ne correspondant pas à la population cible des recommandations du Collège national des gynécologues-obstétriciens français, datant de 2010.

La fréquence du diabète gestationnel a augmenté (16,4 % en 2021 contre 10,8 % en 2016), ce qui peut être expliqué en partie par l’augmentation de la fréquence de réalisation du dépistage, mais aussi par l’augmentation de la prévalence des facteurs de risque (âge maternel et obésité notamment), ou encore par une prise en compte croissante des critères de diagnostic figurant dans des recommandations pour la pratique clinique en vigueur depuis 2010.

Concernant la santé mentale des femmes, si elle est comparable, entre les deux éditions, au moment de la découverte de la grossesse (plus de 70 % se déclaraient heureuses d’être enceintes), elle semble s’être dégradée pendant la grossesse (63,2 % des femmes se sont senties « bien » durant la grossesse en 2021 contre 67,7 % en 2016). La part des femmes ayant consulté un professionnel de santé pour des difficultés psychologiques en cours de grossesse est en augmentation (8,9 % en 2021 contre 6,4 % en 2016). Les données de l’ENP 2021 ne permettent pas de savoir dans quelle mesure cette évolution est liée au contexte de pandémie de Covid-19, où la santé mentale de la population générale s’est également dégradée.

 

 Résultats concernant l’accouchement et le nouveau-né

 Médicalisation de l’accouchement, quelles évolutions ?

Globalement, à l’exception du déclenchement du travail dont la fréquence est en augmentation (25,8 % contre 22,0 % en 2016), la tendance est à une diminution du recours aux interventions visant à accélérer le travail et à une moindre médicalisation de l’accouchement.

Les données suggèrent ainsi qu’il y a eu moins de rupture artificielle des membranes en 2021 qu’en 2016 (33,2 % parmi les femmes en travail spontané contre 41,4 %) et moins d’administration d’oxytocine durant le travail (30,0 % parmi les femmes en travail spontané contre 44,3 %).

De même, le taux d’épisiotomie, déjà en phase décroissante depuis plusieurs décennies, a encore fortement diminué, passant de 20,1 % en 2016 à 8,3 % en 2021.

Par ailleurs, le taux de césarienne est stable depuis 2010 et concerne 21,4 % des accouchements en 2021. Le fait d’avoir accouché par césarienne lors d’un précédent accouchement reste le facteur de risque majeur de césarienne.

Enfin, on peut noter que plus de 90 % des femmes ont reçu, comme recommandé, de l’oxytocine après la naissance de leur enfant pour diminuer le risque d’hémorragie du post-partum (saignements ≥ 500 ml après l’accouchement), qui survient malgré tout dans 11,6 % des cas.

Évaluation de la douleur pendant l’accouchement

Le taux d’analgésie locorégionale au cours du travail se maintient à un niveau élevé. En effet, 82,7 % des femmes ont eu une analgésie péridurale (contre 81,4 % en 2016). Ce taux important est en accord avec le souhait des femmes. Le taux d’auto-administration de l’analgésie par pompe type PCEA a aussi connu une nette augmentation (74,2 % contre 53,8 % en 2016).

De plus, les femmes ont rapporté recourir plus fréquemment à des méthodes non médicamenteuses (la mobilité, le bain ou la douche durant le travail, les massages…) pour gérer la douleur liée aux contractions. L’ensemble des méthodes utilisées permet d’obtenir une bonne satisfaction des femmes puisqu’elles sont plus de 90 % à être « satisfaite » voire « très satisfaite » des méthodes utilisées pour soulager la douleur.

Pour cette nouvelle édition de l’ENP, une attention toute particulière a été portée à la douleur ressentie par les femmes au moment de l’accouchement. Malgré le taux important d’analgésie et un taux de satisfaction élevé, les femmes ressentent fréquemment une douleur avec un niveau considéré comme insupportable au moment de la naissance de leur enfant, aussi bien par voie basse spontanée que par voie basse instrumentale (29,7 % d’entre elles en cas de voie basse spontanée et 37,8 % en cas de voie basse instrumentale).

De même, en cas de césarienne, le niveau de douleur ressentie par les femmes est élevé avec 10,4 % d’entre elles ayant ressenti une douleur insupportable au début de la césarienne.

Quelques résultats clés sur les établissements métropolitains

 L’ENP 2021 apporte aussi quelques résultats issus d’une enquête complémentaire auprès des établissements de santé.

  • Au 15 mars 2021, la France métropolitaine comptait 456 maternités et 6 maisons de naissance contre 497 maternités en mars 2016 soit environ 8% de maternités en moins en 5 ans.

 

  • Les très grandes maternités d’au moins 3 500 accouchements par an réalisent 15 % des accouchements.

 

  • L’équipement global des maternités s’est amélioré. Ainsi, près de 90% des établissements déclarent disposer, au sein du secteur naissance ou contigu à ce secteur, d’un bloc opératoire dédié à la réalisation des césariennes.

 

  • Environ la moitié des maternités ont recours à des intérimaires et/ou vacataires ; 49,7% pour les gynécologues-obstétriciens, 50,9 % pour les anesthésistes-réanimateurs, 41,3 % pour les pédiatres et 38,4 % pour les sages-femmes.

Santé de l’enfant à la naissance

Le poids de naissance moyen en 2021 est 3,264 kg, ce qui est globalement stable par rapport 2016 (3,251 kg).

On ne retrouve pas de différence en matière d’âge gestationnel (nombre de semaines écoulées entre la date estimée de conception et la date d’accouchement) à la naissance entre 2021 et 2016. Le taux de prématurité (qui correspond à un âge gestationnel à la naissance inférieur à 37 semaines d’aménorrhée) est stable à 7,0 % ainsi que la proportion d’enfants pesant moins de 2 500 grammes (7,1 %).

Les gestes de réanimation à la naissance sont plus fréquents en 2021 qu’en 2016. En 2021, 7,8 % des enfants ont nécessité une ventilation au masque contre 6,3 % en 2016. Cependant, en dépit de ces manœuvres de réanimation plus fréquentes à la naissance, la fréquence des hospitalisations est stable (y compris pour les enfants à terme) par rapport à 2016, quel que soit le service concerné.

Par ailleurs, l’enquête souligne que près de 90 % des femmes ont eu un contact peau à peau avec leur enfant dans les deux heures après l’accouchement, que ce soit en salle de naissance, au bloc opératoire ou en salle de réveil.

Enfin, la durée du séjour en maternité après l’accouchement continue de diminuer, aussi bien chez les femmes ayant accouché par voie basse que chez celles ayant accouché par césarienne. En moyenne, la durée de séjour est de 3,7 jours (contre 4,0 jours en 2016).

Les durées de séjour très courtes, 2 jours ou moins, sont trois fois plus fréquentes qu’en 2016. Mais ce résultat est à interpréter au regard du contexte sanitaire, les femmes inclues dans l’ENP 2021 ayant accouché durant la 3ème vague de Covid-19, avec probablement une volonté de retour à domicile plus précoce qu’habituellement.

 

Principaux enseignements du suivi à deux mois

Le suivi à deux mois constitue une des nouveautés de l’ENP 2021 qui permet de tirer de précieux enseignements sur le vécu des femmes dans les semaines qui suivent leur accouchement. Il rend possible d’envisager des pistes pour mieux les accompagner, au bénéfice de leur santé et de celle de leur enfant. Au total, 67,5 % des femmes ayant accepté l’entretien en maternité ont répondu 2 mois après l’accouchement.

Deux axes ont particulièrement été étudiés dans cette enquête : la santé mentale des femmes et leur vécu face aux soins et à l’accompagnement de la part des professionnels de santé.

Santé mentale et accompagnement des professionnels de santé

Pour la première fois, l’enquête révèle que 16,7 % des femmes présentent des symptômes suggérant une dépression post-partum, évaluée à partir de l’échelle EPDS à deux mois après l’accouchement – sans qu’il ne soit possible de dire quel est le lien avec la dégradation de la santé mentale de la population générale pendant la pandémie. Par ailleurs, 15,5 % des femmes déclarent avoir vécu difficilement ou très difficilement leur grossesse et 11,7 % avoir un mauvais voire très mauvais vécu de leur accouchement.

De plus, l’enquête révèle qu’environ 10 % d’entre elles rapportent avoir été confrontées à des paroles ou attitudes inappropriées de la part des soignants pendant leur grossesse, leur accouchement ou le séjour à la maternité et 6,7 % à des gestes inappropriés. Des progrès doivent également être réalisés pour obtenir le consentement des femmes avant la réalisation des actes et interventions lors de la grossesse et de l’accouchement. Par exemple, 4,2 % des femmes déclarent que les professionnels n’ont jamais demandé leur accord avant la réalisation d’un toucher vaginal durant la grossesse.

Néanmoins, les femmes demeurent globalement satisfaites du suivi qu’elles ont reçu. Plus de 90 % se disent « satisfaites » voire « très satisfaites » de leur prise en charge médicale durant leur suivi de grossesse et de leur prise en charge par les professionnels de santé en salle de naissance.

Suite à l’accouchement, elles sont aussi nombreuses à avoir bénéficié de la visite à domicile d’une sage-femme (79,1 %).

Quasiment toutes les femmes ont reçu des conseils sur le mode de couchage de leur enfant. Elles suivent globalement bien ce conseil puisque 79,6 % déclarent coucher toujours leur enfant sur le dos et 11,6 % souvent. En revanche, seulement la moitié des femmes déclarent avoir reçu des conseils sur la manière de calmer les pleurs de leur enfant.

 

Données relatives à l’allaitement

Le taux d’allaitement à la maternité reste plutôt stable puisque 56,3 % des femmes allaitent exclusivement leur enfant à la maternité en 2021 contre 54,6 % en 2016, et 13,4 % d’entre elles réalisent un allaitement mixte contre 12,5 % en 2016. Il est intéressant de noter qu’avant l’accouchement, les femmes étaient pourtant 64,8 % à avoir choisi un allaitement exclusif et 8,5 % un allaitement mixte.

Le taux d’allaitement à 2 mois est plus bas : 34,4 % des femmes allaitent exclusivement leur enfant, 19,8 % réalisent un allaitement mixte et 45,8 % nourrissent leur enfant avec du lait artificiel. L’enquête ancillaire Epifane, publiée courant 2023, permettra d’apporter des informations complémentaires sur la durée de l’allaitement en France.

 

Conclusions et perspectives

L’ENP 2021 permet de recueillir des données clés et de souligner les évolutions depuis 2016 des principaux indicateurs de santé périnataux. Présentés de manière transparente et rigoureuse, ces indicateurs revêtent une importance capitale pour les femmes, les professionnels et les pouvoirs publics, afin d’aider à la décision et à l’évaluation des actions de santé en faveur des femmes et de leurs enfants, au cours de la grossesse, de l’accouchement et de la période de post-partum.

Comme pour les précédentes enquêtes, les données de l’ENP 2021 vont être exploitées par les chercheurs afin d’étudier plus en détail les différents résultats. De plus, pour les femmes et les co-parents n’ayant pas exprimé d’opposition, elles vont être fusionnées avec le système national des données de santé (SNDS), données de l’Assurance maladie notamment, afin d’enrichir les analyses ultérieures.

La consommation d’édulcorants serait associée à un risque accru de maladies cardiovasculaires

Les scientifiques se sont ici appuyés sur les données communiquées par 103 388 adultes français participant à l’étude NutriNet-Santé. © Mathilde Touvier/Inserm

Les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité dans le monde. Identifier les facteurs de risque associés à ces maladies pour mieux les prévenir représente un véritable enjeu de santé publique. Une équipe de chercheurs et chercheuses de l’Inserm, de l’INRAE, du Cnam, de l’Université Sorbonne Paris Nord et d’Université Paris Cité, au sein de l’Équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (Eren), s’est intéressée aux conséquences sur la santé de la consommation d’édulcorants. Ils ont analysé les données de santé de 103 388 adultes participants à l’étude de cohorte française NutriNet-Santé au regard de leur consommation globale de ce type d’additifs alimentaires. Les résultats de ces analyses statistiques publiés dans le British Medical Journal suggèrent une association entre la consommation générale d’édulcorants et un risque accru de maladies cardiovasculaires.

Les effets délétères des sucres ajoutés ont été établis pour plusieurs maladies chroniques, ce qui a conduit les industries alimentaires à utiliser des édulcorants artificiels comme alternatives dans une large gamme d’aliments et de boissons. Cependant, l’innocuité des édulcorants artificiels fait l’objet de débats et les données restent contrastées quant à leur rôle dans l’apparition de diverses maladies. Une publication récente avait par exemple observé une association entre la consommation d’édulcorants et le risque accru de cancer[1].

Sur les bases d’une même méthodologie impliquant une vaste étude en population, l’équipe, a voulu examiner les associations entre la consommation d’édulcorants et le risque de maladies cardiovasculaires (maladies coronariennes[2] et maladies cérébrovasculaires[3]). Alors que l’augmentation du risque de maladies cardiovasculaires associée à la consommation de boissons édulcorées a été suggérée par plusieurs études épidémiologiques, aucune ne s’était, jusqu’à présent, intéressée à l’exposition aux édulcorants artificiels dans leur ensemble, et pas seulement aux boissons qui les contiennent. Or les édulcorants sont par exemple présents dans certains produits laitiers, et une multitude d’aliments allégés.

Les scientifiques se sont ici appuyés sur les données communiquées par 103 388 adultes français participant à l’étude NutriNet-Santé (voir encadré ci-dessous). Les volontaires ont eux-mêmes déclaré, via des questionnaires spécifiques, leurs antécédents médicaux, leurs données sociodémographiques, leurs habitudes en matière d’activité physique, ainsi que des indications sur leur mode de vie et leur état de santé. Ils ont également renseigné en détail leurs consommations alimentaires en transmettant aux scientifiques des enregistrements complets sur plusieurs périodes de 24 heures, incluant les noms et marques des produits. Cela a permis d’évaluer précisément leurs expositions aux additifs, et notamment aux édulcorants.

Après avoir recueilli les informations sur le diagnostic de maladies cardiovasculaires au cours de la période de suivi (2009-2021), les chercheurs et chercheuses ont effectué des analyses statistiques afin d’étudier les associations entre la consommation d’édulcorants et le risque de maladies cardiovasculaires des participants. Ils ont tenu compte de nombreux facteurs potentiellement confondants tels que l’âge, le sexe, l’activité physique, le tabagisme, les antécédents familiaux de maladies cardiovasculaires, ainsi que les apports en énergie, alcool, sodium, acides gras saturés et polyinsaturés, fibres, sucre, fruits et légumes et viande rouge et transformée.

Les scientifiques ont constaté que la consommation totale d’édulcorants était associée à une augmentation du risque de maladies cardiovasculaires, et plus précisément de maladies cérébrovasculaires.

Concernant les types d’édulcorants, l’aspartame était plus étroitement associé au risque de maladies cérébrovasculaires et l’acésulfame-K et le sucralose au risque de maladies coronariennes.

« Cette étude à grande échelle suggère, en accord avec plusieurs autres études épidémiologiques sur les boissons édulcorées, que les édulcorants, additifs alimentaires utilisés dans de nombreux aliments et boissons, pourraient représenter un facteur de risque accru de maladies cardiovasculaires », explique Charlotte Debras, doctorante et première auteure de l’étude. Des recherches supplémentaires dans d’autres cohortes à grande échelle seront nécessaires pour venir reproduire et confirmer ces résultats.

 

« Ces résultats, en accord avec le dernier rapport de l’OMS publié cette année, ne soutiennent pas l’utilisation d’édulcorants en tant qu’alternatives sûres au sucre et fournissent de nouvelles informations pour répondre aux débats scientifiques concernant leurs potentiels effets sur la santé. Ils fournissent par ailleurs des données importantes pour leur réévaluation en cours par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et d’autres agences de santé publique dans le monde », conclut Dr Mathilde Touvier, directrice de recherche à l’Inserm et coordinatrice de l’étude.

L’étude NutriNet-Santé est une étude de santé publique coordonnée par l’Équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (Eren, Inserm/INRAE/Cnam/Université Sorbonne Paris Nord), qui, grâce à l’engagement et à la fidélité de plus de 170 000 Nutrinautes, fait avancer la recherche sur les liens entre la nutrition (alimentation, activité physique, état nutritionnel) et la santé. Lancée en 2009, l’étude a déjà donné lieu à plus de 250 publications scientifiques internationales. Un appel au recrutement de nouveaux Nutrinautes est toujours lancé afin de continuer à faire avancer la recherche sur les relations entre la nutrition et la santé.

En consacrant quelques minutes par mois à répondre, via Internet, sur la plateforme sécurisée etude-nutrinet-sante.fr aux différents questionnaires relatifs à l’alimentation, à l’activité physique et à la santé, les participants contribuent à faire progresser les connaissances sur les relations entre l’alimentation et la santé.

 

[1] Debras C, Chazelas E, Srour B, Druesne-Pecollo N, Esseddik Y, Szabo de Edelenyi F, et al. (2022) Artificial sweeteners and cancer risk: Results from the NutriNet-Santé population-based cohort study. PLoS Med 19(3): e1003950. https://doi.org/10.1371/journal.pmed.1003950

[2] Maladies qui touchent les artères ayant pour fonction d’alimenter le cœur en sang (artères coronaires).

[3] Les maladies cérébrovasculaires sont causées par des lésions cérébrales survenues suite à une circulation sanguine insuffisante ou à une hémorragie cérébrale.

L’influence du genre dans la participation aux programmes de dépistage cardio-vasculaire

 

Cœur © Fotalia

L’équipe du service de cardiologie de l’hôpital européen Georges-Pompidou AP-HP, de l’Inserm et d’Université Paris Cité, coordonnée par le Pr Xavier Jouven a étudié la participation des femmes françaises aux programmes de prévention cardiovasculaire et l’impact de ce dépistage, chez les hommes comme chez les femmes. Les résultats de cette étude, dirigée par le Dr Bamba Gaye, ont été publiés le 1er juillet 2022 dans la revue eClinicalMedicine.

En France, le dépistage des facteurs de risque cardiovasculaire est recommandé par le biais de visites préventives annuelles de routine. Malgré le bénéfice démontré de ces contrôles annuels sur la santé, il existe un écart entre les sexes dans l’adhésion aux programmes de prévention en défaveur des femmes, en lien direct avec l’efficacité de ceux-ci. Le niveau socio-économique influe également sur l’incidence des maladies cardiovasculaires avec un risque plus élevé dans les classes les plus défavorisées.

Le premier objectif de cette étude était d’étudier la participation des femmes françaises aux programmes de prévention cardiovasculaire en évaluant l’état de santé cardiovasculaire de ces participantes, leur niveau socio-économique, leur état psychologique, le taux de participation selon l’âge et enfin, l’évolution temporelle de cette participation en fonction des années.

Le deuxième objectif de cette étude était d’évaluer l’impact du dépistage en terme de mortalité en comparant les taux de mortalité par sexe et par rapport à la population non dépistée.

L’équipe de recherche a mené des études transversales répétées incluant un total de 366 270 personnes ayant eu un premier examen au Centre d’Investigations Préventives et Cliniques (CIP), en France, entre janvier 1992 et décembre 2011.

Sur les 366 270 personnes ayant participé aux visites médicales préventives de 1992 à 2011,37,8 % étaient des femmes. Parmi les participants âgés de 24 à 60 ans, la proportion de femmes examinées ne représentait que 33,9 %. L’équipe de recherche a observé une baisse du taux de participation des femmes à partir de l’âge de 24 ans qui atteint son taux le plus bas entre 30 et 50 ans.

Les femmes présentant un syndrome dépressif montraient une plus forte adhésion au programme de dépistage ainsi que les femmes avec un statut socio-économique bas.

Les chercheurs ont également constaté que par rapport aux hommes, les femmes participant au dépistage étaient moins susceptibles d’être fumeuses. Elles avaient des niveaux d’activité physique plus faibles, une meilleure glycémie à jeun et un meilleur taux de cholestérol total. Leur tension artérielle était mieux équilibrée.

Les chercheurs ont également étudié le pourcentage de femmes avec et sans enfant par tranche d’âge participant aux visites CIP. Parmi les femmes âgées de 30 à 39 ans (âge moyen de la grossesse en France) ayant participé aux consultations CIP, 60,1 % ont déclaré avoir des enfants. Ce pourcentage passe à 81,1 % et 85,0 % dans la tranche d’âge des 40 à 49 ans et des 50 à 59 ans, une proportion similaire à la population générale.

La réduction de mortalité liée associée aux dépistages est moindre chez les femmes âgées de 18 à 49 ans. Après 50 ans, les ratios standardisés de mortalité (SMR) ne différaient plus significativement selon le sexe.

En conclusion, cette étude suggère une plus faible participation des femmes aux visites médicales dans les centres de prévention. La participation dépendait fortement de l’âge et était minimale entre 30 et 50 ans.

De plus, même si les taux de mortalité globaux parmi les participantes au programme de dépistage étaient inférieurs à ceux de la population générale, un bénéfice moindre du dépistage cardiovasculaire en terme de mortalité chez les femmes en âge de procréer a été observé, en comparaison avec les hommes.

Les différences de comportements entre les hommes et les femmes concernant les soins cardiovasculaires sont un mécanisme majeur de l’écart entre les sexes dans les maladies cardiovasculaires.

La première hypothèse explicative pourrait être l’accès parallèle des femmes au dépistage par le biais de visites régulières en obstétrique/gynécologie pendant leurs années de fertilité, ce qui diminuerait leurs consultations pour dépistage cardiovasculaire. Cette hypothèse peut également être étayée par la plus faible participation des femmes de niveau socio-économique élevé qui, à contrario, participent plus aux dépistages du cancer du col de l’utérus.

De plus, bien que les maladies cardiovasculaires soient une cause majeure de mortalité chez les femmes, cette problématique est largement sous-estimée. Le risque de cancer, en particulier le cancer du sein ou du col de l’utérus, continue de dominer les interventions de santé et de prévention concernant les femmes

Enfin, la maternité et la question de la garde des enfants pourraient être une autre hypothèse explicative, en particulier chez les femmes en activité professionnelle.

L’élargissement du champ d’action des obstétriciens/gynécologues et le renforcement des partenariats entre spécialistes pourraient être les premiers éléments d’un plan d’action. En outre, le dépistage du risque cardiovasculaire, dans son application actuelle, ne semble pas pleinement adapté aux femmes, et en particulier aux jeunes femmes.

Des adaptations urgentes sont nécessaires pour réduire cet écart entre les sexes dans le dépistage cardiovasculaire en France.

L’incidence du syndrome du bébé secoué a doublé et la mortalité associée a décuplé en région parisienne pendant la pandémie de Covid-19

Le syndrome du bébé secoué (SBS) est la forme la plus grave de maltraitance et de négligence envers les enfants et la cause la plus fréquente de décès traumatique chez les nourrissons dans les pays à hauts revenus. © Adobestock.

Les équipes des services d’Anesthésie-réanimation, Neurochirurgie et Imagerie pédiatriques ainsi que l’équipe mobile de protection de l’enfance de l’hôpital Necker-Enfants malades AP-HP, et d’Université Paris Cité associées à une équipe de l’Inserm, coordonnées par le Dr Alina-Marilena Lãzãrescu, ont étudié les conséquences de la pandémie de Covid-19 sur l’incidence et la gravité des cas de syndrome du bébé secoué (SBS) chez les nourrissons en région parisienne. Les résultats montrent que, après une période de stabilité en 2020, le syndrome du bébé secoué a vu son incidence doubler en 2021 et sa mortalité décupler par rapport à la période pré-pandémique (2017-2019). Les résultats de cette étude ont été publiés le 30 aout 2022 dans la revue JAMA Network Open.

Le syndrome du bébé secoué (SBS) est la forme la plus grave de maltraitance et de négligence envers les enfants et la cause la plus fréquente de décès traumatique chez les nourrissons dans les pays à hauts revenus. Les formes non létales du SBS sont associées à une morbidité sévère à long terme telle que des troubles neurodéveloppementaux (épilepsie, déficiences motrices et visuelles, troubles du langage, déficience intellectuelle et anomalies du comportement) entraînant un handicap à vie.

Des inquiétudes ont été exprimées très tôt par la communauté scientifique, médicale et sociale sur un risque « d’explosion » de l’incidence de la maltraitance et des négligences envers les enfants, notamment le SBS, secondaire à la pandémie de Covid -19 et aux mesures de confinement et d’atténuation prises pour réduire la propagation de la maladie. En effet, parmi les facteurs de risque de maltraitance connus, plusieurs ont vu leur prévalence augmenter durant cette période : détresse psychosociale, confinement dans de petits logements collectifs, fermetures d’écoles et de crèches et désorganisation des services sociaux.

Les équipes de recherche ont analysé l’évolution de l’incidence et de la gravité du SBS chez les nourrissons de la région Ile-de-France au cours des deux premières années de la pandémie de Covid-19 (la période 2020 – 2021) par rapport à la période pré-pandémique (la période 2017-2019).

Tous les cas consécutifs de SBS chez les nourrissons de moins de 12 mois adressés entre janvier 2017 et décembre 2021 à l’hôpital Necker-Enfants malades AP-HP, unique centre d’urgences neurochirurgicales pédiatriques de la région parisienne, ont été inclus, soit 99 nourrissons.

Le diagnostic de SBS a été porté par une équipe multidisciplinaire devant la présence d’un hématome sous-dural et à la suite d’une enquête médico-psychosociale complète, comme cela est recommandé dans la littérature.

Parmi les 99 nourrissons inclus dans l’étude et atteints de SBS, les signes de gravité des violences infligées étaient très fréquents : 87 % avaient une rupture des veines ponts, 75 % des hémorragies rétiniennes, 32 % des fractures, 26 % un état de mal épileptique, et 13 % sont décédés.

Par rapport à la période pré-pandémique (2017-2019), l’incidence de SBS est restée stable en 2020 puis a doublé en 2021 et sa mortalité a été multipliée par 9.

Incidence des SBS (syndrome du bébé secoué) chez les nourrissons de l’agglomération parisienne (N=99). Les barres grises représentent le nombre de cas par mois. La ligne rouge représente les valeurs ajustées de l’incidence des SBS (modèle de régression de Poisson ajusté sur la saisonnalité).

Pour les équipes de recherche, le fait que cette augmentation massive de SBS ne se soit pas produite pendant la première année de la pandémie où les mesures de confinement et d’atténuation étaient maximales, mais pendant sa deuxième année, pourrait s’expliquer par une accumulation de la détresse psychosociale.

D’autres hypothèses concernant le rôle d’une réduction des programmes de prévention et de détection précoce de la maltraitance et de la négligence envers les enfants durant la pandémie sont plus hasardeuses compte tenu de leurs effets potentiels à long terme.

Il serait intéressant par la suite d’étudier si l’augmentation a été hétérogène géographiquement au sein de la région parisienne et si elle est liée à des conditions de vie spécifiques.

Les températures élevées ont un impact à court terme sur toutes les grandes causes de décès, y compris les décès par suicide

Les résultats de cette étude s’appuient sur une base compilant les données de tous les décès survenus en France sur une période de 49 ans, recueillies par le CépiDc de l’Inserm. © Adobe Stock

La température est associée à la mortalité : la mortalité est accrue à court terme à la fois pour les températures les plus chaudes et pour les plus froides (relation dite « en U »). Des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, au sein de l’Institut pour l’avancée des biosciences (Inserm/Université Grenoble Alpes/CNRS) et du Centre épidémiologique des causes médicales de décès (CépiDc) de l’Inserm, ont cherché à déterminer dans quelle mesure cette relation entre température et mortalité varie en fonction de la cause médicale du décès, pour quelles causes de décès l’effet des températures chaudes est le plus important, et également s’il existe des signes d’adaptation aux températures extrêmes, question importante dans le contexte du changement climatique. Cette nouvelle étude, s’appuyant sur l’ensemble des décès survenus en France sur une période de 49 ans, confirme la relation en U (cf. graphique 1 ci-dessous) observée entre la température et la plupart des causes de décès considérées. Une exception est toutefois constatée pour la mortalité par suicide : celle-ci croît régulièrement à mesure que la température augmente, sans le risque accru aux températures froides observé pour les autres causes de décès. Par ailleurs, l’effet des températures extrêmes, chaudes comme froides, sur la mortalité toutes causes semble s’être légèrement atténué au cours de cette période, ce qui pourrait être le signe d’une meilleure adaptation de notre société. Les travaux font l’objet d’une publication dans l’American Journal of Epidemiology.

La recherche du lien à court terme entre la mortalité (toutes causes confondues) et la température a fait l’objet de précédentes publications scientifiques : un excès de mortalité est documenté, à la fois pendant les périodes les plus froides, mais aussi pendant les périodes les plus chaudes, ce qui correspond à une relation en U.

Pour la première fois, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm au sein de l’Institut pour l’avancée des biosciences à Grenoble ont pu étudier ce phénomène sur une période de près de 50 ans et classer les causes de décès selon leur sensibilité à la chaleur. Ils se sont appuyés sur le registre des causes médicales de décès de l’Inserm (CépiDc), qui dispose d’un recul permettant de remonter jusqu’à 1968. Au total, 24,4 millions de décès ont été enregistrés sur 49 ans, dont plus de 502 000 par suicide.

Les scientifiques ont croisé le nombre de décès survenant chaque jour dans chaque région avec les températures quotidiennes tout au long de la période d’observation. L’approche[1] ne concerne que les liens à court terme entre température et mortalité, et s’affranchit des tendances à long terme dans la mortalité ainsi que des variations géographiques dans la mortalité.

« Nous n’observons ici qu’une des toutes dernières étapes d’une longue et complexe chaîne causale multifactorielle menant au décès », explique Rémy Slama, responsable de l’étude et directeur de recherche à l’Inserm.

Graphique 1 : association température (abscisses)-risque relatif de mortalité (ordonnées) toutes causes de décès confondues sur la période 1968-2016 (relation en U).

Quand on considérait tous les décès simultanément, le taux de mortalité était minimal quand la température était proche de 20 °C, et croissait à la fois quand la température augmentait au-delà de 20 °C ou diminuait en dessous de 20 °C. Parmi les 22 causes de décès considérées, presque toutes suivaient cette relation en U déjà décrite dans le passé (cf. graphique ci-dessus).

La mortalité par suicide constituait une exception notable, avec une augmentation régulière avec la température, depuis les températures les plus basses jusqu’aux plus élevées (cf. graphique ci-dessous). Parmi les 22 causes de décès considérées, le suicide se classait au septième rang en matière de sensibilité à la chaleur.

 

Graphique 2 : association température-mortalité des décès par suicide sur la période 1968-2016

 

En ce qui concerne plus spécifiquement le lien entre chaleur et suicide, l’association la plus forte a été trouvée avec la température le jour du décès (plutôt que celle des jours précédents), c’est-à-dire qu’il s’agit d’une association à très court terme.

Enfin, parmi les 10 causes de décès les plus fortement liées à la chaleur, au total, quatre impliquaient le système nerveux (troubles mentaux et comportementaux, maladies du système nerveux, maladies cérébrovasculaires et suicide). Ceci suggère une grande sensibilité du système nerveux aux températures élevées.

« Pour creuser ces résultats, il serait intéressant d’étudier des paramètres biologiques qui permettraient de comprendre les mécanismes sous-jacents permettant d’expliquer ce lien entre température et suicide », précise Rémy Slama.

« Les hypothèses existantes incluent au moins deux pistes non exclusives : d’une part une modification des relations sociales quand les températures sont très élevées, qui pourrait influencer un passage à un acte suicidaire ; d’autre part, sur le plan biologique, une altération du fonctionnement des systèmes endocriniens et nerveux en cas de grande chaleur, qui pourrait augmenter le risque de suicide, poursuit-il. Des travaux indiquent notamment une tendance à la baisse des niveaux de l’hormone sérotonine quand la température est élevée. Or un niveau abaissé de sérotonine, neuromédiateur impliqué dans la régulation de l’humeur et de l’anxiété, pourrait être impliqué dans le passage à l’acte suicidaire », conclut le directeur de recherche.

 

Tendance à l’adaptation de la société française aux températures extrêmes

Le relativement long recul offert par les données du registre des causes de décès a aussi permis d’aborder la question de l’adaptation aux températures extrêmes. En découpant la période d’étude en trois, les scientifiques ont pu étudier si l’effet des températures variait entre ces périodes.

Les effets de la température pour la mortalité toutes causes confondues et de la mortalité par suicide se sont atténués entre les périodes 1968-1984 et 1985-2000 : pour une même température, le risque de décès était moins élevé durant la période 1985-2000 que durant la période 1968-1984. Ceci était observé à la fois pour l’effet des températures chaudes au-dessus de 20 °C, mais aussi pour les températures froides autour de 0 °C. Aucune nouvelle atténuation n’a toutefois été constatée au cours de la période 2001-2016 par rapport à la période précédente (1985-2000).

Ces résultats indiquent une tendance à l’adaptation de la société française aux températures extrêmes, chaudes mais aussi probablement froides, à la fin du 20e siècle.

« L’étude ne visait pas à expliquer les ressorts de cette adaptation, mais on peut faire l’hypothèse qu’elle est essentiellement sociétale, passant par l’amélioration de l’habitat ou du système de santé plutôt que par une évolution biologique, a priori très lente », explique Rémy Slama.

L’association à court terme entre la température et le risque de suicide pourrait être prise en compte dans les campagnes de prévention liées aux effets de la chaleur et au suicide. Elle pose aussi la question de l’impact à attendre du changement climatique sur la mortalité, qui dépend en particulier de la relation entre température et mortalité et de la capacité des sociétés à s’adapter aux températures extrêmes.

 

[1] Une analyse dite de « séries temporelles ».

Si vous avez des pensées suicidaires, appelez le 3114. Le numéro national de prévention du suicide est ouvert 24/7. Gratuit et confidentiel, des professionnels sont à votre écoute. 

Étude transversale de l’intérêt de la télésurveillance des rythmes circadiens pour la santé des travailleurs de nuit

Des altérations importantes des horloges biologiques chez les personnels hospitaliers travaillant de nuit ont été relevées grâce à un dispositif innovant de télémédecine. © Jeanne Rouillard on Unsplash

Les équipes du service d’oncologie médicale de l’hôpital Paul Brousse AP-HP, de l’Inserm,  de l’Université Paris-Saclay, et de l’Universite de Warwick (Grande-Bretagne) coordonnées par le Pr Francis Lévi, ont étudié les effets du travail de nuit, à l’aide d’un capteur thoracique innovant. Les résultats de cette étude ont été publiées le 27 juin 2022 dans la revue eBioMedicine.

Le travail de nuit concerne 15 à 30% des travailleurs en Europe. Il est associé à une augmentation significative du risque de cancer chez les femmes pré-ménopausées (risque relatif de 1,36), selon une revue de la littérature scientifique internationale de référence1.

Deux rapports exhaustifs de l’Agence Internationale de Recherche sur le Cancer vont dans le même sens (20102 et 20203) ; un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES, 20164) montre aussi une augmentation du risque de maladies cardiovasculaires.

L’objectif de cette nouvelle étude était de trouver des indicateurs précoces permettant d’identifier les personnes les plus à risque afin de leur proposer des interventions préventives personnalisées. 

L’équipe de recherche a mesuré pendant une semaine les rythmes circadiens5 de l’activité-repos et de la température corporelle de 140 infirmières ou aides-soignantes volontaires de l’hôpital Paul-Brousse AP-HP, à l’aide d’un capteur thoracique connecté à une plateforme de santé digitale.

Des altérations importantes des horloges biologiques6 chez les personnels hospitaliers travaillant de nuit ont été relevées grâce à ce dispositif innovant de télémédecine, en comparaison de ceux travaillant de jour. Ces altérations persistent pendant les jours de repos chez près de 20% des personnels de nuit, et s’aggravent avec l’augmentation du nombre d’années de travail de nuit.

Ces perturbations des horloges biologiques pourraient constituer un signal précoce, annonciateur d’une augmentation de risque de cancer ou d’autres maladies chez les travailleurs de nuit.

Les résultats montrent que la télémédecine des rythmes circadiens permet une évaluation précise de plusieurs indicateurs de santé, intégrant le rythme circadien, l’activité physique, et la qualité du sommeil.

Le télé-monitoring des rythmes circadiens pourrait ainsi constituer un nouveau moyen automatisé de surveillance de la santé des travailleurs de nuit à l’échelle individuelle, et contribuer à une médecine de prévention personnalisée pour cette population.

 

[1] Cordina-Duverger E, Menegaux F, Popa A, Rabstein S, Harth V, Pesch B, et al. Night shift work and breast cancer: a pooled analysis of population-based case–control studies with complete work history. Eur J Epidemiol. 2018;33(4):369–79.

[2] https://publications.iarc.fr/116

[3] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33656825/ 

[4] https://www.anses.fr/fr/content/l%E2%80%99anses-confirme-les-risques-pour-la-sant%C3%A9-li%C3%A9s-au-travail-de-nuit

[5] Les rythmes circadiens désignent les fonctions cycliques de l’organisme déterminées par notre horloge biologique interne

[6] ensemble de 15 gènes dits de horloge circadienne, qui régulent le métabolisme et la prolifération des cellules ainsi que les périodes de veille et de sommeil au cours des 24 heures.

Même à faibles doses, l’exposition au perturbateur endocrinien DEHP altère le développement des dents

Coupe sagittale d’une incisive de souris exposée au DEHP

Coupe sagittale d’une incisive de souris exposée au DEHP montrant un retard de minéralisation de l’émail en formation, couche brune située entre la matrice protéique en rose et la dentine en vert. © Sylvie Babajko/Inserm

Certains perturbateurs endocriniens ont déjà été associés à une altération de la qualité de l’émail des dents. Après avoir montré les effets délétères du bisphénol A sur le développement des dents, une équipe de chercheurs et chercheuses de l’Inserm, d’Université Paris Cité et de Sorbonne Université, au sein du Centre de Recherche des Cordeliers à Paris, en collaboration avec le CNRS[1], s’est désormais penchée sur les effets du DEHP, un perturbateur endocrinien de la famille des phtalates, sur le développement dentaire. L’utilisation du DEHP est fortement réglementée mais il est encore retrouvé dans les contenants alimentaires et certains dispositifs médicaux tels que les équipements des unités de soins intensifs en néonatologie. Les scientifiques ont montré que les dents de souris exposées quotidiennement à de faibles doses de cette substance présentent des défauts dont l’intensité et la prévalence dépend de la dose d’exposition et du sexe de l’animal, les mâles étant plus susceptibles de développer des altérations dentaires que les femelles. Cette découverte confirme l’intérêt d’envisager les défauts de l’émail dentaire comme marqueur précoce d’exposition à des toxiques environnementaux. Cette étude fait l’objet d’une publication dans la revue Environmental Health Perspectives.

Les changements environnementaux considérables des dernières décennies ont un impact sur la santé et le bien-être des populations ainsi que sur tous les organismes vivants. Trouver des marqueurs d’exposition aux substances toxiques présentes dans l’environnement est donc un enjeu de taille pour la recherche.

La littérature scientifique suggère que l’émail dentaire pourrait figurer parmi ces marqueurs.

En effet, l’analyse de l’émail permet par exemple une évaluation rétrospective des conditions environnementales : soit en identifiant la présence de polluants piégés dans le minéral, soit en distinguant des défauts de l’émail liés à des altérations de l’activité cellulaire survenues au cours de sa formation.

L’exposition à des perturbateurs endocriniens comme le bisphénol A a déjà été associée à une pathologie de l’émail, appelée hypominéralisation des molaires et incisives (MIH), et retrouvée chez environ 15 % des enfants de 6 à 8 ans. D’autres substances font l’objet de surveillance. C’est le cas du DEHP, un perturbateur endocrinien qui, malgré les réglementations et les interdictions, peut encore être présent dans de nombreux dispositifs médicaux et notamment les équipements dans les unités de soins intensifs en néonatalogie[2].

Le DEHP appartient à la famille des phtalates, des composés chimiques couramment utilisés comme assouplissant des matières plastiques. Les phtalates peuvent être retrouvés dans les contenants alimentaires, les biens de consommation, les jouets, les cosmétiques et les dispositifs médicaux.

Le 23 novembre 2021[3], la Commission européenne a publié le Règlement n° 2021/2045 modifiant l’annexe XIV en ajoutant des propriétés de perturbation endocrinienne au DEHP, au BBP, au DBP et au DIBP. Suite à ces modifications, certains usages précédemment exemptés doivent faire l’objet d’une autorisation, dont « les dispositifs médicaux et les matériaux en contact avec les aliments comportant du DEHP ».

Compte tenu de la présence répandue du DEHP, de la contamination potentielle par le DEHP des enfants (dont la formation des dents est en cours) et des données antérieures sur les effets de certains perturbateurs endocriniens sur l’émail, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, de l’Université Paris Cité et de Sorbonne Université, au sein du Centre de Recherche des Cordeliers, en collaboration avec le CNRS, ont voulu explorer les effets potentiels du DEHP.

Dans cette étude menée chez la souris, les scientifiques ont observé les effets d’une exposition journalière au DEHP, à faibles doses et à doses plus élevées. Ces doses étaient équivalentes à celles qu’on peut retrouver dans le cadre d’une exposition environnementale :

  • 5 microgrammes/kilo/jour : niveau d’exposition quotidienne estimée d’un enfant au DEHP ;
  • 50 microgrammes/kilo/jour : niveau d’exposition chez les patients hospitalisés sous perfusion ou dialyse par exemple.

Après 12 semaines d’exposition, des défauts ont été repérés sur les incisives du rongeur, des dents qui ont la particularité d’être en croissance continue[4], et qui représentent le modèle expérimental idéal pour l’étude d’une denture en développement. Moins minéralisées et moins dures, les dents des souris exposées traduisaient une altération de la qualité de l’émail d’autant plus importante que le niveau d’exposition au DEHP était élevé.

Pour compléter ces données, les chercheurs et chercheuses ont ensuite observé aux niveaux cellulaire et moléculaire les effets de cette exposition au DEHP. Ils ont identifié un retard de minéralisation de l’émail associé à une altération de l’expression des gènes clés dans la formation de l’émail. Autre particularité de l’étude, les scientifiques ont comparé l’impact de l’exposition selon le sexe de l’animal et ont observé une susceptibilité plus importante chez les mâles.

Le DEHP a donc perturbé le développement de l’émail chez les souris en agissant directement sur les cellules dentaires avec une prévalence et une gravité plus élevées chez les mâles que chez les femelles.

Enfin, les scientifiques soulignent que les effets observés sur les dents en croissance de rongeurs exposés au DEHP ou au bisphénol A présentent des points communs (altération de la qualité de l’émail, susceptibilité plus importante des mâles) et des différences quant aux cellules ciblées et aux mécanismes moléculaires impliqués.

Ces données expérimentales devront être consolidées mais suggèrent que le DEHP, comme le bisphénol A, pourrait également contribuer aux pathologies hypominéralisantes de l’émail telles que la MIH.

« On sait que la période périnatale et les premières années de la vie après la naissance sont déterminantes pour le développement de l’enfant et la santé de l’adulte qu’il deviendra. L’émail dentaire pourrait être le reflet très précoce des conditions environnementales des individus à ce moment de la vie », explique Sylvie Babajko, directrice de recherche à l’Inserm et dernière auteure de l’étude.

Pour l’équipe de recherche, la prochaine étape est désormais de comprendre les effets de combinaisons de différentes classes de molécules – ou « effets cocktails » – sur la santé dentaire.

 

[1] Ont participé à ces résultats le Laboratoire de physiopathologie orale moléculaire (Centre de Recherche des Cordeliers/INSERM/Université Paris Cité/Sorbonne Université), le Laboratoire de recherche biomédicale en odontologie (BRIO, UPR2496/Université Paris Cité), l’Institut de chimie physique (ICP, CNRS/Université Paris-Saclay), le Laboratoire de mécanique Paris-Saclay (LMPS, CNRS/CentraleSupélec/ENS Paris-Saclay) et le Laboratoire de neuroscience Paris Seine de l’Institut de biologie Paris Seine (IBPS, CNRS/Inserm/Sorbonne Université).

[2] Malarvannan G, Onghena M, Verstraete S, et al. Phthalate and alternative plasticizers in indwelling medical devices in pediatric intensive care units. J Hazard Mater. 2019; doi:10.1016/j.jhazmat.2018.09.087

[3] https://substitution-phtalates.ineris.fr/fr/information-reglementaire

[4]  Les dents de ces animaux croissent de façon continue, tout au long de leur vie, contrairement aux dents de l’Homme.

En France, un adulte sur quatre serait concerné par une forme de déficience auditive

Cette étude sur la déficience auditive s’appuie sur les données de milliers de participants issus de la cohorte Constances. © Adobe Stock

La déficience auditive est un problème de santé publique qui touche des milliards de personnes, dans tous les pays. Toutefois, les données de prévalence (c’est-à-dire, schématiquement, leur fréquence dans la population), ainsi que celles décrivant le recours à des prothèses auditives, demeurent imprécises. Une nouvelle étude menée par une équipe de recherche de l’Inserm et d’Université Paris Cité au PARCC (Paris Cardiovascular Research Center, unité Inserm 970)[1], en collaboration avec l’AP-HP et l’hôpital Foch à Suresnes, montre pour la première fois qu’en France, 25 % des adultes sont touchés par une forme de déficience auditive. La déficience auditive invalidante, plus grave, concernerait 4 % des adultes. Cette prévalence varie avec l’âge et en fonction d’autres facteurs (niveau de vie, bruit au travail, pathologies cardiovasculaires…) qui sont décrits dans l’étude. Par ailleurs, les scientifiques indiquent que les appareils auditifs demeurent largement sous-utilisés, notamment chez les seniors. Ces résultats, qui s’appuient sur les données de milliers de participants issus de la cohorte Constances, sont publiés dans la revue JAMA Open Network.

Environ 1,5 milliard de personnes dans le monde sont concernées par une déficience auditive et les projections de l’OMS suggèrent que, d’ici 2050, elles seront 2,5 milliards. Il s’agit d’une problématique de santé publique majeure, d’autant que la déficience auditive est associée à une dégradation de la qualité de vie, à l’isolement social et à d’autres problèmes de santé tels que la dépression, le déclin cognitif ou encore la démence.

Cependant, il est encore difficile de prendre toute la mesure du problème et d’améliorer les mesures de prévention et le dépistage, car les données disponibles concernant la prévalence exacte de la déficience auditive, les caractéristiques des individus concernés et le recours à des prothèses auditives sont encore parcellaires.

Elles sont en effet le plus souvent dérivées d’études portant sur des petits échantillons de participants peu représentatifs, dont il est compliqué de tirer des généralités, et sur des données de surdité auto-rapportées et non mesurées.

Afin de disposer de données plus robustes permettant d’éclairer les politiques publiques, une équipe de recherche de l’Inserm, l’AP-HP, Université Paris Cité et l’hôpital Foch ont évalué la prévalence de la déficience auditive en France, en s’appuyant sur les données de 186 460 volontaires de la cohorte Constances, représentative de la population générale adulte, et chez qui la surdité a été mesurée à partir de tests auditifs.

 

La cohorte Constances

Constances est une grande cohorte épidémiologique française, constituée d’un échantillon représentatif de 220 000 adultes âgés de 18 à 75 ans à l’inclusion. Les participants sont invités à passer un examen de santé tous les quatre ans et à remplir un questionnaire tous les ans. Les données de ces volontaires sont appariées chaque année aux bases de données de l’Assurance maladie. Cette grande cohorte est soutenue par la Caisse nationale de l’assurance maladie et financée par le Programme d’investissement d’avenir.

Les données recueillies concernent la santé, les caractéristiques socioprofessionnelles, le recours aux soins, des paramètres biologiques, physiologiques, physiques et cognitifs et permettent d’en apprendre plus sur les déterminants de nombreuses maladies.

Pour en savoir plus : constances.fr

Ces volontaires, âgés de 18 à 75 ans, avaient remplis des questionnaires concernant leurs caractéristiques démographiques et socio-économiques, leur historique médical et celui de leurs proches, ainsi que leurs modes de vie. Ils avaient également passé un examen médical, entre 2012 et 2019, incluant un test d’audition.

Les auteurs de l’étude ont analysé l’ensemble de ces données et ont ainsi montré que 25 % des individus de l’échantillon étudié présentaient une déficience auditive. Par ailleurs, 4 % étaient concernés par une déficience auditive invalidante (voir encadré ci-dessous). De plus, ces travaux indiquent que le recours aux prothèses auditives est faible. Ainsi, seuls 37 % des patients touchés par une déficience auditive invalidante portaient un tel appareillage.

La déficience auditive

  • Le terme « déficiente auditive » est employé pour parler d’une personne qui n’est pas capable d’entendre aussi bien qu’une personne ayant une audition normale, le seuil étant de 20 décibels (dB) de perte dans la meilleure oreille.
  • Une « déficience auditive invalidante » désigne une perte auditive supérieure à 35 décibels (dB) dans la meilleure oreille.

Pour aller plus loin dans l’interprétation, les chercheurs ont ensuite tenté de définir les facteurs associés à la déficience auditive. Leurs analyses suggèrent que les personnes âgées, les hommes, les individus avec un indice de masse corporelle (IMC) élevé, la présence d’un diabète, des facteurs de risque cardiovasculaires, des antécédents de dépression ou le fait d’avoir été exposé à des nuisances sonores au travail présentaient les probabilités les plus élevées de souffrir d’une déficience auditive.

À l’inverse, le fait d’avoir un revenu ou un niveau d’éducation plus élevé, de vivre seul et d’habiter en zone urbaine était associé à des probabilités plus faibles de déficience auditive.

Le recours aux appareils auditifs était particulièrement faible chez les personnes âgées (alors qu’elles sont proportionnellement plus touchées par une déficience auditive invalidante), les hommes, les fumeurs et les personnes ayant un IMC élevé.

Mieux connaître la prévalence de la déficience auditive et le profil des personnes concernées représente un intérêt certain pour mieux cibler les patients qui présentent des risques, afin d’affiner les mesures de prévention, de les dépister et d’améliorer leur prise en charge.

 « C’est la première fois en France qu’une étude sur la prévalence de la déficience auditive et l’usage des appareils auditifs est menée sur un échantillon aussi large et aussi représentatif de la population française adulte. Cela permet de dresser un état des lieux fiable et d’apporter des clés aux décideurs publics alors que des solutions efficaces (comme les appareils auditifs ou encore les implants cochléaires) existent pour prendre en charge ce problème de santé majeur », soulignent Quentin Lisan et Jean-Philippe Empana, qui ont coordonné l’étude.

Alors que la France a récemment adopté une mesure permettant le remboursement des appareils auditifs par la Sécurité sociale (ce n’était pas encore le cas au moment où cette étude a été menée), il serait intéressant que les recherches à venir évaluent l’efficacité d’un tel dispositif pour encourager le recours aux appareils auditifs.

[1] Equipe 4 Epidémiologie Intégrative des maladies cardiovasculaires

Troubles du spectre de l’autisme : où en est la recherche ?

image de cerveau

Ces dernières années, les progrès des neurosciences et l’identification de facteurs de risque génétiques ou environnementaux ont permis de mieux appréhender les TSA. © Adobe Stock

Les trouble du spectre de l’autisme (TSA) résultent de particularités du neuro-développement. Ils apparaissent au cours de la petite enfance et persistent à l’âge adulte. Environ 700 000 personnes en France seraient concernées. Il n’existe à l’heure actuelle aucun traitement ciblant de façon spécifique l’autisme, pour améliorer les troubles du comportement ainsi que les altérations des interactions sociales associées. Les personnes peuvent toutefois avoir recours à des traitements pour d’éventuelles comorbidités comme les troubles du sommeil ou l’épilepsie. Dans les laboratoires de recherche, les efforts se poursuivent, non seulement pour identifier de nouvelles options thérapeutiques mais aussi pour améliorer le repérage précoce des TSA et leur prise en charge psychosociale tout au long de la vie.

L’autisme « typique », décrit par le pédopsychiatre Leo Kanner en 1943, est aujourd’hui intégré dans un ensemble plus vaste, celui des « troubles du spectre de l’autisme (TSA) ». Ce terme permet de rendre mieux compte de la diversité des situations. Ces troubles se caractérisent par :

  • des altérations des interactions sociales ;
  • des problèmes de communication (langage et communication non verbale) ;
  • des troubles du comportement : un répertoire d’intérêts et d’activités restreint et répétitif (stéréotypies : tendance à répéter les mêmes gestes, paroles ou comportements) ;
  • des réactions sensorielles inhabituelles.

En conséquence, certaines personnes présentent également des difficultés d’apprentissage. Les TSA peuvent également être associés à des comorbidités : troubles anxieux, problèmes de sommeil, déficits de la fonction motrice, épilepsie…

Au sein de cette grande diversité clinique, il est important de relever les « atouts » ou « talents » qui peuvent découler de ce développement cérébral atypique. Le développement de thérapeutiques doit donc cibler ce qui correspond aux plaintes des personnes tout en préservant leurs particularités.

Pour plus de détails lire le dossier de l’Inserm « Autisme » et celui de l’Université de Tours « En savoir plus sur l’autisme »

Ces dernières années, les progrès des neurosciences et l’identification de facteurs de risque génétiques ou environnementaux ont permis de mieux appréhender les TSA, mais leurs causes demeurent encore assez mal comprises. Dans ce contexte, la recherche thérapeutique avance difficilement.

On peut citer l’exemple de plusieurs essais cliniques récemment abandonnés, en raison de résultats jugés peu concluants – alors que les molécules étudiées avaient au départ généré beaucoup d’espoirs.

 

  • La première étude, un essai de phase III contrôlé et randomisé visait à tester l’efficacité d’une molécule appelée balovaptan sur les capacités de socialisation et de communication d’adultes atteints de TSA. Les résultats, publiés dans The Lancet Psychiatry montrent que le traitement n’a pas eu d’effet probant sur ces deux aspects.

 

  • Dans le deuxième cas, des enfants et des adolescents avaient reçu de l’ocytocine par voie intranasale. Dans l’étude publiée dans le New England Journal of Medicine, les résultats suggèrent que ce traitement n’a pas d’impact significatif sur les interactions sociales et le fonctionnement cognitif dans le groupe traité, par rapport au groupe contrôle qui recevait un placebo.

 

Dès lors, comment faire avancer la science et identifier de nouvelles molécules qui pourraient avoir des effets bénéfiques sur les TSA ? D’autres pistes thérapeutiques sont-elles à l’étude ? Au-delà des essais cliniques, quels sont aujourd’hui les enjeux prioritaires de la recherche dans ce domaine ?

 

  1. Les ions bromures, des résultats prometteurs

Une nouvelle étude, menée par des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS, de Inrae et de l’université de Tours, publiée très récemment dans le journal Neuropsychopharmacology, apporte des résultats prometteurs sur un médicament qui a beaucoup été utilisé dans le traitement de l’épilepsie : les ions bromures. Avec l’arrivée sur le marché de nouveaux médicaments pour les patients épileptiques, son usage a diminué, mais il s’agit encore d’un outil thérapeutique intéressant, notamment en cas d’épilepsie résistante aux traitements classiques.

L’épilepsie est une comorbidité fréquemment retrouvée chez les personnes atteintes de TSA : il est probable que certains facteurs de risque et processus physiopathologiques soient communs. Les scientifiques ont donc estimé qu’il pouvait être intéressant d’étudier plus particulièrement l’efficacité de ce traitement dans le contexte des TSA.

 

Inhibition et excitation des neurones

 Dans le cerveau, le maintien d’un équilibre entre les phénomènes d’excitation et d’inhibition dans les circuits neuronaux est essentiel à son bon fonctionnement tout au long de la vie. On sait aujourd’hui que les déséquilibres entre excitation et inhibition des neurones sont à l’origine de nombreux troubles, en particulier de l’épilepsie. De même, certaines formes de TSA ont été associées à un dysfonctionnement des connexions neuronales inhibitrices.

Dans le cas de l’épilepsie, les ions bromures contribuent à corriger ce déséquilibre en favorisant l’inhibition, ce qui permet d’éviter les crises. L’hypothèse des scientifiques était donc qu’un effet similaire pouvait être attendu dans les cas de TSA, avec un impact clinique visible sur les comportements sociaux et stéréotypés.

 

Trois modèles de souris

L’équipe a donc testé ce traitement dans trois modèles précliniques de TSA. À chaque fois, les ions bromures ont eu un effet bénéfique sur le phénotype autistique, restaurant le comportement social et diminuant les comportements stéréotypés des animaux. Les ions bromures ont également permis de réduire leur anxiété.

Les résultats sont d’autant plus prometteurs que les tests ont été menés sur trois modèles de souris qui présentaient différentes mutations génétiques responsables du phénotype autistique.

« Le fait que des effets bénéfiques soient observés dans trois modèles différents permet d’être un peu plus confiant quant à la capacité du traitement à être généralisable à plusieurs sous-groupes d’individus autistes lors de futurs essais cliniques », soulignent Jérôme Becker, chercheur Inserm et Julie Le Merrer, chercheuse CNRS, derniers auteurs de l’étude.

 

Essai clinique à venir ?

Le projet a reçu un soutien important d’Inserm Transfert et de la cellule de Valorisation c-VALO[1]. Cela a abouti au dépôt de deux brevets, le premier sur la base des effets des ions bromures dans les trois modèles murins étudiés par les chercheurs, complété par un deuxième portant sur l’intérêt de combiner ce traitement avec une molécule facilitatrice de l’activité d’un récepteur à la surface des neurones (le récepteur au glutamate mGlu4), pour obtenir une synergie d’effets.

Toujours sur la base de ces résultats prometteurs, la prochaine étape sera de mettre sur pied un essai clinique sur un petit effectif de patients adultes.

 

2. D’autres enjeux prioritaires pour la recherche

Néanmoins, la recherche thérapeutique n’est pas le seul défi à relever pour améliorer le quotidien et la qualité de vie des personnes atteintes de TSA.

 

Identification précoce et interventions individualisées

Une priorité est de continuer à raccourcir les délais entre l’apparition des premiers signes évocateurs d’une trajectoire atypique et la mise en place d’interventions ciblées.

On sait désormais que plus ces signes sont identifiés tôt, dès les premières années de la vie, mieux on est capable d’accompagner et de prendre en charge les enfants et leurs familles. Identifier ces enfants de manière ultra-précoce, en s’intéressant par exemple à leur motricité dès le plus jeune âge ou à leur histoire pré- et périnatale, est à l’heure actuelle un axe de recherche intéressant.

Par ailleurs, continuer à proposer des prises en charge individualisées, reposant sur des équipes multidisciplinaires et sur des interventions dites « comportementales et développementales » comme le programme Denver ou la Thérapie d’échange et de développement (TED) a également un intérêt majeur pour accompagner de manière bénéfique le développement des enfants.

Lire le Grand angle du magazine de l’Inserm n° 45 : Autisme, un trouble aux multiples facettes

 

Accompagner le vieillissement

 Autre défi de taille : la prise en charge des adultes autistes, dans un contexte plus général de vieillissement de la population.

Il existe aujourd’hui une absence de continuum de prise en charge tout au long de la vie. Cependant, depuis plusieurs années, de nombreux programmes de recherche se mettent en place un peu partout dans le monde pour comprendre comment les personnes autistes vieillissent, si elles sont plus à risque de troubles neurodégénératifs et quelles interventions contribuent à augmenter leur qualité de vie et à lutter contre leur isolement social.

On peut également citer l’importance des programmes de réhabilitation psychosociale dédiés aux adultes avec TSA et qui visent notamment à travailler leurs compétences cognitives et à accompagner leur insertion professionnelle et sociale.

L’accès à ces programmes et, de manière plus générale, à la prise en charge, demeure toutefois inégalitaire sur le territoire. Selon les chercheurs, cet enjeu devra être pris en compte aussi bien par les équipes de recherche que par les décideurs publics afin d’offrir les mêmes opportunités et le meilleur accompagnement à toutes les personnes atteintes de TSA, à tous les âges de la vie.

[1] C-VaLo est une expérimentation complémentaire aux SATT régionales qui existe depuis 2019. Il s’agit d’un nouveau dispositif d’investissement public pour accélérer et simplifier le transfert des résultats de la recherche académique. Les membres de C-VaLo sont l’université d’Orléans, l’INSA Centre Val de Loire, le CNRS, l’Inserm, l’INRAE, le BRGM, le CHU de Tours, le Conseil Régional Centre-Val de Loire et l’université de Tours.

Phagothérapie : un modèle pour prédire son efficacité face aux bactéries pathogènes

Photo (colorisée) de microscopie électronique à balayage d’une bactérie lysée par les phages (©L. Debarbieux, Institut Pasteur ; M. and C. Rohde, Helmholtz Centre for Infection Research).

L’antibiorésistance constitue aujourd’hui un défi majeur de santé publique, associé à une mortalité importante. Les bactériophages, ces virus « tueurs » de bactéries, pourraient constituer une solution afin de lutter contre les pathogènes résistants aux antibiotiques, mais leur développement clinique se heurte à plusieurs obstacles. Pour lever les freins, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, Université Sorbonne Paris Nord et Université Paris-Cité au sein du laboratoire IAME, en étroite collaboration avec des scientifiques de l’Institut Pasteur et de l’AP-HP, ont développé un modèle qui permet de mieux prédire l’efficacité de la phagothérapie. Il pourrait être utilisé pour mettre au point des essais cliniques plus robustes. Les résultats sont publiés dans la revue Cell Reports.

La découverte des antibiotiques a révolutionné l’histoire de la médecine au 20e siècle, permettant de lutter efficacement contre des bactéries pour lesquelles il n’y avait jusqu’alors pas de traitement. Cependant, l’antibiorésistance – phénomène durant lequel les bactéries deviennent résistantes aux antibiotiques suite à une utilisation massive et répétée de ces médicaments – est devenue un problème de santé publique majeur au cours des dernières décennies. On estime que ces bactéries résistantes sont responsables chaque année de 700 000 décès à travers le monde. Or, la découverte de nouveaux agents antibactériens stagne depuis plusieurs années.

Dans ce contexte, la phagothérapie a récemment suscité un regain d’intérêt. Cette approche thérapeutique se fonde sur l’utilisation de bactériophages qui ciblent et détruisent les bactéries pathogènes, mais sont incapables d’infecter l’être humain. Si le concept existe depuis longtemps, son développement clinique a été entravé par plusieurs limites.

Contrairement aux médicaments « classiques », les bactériophages sont des produits biologiques complexes, dont l’action dans l’organisme, la dose optimale ou la voie d’administration la plus efficace sont difficiles à étudier et à anticiper.

Afin de lever certains de ces obstacles, l’équipe de recherche menée par le chercheur Inserm Jérémie Guedj, en collaboration avec l’équipe de chercheurs de l’Institut Pasteur, dirigée par Laurent Debarbieux, a développé un nouveau modèle mathématique qui permet de mieux définir les interactions entre les bactériophages et la bactérie pathogène Escherichia coli chez l’animal et d’identifier les paramètres clés qui conditionnent l’efficacité de la phagothérapie.

Accompagner le développement clinique

Plusieurs données issues d’expériences in vitro et in vivo ont été utilisées pour construire ce modèle. Les chercheurs et chercheuses se sont notamment appuyés sur les paramètres d’infection des bactériophages déterminés au laboratoire (par exemple la durée du cycle infectieux des bactéries, le nombre de virus libérés quand une bactérie est détruite…) et sur des informations collectées lors d’expériences réalisées à l’aide d’un modèle d’infection pulmonaire chez la souris.

Une partie des animaux avait été infectée par une souche d’E. Coli bioluminescente (pour mieux la suivre dans l’organisme). Parmi eux, certains avaient été traités avec des bactériophages, selon différentes doses et voies d’administration. Les quantités de bactéries et de bactériophages ainsi mesurées au cours du temps ont permis d’alimenter le modèle mathématique et de tester quels étaient les paramètres les plus importants pour obtenir une phagothérapie efficace. 

En utilisant leur modèle, les scientifiques montrent que la voie d’administration est un paramètre important à prendre en compte pour améliorer la survie des animaux : plus celle-ci permet une arrivée rapide des bactériophages au contact des bactéries, plus elle est efficace. Dans le modèle animal, la phagothérapie par voie intraveineuse était ainsi moins performante que la voie intra-trachéale car le nombre de bactériophages atteignant les poumons était plus faible. Par contre, par voie intra-trachéale, le modèle suggère que la dose de médicament donnée conditionne peu l’efficacité de cette thérapie.

Autre point important : cette modélisation intègre des données portant sur la réponse immunitaire des animaux, dans le contexte de la phagothérapie. Le modèle confirme et étend le principe que les bactériophages agissent en synergie avec le système immunitaire des animaux infectés, permettant une élimination plus efficace des bactéries pathogènes.

« Dans cette étude, nous proposons une nouvelle approche pour rationaliser le développement clinique de la phagothérapie, qui connait encore à l’heure actuelle des limites. Notre modèle pourrait être réutilisé pour prédire l’efficacité de n’importe quel bactériophage contre la bactérie qu’il cible, dès lors qu’un nombre limité de données in vitro et in vivo sont disponibles sur son action. Au-delà de la phagothérapie, le modèle pourrait aussi être utilisé pour tester des thérapies anti-infectieuses fondées sur l’association entre bactériophages et antibiotiques », conclut Jérémie Guedj.

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