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Musique ou langage ? Le cerveau divisé…

Le cerveau humain ne mobilise pas ses hémisphères de façon équivalente lorsqu’il s’agit de reconnaître une mélodie ou de comprendre une phrase à l’oral. Si ce concept est reconnu des scientifiques, jusqu’à présent, le phénomène n’était pas expliqué au niveau physiologique et neuronal. Une équipe de recherche codirigée par le chercheur Inserm Benjamin Morillon à l’Institut de neurosciences des systèmes (Inserm/Aix-Marseille Université), en collaboration avec des chercheurs de l’Institut-Hôpital neurologique de Montréal de l’Université McGill, est parvenue à montrer que, grâce à des réceptivités différentes aux composantes du son, les neurones du cortex auditif gauche participeraient à la reconnaissance du langage, tandis que les neurones du cortex auditif droit participeraient à celle de la musique. Ces résultats à paraître dans Science suggèrent que la spécialisation de chaque hémisphère cérébral pour la musique ou le langage permettrait au système nerveux d’optimiser le traitement des signaux sonores à des fins de communication.

Le son est issu d’un ensemble complexe de vibrations de l’air qui, lorsqu’elles arrivent dans l’oreille interne au niveau de la cochlée, y sont discriminées en fonction de leur vitesse : à chaque instant, les vibrations lentes sont traduites en sons graves et les vibrations rapides en sons aigus. Cela permet de représenter le son selon deux dimensions : la dimension spectrale (fréquence) et la dimension temporelle (temps).

Ces deux dimensions auditives sont fondamentales car c’est leur combinaison en simultané qui stimule les neurones du cortex auditif. Ces derniers permettraient notamment de discriminer les sons pertinents pour l’individu, tels que les sons utilisés pour la communication qui permettent l’échange et la compréhension entre individus.

Le langage et la musique constituent chez l’humain les principales utilisations du son et les plus complexes au niveau cognitif. L’hémisphère gauche est principalement impliqué dans la reconnaissance du langage, tandis que l’hémisphère droit est principalement impliqué dans celle de la musique. Cependant, le fondement physiologique et neuronal de cette asymétrie était encore méconnu.

Une équipe de recherche codirigée par le chercheur Inserm Benjamin Morillon à l’Institut de neurosciences des systèmes (Inserm/Aix-Marseille Université), en collaboration avec des chercheurs de l’Institut-Hôpital neurologique de Montréal de l’Université McGill, a utilisé une approche innovante pour comprendre comment le langage et la musique sont décodés au sein de chaque hémisphère cérébral chez l’humain.

Les chercheurs ont enregistré 10 phrases chantées chacune par une soprane sur 10 airs mélodiques inédits composés pour l’occasion. Ces 100 enregistrements, dans lesquels mélodie et parole sont dissociées, ont ensuite été déformés en diminuant la quantité d’information présente dans chaque dimension du son. Il a été demandé à 49 participants d’écouter ces enregistrements déformés par paire, et de déterminer s’ils étaient identiques au niveau de la mélodie ou au niveau du texte. L’expérience a été menée en français et en anglais, afin d’observer si les résultats étaient reproductibles dans des langues différentes.

Une démonstration du test audio proposé aux participants est disponible (en anglais) sur le lien suivant :

 https://www.zlab.mcgill.ca/spectro_temporal_modulations/

L’équipe de recherche a constaté que, quelle que soit la langue, lorsque l’information temporelle était déformée les participants étaient capables de reconnaître la mélodie, mais avaient des difficultés à identifier le contenu du texte. À l’inverse, lorsque l’information spectrale était déformée, ils étaient capables de reconnaître le texte mais avaient du mal à reconnaître la mélodie.

L’observation par imagerie par résonance fonctionnelle (IRMf) de l’activité neuronale des participants a montré que, dans le cortex auditif gauche, l’activité variait en fonction de la phrase présentée mais restait relativement stable d’une mélodie à l’autre, tandis que dans le cortex auditif droit, l’activité variait en fonction de la mélodie présentée mais restait relativement stable d’une phrase à l’autre.

De plus, lorsque l’information temporelle était dégradée, seule l’activité neuronale du cortex auditif gauche était affectée, tandis que la dégradation de l’information spectrale affectait uniquement l’activité du cortex auditif droit. Enfin, les performances des participants dans la tâche de reconnaissance pouvaient être prédites seulement en observant l’activité neuronale de ces deux aires.

Extrait original de chant a capella (en bas à gauche) et son spectrogramme (au-dessus, en bleu) décomposé en fonction de la quantité d’informations spectrales et temporelles (au centre). Les cortex auditifs droit et gauche du cerveau (côté droit de la figure) décodent respectivement la mélodie et la parole.

« Ces résultats indiquent que dans chaque hémisphère cérébral, l’activité neuronale est dépendante du type d’information sonore, précise Benjamin Morillon. Si l’information temporelle est secondaire pour reconnaître une mélodie, elle est au contraire primordiale à la bonne reconnaissance du langage. Inversement, si l’information spectrale est secondaire pour reconnaître le langage, elle est primordiale pour reconnaître une mélodie. »

Les neurones du cortex auditif gauche seraient ainsi principalement réceptifs au langage grâce à leur meilleure capacité à traiter l’information temporelle, tandis que ceux du cortex auditif droit seraient, eux, réceptifs à la musique grâce à leur meilleure capacité à traiter l’information spectrale.  « La spécialisation hémisphérique pourrait être le moyen pour le système nerveux d’optimiser le traitement respectif des deux signaux sonores de communication que sont la parole et la musique », conclut Benjamin Morillon.

Ces travaux sont financés par une bourse Banting attribuée à Philippe Albouy, par des subventions des Instituts de recherche en santé du Canada et de l’Institut canadien de recherches avancées accordées à Robert J. Zatorre, et par des financements ANR-16-CONV-0002 (ILCB), ANR-11-LABX-0036 (BLRI) et de l’initiative d’excellence d’Aix-Marseille Université (A*MIDEX).”

Inauguration de l’Institut de l’Audition

 

Institut de l’Audition, Centre de l’Institut Pasteur © Institut Pasteur

LES MISSIONS ET OBJECTIFS DE L’INSTITUT DE L’AUDITION

A l’échelle mondiale et face à une espérance de vie allant croissant, le domaine de l’audition constitue un enjeu social et de santé publique de grande ampleur.
La prise en compte récente du problème a attiré l’attention sur le sort de près de 500 millions de malentendants à travers le monde, 1,1 milliard d’individus de 16 à 23 ans dits « à risque » en raison de la surexposition au bruit et de la prévision de 900 millions d’individus atteints de presbyacousie au milieu du XXIème siècle en raison du vieillissement de la population.

Consciente des difficultés que pose ce problème et afin d’aider les patients atteints de troubles auditifs, la Fondation Pour l’Audition a souhaité soutenir et accélérer le développement de la recherche et à cette fin ainsi initier avec l’Institut Pasteur la création de l’Institut de l’Audition.

L’Institut de l’Audition, Centre de l’Institut Pasteur, est un centre de recherche fondamentale et translationnelle, interdisciplinaire dont l’objectif est de promouvoir une approche intégrative des neurosciences de l’audition et de développer des méthodes innovantes de diagnostic et de traitement, préventif et curatif, des atteintes auditives.

L’Institut de l’Audition est affilié à l’Inserm au travers d’une unité mixte de recherche et comporte aussi des équipes du CNRS. Il a été créé sur l’initiative et avec le soutien de la Fondation Pour l’Audition.

La Fondation Pour l’Audition, créée par Françoise Bettencourt Meyers, Jean-Pierre Meyers et la Fondation Bettencourt Schueller, est reconnue d’utilité publique depuis 2015. Elle a pour ambition de fédérer des talents pour soutenir la recherche et l’innovation et aider les personnes sourdes et malentendantes à mieux vivre au quotidien.

L’Institut de l’Audition répond à 3 objectifs prioritaires

1. Conduire une recherche fondamentale d’excellence visant à élucider les principes du fonctionnement du système auditif, de la perception et de la cognition auditives, et de l’intégration multisensorielle pour comprendre la plasticité du système auditif et déchiffrer comment le génome et l’environnement sonore interagissent :

– le développement, le fonctionnement et la plasticité du système auditif ;
– la perception et la cognition auditives ;
– la communication sonore ;
– l’intégration multisensorielle ;
– les interactions entre génome et environnement sonore.

2. Développer des approches translationnelles visant :

– la compréhension de la pathogenèse des atteintes neurosensorielles de l’audition, qu’elles soient isolées ou intégrées dans des syndromes ou des maladies générales, maladies neurodégénératives en particulier ;
– le développement d’outils multiparamétriques du diagnostic des atteintes auditives périphériques et/ou centrales, en vue du développement d’une médecine de précision ;
– le développement de solutions thérapeutiques innovantes (thérapies géniques, pharmacologiques et bientôt thérapies cellulaires) chez l’enfant comme chez l’adulte jeune ou vieillissant. Ces approches s’étendront aux troubles de l’équilibre (dont l’organe sensoriel, le vestibule, très semblable à la cochlée, forme avec cette dernière, l’oreille interne) ;
– l’élaboration d’une rééducation auditive fondée sur les avancées de la connaissance scientifique fondamentale, en particulier la compréhension des mécanismes qui sous-tendent la plasticité du cortex auditif.

3. Diffuser les connaissances scientifiques et médicales
générées par l’Institut de l’Audition auprès de la communauté scientifique internationale et de tous les acteurs de la santé auditive, médecins, audioprothésistes, orthophonistes… L’Institut partage ces informations avec les malentendants et leurs associations, recueille leurs avis et s’applique à créer une vision partagée de tout développement thérapeutique.

Un projet original, fondé sur l’interdisciplinarité et le transfert de connaissances

L’originalité du projet repose sur les éléments suivants :

– L’interdisciplinarité de sa recherche fondamentale, de la biophysique aux neurosciences computationelles, du traitement des paramètres sonores à la perception et la cognition auditives ;
– L’étude du système auditif, de l’organe sensoriel aux centres cérébraux, dans une approche intégrative ;
– Les échanges permanents et bidirectionnels entre la recherche menée chez l’homme et chez l’animal ;
– Le Centre de Recherche et d’Innovation en Audiologie Humaine (CERIAH) qui développe des méthodes d’exploration auditives innovantes;
– Le continuum établi entre sa recherche fondamentale et sa recherche translationnelle ;
– Ses interactions avec les partenaires industriels ;
– Son ancrage européen et international ;
– Son engagement dans l’enseignement destiné aux scientifiques et professionnels de la santé auditive ;
– Son soutien apporté aux engagements sociétaux en faveur de la sensibilisation du public à l’importance de la qualité de l’environnement sonore.

Il s’agit d’un projet pionnier résolument tourné vers l’avenir qui fera converger chercheurs, ingénieurs médecins et aussi acteurs de l’innovation, industriels, associations et patients qui, ensemble, œuvreront pour améliorer l’environnement acoustique, la qualité de vie et la prise en charge des malentendants tout au long de leur vie.

Un campus « hors les murs » de l’Institut Pasteur, pour regrouper un ensemble d’équipes de l’Institut Pasteur, de l’Inserm et du CNRS

Ce sont 10 équipes de recherche mobilisant à terme 130 personnes qui seront réunies au sein de l’Institut de l’Audition dans un bâtiment situé au cœur de Paris, à proximité de l’Institut de la Vision, favorisant les avancées portant sur l’intégration multisensorielle et les atteintes conjointes de l’audition et de la vision, comme, par exemple, celles du syndrome de Usher.

L’Institut de l’Audition est une unité mixte de recherche entre l’Institut Pasteur et l’Inserm qui intègrera à la fois l’ensemble des équipes scientifiques de l’Institut Pasteur, de l’Inserm et du CNRS. Ces équipes de recherche issues de plusieurs institutions publiques de recherche seront rattachées au département des neurosciences de l’Institut Pasteur.

La Ville de Paris est également partenaire du projet. La municipalité a réalisé l’acquisition de l’immeuble et a contribué aux travaux d’aménagement du bâtiment. L’installation des équipes de recherche s’échelonnera tout au long du 1er semestre 2020. La Région île-de-France a annoncé son soutien pour l’achat d’équipement de pointe.

L’Institut de l’Audition comprendra un Centre de Recherche et d’Innovation en Audiologie Humaine (CERIAH) dirigé par Paul Avan, Professeur au département de biophysique de l’Université Clermont Auvergne, praticien hospitalier, responsable Innovation en Audiologie Humaine de l’Institut de l’Audition, Centre de l’Institut Pasteur et issu de l’équipe Inserm biophysique neurosensorielle (UMR 1107) dont il était responsable à l’Université Clermont Auvergne. Dans le prolongement de ses travaux et inventions antérieurs, il développera des méthodes diagnostiques innovantes.

Lire le dossier de presse en intégralité.

 

L’Égypte, l’Algérie et l’Afrique du Sud, portes d’entrée probables du coronavirus en Afrique

©chuttersnap

L’Égypte, l’Algérie et l’Afrique du Sud seraient les pays les plus à risque d’importation du coronavirus Covid-19 en Afrique en raison de l’importance des échanges aériens avec les provinces chinoises contaminées. Mais ces pays sont aussi parmi les mieux équipés du continent pour détecter rapidement les nouveaux cas et les prendre en charge. Dans d’autres pays d’Afrique, le risque d’importation du virus est plus faible mais les carences sanitaires font craindre une diffusion rapide. Ces travaux de modélisation menés par l’équipe de Vittoria Colizza, directrice de recherche Inserm dans l’unité 1136 Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique (Inserm/Sorbonne Université), en collaboration avec l’Université libre de Bruxelles, The Oxford Martin Programme on Pandemic Genomics et l’Université de Californie Los Angeles, viennent de paraître dans la revue The Lancet.

Le coronavirus Covid-19 continue de se propager en Chine et des cas ont été déclarés dans plus de 25 pays. Le continent africain est resté longtemps épargné jusqu’à ce qu’un premier cas soit tout récemment déclaré en Égypte. Vittoria Colizza, directrice de recherche à l’Inserm, et son équipe de l’unité 1136 Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique (Inserm/ Sorbonne Université), en collaboration avec l’Université libre de Bruxelles, the Oxford Martin Programme on Pandemic Genomics et l’Université de Californie Los Angeles, viennent justement d’évaluer le risque d’importation du virus en Afrique pays par pays, et les capacités de chaque pays à le détecter et à y faire face.

Pour établir ces prévisions, les chercheurs ont évalué le risque d’importation du virus d’après le nombre de cas déclarés par province chinoise, et en fonction du trafic aérien entre les trois principaux aéroports de chacune de ces provinces (en dehors de Hubei en raison de la suspension des vols) et chaque pays africain. En parallèle, ils ont analysé le potentiel de chaque pays à faire face au risque de propagation d’une maladie contagieuse à partir de données de l’OMS et d’éléments officiels fournis par ces mêmes pays.

Chaque pays fait, en effet, auprès de l’OMS, une déclaration annuelle obligatoire de ses ressources pour faire face à une épidémie (State Party self-assessment annual reporting tool – SPAR). Cette déclaration inclut vingt-quatre items pondérés en un score global compris entre 0 et 100, 100 attestant d’une forte préparation à affronter rapidement une épidémie. Ces indicateurs décrivent la législation, l’adhésion aux référentiels de l’OMS, le savoir-faire des laboratoires, le personnel médical, l’organisation des urgences, la sécurité alimentaire, le niveau d’équipement des centres de soins ou encore la communication publique.

Les chercheurs ont également tenu compte du score IDVI (pour Infectious Disease Vulnerability Index) également noté sur 100, 0 correspondant à une extrême vulnérabilité et 100 à la plus faible vulnérabilité. L’IDVI tient compte de facteurs non directement liés au système sanitaire mais pouvant influer sur la réponse apportée à une épidémie : l’importance de la population, le niveau socio-économique ou encore la stabilité politique.

Ainsi, des scores IDVI et SPAR élevés sont indicatifs d’un pays peu vulnérable à l’épidémie et bien préparé pour y répondre.

Les résultats montrent que l’Égypte, l’Algérie et l’Afrique du Sud sont les pays les plus exposés au risque d’importation du virus en Afrique en raison d’échanges commerciaux plus importants avec la Chine. En revanche, leurs scores SPAR et IDVI sont parmi les meilleurs du continent, ce qui permet d’espérer une détection et un confinement plus efficaces du virus. D’autres pays, notamment le Nigeria, l’Éthiopie, le Soudan, l’Angola, la Tanzanie, le Ghana ou encore le Kenya, présentent eux un risque plus faible d’importation du virus mais leurs scores SPAR et IDVI sont moins bons, faisant craindre la non-détection des possibles cas importés et une propagation locale, voire nationale.

 

Enfin, les chercheurs ont regroupé les pays africains à risque en trois groupes selon les liaisons aériennes de provinces chinoises spécifiques avec ces pays. Ainsi, un premier groupe comprenant 18 pays serait plus vulnérable en cas d’épidémie majeure dans la province de Pékin, un second comprenant 7 pays serait davantage exposé en cas de forte croissance de l’épidémie dans la province de Guangdong et un troisième groupe comprends deux pays risquant une importation uniquement depuis la province de Fujian.

« Ce travail permet de se projeter en fonction de l’évolution de la situation en Chine. Il permet aussi d’alerter les pays les plus exposés sur la nécessité de se préparer à l’éventualité d’introduction du virus. Or, on voit bien la difficulté de détecter rapidement les cas importés à l’étranger, y compris dans les pays développés. Pour plusieurs pays africains ayant de faibles ressources pour gérer une épidémie, les risques sont importants de ne pas disposer de l’organisation et des infrastructures pour la détection, le confinement, la prise en charge des malades, ce qui fait craindre un risque d’épidémie sur le continent », conclut Vittoria Colizza.

La flore intestinale livre ses secrets pour développer de nouveaux traitements contre le diabète

Les cellules bêta des îlots de Langerhans du pancréas sont celles qui produisent l’insuline. Ici, les noyaux sont colorés en bleu et l’insuline contenue dans les cellules ß est visualisée en rouge. © Inserm/U845/UMRS975/EndoCells SARL

Un composé organique produit par la flore intestinale, le métabolite 4-Cresol, aurait des effets protecteurs contre le diabète de type 1 et de type 2, notamment en stimulant la croissance des cellules bêta du pancréas qui produisent l’insuline. C’est ce que montre une nouvelle étude, dirigée par le chercheur Inserm Dominique Gauguier au sein du laboratoire « Toxicité environnementale, cibles thérapeutiques, signalisation cellulaire et biomarqueurs » (Inserm/Université de Paris) et publiée dans le journal Cell Reports. Ces résultats ouvrent la voie à de nouvelles pistes thérapeutiques qui pourraient améliorer la situation de millions de patients.

Plus de trois millions de Français sont atteints de diabète, tous types confondus. Cette maladie, dont la prévalence ne cesse d’augmenter, est associée à un risque accru de développer des pathologies cardiovasculaires, ce qui en fait un problème de santé publique majeur. Développer et améliorer les traitements destinés à ces patients est donc essentiel.

Des études récentes ont montré que les formes fréquentes de diabète sont causées par la mutation de plusieurs gènes et par des facteurs liés à l’environnement et à certaines compositions de la flore intestinale.

Des travaux menés par le chercheur Inserm Dominique Gauguier au sein du laboratoire « Toxicité environnementale, cibles thérapeutiques, signalisation cellulaire et biomarqueurs » (Inserm/Université de Paris), en collaboration avec des collègues de l’Université de Kyoto (Japon) et de l’Université de McGill (Canada), viennent renforcer ces résultats. Ces travaux mettent en effet à jour une association entre le diabète et un composé organique produit par la flore intestinale et également présent dans certains aliments, le métabolite 4-cresol.

Les chercheurs ont d’abord réalisé une étude de profilage métabolique, pour identifier tous les types de métabolites présents dans l’organisme, à partir d’échantillons sanguins de 148 adultes, certains d’entre eux diabétiques. L’idée : identifier des marqueurs pouvant être associés au développement de la maladie. « Nous nous sommes aperçus que le 4-Cresol présentait un réel intérêt. Produit du métabolisme de la flore intestinale, ce composé semble être un marqueur de résistance au diabète. On retrouve notamment des quantités plus faibles de 4-Cresol dans le sérum des patients diabétiques que chez des individus non diabétiques », explique François Brial, chercheur Inserm et premier auteur de l’étude.

Travaillant à partir de modèles de diabète et d’obésité chez le rat et la souris, les chercheurs ont ensuite testé les effets du 4-Cresol sur les signes cliniques du diabète et sur le fonctionnement des cellules bêta du pancréas, qui sécrètent l’hormone insuline, dont le rôle est de maintenir l’équilibre du taux de glucose contenu dans le sang. Ces cellules bêta s’épuisent au cours de la maladie.

Pistes de traitement

L’équipe a ainsi montré qu’un traitement chronique de 4-Cresol à faible concentration conduit à une amélioration du diabète. Les chercheurs observent notamment une réduction de l’obésité et de l’accumulation de graisse dans le foie, ainsi qu’une augmentation de la masse pancréatique, une stimulation de la sécrétion d’insuline et une prolifération des cellules bêta pancréatiques.

« Alors que nous manquons aujourd’hui de thérapies pour stimuler la prolifération des cellules bêta du pancréas et améliorer leur fonction, ces résultats sont donc particulièrement encourageants. Par ailleurs, ils confirment l’impact de la flore intestinale sur la santé humaine, démontrant le rôle bénéfique d’un métabolite produit par des bactéries intestinales, et ouvrant de nouvelles pistes thérapeutiques dans le diabète, l’obésité et la stéatose hépatique », souligne Dominique Gauguier.

Désormais, l’objectif immédiat des chercheurs est d’étudier les possibilités de moduler la flore intestinale pour rétablir la production du 4-cresol chez les patients diabétiques. Pour cela, ils vont d’abord tenter d’identifier les bactéries qui produisent naturellement ce métabolite, puis définir lesquelles pourraient s’avérer être des traitements potentiels, sûrs et efficaces dans des syndromes de déficit en insuline. 

Sur la base d’études récentes, les patients diabétiques peuvent déjà se voir proposer de nouvelles options thérapeutiques. Des transferts de flore intestinale peuvent notamment être envisagés, même si les mécanismes d’action de ces traitements ne sont pas encore bien compris, ou encore des opérations de chirurgie bariatrique, qui restent lourdes et invasives. « Notre but est de parvenir à des pistes thérapeutiques qui permettent une modulation fine de la flore intestinale, en favorisant la prolifération de « bonnes » bactéries dont on comprend mieux le fonctionnement, et la production de 4-Cresol à des doses thérapeutiques », conclut Dominique Gauguier.

Stress post-traumatique : Nouvelles pistes pour comprendre la résilience au trauma

Une étude Science apporte de nouvelles pistes pour comprendre le trouble de stress post-traumatique © Inserm

Les attentats de Paris et Saint-Denis, le 13 novembre 2015, ont laissé des marques durables, non seulement sur les survivants et leurs proches, mais aussi sur la société française dans son ensemble. Vaste programme de recherche transdisciplinaire, le projet 13-Novembre est codirigé par le neuropsychologue Francis Eustache, directeur du laboratoire Inserm  Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine  (Inserm/Université de Caen Normandie/École pratique des hautes études/CHU Caen/GIP Cyceron), et l’historien Denis Peschanski, directeur de recherche au CNRS[1].  L’objectif : étudier la construction et l’évolution de la mémoire, individuelle et collective, de ces événements traumatiques, mais également mieux comprendre les facteurs protégeant les individus du stress post-traumatique.

Dans ce cadre, une étude d’imagerie cérébrale intitulée Remember, dont l’Inserm est promoteur, s’intéresse aux réseaux cérébraux impliqués dans le trouble de stress post-traumatique (TSPT). Des travaux qui donnent lieu à une publication dans la revue Science, le 14 février 2020. Dirigée par le chercheur Inserm Pierre Gagnepain, cette étude montre que la résurgence intempestive des images et pensées intrusives chez les patients atteints de stress post-traumatique, longtemps attribuée à une défaillance de la mémoire, serait également liée à un dysfonctionnement des réseaux cérébraux qui la contrôlent. Ces résultats permettent d’identifier de nouvelles pistes de traitement.

 

  1. Contexte : le programme 13-Novembre

Les attaques du 13 novembre 2015, d’une ampleur et d’une violence inédites, ont provoqué une onde de choc dans la société française. La communauté scientifique décide de s’engager pour mieux appréhender les conséquences d’un tel traumatisme et améliorer la prise en charge des victimes et de leur entourage. Le 18 novembre 2015, Alain Fuchs, alors président du CNRS, s’adresse au monde académique et lance un appel à projets pour répondre à ces défis. Il demande à toutes les équipes de recherche intéressées d’émettre des « propositions sur tous les sujets pouvant relever des questions posées à nos sociétés par les attentats et leurs conséquences, et ouvrant la voie à des solutions nouvelles – sociales, techniques, numériques ».

Le programme transdisciplinaire 13-Novembre est alors lancé par l’Inserm, le CNRS et Hesam université[2]. Il comprend plusieurs volets, notamment « l’étude 1000 » : en pratique, l’idée est de suivre 1000 personnes volontaires sur 12 ans. Parmi elles, des personnes directement exposées aux attentats, survivants et proches des victimes, ainsi que celles intervenues sur les lieux le soir des attaques, mais aussi des habitants des quartiers ciblés et des quartiers périphériques de Paris et enfin des personnes issues de plusieurs autres villes françaises, afin de comprendre comment se construit et évolue la mémoire des attentats (voir encadré).

 

Remember : comprendre le trouble de stress post-traumatique

Dans le cadre du programme 13-Novembre, le projet Remember, dont l’Inserm est promoteur, permet d’aller encore plus loin dans la compréhension de la mémoire humaine. Avec cette étude d’imagerie cérébrale menée à Caen et portant sur un sous-groupe de 175 participants, les chercheurs explorent les effets d’un événement traumatique sur les structures et le fonctionnement du cerveau, identifiant des marqueurs neurobiologiques du stress post-traumatique mais également de la résilience au trauma. Ils espèrent qu’un jour ces travaux pourront déboucher sur de nouvelles pistes thérapeutiques, complémentaires à celles existant déjà.

Remember s’attèle ainsi à une question majeure qui intrigue les neuroscientifiques depuis des années : pourquoi certaines personnes ayant vécu un traumatisme souffrent-elles de stress post-traumatique, alors que d’autres ne développent jamais ce trouble ? L’un des objectifs de l’étude publiée dans la revue Science, est de déterminer s’il existe un lien entre les mécanismes de contrôle de notre mémoire et la capacité de résilience des individus.

« Nous avons focalisé ce programme de recherche sur les facteurs de protection et les marqueurs cérébraux associés à la résilience au traumatisme. C’est ce qui fait l’originalité de nos travaux par rapport aux études précédentes qui se focalisent plutôt généralement sur l’impact des chocs traumatiques sur la mémoire et son dysfonctionnement », souligne Pierre Gagnepain, chercheur Inserm et responsable scientifique de l’étude Remember.

L’« étude 1000 » du programme 13-Novembre 

Au cours de quatre campagnes d’entretiens filmés lancées avec le soutien de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) et de l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ECPAD), réparties sur 10 ans (2016, 2018, 2021 et 2026), les participants sont amenés à partager leurs témoignages et à évoquer leurs souvenirs personnels des attentats à partir d’un guide d’entretien identique.

Ces récits individuels seront ensuite analysés en détail et mis en perspective avec les traces de la mémoire collective telle qu’elle se construit au cours du temps, notamment au sein des espaces médiatiques (journaux télévisés et radiodiffusés, articles de presse, réseaux sociaux, images commémoratives…).

Cette démarche s’inspire de celle mise en place par William Hirst, professeur de psychologie de la New School (New York, États-Unis), à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Avec ses équipes, il avait recueilli près de 3 000 questionnaires écrits, quatre fois en dix ans, sans viser un suivi de cohorte.

Le programme 13-Novembre va plus loin, en privilégiant des enregistrements vidéo, en cherchant à suivre les mêmes personnes sur ces dix années, et en privilégiant l’approche transdisciplinaire. Il s’agit en ce sens d’une première mondiale. « En mettant en place 13-Novembre, l’idée était d’aller encore plus loin, grâce à une collaboration très riche entre de multiples disciplines et à la mise en place de l’étude biomédicale Remember. Nous avons là une opportunité scientifique unique de voir le processus de construction de la mémoire individuelle, et comment elle dialogue avec la mémoire collective », soulignent Francis Eustache et Denis Peschanski, codirecteurs du programme 13-Novembre.

  1. Trouble de stress post-traumatique

Le trouble de stress post-traumatique (TSPT) peut se développer chez certains individus ayant été confrontés à des événements choquants, dangereux ou effrayants. D’abord repéré et étudié par les scientifiques au sein de populations de militaires revenus du front, le trouble de stress post-traumatique peut néanmoins toucher toutes les populations, enfants et adultes. Il peut survenir après tout type de traumatisme, d’une catastrophe naturelle au décès soudain d’un proche, en passant par un attentat terroriste comme ceux du 13 novembre 2015. Des études réalisées aux États-Unis et au Canada estiment que la prévalence du trouble de stress post-traumatique dans la population générale est de l’ordre de 6 à 9 %.

 

Les souvenirs intrusifs au cœur du trouble de stress post-traumatique

Le trouble de stress post-traumatique est un état complexe qui se caractérise par plusieurs symptômes, pouvant varier d’un individu à l’autre. Le trouble évolue de manière progressive, pouvant rester silencieux pendant des périodes relativement longues. Il peut apparaître juste après un traumatisme ou des années plus tard. Parmi les symptômes les plus caractéristiques, l’intrusion fréquente du souvenir des images, des odeurs et des sensations associées au traumatisme vécu.

Ces intrusions, qui bouleversent la vie quotidienne, induisent une grande détresse, ainsi que d’autres émotions intenses comme la peur, la culpabilité, la colère… Cet état peut s’accompagner de symptômes physiques provoqués par le rappel de l’événement, par exemple des tensions musculaires ou une accélération du rythme cardiaque. 

Afin de limiter le sentiment de détresse engendré par les souvenirs intrusifs, les personnes atteintes de trouble de stress post-traumatique ont également tendance à développer des comportements d’évitement pour fuir toutes les circonstances qui pourraient éveiller le souvenir du traumatisme. Ils peuvent refuser de penser à l’événement ou d’en parler, s’isolant parfois petit à petit du reste de la société, et même de leurs proches.

 

  1. L’étude Science: mieux comprendre l’origine des souvenirs intrusifs

 

 

D’après les modèles traditionnels du TSPT, la persistance des souvenirs intrusifs douloureux s’expliquerait par un dysfonctionnement de la mémoire, un peu à la manière d’un vinyle rayé rejouant en boucle les mêmes fragments de nos souvenirs. Au niveau anatomique, ces dysfonctionnements seraient visibles particulièrement au niveau de l’hippocampe, région clé pour la formation de la mémoire.

Par ailleurs, les tentatives de suppression par les patients de leurs souvenirs traumatiques ont longtemps été considérées comme un mécanisme inefficace. Au lieu de confronter ces images douloureuses pour les laisser dans le passé, le fait d’essayer de les chasser ou de les réprimer était plutôt perçu comme une stratégie négative, renforçant les intrusions et aggravant la situation des personnes souffrant de TSPT.

L’étude d’imagerie cérébrale Inserm publiée dans Science remet en cause certaines de ces idées, et émet l’hypothèse que la résurgence intempestive des images et pensées intrusives serait liée à un dysfonctionnement des réseaux cérébraux impliqués dans le contrôle de la mémoire (pour reprendre l’image précédente, le bras de la platine vinyle contrôlant la lecture des souvenirs). « Ces mécanismes de contrôle agissent comme un régulateur de notre mémoire, et sont engagés pour stopper ou supprimer l’activité des régions associées aux souvenirs, comme l’hippocampe », souligne Pierre Gagnepain.

 

Les participants devaient réaliser la tâche « Think No-Think » dans l’IRM. ©Cycéron

 

Méthodes et résultats de l’étude

Avec ses collègues du laboratoire dirigé par Francis Eustache, Pierre Gagnepain a travaillé avec 102 survivants des attaques de Paris, dont 55 souffrant de TSPT. 73 personnes n’ayant pas été exposées aux attentats ont également pris part à l’étude.

Afin de modéliser la résurgence des souvenirs intrusifs constatée dans le TSPT chez ces volontaires, sans les exposer à nouveau aux images choquantes des attentats, les scientifiques ont opté pour un protocole de recherche en imagerie cérébrale s’appuyant sur la méthode Think/No-Think (cf. encadré).

Cette méthode vise à créer des associations entre un mot indice et un objet du quotidien n’ayant rien à voir l’un avec l’autre (par exemple le mot « chaise » avec l’image d’un ballon), afin de reproduire la présence d’une intrusion lors de la confrontation avec le mot indice.  « Dans un second temps, nous pouvons étudier la capacité des participants à chasser et supprimer l’image intrusive de leur esprit surgissant contre leur gré lorsqu’ils sont confrontés au mot indice », précise la chercheuse Alison Mary, première auteure de l’article et chercheuse à l’Inserm au moment de ces travaux.

 

La méthode du Think/No Think permet d’obtenir un modèle d’intrusion des souvenirs (cf encadré). © Pierre Gagnepain/Inserm

 

La méthode du Think/No-Think

Hors de question pour les chercheurs de soumettre les survivants des attentats à de nouvelles images traumatisantes qui pourraient les replonger dans une situation de détresse. Le paradigme « think/no-think » modélise la situation dans laquelle se trouvent les patients en état de stress post-traumatique, confrontés à des images et à des souvenirs qui s’imposent fréquemment à eux de manière intrusive, mais sans avoir recours à des stimuli qui pourraient être traumatisants.  

Lors de la phase d’apprentissage, les participants apprennent des paires de stimuli par cœur (par exemple le mot chaise associé à l’image d’un ballon). L’objectif : quand le mot chaise est ensuite présenté aux participants, l’image du ballon est automatiquement réactivée. Le mot chaise se comporte comme indice d’une intrusion mentale, déclenchant le souvenir associé du ballon. Celui-ci survient de façon spontanée et automatique, simulant certaines caractéristiques des véritables souvenirs intrusifs du trouble de stress post-traumatique.

Dans la phase suivante, l’activité du cerveau est mesurée chez les participants à l’aide de la technique d’IRM fonctionnelle, selon deux conditions :

·         Condition « Think » : l’un des mots est présenté écrit en vert, et le sujet doit visualiser précisément l’image associée.

 

·         Condition « No-Think » : l’un des mots est présenté en rouge, et le sujet doit vider son esprit et empêcher l’image d’émerger, tout en maintenant son attention sur le mot. Les chercheurs distinguent alors les situations dans lesquelles l’image ne survient pas et les situations menant à une intrusion, même si elle est brève. Ils peuvent ainsi observer les différences d’activité cérébrale dans les deux cas, afin d’étudier de près les mécanismes de contrôle de la mémoire employés pour réprimer une image intrusive.

Contrôle des souvenirs intrusifs et résilience

Les chercheurs se sont intéressés aux connexions cérébrales entre régions de contrôle, situées dans le cortex frontal (à l’avant du cerveau) et les régions des souvenirs, telles que l’hippocampe. L’objectif : mettre en évidence d’éventuelles différences entre les trois groupes de participants (le premier non exposé aux attentats, le deuxième exposé aux attentats sans TSPT et le troisième exposé mais avec TSPT).

Les résultats montrent que les participants souffrant de TSPT présentent une défaillance des mécanismes qui permettent de supprimer et de réguler l’activité des régions de la mémoire lors d’une intrusion (notamment l’activité de l’hippocampe).  

À l’inverse, le fonctionnement de ces mécanismes est très largement préservé chez les individus sans TSPT, qui parviennent à lutter contre les souvenirs intrusifs. « Dans notre étude, nous suggérons que le mécanisme de suppression des souvenirs n’est pas intrinsèquement mauvais et à l’origine des intrusions comme on le croyait. En revanche, son dysfonctionnement l’est. Si on prend pour analogie les freins d’une voiture, ce n’est pas le fait de freiner, ou dans le cas qui nous occupe, de supprimer les souvenirs qui pose problème, mais le fait que le système de freinage soit défaillant, ce qui conduit à sa surutilisation », explique Pierre Gagnepain.

 

  1. Quelles sont les implications de ces travaux ?

 

Ces résultats permettent de questionner les idées reçues sur le trouble de stress post-traumatique et d’imaginer de nouvelles pistes de traitement.

Implications scientifiques

D’une part, l’étude souligne que la persistance du souvenir traumatique n’est vraisemblablement pas uniquement liée à un dysfonctionnement de la mémoire, mais également à un dysfonctionnement des mécanismes de contrôle de la mémoire.

D’autre part, si l’on a longtemps considéré les processus de suppression des souvenirs à l’œuvre chez les individus victimes de stress post-traumatique comme problématiques et inefficaces (puisqu’ils permettaient aux souvenirs traumatiques de revenir à la charge de manière encore plus violente), l’étude montre que le problème n’est pas ce mécanisme en tant que tel, mais sa mauvaise réalisation par les réseaux cérébraux.

Les patients atteints de TSPT seraient en fait constamment en état de « suppression » de la mémoire, même en l’absence d’intrusion des souvenirs, afin de compenser ce système défaillant du contrôle de la mémoire. Reste à déterminer si ces difficultés de contrôle se sont instaurées après le traumatisme, ou étaient présentes avant, rendant l’individu plus vulnérable.

 

Implications thérapeutiques

À l’heure actuelle, la plupart des thérapies existantes proposées aux patients visent à recontextualiser les souvenirs problématiques, à faire prendre conscience qu’ils appartiennent au passé, et à réduire le sentiment de peur qu’ils suscitent.

Proposer des interventions déconnectées des événements traumatiques, stimulant les mécanismes de contrôle identifiés dans cette étude, pourrait être un complément utile pour entraîner les patients à mettre en place des mécanismes de suppression plus efficaces. « Tous les traitements impliquent aujourd’hui de se confronter au traumatisme, ce qui n’est pas toujours évident pour les patients. On pourrait imaginer que réaliser une tâche similaire à la méthode Think-No Think permette de stimuler les mécanismes de suppression, facilitant ainsi le traitement du souvenir traumatique dans les thérapies classiques », expliquent les chercheurs.

 

Des résultats en dialogue avec les autres volets du programme 13-Novembre

L’étude permet aussi de mieux étudier le fonctionnement cérébral des survivants « résilients », n’ayant pas développé le trouble. « Cette étude va plus loin que toutes les autres, qui se concentrent traditionnellement sur les militaires ayant été exposés à des situations traumatiques. Cependant, les militaires ont rarement été exposés au même degré, à la même fréquence, ni aux mêmes situations. Il est donc souvent difficile d’étudier en parallèle des individus atteints de stress post-traumatique et des individus résilients ayant été exposés à la même situation choquante. Ici, nous avons cette possibilité. C’est un progrès qui aura, nous l’espérons, des répercussions importantes pour toutes les personnes victimes de trauma dans le monde », souligne Pierre Gagnepain.

Plusieurs études se profilent désormais pour venir compléter ces résultats. Les chercheurs vont notamment utiliser les données collectées lors des sessions d’imagerie cérébrale pour s’intéresser de plus près aux altérations spécifiques de l’hippocampe, structure clé dans l’expression des souvenirs intrusifs. Les études avec ces participants ayant déjà été menées à deux reprises, à deux ans d’intervalle, les chercheurs pourront également étudier leur évolution individuelle et tenter de repérer des biomarqueurs permettant de prédire cette évolution. « Enfin, il sera intéressant de confronter les données collectées dans le cadre du programme 13-Novembre, qui étudie l’évolution du souvenir traumatique aux niveaux collectif et individuel, et ceux de Remember, qui étudie les mécanismes cérébraux permettant de lutter contre ce traumatisme. Des travaux originaux et inédits au niveau mondial », conclut Pierre Gagnepain.

C’est cette capacité à faire dialoguer de nombreuses disciplines et à explorer toute la complexité de la mémoire humaine qui fait toute la richesse du programme 13-Novembre.

 

Témoignages de participants*

L’histoire d’Anna

Pour Anna et le père de ses enfants, le 13 novembre 2015 était une date importante. Pour la première fois depuis la naissance de leur deuxième fils, ils sortaient dîner en amoureux dans leur quartier. Habitant le XIe arrondissement, ils avaient choisi un restaurant à proximité. Après leur repas, alors qu’Anna rentrait retrouver leurs enfants, une détonation retentit sur le trottoir d’en face, au niveau du Comptoir Voltaire. Pensant à une fuite de gaz dans l’un des immeubles de la rue, elle était alors bien loin d’imaginer ce qui se passait réellement.

C’est en remontant chez elle, alors que la nouvelle des attentats est en train de faire le tour du monde, qu’Anna a commencé à réaliser ce qu’elle a vécu. Le reste de cette nuit-là est pour elle associé à une sensation de flottement et d’angoisse alors que son mari, parti retrouver des collègues pour une fête de fin de tournage, s’est retrouvé confiné dans le lieu qui accueillait la fête. À ce flottement succèdera l’incompréhension face à l’horreur tout au long du weekend qui a suivi.

La semaine après les attentats est difficile. Anna a du mal à réaliser ce qui s’est passé, elle pleure beaucoup. Chaque jour, elle craint pour la vie de ses enfants, scolarisés dans le quartier. Le diagnostic de stress post-traumatique est rapidement posé.

Participation aux études  

Après les attentats, Anna apprend qu’une campagne de recrutement est menée à l’INA, qui recherche des volontaires pour participer au Programme 13-Novembre de l’Inserm et du CNRS. Sa psychologue l’incite à y participer, l’envie de mieux appréhender les événements du 13 novembre 2015 et d’apporter son témoignage à la communauté scientifique pousse Anna à s’y rendre. Tout s’enchaîne ensuite : elle acceptera aussi de participer à l’étude d’imagerie cérébrale du programme promue par l’Inserm, Remember.

Pour Anna, prendre part à une étude biomédicale a constitué une expérience très intense, mais enrichissante sur le plan humain. « À Caen, j’ai été accueillie avec beaucoup de bienveillance par l’équipe. Une équipe de médecins et psychologues étaient là pour poser des questions sur mon état de santé et pour m’expliquer le protocole et ses objectifs. On ressort lessivé : l’apprentissage de la liste de mots n’est pas une chose aisée, et la tâche Think-NoThink dans le scanneur est difficile à réaliser, car il y a beaucoup de bruit, mais j’ai été bien entourée, et je suis contente de savoir que ma participation permettait d’en apprendre plus sur le fonctionnement du cerveau dans le trouble de stress post-traumatique », explique-t-elle.

Anna n’a jamais cessé d’avancer tout en étant accompagnée par une psychologue rencontrée dans le cadre de la cellule de crise de la mairie du XIe. Elle est heureuse d’avoir pu participer à l’étude Remember et espère que les résultats permettront d’améliorer la prise en charge des personnes vivant avec du stress post-traumatique, et de dédramatiser ce trouble.

L’histoire de Dominique

C’est lors d’une réunion d’une association de victimes des attentats que Dominique a pour la première fois entendu parler du programme 13-Novembre codirigé par Francis Eustache et Denis Peschanski. Rescapé des attaques terroristes perpétuées dans les cafés parisiens, Dominique a toujours été très intéressé par la science et notamment par le grand défi scientifique que constitue l’exploration du cerveau humain pour en percer les mystères. L’aspect transdisciplinaire du programme, à la croisée des sciences sociales et des neurosciences, ainsi que la volonté des chercheurs de travailler sur la construction de la mémoire ont attisé sa curiosité.

« En tant que survivant des attentats, on peut ressentir une forme de culpabilité. J’avais envie d’agir, je voulais apporter une contribution pour que les choses avancent après ces événements. Le fait de participer à une étude scientifique autour de thématiques aussi importantes que celles de la mémoire collective d’un pays, de la prise en charge de victimes atteintes de stress post-traumatique et du vivre-ensemble en société après les attentats me paraissait intéressant. Et surtout, je m’en sentais capable », explique Dominique.

Après avoir participé aux sessions filmées à l’INA dans le cadre du programme 13-Novembre, Dominique a ensuite accepté de se rendre à Caen à deux reprises pour participer à l’étude Remember. Une expérience à la fois difficile et très enrichissante. « Les échanges avec tous les chercheurs qui étaient là, étaient passionnants, j’avais plein de questions à leur poser sur leur travail, sur ce qu’ils cherchaient à voir dans le cerveau. En revanche, la partie de l’étude sous IRM était un vrai défi. Je ne suis pas claustrophobe mais vous êtes tout de même confiné dans un espace étroit, dans la pénombre, et la machine est très bruyante, produisant des sons pouvant rappeler des coups de feu. Quand vous tentez de lutter contre vos souvenirs intrusifs, c’est très dur. Heureusement que j’étais bien accompagné par l’équipe », précise-t-il.  

Afin de surmonter l’étape de l’IRM lors la deuxième session à Caen, Dominique s’est d’ailleurs entraîné à rester dans des espaces étroits en se glissant sous le lit à plusieurs reprises. À sa grande surprise, tout s’est déroulé sans encombre cette deuxième fois, et il est prêt à retourner à Caen l’année prochaine pour une troisième et dernière série d’expériences visant à collecter des données supplémentaires pour étudier l’évolution des participants à l’étude sur le plus long terme, et aller encore plus loin que l’étude publiée dans Science

* Les prénoms ont été changés à la demande des participants

 

En savoir plus sur le programme 13-Novembre : « Quelle sera la mémoire du 13 novembre ? » (entretien croisé de Francis Eustache et Denis Peschanski du 13 juin 2016).

 

[1] Actuellement au Centre européen de sociologie et de science politique de la Sorbonne (CNRS/Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/EHESS)

[2] Porté par le CNRS et l’Inserm pour le volet scientifique et par HESAM Université pour le volet administratif, le programme 13-Novembre est financé par le Secrétariat général pour l’investissement via l’Agence nationale de la recherche (ANR) dans le cadre du Programme investissements d’avenir (PIA). Il rassemble 31 partenaires et 26 soutiens. Il est une composante de l’équipex MATRICE.  Pour en savoir plus : http://www.memoire13novembre.fr/partenaires-et-soutiens2020-02-13_DP_13 Novembre  

La première classification moléculaire des tumeurs hypophysaires ouvre de multiples champs de recherche

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Les tumeurs hypophysaires, deuxièmes tumeurs cérébrales les plus fréquentes, disposent désormais d’une classification moléculaire précise, complète et objective, avec la perspective de mieux prédire et comprendre le comportement de certains sous-types de tumeurs et d’ajuster les traitements. C’est ce que révèle une étude réalisée par les équipes de recherche de l’Institut Cochin (Inserm, Université de Paris, CNRS), associées à l’Hôpital Foch et l’Hôpital Cochin AP-HP, publiée début janvier dans la revue internationale Cancer Cell (publication complète ici).

 Les tumeurs hypophysaires touchent aujourd’hui près d’un habitant sur 1000, mais elles restent encore mal connues et de nombreuses interrogations existent autour de la mutation de leurs gènes. Ces tumeurs ont pourtant une incidence capitale sur le mode de vie des patients : elles sécrètent plus ou moins d’hormones qui vont donner lieu notamment à des maladies rares. Le Dr Stéphane Gaillard, neurochirurgien à l’hôpital Foch et spécialiste de l’hypophyse explique : « Ces tumeurs sont particulièrement difficiles à identifier car les symptômes sont tardifs. Nous devons progresser dans la maitrise de ces tumeurs, ouvrir de nouveaux champs de recherche scientifiques et permettre de mieux comprendre la mutation de ces dernières pour améliorer les traitements disponibles. C’est de ce constat que nous sommes parti pour débuter cette étude qui a abouti à une nouvelle classification des tumeurs hypophysaires, basée sur une étude moléculaire de pointe ».

 

Une classification qui tend vers le premier profil génomique de ces tumeurs

La classification finalisée de la nouvelle étude « Hypophys-omics » parue dans la revue Cancer Cell le 13 janvier 2020 permet de consolider la connaissance de ces tumeurs, leurs évolutions et surtout de comprendre comment mieux les soigner en empêchant notamment la sécrétion d’hormones excessives à l’origine de la dégradation des conditions de vie du patient. Elle met en valeur le profil génomique de ces tumeurs, une première au niveau international, alors que celles-ci étaient précédemment encore triées selon des données purement endocrinologiques et anatomopathologiques et sans prendre en compte les spécificités de chacune d’entre elles (sécrétion d’hormone, récidive, évolution des gènes de la tumeur …).

Cette étude ouvre désormais le champ des possibles autour de ces tumeurs à travers trois objectifs préalablement définis :

·       Consolider et ouvrir de nouvelles pistes sur la connaissance de ces tumeurs (en remettant en question certains postulats acquis jusqu’à présent).

·       Aller vers une médecine personnalisée avec des traitements plus adaptés, plus efficaces, plus ciblés en fonction du sous-type de tumeurs et de sa classification génomique.

·       Ouvrir de nouveaux champs de recherche – traitement, théranostique … – pour améliorer la qualité de vie des patients et limiter l’apparition de maladies rares.

 

Une recherche multidisciplinaire d’excellence, s’inscrivant dans plus de 40 ans de collaboration entre les hôpitaux Foch et Cochin AP-HP

Experts dans la génomique des tumeurs endocrines – qui consiste à réaliser des millions de mesures moléculaires, interprétables uniquement par des approches bio-informatique « big-data » -, le Pr Assié, du service d’endocrinologie de l’hôpital Cochin AP-HP et ses collègues de l’Institut Cochin (Inserm, Université de Paris) ont appliqué leur savoir-faire aux tumeurs hypophysaires, pour aboutir à cette première classification génomique de ces tumeurs.

Ce travail s’est appuyé sur 134 tumeurs collectées par l’équipe de neurochirurgie du Dr Gaillard à l’hôpital Foch. L’excellence neurochirurgicale – près de 300 tumeurs hypophysaires y sont opérées chaque année – s’est traduite dans cette étude par des échantillons de grande qualité, collectés dans des conditions optimales (certaines depuis 2008), avec une représentativité assez complète de tous les sous-types tumoraux, incluant les sous-types rares.

Ce partenariat recherche s’inscrit dans une collaboration clinique historique de plus de 40 ans entre le service de neurochirurgie de l’hôpital Foch et le service d’Endocrinologie de l’hôpital Cochin AP-HP, particulièrement effective dans les situations complexes et graves. Dans le cadre de ce partenariat multidisciplinaire, les profils moléculaires complexes de ces tumeurs ont pu être analysés à travers le prisme clinique endocrinologique, histologique et radiologique, notamment grâce à l’expertise anatomopathologique reconnue du Dr Villa et de ses collègues (hôpital Foch).

Plusieurs autres contributions essentielles sont à mentionner, notamment celle du au service d’endocrinologie de l’hôpital Ambroise-Paré AP-HP dirigé par le Pr Raffin-Sanson et celle du service d’anatomopathologie de l’hôpital Ambroise-Paré AP-HP dirigé par le Pr Emile.

Des textiles humains pour réparer les vaisseaux sanguins

Les feuillets ont été découpés par les chercheurs pour former des fils, un peu comme ceux qui composent le textile d’un vêtement.©Nicolas L’Heureux

Première cause de mortalité dans le monde, les maladies cardiovasculaires font plus de 17 millions de morts dans le monde par an, selon les estimations de l’Organisation Mondiale de la Santé. Pour apporter de nouvelles pistes de recherche à ce grave problème de santé publique, le chercheur Inserm Nicolas L’Heureux et son équipe, développent, au sein de l’unité « Bioingénierie Tissulaire » (Inserm/Université de Bordeaux), des « textiles humains » à partir de collagène afin de réparer les vaisseaux sanguins détériorés. Une innovation décrite dans le journal Acta Biomaterialia, qui devra encore passer plusieurs étapes avant d’être testée chez l’homme.

Et s’il était possible de remplacer les vaisseaux sanguins endommagés des patients par des vaisseaux tout neufs produits en laboratoire ? C’est le pari que s’est lancé le chercheur Inserm Nicolas L’Heureux, dont les travaux portent sur la matrice extracellulaire humaine, support structurel des tissus humains, que l’on retrouve autour de pratiquement toutes les cellules du corps.

Dans une étude publiée dans le journal Acta Biomaterialia, Nicolas L’Heureux et ses collègues de l’unité « Bioingénierie Tissulaire » (Inserm/Université de Bordeaux) décrivent comment ils ont cultivé des cellules humaines en laboratoire, afin d’obtenir des dépôts de matrice extracellulaire riche en collagène, cette protéine structurale qui compose l’échafaudage mécanique de la matrice extracellulaire humaine. « Nous avons obtenu des feuillets de matrice extracellulaire fins, mais très solides qui peuvent servir de matériel de construction pour remplacer les vaisseaux sanguins », explique Nicolas L’Heureux.

 

Un vaisseau en train de se faire tisser sur un métier circulaire ©Nicolas L’Heureux

Ces feuillets ont ensuite été découpés par les chercheurs pour former des fils, un peu comme ceux qui composent le textile d’un vêtement. « Nous pouvons tisser, tricoter ou tresser les fils que nous avons obtenus pour leur donner de multiples formes. Notre objectif principal est de faire des assemblages avec ces fils qui puissent remplacer les vaisseaux sanguins endommagés », ajoute Nicolas L’Heureux.

Entièrement composés de matériel biologique, ces vaisseaux sanguins auraient, en outre, l’avantage d’être bien tolérés par tous les patients. En effet, le collagène ne varie pas d’un individu à l’autre, ce qui implique que ces vaisseaux ne devraient pas être considérés par l’organisme comme des corps étrangers à rejeter.

Les chercheurs veulent désormais affiner leurs techniques de production de ces « textiles humains » avant de passer aux essais animaux, afin de valider cette dernière hypothèse. Si ceux-ci sont concluants, ils pourraient mettre en place des essais cliniques.

L’Anses et l’Inserm signent un partenariat de coopération scientifique

De gauche à droite: Roger Genet, Directeur général de l’Anses, Gilles Bloch, Président-directeur général de l’Inserm

Gilles Bloch, Président-directeur général de l’Inserm, et, Roger Genet, Directeur général de l’Anses, signent ce jour une convention-cadre de partenariat et formalisent ainsi une collaboration engagée de longue date sur des sujets de santé publique majeurs tels que les perturbateurs endocriniens, les nanomatériaux, la pollution de l’air, les pesticides ou encore les agents infectieux. Les deux organismes souhaitent également développer l’approche « One Health » (« une seule santé ») dans la lutte contre la résistance aux antibiotiques en santé animale. Ce partenariat témoigne d’une volonté partagée de coordonner de façon toujours plus étroite les compétences des deux organisations publiques en matière d’expertise scientifique et de recherche au service de l’intérêt général.

L’Inserm et l’Anses mènent des projets scientifiques conjoints depuis de nombreuses années dans les domaines de la santé humaine, animale et de l’environnement. La convention-cadre signée ce jour pour cinq ans consolide leur volonté de donner une impulsion nouvelle et globale à leur collaboration afin d’appuyer les politiques de santé publique.

Le partenariat prévoit la réalisation conjointe de recherches ciblées et la mise en oeuvre coordonnée de travaux d’expertise et d’évaluation de risques sanitaires, avec un rapprochement scientifique des équipes pouvant aller jusqu’à la création de groupes de recherche et d’expertise communs. Il prévoit l’utilisation partagée d’équipements ou de matériels biologiques ainsi que le partage de données.


Par ailleurs, cet accord permettra de faciliter la mise en place des projets de l’Inserm financés dans le cadre du Programme national de recherche en environnement-santé-travail (PNR EST) de l’Anses. De plus l’implication des deux organismes dans le projet scientifique Dim One Health témoigne de leur volonté d’investir davantage l’approche « One Health » (« une seule santé ») dans la lutte contre l’antibiorésistance en santé animale.

À travers cette convention, les deux organismes s’engagent pour renforcer les liens entre l’expertise scientifique et la recherche, et ainsi faire progresser la connaissance et la sécurité sanitaire sur de nombreux sujets à forts enjeux tels que l’exposome, les agressions environnementales et les maladies chroniques, les pathologies infectieuses zoonotiques, les risques liés aux perturbateurs endocriniens ou les nanomatériaux ou encore les expositions et pathologies professionnelles.

Premiers résultats cliniques prometteurs d’un vaccin visant à protéger les femmes enceintes du paludisme

©Benoît Gamain. Le paludisme gestationnel est associé à un faible poids de naissance pour le bébé et à un sur-risque de mortalité néonatale.

Le paludisme pendant la grossesse représente un problème de santé publique majeur dans les régions où la maladie est endémique, augmentant de manière substantielle les risques pour la santé de la mère et de l’enfant à naître. La pathologie est notamment associée à un faible poids de naissance pour le bébé et à un sur-risque de mortalité néonatale. Pour protéger cette population, une équipe de chercheurs Inserm et Université de Paris dirigée par Benoît Gamain, directeur de recherche CNRS, développe un vaccin à l’Institut national de transfusion sanguine. Baptisé PRIMVAC, celui-ci a fait l’objet d’un essai clinique pour étudier la tolérance au vaccin et obtenir des données préliminaires sur sa capacité à induire une réponse immunitaire adaptée. Les résultats de cet essai clinique promu par l’Inserm[1] sont publiés dans la prestigieuse revue Lancet Infectious Diseases. 

L’Organisation mondiale de la santé estime que le paludisme est responsable de plus de 400 000 décès chaque année. Si la lutte contre la maladie a progressé au cours des dernières décennies, certaines populations restent particulièrement vulnérables. C’est le cas des femmes enceintes.

Dans les régions du monde où le paludisme est endémique, les individus acquièrent une immunité contre la maladie tout au long de l’enfance. Lorsqu’ils atteignent l’âge adulte, ils sont donc généralement protégés contre les conséquences les plus graves du paludisme. Les femmes enceintes font néanmoins figure d’exception, car les globules rouges infectés par le parasite Plasmodium falciparum à l’origine du paludisme s’accumulent au niveau du placenta, favorisant l’anémie et l’hypertension maternelle. La maladie est aussi associée à un risque plus élevé de fausses couches spontanées, d’accouchements prématurés et de retards de croissance intra-utérin qui induisent une insuffisance pondérale à la naissance et un taux de mortalité infantile important. En Afrique Sub-Saharienne, 11 millions de femmes enceintes ont ainsi été infectées par le paludisme en 2018. Elles ont donné naissance à près de 900 000 enfants en insuffisance pondérale.

C’est pour lutter contre ce fléau sanitaire qu’une équipe de chercheurs Inserm et Université de Paris menée par le directeur de recherche CNRS Benoît Gamain travaille depuis vingt ans au développement d’un vaccin contre le paludisme gestationnel. Celui-ci a pour objectif de prévenir jusqu’à 10 000 décès maternels et 200 000 décès infantiles par an. « Développer un vaccin efficace à destination des jeunes femmes avant leur première grossesse est une priorité afin de réduire la mortalité liée au paludisme. La stratégie vaccinale efficace pourrait cibler une population similaire à celle ciblée par la vaccination HPV par exemple, avant le premier rapport sexuel », souligne Benoît Gamain.

Un vaccin sûr et efficace

Baptisé PRIMVAC, le vaccin avait récemment été produit en grande quantité conformément à la réglementation en vigueur. Dans un essai clinique publiée dans Lancet Infectious Diseases, les chercheurs apportent à présent des données sur la sécurité du vaccin et sur sa capacité à induire une réponse immunitaire adaptée, jusqu’à 15 mois après la vaccination initiale.

Le vaccin a été évalué chez 68 femmes non enceintes âgées de 18 à 35 ans à Paris au centre d’investigation clinique Cochin Pasteur puis au Burkina Faso au Centre national de recherche et de formation sur le paludisme à Ouagadougou. Les participantes ont été réparties et randomisées en 4 cohortes, recevant le vaccin à différentes doses, à 3 reprises sur une période de 3 mois. Ces femmes ont ensuite été suivies pendant 15 mois afin d’identifier et de prendre en charge d’éventuels effets indésirables et d’étudier la réponse immunitaire induite par la vaccination.

 

Anticorps (en vert) d’une volontaire vaccinée se fixant à la surface d’un globule rouge humain parasité par le parasite Plasmodium falciparum (en bleu). Crédits : Inserm/Chêne, Arnaud et Semblat, Jean-Philippe

Les résultats de cette étude montrent que le vaccin PRIMVAC est bien toléré. Par ailleurs, la capacité du vaccin à produire une réponse immunitaire est avérée, avec une production d’anticorps chez 100 % des femmes vaccinées après seulement deux injections. Les anticorps produits sont capables de reconnaître l’antigène parasitaire à la surface des globules rouges infectés et d’inhiber leur capacité adhésive responsable de leur accumulation dans le placenta, ce qui est crucial pour lutter contre cette forme gestationnelle du paludisme.

« Nous avons pu montrer que le vaccin est bien toléré, à toutes les doses testées. Les effets indésirables relevés concernent principalement des douleurs au site d’injection. Par ailleurs, nous avons mis en évidence que la quantité d’anticorps générés par le vaccin augmente après chaque vaccination et que ceux-ci persistent pendant plusieurs mois. Il semble donc que le vaccin ait une capacité à déclencher une réponse immunitaire durable et potentiellement protectrice », souligne Benoît Gamain.

Etudier cette réponse immunitaire à plus long terme et la protection associée fera l’objet de futurs essais cliniques. Les chercheurs veulent notamment continuer à suivre les 50 volontaires burkinabées afin d’évaluer si cette réponse immune induite par la vaccination se maintient jusqu’à leur première grossesse.

 

[1] L’essai est coordonné par le Centre d’Investigation Clinique Cochin Pasteur à Paris et la plateforme d’essais cliniques EUCLID/F-CRIN à Bordeaux en collaboration avec le Centre national de recherche et de formation sur le paludisme à Ouagadougou et European Vaccine Initiative (EVI). Financement : Bundesministerium für Bildung und Forschung, through Kreditanstalt für Wiederaufbau, Germany; Inserm, and Institut national de transfusion sanguine, France; Irish Aid, Department of Foreign Affairs and Trade, Ireland.

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