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La science agit pour l’égalité homme/femme

Dans un commentaire publié dans la revue Nature Human Behavior, Violetta Zujovic, chercheuse à l’Inserm et ses collègues du comité XX initative regroupés au sein de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (Inserm/CNRS/Sorbonne Université) à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP, expliquent comment une approche neuroscientifique permet de lutter plus efficacement contre les inégalités femmes/hommes. Grâce à leurs actions, les scientifiques ont fait passer de 25 à 44 % le nombre d’oratrices invitées dans les séminaires du centre de recherche en un an et demi et de 25 à 31% le nombre de femmes désormais chefs d’équipe. Leur démarche, basée sur les neurosciences, constitue aujourd’hui un levier majeur pour faire évoluer les mentalités et les comportements. La suite de leur travail consistera, entre autres, à avoir recours aux « nudges » (« coup de pouce » en anglais) une technique issue des neurosciences qui se propose d’influencer nos comportements dans notre propre intérêt, pour améliorer l’équité homme/femme. Un exemple à suivre.

Reconnue internationalement pour être un pays facilitateur pour la carrière des femmes, de part des infrastructures adaptées et des législations spécifiques, la France n’est cependant pas plus performante dans l’égalité des chances offertes aux femmes et aux hommes. Tel est le paradoxe que souligne le comité XX initiative regroupant une dizaine de scientifiques dans un commentaire publié dans Nature Human Behavior. Bien que l’ensemble de la communauté, y compris scientifique reconnaisse ces inégalités, pourquoi les comportements associés aux genres persistent-ils ? Le commentaire publié alerte sur l’impact de biais cognitifs, indépendants de notre volonté mais très enracinés dans notre mentalité. En effet, les préjugés et les stéréotypes inconscients ont une influence puissante sur presque tous nos choix.

Malgré les normes égalitaires et malgré la preuve que des équipes mixtes ont plus de réussite, les préjugés sociaux continuent de tirer les ficelles de manière implicite, créant par exemple des préjugés sexistes ou raciaux. La communauté neuroscientifique est à la pointe, non seulement de la sensibilisation à de tels biais inconscients, mais elle dispose également des outils nécessaires pour comprendre leurs origines cognitives et briser les stéréotypes de la société.

Le comité XX initiative de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), composé de chercheuses et chercheurs en neuroscience de l’Inserm, du CNRS et de Sorbonne Université propose une feuille de route en plusieurs étapes. Leurs recommandations mettent en avant une première étape indispensable : la prise de conscience de chacun de ses propres raccourcis implicites qui résultent de préjugés existants et de leur impact sur leur prise de décision.

Cette première étape a été mise en application grâce à la collecte exhaustive de chiffres montrant le ratio femme homme en fonction du niveau de responsabilités et de la fonction occupée. Les données internes de l’ICM, recueillies en avril 2017, ont montré que seulement 26 % des femmes occupaient un poste de direction ou de cogestion au sein de l’institut, qui est composé à 63 % de femmes. D’autres chiffres ont montré que seuls 25 % des conférencières et conférenciers invités aux séminaires scientifiques hebdomadaires étaient des femmes.

Le simple fait de montrer les résultats de cette enquête, a permis de déclencher un processus de remise en question collectif qui a abouti à une augmentation de 26 % à 31 % du nombre de femmes à la tête d’une équipe de recherche. L’ensemble de la communauté s’est également impliqué dans la volonté de mettre plus en avant les femmes scientifiques avec comme action concrète le passage du nombre de scientifiques féminines oratrices aux conférences de l’institut de 25 à 44 %.

« Grâce à l’impulsion collective de lutte contre l’inégalité de genre, une révision de nombreux formulaires institutionnels a également été menée afin de supprimer toute information liée à un genre spécifique » explique Violetta Zujovic, chercheuse à l’Inserm et coordinatrice de ce travail.

Dans ce contexte sociétal et économique, emprisonné dans des préjugés inconscients et des stéréotypes de genre, une des recommandations majeures proposée par les scientifiques est l’information et la formation des femmes et des hommes pour échapper à ces biais. Le comité organise un colloque sur les « biais de genre : science et pratiques » le 3 avril 2020, ouvert à tous, et des ateliers pratiques présentant des outils pour combattre ses propres préjugés et savoir évaluer ses propres valeurs et compétences.

L’impact de ce comité et de son approche neuroscientifique entamée il y a environ un an et demi, souligne l’importance d’associer des mesures concrètes aux politiques nationales. A cet effet, les neuroscientifiques planchent déjà sur le développement de « nudges » (« coupe de pouce » en anglais) qui permettraient, via des astuces, d’inciter à l’équité homme/femme plutôt que de contraindre. Dans leur ensemble, ces mesures devront permettent de connaître et reconnaître les préjugés inconscients liés au genre que nous perpétuons et transmettons et de lutter individuellement pour un changement culturel.

Par ailleurs, en mai 2019, l’Inserm s’est doté d’une mission parité-égalité professionnelle qui proposera le plus rapidement possible des actions concrètes permettant de faire progresser l’égalité professionnelle. Elles s’inscriront dans un plan pluriannuel et s’intègreront dans la stratégie de l’établissement.

L’hormonothérapie a un impact plus important que la chimiothérapie sur la qualité de vie des femmes

Cellules cancéreuses. Expression de la protéine PML en rouge et du gène ZNF703 en vert dans des cellules de la lignée de cancer du sein MCF7. ©Inserm/Ginestier, Christophe

Une analyse de la cohorte CANTO publiée aujourd’hui dans la revue Annals of Oncology vient bousculer les idées reçues sur l’impact que peuvent avoir l’hormonothérapie et la chimiothérapie sur la qualité de vie des femmes atteintes d’un cancer du sein. Contrairement à ce qui est communément admis, à deux ans du diagnostic, l’hormonothérapie, traitement extrêmement efficace contre le cancer du sein, a un impact plus long et plus délétère sur la qualité de vie notamment celle des femmes ménopausées ; les effets négatifs de la chimiothérapie étant plus transitoires. À l’heure où les recommandations internationales sont de prescrire une hormonothérapie pendant 5 à 10 ans, il est important de proposer une prise en charge aux femmes qui développent des symptômes sévères liés aux traitements antihormonaux et d’identifier celles qui pourraient bénéficier d’une désescalade thérapeutique.

Ces travaux ont été dirigés par le Dr Inès Vaz-Luis, oncologue spécialiste du cancer du sein et chercheur à Gustave Roussy au sein du laboratoire « Identification de nouvelles cibles thérapeutiques en cancérologie » (Inserm/Université Paris-Sud/Gustave Roussy).

« Cette analyse de la cohorte CANTO démontre pour la première fois que les traitements antihormonaux n’ont pas un impact plus faible que la chimiothérapie sur la qualité de vie des femmes. Bien au contraire, la détérioration de la qualité de vie, qui se déclare au diagnostic, persiste deux ans après alors que l’impact de la chimiothérapie est plus transitoire » détaille le Dr Vaz-Luis.

Dans cette étude, les chercheurs ont mesuré au moment du diagnostic, à un an puis à deux ans la qualité de vie de 4 262 patientes atteintes d’un cancer du sein localisé (stade I à III). Le traitement de ces patientes était composé de chirurgie et pour certaines de chimiothérapie et/ou de radiothérapie. Environ 75-80 % d’entre elles prenaient ensuite une hormonothérapie pendant au moins 5 ans. L’équipe de recherche a utilisé un outil qui évalue la qualité de vie générale des patients atteints de tout type de cancer (EORTC QLQ-C30) couplé à un outil de mesure plus spécifique de la qualité de vie dans le cadre du cancer du sein (QLQ-BR23).

Il est observé pour l’ensemble de la population étudiée une dégradation globale de la qualité de vie deux ans après le diagnostic. Cette détérioration est plus importante chez les patientes ayant reçu de l’hormonothérapie, surtout après la ménopause. A contrario, l’impact de la chimiothérapie est plus important sur la qualité de vie des femmes non-ménopausées, particulièrement sur la détérioration des fonctions cognitives. 

« Il est primordial à l’avenir que nous puissions prédire quelles femmes vont développer des symptômes sévères avec les traitements antihormonaux afin de pouvoir mieux les accompagner » ajoute le Dr Vaz-Luis. Alors qu’il a été prouvé que l’hormonothérapie apporte un réel bénéfice pour éviter les rechutes des cancers hormono-dépendants[1] − qui représentent 75 % de la totalité des cancers du sein − la dégradation de la qualité de vie peut aussi avoir un effet négatif sur l’observance des femmes au traitement. Il est donc important de leur proposer une prise en charge des symptômes les plus impactants, notamment ceux liées à la ménopause, les douleurs musculo-squelettiques, la dépression, la fatigue sévère, ou encore les dysfonctions cognitives, et d’y associer des soins de support comme l’exercice physique et les thérapies cognitivo-comportementales.

« À l’avenir, il sera aussi important de parvenir à identifier avant traitement les patientes à haut risque de rechute de celles à plus faible risque. Cela permettra d’éviter l’escalade des traitements antihormonaux » conclut le Dr Vaz-Luis qui rappelle que « l’hormonothérapie est extrêmement efficace contre le cancer du sein. Elle permet une réduction d’environ 50 % du risque de rechute. La description d’une mauvaise tolérance ne remet en aucun cas en cause l’excellent rapport bénéfice/risque de ce traitement ».

Promue par Unicancer et dirigée par le Pr Fabrice André, oncologue spécialisé dans le cancer du sein à Gustave Roussy, directeur de recherche Inserm et responsable du laboratoire « Identification de nouvelles cibles thérapeutiques en cancérologie » (Inserm/Université Paris-Sud/Gustave Roussy), la cohorte CANTO pour CANcer TOxicities est composée de 12 000 femmes atteintes d’un cancer du sein prises en charge dans 26 centres français. Elle a pour objectif de décrire les toxicités associées aux traitements, d’identifier les populations susceptibles de les développer et d’adapter les traitements en conséquence pour garantir une meilleure qualité de vie dans l’après-cancer.

Les travaux de cette étude ont été soutenus par l’Agence nationale de la recherche, l’association Susan G. Komen, la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer, Odyssea et la Fondation Gustave Roussy.

 

[1] J Clin Oncol. 2019 Feb 10;37(5):423-438 : https://doi.org/10.1200/JCO.18.01160https://doi.org/10.1200/JCO.18.01160

Lire les sons du langage : une aire du cerveau spécialisée dans la reconnaissance des graphèmes

Activation du cortex visuel, auditif et somatosensoriel. ©Inserm/CRICM – Plateau MEG/EEG – Inserm U975

Une étude conduite par une équipe de Sorbonne Université et du département de neurologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP, dirigée par le Pr Laurent Cohen à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (Sorbonne Université / CNRS / Inserm) a permis d’analyser les mécanismes de la lecture à l’œuvre chez les adultes. Les chercheurs ont identifié une région cérébrale du cortex visuel qui serait responsable de la reconnaissance des graphèmes, c’est-à-dire des lettres ou groupes de lettres transcrivant un son élémentaire de la langue parlée (phonèmes). Les résultats de cette étude et la métholodogie utilisée ont été publiés dans la revue PNAS.

Hormis les idéogrammes chinois, la quasi-totalité des systèmes de lecture ont pour principe d’écrire les sons composant les mots sous leur forme parlée. Comment fait-on donc en français pour écrire un son, par exemple le son « o » ? La réponse qui vient immédiatement à l’esprit est que ce sont les lettres qui jouent ce rôle. Ce n’est en réalité pas vraiment le cas. Prenons l’exemple du mot « chapeau », formé de quatre sons (ch + a + p + o), mais de sept lettres. En moyenne, les sons ne sont donc pas définis par une lettre, mais par plusieurs. Les linguistes utilisent le terme de graphème pour désigner l’écriture d’un son. Dans le mot « chapeau », il y a quatre sons correspondant à quatre graphèmes qui sont CH, A, P, et EAU. On constate donc que le système alphabétique repose entièrement sur ces graphèmes.

Dans une étude réalisée à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (Sorbonne Université / Inserm / CNRS) à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP, Florence Bouhali, doctorante dans l’équipe « PICNIC – Neuropsychologie et neuroimagerie fonctionnelle », a identifié une petite région du cortex précisément responsable de la reconnaissance des graphèmes et dont le rôle dans la lecture semble a priori essentiel (figure).

Cette région est située au sein d’une vaste étendue de cortex responsable de la reconnaissance des objets en général et qui occupe le dessous de toute la partie arrière du cerveau. Elle abrite de petites zones spécialisées, mobilisées notamment dans la reconnaissance des visages ou des lieux, mais aussi des graphèmes. La région « des graphèmes » se situe dans l’hémisphère gauche, où se trouve en général tout le système du langage. Cela permet, une fois les graphèmes reconnus, d’envoyer l’information rapidement aux régions du langage, qui vont les transformer en sons (figure).

Comment les chercheurs ont-ils procédé ?

Pendant que les participants inclus dans l’étude étaient allongés dans un appareil  d’IRM, des mots défilant les uns après les autres sur un écran leur étaient présentés. Ces mots étaient écrits de façon bicolore afin de mettre en valeur le découpage en graphèmes (CHAMPIGNON) ou au contraire, de le perturber (CHAMPIGNON). La région « des graphèmes » identifiée s’activait alors de façon différente selon les frontières de graphèmes définies par les couleurs.

Si l’expérience menée paraît simple, elle était en réalité plus complexe. En effet, l’importance des graphèmes n’est pas la même selon le genre de lecture : ils sont indispensables quand il s’agit de lire à haute voix un mot jamais vu (par exemple CHANDISSON), mais moins importants lorsque les participants devaient juste reconnaître en silence un mot familier (par exemple, CHAPEAU). Les chercheurs ont donc demandé aux participants tantôt de lire à haute voix, tantôt de simplement reconnaître en silence de vrais mots, mais aussi des mots inventés. La région identifiée répondait différemment à la manipulation des graphèmes selon le type de lecture.

En conduisant cette étude, l’équipe du Pr Laurent Cohen s’est penchée sur les mécanismes de la lecture chez des adultes. Or, la spécialisation du cortex visuel pour la reconnaissance des graphèmes n’existe pas à la naissance, et apparaît probablement pendant que les enfants apprennent à lire. Si elle n’a pas encore dévoilé tous ses mystères, la région des graphèmes reste un exemple frappant de la capacité du cerveau à se modifier et à s’adapter.

Assistance médicale à la procréation : la congélation embryonnaire associée à une augmentation du poids de naissance

Embryon humain© Inserm/Lassalle, Bruno

Des équipes du CHU de Montpellier et de l’Inserm publient dans la revue Scientific Reports une étude portant sur une différence de poids de plus de 250 grammes entre les enfants nés à la suite d’une congélation embryonnaire et ceux issus d’embryons « frais ». Cette étude internationale à l’initiative du Pr. Hamamah, coordonnateur du département Biologie de la reproduction au CHU de Montpellier et directeur de l’unité 1203 « Développement embryonnaire précoce humain et pluripotence » (Inserm/Université de Montpellier), a été possible grâce au travail conjoint du CHU de Montpellier, de l’Inserm, du CHU de Grenoble et de la clinique OVO de Montréal.

Lors du recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP), la cryoconservation embryonnaire et la nouvelle politique visant à n’utiliser qu’un seul embryon permettent de limiter la survenue de grossesses multiples. Le taux de succès de la congélation embryonnaire en fait une alternative encourageante dans l’utilisation a posteriori des embryons surnuméraires.

Le 16 septembre 2019, le journal Scientific Reports a publié des travaux comparant le poids de naissance des enfants issus de transfert d’un seul embryon congelé à celui de leurs aînés issus de transfert d’un seul embryon « frais ». Cette étude internationale (CHU de Montpellier, CHU de Grenoble et la clinique OVO de Montréal) est dirigée par Samir Hamamah, coordonnateur du département Biologie de la reproduction au CHU de Montpellier et directeur de l’unité 1203 « développement embryonnaire précoce humain et pluripotence » (Inserm/Université de Montpellier).

Il s’agit de la première étude observationnelle à comparer des données néonatales de grossesses simples (par opposition à multiples, comme les grossesses gémellaires) réalisées par transfert d’embryons uniques, frais pour la première grossesse, et congelés pour la seconde, issus d’un même prélèvement d’ovocytes (même cohorte ovocytaire). Elle montre que pour un même couple de parents, le poids de naissance du second enfant né par replacement d’embryon réchauffé est significativement plus élevé (environ 3,5 kg) que celui du premier enfant né après replacement d’embryon frais (environ 3,25 kg). Cette différence de plus de 250 grammes apparaît indépendante de la parité (nombre total d’accouchements antérieurs) des patientes.

Cette étude est également la seule étude, comparant des enfants issus de la même cohorte ovocytaire, à s’affranchir totalement des facteurs maternels (âge maternel à l’accouchement, rang de parité, sexe de l’enfant). En ajustant ces facteurs, l’étude met ainsi en évidence une différence de 271 g entre l’enfant né du transfert d’un embryon congelé et son aîné né du transfert d’un embryon frais.

Selon Samir Hamamah, « Une hypothèse que l’on peut avancer est celle de l’environnement intra-utérin : lors d’un transfert d’embryon congelé, l’environnement intra-utérin serait potentiellement plus favorable car non altéré par le protocole de stimulation ovarienne réalisé dans le cas du transfert d’embryon frais ».

L’étude relève cependant que le poids de naissance est aussi plus élevé après transfert d’embryon congelé que le poids de naissance moyen en France après grossesse spontanée. « D’autres facteurs restent donc à explorer pour comprendre comment la congélation impacte le poids de naissance », conclut Samir Hamamah

Ces travaux montrent que la congélation embryonnaire a un impact significatif sur le poids de naissance des enfants issus de l’AMP. « Cette découverte est particulièrement importante car il est aujourd’hui admis que le poids de naissance influence la santé du nouveau-né jusqu’à l’âge adulte », conclut Samir Hamamah.

Eczéma atopique : les allergènes jouent avec nos nerfs

Les mastocytes et les neurones sensitifs s’agglutinent en « grappe » sous la peau. ©Nicolas Gaudenzio

La dermatite atopique, ou eczéma atopique, touche principalement les nourrissons et les enfants qui présentent alors une hypersensibilité aux allergènes de l’environnement. Maladie cutanée évoluant par poussées, elle est souvent traitée avec des anti-inflammatoires locaux. Une nouvelle étude dirigée par le chercheur Inserm Nicolas Gaudenzio, de l’Unité différenciation épithéliale et autoimmunité (UDEAR – Inserm / UT3 Paul Sabatier), en collaboration avec ses collègues de l’Université de Stanford (États-Unis) montre que les cellules immunitaires et les neurones sensitifs interagissent dans la peau pour former des unités capables de détecter les allergènes et de déclencher l’inflammation. Une découverte qui permet de mieux comprendre le fonctionnement de la dermatite atopique et d’envisager de nouvelles pistes thérapeutiques. Les résultats sont désormais publiés dans la revue Nature Immunology.

Peau sèche, douleur, démangeaisons… La dermatite atopique affecte le quotidien de près de 20 % des enfants, et jusqu’à 5 % des adultes. La qualité de vie de ces patients peut en être très dégradée.

Plusieurs travaux ont démontré que des facteurs génétiques sont impliqués dans le développement de cette maladie chronique inflammatoire de la peau, et qu’ils sont probablement à l’origine d’une altération de la barrière cutanée. Les allergènes présents dans l’environnement, des poussières au pollen en passant par les acariens, peuvent alors pénétrer dans le derme et stimuler le système immunitaire, qui réagit anormalement à cette « menace » en déclenchant l’eczéma.

Néanmoins, les mécanismes de l’hypersensibilité aux allergènes et de l’hyperactivité du système immunitaire chez les patients souffrant de dermatite atopique ne sont pas encore tous bien connus. Menée par le chercheur Inserm Nicolas Gaudenzio, la jeune équipe « IMMCEPTION » étudie la manière dont le système immunitaire interagit avec les neurones sensitifs pour réguler les processus inflammatoires dans la dermatite atopique.

Les chercheurs s’appuient notamment sur des données cliniques déjà disponibles qui soulignent que le sang des patients atteints de cette pathologie contient de nombreux neuropeptides, messagers chimiques porteurs des messages nerveux, et dont la quantité est corrélée avec la sévérité de la maladie. Que ces neuropeptides soient identifiés dans le sang indique que les neurones sensitifs sont activés. Par ailleurs, une quantité d’enzymes reflétant la présence de mastocytes est aussi retrouvée dans le sang de ces patients, les mastocytes étant des cellules immunitaires présentes dans la peau et essentielles à la modulation des processus inflammatoires et allergiques.

Partant de ces constats, Nicolas Gaudenzio et son équipe ont décidé de s’intéresser à l’interaction entre neurones sensitifs et mastocytes, et publient à présent leurs résultats dans le journal scientifique Nature Immunology.

Les scientifiques ont travaillé avec des modèles animaux de dermatite atopique. Sous la peau de souris présentant des signes de réactions inflammatoires, ils ont observé que les mastocytes et les neurones sensitifs s’agglutinaient, se regroupant en « unités neuro-immunes sensorielles », dont la forme n’est pas sans rappeler celle d’une grappe de raisin. « Les mastocytes et les neurones se collent les uns aux autres au niveau du derme. On ne sait pas encore quelles sont les interactions moléculaires qui les lient les uns aux autres, mais on a quantifié les distances entre eux, et elles sont minimes », souligne Nicolas Gaudenzio.

Les chercheurs ont ensuite montré que lorsque les souris sont exposées à des acariens, ces « unités neuro-immunes sensorielles » sont capables de détecter la présence de ces allergènes, ce qui déclenche une inflammation allergique.

A plus long terme, une telle découverte pourrait avoir des implications thérapeutiques concrètes.  « Jusqu’à maintenant, les patients peuvent être soignés avec des traitements biologiques (biothérapies) mais ceux-ci traitent certainement la pathologie plus en aval, une fois que les poussées se sont déclarées. Nous pensons que nous avons mis le doigt sur un mécanisme déclencheur et nous voulons à présent poursuivre les recherches pour identifier de nouvelles molécules qui pourraient bloquer les interactions entre les mastocytes et les neurones sensitifs, et donc avoir une action thérapeutique bénéfique pour les patients », explique le chercheur.

Pour y parvenir, l’équipe devra d’abord caractériser plus précisément les interactions moléculaires au sein de ces unités, et analyser le rôle qu’elles jouent dans la modulation du système immunitaire. 

« Une des questions à laquelle on va maintenant tenter de répondre, c’est à quoi servent ces unités mastocytes-neurones sensitifs. Elles doivent constituer un mécanisme de défense de l’organisme, étant donné qu’elles se retrouvent aussi chez les individus sains. Mais peut-être leur fonctionnement est-il altéré chez ceux qui souffrent de dermatite atopique et c’est ce qu’on va chercher à comprendre », conclut Nicolas Gaudenzio.

Cette étude a été financée par le Conseil Européen pour la Recherche (ERC).

Dysenterie : Shigella, une bactérie qui s’adapte à toutes les respirations

Imagerie montrant la déplétion de l'oxygène au sein de la muqueuse intestinale par Shigella (vert), induisant une hypoxie (rouge) au sein des foyers infectieux inflammatoires (neutrophiles: marqués à l'aide du Myelotracker, bleu).

Déplétion de l’oxygène au sein de la muqueuse intestinale par Shigella (vert), induisant une hypoxie (rouge) au sein des foyers infectieux inflammatoires (neutrophiles: marqués à l’aide du Myelotracker, bleu). ©Benoit Marteyn/ Inserm/ Institut Pasteur

La dysenterie bacillaire causée par la bactérie intestinale Shigella est un problème sanitaire majeur dans les régions tropicales et les pays en développement. Ses complications sont à l’origine de plusieurs centaines de milliers de morts par an, principalement des enfants en bas âge. Des chercheurs de l’Inserm et de l’Institut Pasteur se sont intéressés aux mécanismes de la virulence de Shigella. Ils ont observé que cette dernière était capable non seulement de consommer l’oxygène des tissus du côlon pour se développer et créer des foyers infectieux, mais également d’adapter son mode de respiration pour continuer de se développer une fois l’oxygène épuisé dans ces foyers. Ces résultats parus dans Nature microbiology ouvrent de nouvelles perspectives pour la mise au point d’antibiotiques ou de vaccins contre cette bactérie classée par l’OMS dans les 12 pathogènes prioritaires. 

Shigella est une entérobactérie (bactérie du tube digestif) pathogène responsable de la dysenterie bacillaire ou shigellose. Elle se transmet par voie féco-orale, par exemple via des aliments ou de l’eau souillés par des matières fécales. Elle sévit par conséquent essentiellement dans les régions tropicales, et en particulier dans les pays en développement où le manque d’hygiène et d’infrastructures sanitaires favorise les flambées épidémiques. Après ingestion, Shigella envahit les cellules de la paroi intestinale puis de la muqueuse du côlon, entraînant une inflammation importante associée à une sévère destruction des tissus. Apparaissent alors des symptômes tels que douleurs abdominales, vomissements, diarrhées glairo-sanglantes et fièvre.

En l’absence de vaccin commercialisé (l’infection est actuellement traitée avec des antibiotiques), la shigellose demeure un problème de santé publique majeur provoquant 700 000 morts par an dans le monde − principalement des enfants de moins de 5 ans − suite aux complications aiguës.

L’apparition de nouvelles souches de Shigella multirésistantes aux antibiotiques a justifié son classement par l’OMS parmi les 12 « pathogènes prioritaires » pour lesquels de nouveaux traitements (vaccins ou antibiotiques) doivent être rapidement trouvés.

Dans cet objectif, une équipe dirigée par Benoit Marteyn, chercheur Inserm au sein de l’unité 1202 « Pathogénie microbienne moléculaire » (Institut Pasteur/Inserm) a cherché à mieux comprendre le mécanisme utilisé par Shigella pour infecter les tissus en y modulant les niveaux d’oxygène. Les chercheurs ont utilisé pour ce faire des méthodes d’analyse d’images innovantes développées à l’Imagopole de l’Institut Pasteur, qui permettent d’étudier individuellement chaque cellule (single-cell analysis) et d’observer les variations des taux d’oxygène O2 au sein des tissus intestinaux autour des bactéries isolées et dans les foyers infectieux où les bactéries sont nombreuses. 

L’équipe de recherche a ainsi pu observer que les taux d’oxygène au niveau des foyers infectieux de Shigella étaient anormalement bas (on parle alors d’hypoxie). La consommation d’O2 était d’autant plus importante que la population bactérienne était dense. Cette hypoxie ne se retrouvait en revanche pas au niveau des bactéries isolées à l’écart des foyers infectieux.

Shigella est une bactérie dite « anaérobie facultative », c’est-à-dire que si elle privilégie la respiration aérobie (qui utilise l’O2 comme carburant), elle est aussi capable de changer de mode de respiration quand l’oxygène vient à manquer, en utilisant une respiration dite « anaérobie », qui ne nécessite pas de O2. Cette particularité lui permet de continuer de se développer dans des foyers hypoxiques voire anoxiques (privés d’O2) lorsqu’elle a consommé tout l’oxygène des tissus.

Les chercheurs ont ainsi montré que la respiration aérobie de Shigella et sa capacité à moduler l’oxygénation des tissus infectés permettait la formation de foyers infectieux hypoxiques au sein de la muqueuse intestinale, ce qui constitue la première étape dans sa stratégie de colonisation avec plus de 99 % de la population bactérienne évoluant dans ces foyers. Lorsque ces derniers sont épuisés en oxygène, l’adaptabilité de la bactérie aux milieux pauvres en O2 lui offre un avantage crucial qui explique sa virulence et celle des autres entérobactéries anaérobies facultatives.

 « Ces résultats revêtent un intérêt important pour la recherche de nouveaux antibiotiques ou de candidat-vaccins permettant de lutter contre les infections à Shigella. Leurs mécanismes d’action devront être confirmés en hypoxie voire en anoxie, reflétant les conditions physiopathologiques dans lesquelles Shigella évolue préférentiellement au sein de la muqueuse colique », conclut Benoit Marteyn.

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