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Des mécanismes épigénétiques spécifiques aux femmes pourraient contribuer à la progression tumorale

Photo d'imagerie en microscopie électronique montrant la transformation des cellules mammaires tumorales dans le cancer du sein

Transformation des cellules mammaires tumorales dans le cancer du sein. Crédits / Inserm – Xavier Coumoul

Des travaux décrivent le rôle épigénétique[1] d’un ARN non-codant dans le développement de tumeurs agressives, notamment dans le cancer du sein. L’étude, menée en collaboration entre l’Institut Curie, l’Inserm, le CNRS, l’Institut Paoli Calmettes, Aix-Marseille Université[2], vient d’être publiée dans la revue Cell. Ces résultats pourraient expliquer plus largement des biais de genre dans la prédisposition à certaines pathologies.

Tous les mammifères disposent de deux chromosomes sexuels. Les mammifères femelles possèdent deux chromosomes X, contrairement aux mâles qui ont un chromosome X et un Y. On connaissait déjà le rôle d’un ARN non-codant spécifique, appelé XIST, pour initier l’inactivation d’un des deux chromosomes X de la femelle. Le but de cette inactivation :  bloquer la double expression des gènes situés sur ce chromosome car celle-ci affecte la viabilité des cellules. Dans cette nouvelle étude, les scientifiques démontrent que XIST joue non seulement un rôle pour déclencher cette inactivation du chromosome X mais aussi pour la maintenir tout au long de la vie des cellules.

Pour parvenir à ce résultat, les chercheurs et chercheuses ont étudié in vivo les effets de la suppression de XIST. Plusieurs techniques ont été utilisées pour cela. « Soit on a utilisé des outils génétiques pour bloquer l’expression de XIST, soit on a utilisé des techniques de CRISPR[3] pour interférer avec l’expression et on a rendu le gène de XIST silencieux », explique Raphaël Margueron, chercheur à l’Inserm et chef de l’équipe « Mécanisme de répression par les protéines Polycomb » à l’Institut Curie dans l’unité « Génétique et biologie du développement » (Institut Curie/CNRS/Inserm/Sorbonne Université).

La perte de XIST dans les lignées cellulaires étudiées[4] a un effet important sur l’homéostasie[5] du tissu mammaire et impacte le développement tumoral. Raphaël Margueron précise que « quand on étudie des tumeurs et qu’on regarde après coup quelles étaient les propriétés de ces tumeurs, on voit qu’il y a une tendance à ce que XIST soit absent des tumeurs du sein les plus agressives. Ainsi qu’une réactivation d’un certain nombre de gènes du X inactif ».

Des gènes réactivés et la transcription s’emballe

Parmi les gènes réactivés par la perte de XIST, les chercheurs ont mis en évidence le gène codant pour MED14, une sous-unité essentielle au sein du complexe protéique Médiator. Celui-ci joue un rôle dans le contrôle de l’expression des gènes. 

 

 

En conséquence, une augmentation de l’expression de MED14 va impacter l’activité de Médiator et contribuer à la perturbation de la différenciation des cellules souches mammaires[6]. Il s’agit potentiellement du résultat d’une augmentation de l’activation des enhancers (voir FOCUS ci-dessous).

En conclusion, la perte de XIST entraîne la réactivation de certains gènes (sur le chromosome X inactif) impliqués dans la différentiation des cellules et impacte le développement de cellules tumorales agressives. Ce mécanisme épigénétique étant spécifique à la présence de deux chromosomes X, ces résultats vont jouer un rôle majeur dans l’étude des prédispositions aux pathologies liées au genre de l’individu.

« Cette étude suggère que l’expression de XIST ainsi que de certains gènes liés au chromosome X pourraient être utilisés comme marqueurs de réponse à de nouvelles stratégies thérapeutiques », développe Christophe Ginestier, chef de l’équipe Inserm « Cellules Souches Epithéliales et Cancer » au Centre de recherche en cancérologie de Marseille.

 

Focus : Initiation de la transcription

« L’expression des gènes est contrôlée par les promoteurs mais aussi par des morceaux d’ADN, qui peuvent être assez distants du gène et du promoteur, qu’on appelle les enhancers. Il y a une communication entre les enhancers et les promoteurs. Le complexe Médiator intervient dans cette communication et permet aux enhancers de réguler finement l’expression des gènes. », explique Raphaël Margueron.

 

[1]  L’épigénétique est une discipline qui étudie les mécanismes intervenant dans la régulation des gènes, essentielle à l’action des cellules et au maintien de leur identité.

[2] Les travaux ont été menés dans l’unité de recherche « Génétique et biologie du développement » (Institut Curie, CNRS, Inserm, Sorbonne Université) par l’équipe « Mécanisme de répression par les protéines Polycomb » de Raphaël Margueron ; au Centre de Recherche en Cancérologie de Marseille (CRCM / Inserm, CNRS, Aix-Marseille Université, Centre de Lutte Contre le Cancer de la région PACA-Institut Paoli-Calmettes) par l’équipe d’Emmanuelle Charaffe-Jauffret et de Christophe Ginestier et avec l’EMBL à Heidelberg (Edith Heard).

[3] La technique CRISPR (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats) consiste à interrompre ou suspendre l’expression d’un gène en le ciblant de manière précise.

[4] Le tissu mammaire contient des canaux composés de cellules basales et luminales. Les lignées cellulaires choisies permettent de reproduire cette hétérogénéité du tissu.

[5] Maintien de l’équilibre entre le milieu intérieur et extérieur.

[6] La différenciation est la capacité d’une cellule à acquérir une fonction propre. Une cellule souche peut devenir n’importe quelle cellule (musculaire, excrétrice, osseuse, etc.) mais c’est sa localisation (donc son environnement et les facteurs de transcription qu’on y trouve) qui va déterminer son devenir.

La Guinée et la France renforcent leur coopération à travers la création d’une plateforme de recherche internationale (PRISME)

 

Plateforme PRISME signature

Création de la plateforme PRISME – signature de convention multipartite entre le ministère de la Santé et de l’Hygiène publique, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation, le CERFIG, l’Inserm, l’IRD et l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes. © Inserm.

 

Du 18 au 20 mai, la Présidente-directrice générale de l’IRD, Valérie Verdier, le Président-directeur général de l’Inserm, Gilles Bloch, et le Directeur de l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes, Yazdan Yazdanpanah, seront à Conakry, en Guinée. Cette première mission conjointe, qui se clôturera par la création d’une plateforme de recherche internationale (PRISME), illustre le dynamisme de la coopération scientifique, technique et académique franco-guinéenne dans le domaine de la santé.

La consolidation de cette coopération internationale et interinstitutionnelle – particulièrement de l’IRD et de l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes avec le Centre de recherche et de formation en infectiologie de Guinée (CERFIG) – se concrétise à travers la création d’une Plateforme de Recherche Internationale en Santé mondiale, PRISME, notamment dédiée aux maladies infectieuses émergentes.

PRISME a pour objectif de :

  • développer des projets de recherche ;
  • renforcer la formation à la recherche clinique ;
  • renforcer les capacités humaines, techniques et scientifiques du CERFIG.

La création de la plateforme fera l’objet d’une signature de convention multipartite le 19 mai de 16h30 à 18h30 à l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry (UGANC), entre le ministère de la Santé et de l’Hygiène publique, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation, le CERFIG, l’Inserm, l’IRD et l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes.

« La plateforme PRISME est au cœur des stratégies de partenariat de l’IRD dans le domaine des maladies infectieuses tropicales et s’inscrit dans la trajectoire de soutien et de consolidation du CERFIG. Cette collaboration témoigne d’une excellente complémentarité et synergie des acteurs français et guinéens de l’ESR autour des approches intégrées de Santé mondiale. Cette plateforme démontre notre volonté à rendre plus efficientes et structurantes nos actions sur le terrain. »

Valérie Verdier, Présidente-directrice générale de l’IRD

« Dans le cadre de ses missions de recherche sur les maladies infectieuses, l’Inserm s’est fortement mobilisé dès le début de l’épidémie Ebola en Afrique de l’Ouest. De cette mobilisation sont nés de nombreux partenariats fructueux qui ont été déployés avec les institutions de la République de Guinée notamment dans le cadre de la lutte contre les maladies infectieuses et émergentes. La création de la plateforme de recherche internationale PRISME s’inscrit dans la continuité d’une volonté conjointe française et guinéenne de consolider ces collaborations de recherche pour une meilleure synergie de nos équipes, afin d’améliorer durablement la santé des populations. »

Gilles Bloch, Président-directeur général de l’Inserm

« La création de cette nouvelle plateforme dédiée notamment aux maladies infectieuses émergentes constitue une avancée importante dans notre coopération avec les acteurs guinéens de la recherche, en particulier avec le CERFIG, notre partenaire de longue date. Elle permettra également de proposer un nouveau modèle de collaboration, qui pourra éventuellement être décliné dans d’autres pays partenaires de l’agence. »

Yazdan Yazdanpanah, Directeur de l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes

« Cette plateforme PRISME qui sera créée renforcera davantage la collaboration entre les chercheurs guinéens et français autour des enjeux actuels de santé. Elle constitue une opportunité inouïe de renforcement des capacités de jeunes et professionnels de santé guinéens dans le domaine de la recherche et de la formation. Elle sera un outil important dans l’anticipation et la gestion des épidémies et autres problèmes de santé en Guinée. »

Abdoulaye Touré, Directeur du CERFIG

 

Les membres de la délégation française profiteront de ce déplacement pour rencontrer leurs partenaires respectifs. Ils se rendront au centre de recherche clinique de Landréah[1] dans lequel se déroulent les essais PREVAC – PREVAC UP (soutenus par l’Inserm, l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes et l’EDCTP). L’équipe de l’IRD rencontrera ses partenaires sur les projets qu’il soutient dans le cadre de la lutte contre la trypanosomiase humaine africaine ainsi que dans le domaine des sciences marines.

 

[1] Le centre de recherche clinique de Landréah est géré par l’organisation non gouvernementale ALIMA, qui est également un partenaire opérationnel de l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes

InScience 2022 : l’Inserm fait son festival

L’évènement de culture scientifique revient pour une seconde édition. © Anne Defreville/Inserm

« Cultive ta santé avec l’Inserm ! » InScience est de retour du 1er au 15 juin 2022, avec de nombreux évènements qui vous permettront de rencontrer et d’échanger avec nos chercheurs et chercheuses. Aux quatre coins de la France, retrouvez nos expositions, participez à des escape games, des conférences, des ciné-débats… Au programme également, des vidéos et des podcasts en ligne, accessibles à tous et de partout. L’objectif ? Donner aux citoyens et aux citoyennes les clés pour devenir acteurs et actrices de leur propre santé et s’impliquer dans les débats en lien avec la devise de l’Inserm : « la science pour la santé ».

InScience est une manifestation unique en France dans le domaine de la recherche médicale et de la santé humaine. Cet évènement de culture scientifique est le fruit d’une importante mobilisation des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, qui, soucieux de partager une information fiable et de qualité, souhaitent valoriser la parole scientifique et faire découvrir leurs métiers au grand public.

Retrouvez l’intégralité du programme sur le site internet de l’Inserm ainsi que sur la page Facebook de l’évènement

L’Inserm près de chez vous

Pour cette seconde édition, les scientifiques de l’Inserm sont heureux de pouvoir aller à la rencontre du public grâce à un programme riche, décliné sur tout le territoire.

En voici un petit aperçu :

  • À Toulouse, au cours d’un rendez-vous convivial et inédit organisé à l’Eurêkafé, intitulé Du charabia au limpide, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm relèveront le défi de présenter leur projet de recherche en 180 secondes[1] dans un langage compréhensible par le plus grand nombre.
  • À Lyon, des scientifiques dont les travaux portent sur la sclérose en plaques communiqueront sur les avancées de la recherche autour de cette maladie auto-immune, en présence des associations de patients[2].
  • À Paris, venez assister à une conférence animée par des scientifiques de l’Inserm sur les perturbateurs endocriniens. D’où viennent-ils ? Comment s’en protéger ?[3] Autant de questions qui seront abordées avec beaucoup de pédagogie pour permettre au public de mieux appréhender ce sujet complexe.
  • À Lille, à Bastia et à Rennes, vous découvrirez le jeu vidéo ViRal et serez transportés à l’intérieur du corps humain grâce à la réalité virtuelle.
  • Ou encore à Strasbourg, l’Inserm présentera son ouvrage « Fake news santé » et le travail amorcé pour lutter contre les fausses informations en santé en s’appuyant sur la mobilisation des chercheurs et chercheuses depuis le début de la pandémie de Covid-19[4].

Une partie de la programmation sera aussi dédiée aux virus émergents. Dans une exposition inédite, l’Inserm reviendra ainsi sur les grandes épidémies du passé, la vie des virus, les armes dont notre organisme est doté pour les combattre, et toutes actions mises en œuvre par les scientifiques pour lutter contre les épidémies qu’ils provoquent. Installée à Mulhouse[5] jusqu’au 30 juin, l’exposition est également accessible en version numérique.

D’autres animations originales seront également proposées : participez à un escape game à Nantes[6] où vous serez enfermé dans un laboratoire avec une équipe de scientifique dont il faudra sauver l’un des membres atteint d’insuffisance rénale. Ou encore à l’installation sonore hEARt[7], un parcours musical évolutif dans lequel chaque battement cardiaque résonne comme un élément poétique, à vivre depuis les villes de Toulouse et Corte, une composition de Christophe Ruetsch, réalisée en collaboration avec des artistes, techniciens et scientifiques.

InScience 2022 sera également disponible en version numérique avec un programme complet de conférences en ligne, de podcasts ainsi que de vidéos originales et inédites comme la série « La Science dans tous les sens », présentée par une chercheuse Inserm à Montpellier, et destinée à la découverte des sens. Les internautes plongeront dans l’univers des recherches fondamentales et appliquées de l’Inserm sur des thématiques aussi variées et d’actualité que la santé des femmes[8] ou encore les troubles du stress post-traumatique[9].

 

[1] Le 2 juin, de 19h à 21h à l’Eurêkafé, à Toulouse

[2] Le 8 juin de 18h30 à 19h30 à la Mairie de Lyon

[3] Le 2 juin, à 19h, à la bibliothèque Benoite Groult, Paris 14e

[4] Le 2 juin, à 19h, à l’espace MAIF Etoile à Strasbourg et en retransmission dans tous les centres MAIF de France

[5] A la Nef des Sciences à Mulhouse

[6] Le 4 juin, à la librairie ludique Portails, à Nantes

[7] Du 9 au 12 juin, de 10h à 20h, à l’Eurêkafé, à Toulouse – du 1er au 5 juin à la citadelle de Corte

[8] Le 14 juin 19h30, sur la chaîne YouTube de l’Inserm

[9] Le 15 juin 18h, sur la chaîne YouTube de l’Inserm

Phagothérapie : un modèle pour prédire son efficacité face aux bactéries pathogènes

Photo (colorisée) de microscopie électronique à balayage d’une bactérie lysée par les phages (©L. Debarbieux, Institut Pasteur ; M. and C. Rohde, Helmholtz Centre for Infection Research).

L’antibiorésistance constitue aujourd’hui un défi majeur de santé publique, associé à une mortalité importante. Les bactériophages, ces virus « tueurs » de bactéries, pourraient constituer une solution afin de lutter contre les pathogènes résistants aux antibiotiques, mais leur développement clinique se heurte à plusieurs obstacles. Pour lever les freins, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, Université Sorbonne Paris Nord et Université Paris-Cité au sein du laboratoire IAME, en étroite collaboration avec des scientifiques de l’Institut Pasteur et de l’AP-HP, ont développé un modèle qui permet de mieux prédire l’efficacité de la phagothérapie. Il pourrait être utilisé pour mettre au point des essais cliniques plus robustes. Les résultats sont publiés dans la revue Cell Reports.

La découverte des antibiotiques a révolutionné l’histoire de la médecine au 20e siècle, permettant de lutter efficacement contre des bactéries pour lesquelles il n’y avait jusqu’alors pas de traitement. Cependant, l’antibiorésistance – phénomène durant lequel les bactéries deviennent résistantes aux antibiotiques suite à une utilisation massive et répétée de ces médicaments – est devenue un problème de santé publique majeur au cours des dernières décennies. On estime que ces bactéries résistantes sont responsables chaque année de 700 000 décès à travers le monde. Or, la découverte de nouveaux agents antibactériens stagne depuis plusieurs années.

Dans ce contexte, la phagothérapie a récemment suscité un regain d’intérêt. Cette approche thérapeutique se fonde sur l’utilisation de bactériophages qui ciblent et détruisent les bactéries pathogènes, mais sont incapables d’infecter l’être humain. Si le concept existe depuis longtemps, son développement clinique a été entravé par plusieurs limites.

Contrairement aux médicaments « classiques », les bactériophages sont des produits biologiques complexes, dont l’action dans l’organisme, la dose optimale ou la voie d’administration la plus efficace sont difficiles à étudier et à anticiper.

Afin de lever certains de ces obstacles, l’équipe de recherche menée par le chercheur Inserm Jérémie Guedj, en collaboration avec l’équipe de chercheurs de l’Institut Pasteur, dirigée par Laurent Debarbieux, a développé un nouveau modèle mathématique qui permet de mieux définir les interactions entre les bactériophages et la bactérie pathogène Escherichia coli chez l’animal et d’identifier les paramètres clés qui conditionnent l’efficacité de la phagothérapie.

Accompagner le développement clinique

Plusieurs données issues d’expériences in vitro et in vivo ont été utilisées pour construire ce modèle. Les chercheurs et chercheuses se sont notamment appuyés sur les paramètres d’infection des bactériophages déterminés au laboratoire (par exemple la durée du cycle infectieux des bactéries, le nombre de virus libérés quand une bactérie est détruite…) et sur des informations collectées lors d’expériences réalisées à l’aide d’un modèle d’infection pulmonaire chez la souris.

Une partie des animaux avait été infectée par une souche d’E. Coli bioluminescente (pour mieux la suivre dans l’organisme). Parmi eux, certains avaient été traités avec des bactériophages, selon différentes doses et voies d’administration. Les quantités de bactéries et de bactériophages ainsi mesurées au cours du temps ont permis d’alimenter le modèle mathématique et de tester quels étaient les paramètres les plus importants pour obtenir une phagothérapie efficace. 

En utilisant leur modèle, les scientifiques montrent que la voie d’administration est un paramètre important à prendre en compte pour améliorer la survie des animaux : plus celle-ci permet une arrivée rapide des bactériophages au contact des bactéries, plus elle est efficace. Dans le modèle animal, la phagothérapie par voie intraveineuse était ainsi moins performante que la voie intra-trachéale car le nombre de bactériophages atteignant les poumons était plus faible. Par contre, par voie intra-trachéale, le modèle suggère que la dose de médicament donnée conditionne peu l’efficacité de cette thérapie.

Autre point important : cette modélisation intègre des données portant sur la réponse immunitaire des animaux, dans le contexte de la phagothérapie. Le modèle confirme et étend le principe que les bactériophages agissent en synergie avec le système immunitaire des animaux infectés, permettant une élimination plus efficace des bactéries pathogènes.

« Dans cette étude, nous proposons une nouvelle approche pour rationaliser le développement clinique de la phagothérapie, qui connait encore à l’heure actuelle des limites. Notre modèle pourrait être réutilisé pour prédire l’efficacité de n’importe quel bactériophage contre la bactérie qu’il cible, dès lors qu’un nombre limité de données in vitro et in vivo sont disponibles sur son action. Au-delà de la phagothérapie, le modèle pourrait aussi être utilisé pour tester des thérapies anti-infectieuses fondées sur l’association entre bactériophages et antibiotiques », conclut Jérémie Guedj.

Cancers de l’enfant : de nouvelles perspectives prometteuses en immunothérapie

sarcome d’Ewing

En présence du facteur de transcription EWSR1-FLI-1 (gauche), les transcrits du gène NG3 (vert) – spécifiques du sarcome d’Ewing – sont abondants. Lorsque EWSR1-FLI-1 est diminué (droite), les transcrits NG3 disparaissent complètement. Les transcrits du gène FXR1 (rouge) – non dépendants de EWSR1-FLI-1 – restent, eux, présents. @ Kyra Bergman, Antoine Coulon

 

L’immunothérapie est en plein essor depuis ces dernières années, tant les bénéfices sont importants pour les patients et les recherches en cours, prometteuses. Toutefois, cette approche demeure le plus souvent inefficace pour lutter contre les cancers de l’enfant. Des scientifiques de l’Institut Curie, de l’Inserm et du CNRS viennent de mettre en évidence une nouvelle activité d’un facteur de transcription caractéristique du sarcome d’Ewing[1] : celui-ci induit l’expression de gènes hautement spécifiques à la tumeur. Une découverte qui pourrait ouvrir la voie à l’immunothérapie dans les sarcomes, et plus largement dans les tumeurs pédiatriques. Ces résultats ont été publiés le 11 mai 2022 dans la revue Molecular Cell, avec le soutien de la Ligue nationale contre le cancer.

L’immunothérapie est de plus en plus utilisée pour traiter les cancers, tant les bénéfices sont importants pour les patients. Ce traitement se caractérise par une grande efficacité et une espérance de vie prolongée, à travers le maintien de la réponse du système immunitaire au fil du temps. De nombreuses recherches prometteuses sont actuellement menées. Toutefois, l’immunothérapie connaît une limite principale. Elle demeure majoritairement inefficace pour le traitement des cancers pédiatriques. En effet, cette approche thérapeutique est fondée sur un concept clé : les mutations génétiques spécifiques aux tumeurs peuvent être identifiées comme non-soi par le système immunitaire. Or, dans les cancers de l’enfant, ces mutations sont peu nombreuses. Une étude menée par l’équipe du Dr Olivier Delattre, directeur de recherche Inserm à la tête de l’unité Cancer, Hétérogénéité, Instabilité et Plasticité (CHIP – Institut Curie/Inserm/Université de Paris), vient de mettre en évidence l’expression de gènes hautement spécifiques dans le sarcome d’Ewing1, et plus largement dans certains sarcomes et tumeurs pédiatriques.

L’altération génétique caractéristique des sarcomes présente une nouvelle activité

De nombreux cancers se caractérisent par des mutations génétiques particulières appelées « fusion de gènes » qui aboutissent à l’expression de protéines (facteurs de transcription) oncogènes. Près de 95 % des tumeurs d’Ewing sont dues à une fusion génétique caractéristique : le plus souvent, il s’agit d’une translocation[2] qui se produit entre les chromosomes 11 et 22 et aboutit à la synthèse d’une protéine anormale, le facteur de transcription EWS-FLI-1. Les fusions entre deux gènes se retrouvent dans un grand nombre de sarcomes, entraînant la présence de ces facteurs de transcription particuliers dits « chimériques[3] oncogènes ».

A l’origine de ces premières découvertes, l’équipe Diversité et plasticité des tumeurs de l’enfant dirigée par le Dr Delattre à l’Institut Curie fait un pas de plus dans la compréhension du rôle crucial de EWS-FLI-1. Les chercheurs révèlent que ce facteur de transcription spécifique au sarcome d’Ewing induit l’expression d’un ensemble de gènes dans des régions du génome qui sont normalement « silencieuses », autrement dit non transcrites. Leurs résultats indiquent que ces « néogènes » peuvent être traduits en peptides hautement spécifiques car fortement exprimés dans les cellules du sarcome d’Ewing, alors qu’ils sont absents des cellules normales de l’organisme.

Le rôle de ces facteurs de transcription dans les processus métastatiques est déjà connu mais il s’agit de la première fois qu’une telle activité est observée.

« L’existence de ces mutations génétiques particulières est retrouvée dans de nombreux cancers pédiatriques, laissant ainsi entrevoir la possibilité d’immunothérapies ciblant ces protéines spécifiques de la tumeur. Cette découverte pourrait s’avérer révolutionnaire pour la prise en charge des tumeurs de l’enfant qui constituent aujourd’hui la 2ème cause de mortalité chez les moins de 15 ans, » explique le Dr Olivier Delattre, directeur de recherche Inserm à la tête de l’unité Cancer, Hétérogénéité, Instabilité et Plasticité – CHIP (Institut Curie/INSERM/Université de Paris). « Il nous reste désormais à démontrer que ces nouvelles protéines identifiées peuvent constituer des cibles thérapeutiques réelles pour la mise au point d’immunothérapies. C’est l’objet des recherches que nous menons actuellement en collaboration avec l’unité Immunité et cancer (Institut Curie/Inserm/Université de Paris) dirigée par Ana-Maria Lennon et le Laboratoire d’Immunologie Clinique dirigé par le Dr Olivier Lantz à l’Institut Curie, » conclut le Dr Delattre.

Plus généralement, les auteurs de l’étude ont montré que des centaines de ces néogènes peuvent être détectés dans divers cancers caractérisés par des facteurs de transcription chimériques oncogènes. La grande spécificité et l’expression récurrente de ces peptides dans une grande diversité de sarcomes de l’enfant en font des cibles thérapeutiques prometteuses pour le développement d’immunothérapies dans le traitement des cancers pédiatriques.

La prise en charge des cancers pédiatriques à l’Institut Curie

Chaque année en France, environ 2 200 nouveaux cas de cancers pédiatriques sont diagnostiqués. Si plus de 80% des enfants sont en vie cinq ans après le diagnostic, il reste crucial de développer de nouvelles stratégies thérapeutiques pour ceux que l’on ne guérit pas encore et de diminuer les séquelles des traitements classiques. A l’Institut Curie, entre 300 et 400 jeunes patients sont pris en charge tous les ans par les équipes pluridisciplinaires du centre SIREDO (Soins, Innovation, Recherche, en oncologie de l’Enfant, l’aDOlescent et de l’adulte jeune) dirigé par le Dr Delattre. Avec le soutien des associations, elles mènent des travaux de recherche fondamentale, translationnelle, clinique, avec une forte spécialité sur les tumeurs solides : neuroblastome, médulloblastome, sarcome d’Ewing, rétinoblastome ou encore certaines tumeurs cérébrales.

 

[1] Deuxième tumeur osseuse maligne la plus fréquente après l’ostéosarcome chez les adolescents et les jeunes adultes, le sarcome d’Ewing se développe principalement dans les os du bassin, les côtes, les fémurs, les péronés et les tibias. A travers son fort pouvoir invasif, le sarcome d’Ewing peut entraîner l’apparition d’autres foyers cancéreux dans l’organisme, notamment au niveau des poumons, du squelette et de la moelle osseuse

[2] Réarrangement chromosomique qui implique l’échange réciproque de matériel chromosomique entre des chromosomes non homologues.

[3] Lorsqu’une seule séquence d’ADN provient de plusieurs transcriptions ou séquences parentes.

Covid-19 : Surrisque d’infection parmi les personnels de santé des hôpitaux lors de la première vague

© Adobe Stock

Des équipes du service des urgences de l’hôpital Pitié Salpêtrière AP-HP, de l’Inserm et de Sorbonne Université, coordonnées par le Pr Pierre Hausfater ont étudié le sur risque d’infection à Sars-CoV2 parmi les personnels de santé des hôpitaux en première ligne lors de la première vague de l’épidémie. Les résultats de cette étude à promotion AP-HP ont fait l’objet d’une publication dans la revue Scientific Reports le 4 mai 2022.

Lors de la première vague de l’épidémie de COVID-19, la question du risque de contamination des personnels de santé des hôpitaux a été un élément de préoccupation majeur.

L’étude de cohorte prospective SEROCOV est financée par le programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) National 2020 de la DGOS et coordonnée par le Pr Pierre Hausfater et le Pr Florence Tubach de l’hôpital Pitié-Salpêtrière AP-HP et de Sorbonne Université.

Elle vise à documenter les infections au Sars-CoV2 parmi le personnel médical et paramédical des services d’urgence, de réanimation, de maladies infectieuses et de virologie pendant l’épidémie de 2020 dans les hôpitaux AP-HP Pitié-Salpêtrière, Tenon, Saint-Antoine, Trousseau et Bichat – Claude-Bernard, et d’en identifier les facteurs de risque.

1062 personnels de santé répartis sur les cinq hôpitaux participants ont été inclus et suivis entre mars 2020 et septembre 2020.

Une sérologie Sars-CoV-2 était réalisée à l’inclusion, au bout d’un mois et au bout de trois mois, éventuellement complétée par une RT-PCR en cas de symptômes évocateurs. Un auto-questionnaire hebdomadaire devait être rempli par chaque agent.

L’incidence de l’infection à Sars-CoV-2 était de 5,9% à l’inclusion et de 13,7% au bout d’un mois, ce qui témoigne de la précocité de la contamination. Elle était de 14,6% au bout de trois mois.

Comparé à la population générale de 20 à 59 ans, la séroprévalence à un mois était plus élevée chez les personnels de santé : 13,3 % versus 6,4% dans l’étude SAPRIS.

Par ailleurs, le fait d’exercer dans un service de soins critiques, un service d’urgence ou de maladies infectieuses était associé à un risque significativement plus élevé d’infection (documentée par une sérologie positive et/ou une PCR positive) par rapport au laboratoire de virologie (odds ratio respectivement de 1,80, 95%CI [0,38; 8,58], 3,91 [0,83; 18,43] et 4,22 [0,92; 18,28]) .

L’âge, le sexe, la catégorie professionnelle, le nombre d’année d’expérience dans le métier ou le service n’apparaissaient pas comme des facteurs de risque, de même que le niveau d’application des mesures de protection individuelles.

Les personnels ayant déclaré un tabagisme actif avaient un risque significativement moindre d’infection. Néanmoins, ce résultat ne doit pas inciter à fumer pour limiter le risque de Covid-19, le tabagisme restant la première cause de mort évitable en France et rien ne permettant d’espérer un rapport risque/bénéfice positif du tabagisme dans la lutte contre le Covid-19.

Les résultats de cette étude confirment le sur risque d’infection à Sars-CoV2 parmi les personnels de santé des hôpitaux lors de la première vague de l’épidémie, notamment dans les services en première ligne, justifiant en cas de nouvelle pandémie une priorisation des mesures de protection dont la vaccination de ces personnels si elle existe.

Grippe : nouvelle piste pour développer des traitements innovants

Cellules épithéliales respiratoires humaines (en rouge) infectées par un virus grippal (en vert).

Cellules épithéliales respiratoires humaines (en rouge) infectées par un virus grippal (en vert). ©  A. Cezard, D. Diakite, A. Guillon, M. Si-Tahar, PST ASB-département des microscopies.


La grippe saisonnière constitue un enjeu de santé publique majeur puisqu’elle demeure associée à une mortalité importante, notamment chez les personnes âgées et/ou immunodéprimées et a un coût socio-économique significatif. Alors que la vaccination et les traitements actuellement disponibles comportent encore des limites, des équipes de recherche tentent de développer de nouvelles approches thérapeutiques. Au Centre d’Étude des Pathologies Respiratoires de Tours, des scientifiques de l’Inserm, de l’université et du CHRU de Tours ont montré que dans le contexte d’une infection grippale, un métabolite[1] appelé succinate, normalement présent dans l’organisme, a une action antivirale et anti-inflammatoire. Ces résultats permettent d’ouvrir de nouvelles perspectives thérapeutiques fondées sur l’utilisation de dérivés du succinate. L’étude est publiée dans EMBO Journal.

Souvent considérée comme une maladie bénigne, la grippe tue encore 10 000 à 15 000 personnes chaque année en France. Le coût socio-économique est également important puisque la maladie est associée à une charge hospitalière et un absentéisme élevés.

La vaccination contre la grippe saisonnière constitue un pilier central des stratégies préventives mises en place pour réduire le nombre de cas et lutter contre la maladie. Cependant, son efficacité peut varier d’une année sur l’autre, en fonction des virus grippaux en circulation et de l’adéquation du vaccin à celles-ci. Des médicaments qui ciblent directement le virus grippal sont disponibles pour les cas graves, mais la fenêtre de temps pour agir efficacement avec ces traitements est très courte. De plus, des virus de la grippe sont devenus résistants à leur action.

Dans ce contexte, le développement de thérapies antigrippales innovantes est une priorité. Alors que les traitements actuels fonctionnent par ciblage de certains constituants du virus, Mustapha Si-Tahar, directeur de recherche Inserm, et ses collègues au Centre d’Étude des Pathologies Respiratoires, tentent plutôt de mieux comprendre les réponses cellulaires et moléculaires de l’hôte face à l’infection virale, avec l’objectif à terme de développer de nouvelles stratégies thérapeutiques visant à renforcer ces réponses.

Le rôle des métabolites dans la réponse immunitaire

Le métabolisme1 a longtemps été considéré comme une machinerie purement énergétique indispensable au fonctionnement cellulaire. Des travaux récents ont cependant montré que certains métabolites pouvaient également réguler la réponse immunitaire.

En s’appuyant sur ces données, l’équipe de Mustapha Si-Tahar s’est demandé si une infection grippale pouvait provoquer une reprogrammation du métabolisme des cellules cibles du virus et si certains métabolites spécifiques jouaient un rôle particulièrement actif dans la réponse immunitaire antigrippale.

Chez des souris grippées, les chercheurs ont observé qu’un métabolite appelé « succinate » s’accumule dans les poumons. Ce phénomène a ensuite été confirmé chez l’humain, en comparant des fluides respiratoires de patients en réanimation souffrant ou non de pneumonie grippale. La présence de succinate était significativement plus élevée chez les patients grippés.

Ils ont ensuite exposé des cellules de l’épithélium pulmonaire au succinate, et démontré que la molécule a une action antivirale enbloquant la multiplication du virus. Le succinate contribue aussi à réduire la forte réponse inflammatoire qui se déclenche dans les poumons suite à l’infection grippale.

Les chercheurs ont également constaté que des souris exposées au virus qui reçoivent du succinate par voie intranasale sont mieux protégées contre l’infection et ont un taux de survie plus important que les souris qui n’en reçoivent pas.

A la recherche des mécanismes moléculaires

Afin de mieux comprendre ces différents phénomènes, les scientifiques se sont penchés sur le décryptage des mécanismes moléculaires à l’origine de l’action antivirale du succinate.

Dans cette optique, ils ont analysé l’impact du succinate sur les différentes étapes du cycle de réplication virale. Ils ont démontré que ce métabolite n’influence pas les étapes précoces de ce cycle (entrée, transcription et traduction) mais une étape plus tardive. Les résultats indiquent que ce métabolite empêcherait une protéine structurale majeure du virus, appelée « nucléoprotéine », de sortir du noyau des cellules infectées, ne permettant pas l’assemblage de la particule virale finale. Par conséquent, le cycle de multiplication du virus est interrompu.

Toutes ces données suggèrent le rôle important du succinate dans le contrôle de l’infection grippale, ainsi que son intérêt thérapeutique.

« La perspective de nos travaux est intéressante car ils ouvrent potentiellement la voie au développement de nouveaux traitements antiviraux dérivés du succinate », souligne Mustapha Si Tahar[2].

Des études complémentaires devront être réalisées pour tester le potentiel thérapeutique du succinate et identifier d’autres métabolites d’intérêt.

 

[1] Le métabolisme est l’ensemble des réactions chimiques se produisant dans les cellules de l’organisme. Un métabolite est une substance organique qui est issue du métabolisme.

[2] Dans la lignée de ces travaux, Mustapha Si-Tahar coordonne depuis début 2021 un programme ANR intitulé « Développement d’analogues et de formulations à base de succinate contre les infections respiratoires induites par le SARS-CoV-2 et les virus grippaux ». Son équipe bénéficie par ailleurs d’un « ERS-RESPIRE4 Marie Skłodowska-Curie fellowship » pour développer un projet intitulé «Succinate-Producing Probiotics as an Innovative Therapy for Viral Respiratory Infections : a proof-of-concept study ».

Il existerait un lien entre la taille du réseau social et la structure du cerveau

Mère macaque toilettant son jeune singe.

Mère macaque toilettant son jeune singe. Cette image illustre la façon dont les macaques établissent des relations avec leurs compagnons. © Noah Snyder-Mackler

Plus nos relations sociales seraient nombreuses, plus certaines structures de notre cerveau seraient développées. Telle est l’hypothèse au cœur de plusieurs travaux de recherche en neurosciences depuis plusieurs années. De précédents résultats ayant mis en avant le rôle de notre environnement social en tant que l’un des facteurs clés à l’origine de l’expansion du cortex cérébral, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm et de l’université Lyon Claude Bernard Lyon 1, en collaboration avec l’université de Pennsylvanie, ont fait un pas supplémentaire pour mieux comprendre ce lien. Ils se sont intéressés plus spécifiquement à une espèce de macaques dont l’architecture du cerveau est comparable à celle de l’Homme. En observant les animaux dans leur état naturel et en analysant des images de leurs cerveaux, ils ont découvert que le nombre de compagnons de ce primate non-humain permettait de prédire la taille de certaines zones de son cerveau, qui sont notamment associées à la cognition sociale et l’empathie. Les résultats de cette étude sont publiés dans la revue Science Advances.

Les liens entre le réseau social et la taille du cerveau ont fait l’objet de précédentes études dans le domaine des neurosciences. Des scientifiques se sont par exemple déjà intéressés à la variation de la taille de l’amygdale du cerveau humain, en fonction du nombre d’amis Facebook que possède un individu[1].

Pour compléter ces recherches et essayer de mieux comprendre l’organisation et les fonctions des réseaux neuronaux chez l’Homme, des équipes ont travaillé avec une espèce animale aux caractéristiques cérébrales proches de celles de l’humain, à savoir les macaques rhésus.

Dans une nouvelle étude, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm et de l’université Claude Bernard Lyon 1 au sein de l’Institut cellule souche et cerveau, en collaboration avec l’université de Pennsylvanie, ont étudié un groupe de ces primates non-humains dans leur état naturel et pendant plusieurs mois avant d’imager leur cerveau. Le fait d’étudier les animaux en liberté leur a permis d’appréhender le groupe social dans toute sa complexité. Les scientifiques ont ainsi pu mesurer l’intensité[2] des interactions avec les autres individus ou encore d’identifier la position hiérarchique sociale de l’animal au sein du groupe.

Une partie des observations a porté par exemple sur les partenaires de toilettage, qui représentent des relations directes et importantes pour les macaques.

En parallèle de ce travail d’observation comportementale, les scientifiques ont analysé les scanners cérébraux des individus du groupe, qui était composé de 103 macaques rhésus dont 68 adultes et 21 jeunes macaques âgés de moins de 6 ans.

Ils ont découvert que, chez l’adulte, plus l’animal avait un nombre important de compagnons, plus certaines régions de son cerveau situées dans le lobe temporal étaient de taille importante.

Il s’agit de l’insula antérieur et de la partie médiane du Sillon temporal Supérieur[3] – des régions considérées primordiales pour se représenter les émotions et la perception des comportements d’autrui.

Pour mieux comprendre comment ce phénomène se met en place, les scientifiques ont également pu recueillir les scanners cérébraux de 21 jeunes macaques âgés de moins de 6 ans.  Les travaux ont montré qu’ils ne sont pas nés avec ces différences de taille des structures cérébrale mais qu’elles se mettent en place au cours de leur développement.

D’après les observations des chercheurs, il n’y aurait donc à la naissance aucune corrélation entre la taille du réseau social et le volume du cerveau. Ces résultats suggèrent que l’exposition à l’environnement social au cours de la vie participe à la maturation des réseaux cérébraux.

« Cet aspect est intéressant, car si nous avions observé la même corrélation chez les jeunes macaques, cela aurait pu signifier que naître d’une mère très populaire (ayant beaucoup d’interactions avec le groupe), aurait pu prédisposer le nouveau-né à devenir à son tour populaire. Au contraire, nos données suggèrent que les différences que nous observons chez l’adulte serait fortement déterminée par nos environnements sociaux, peut-être plus que par notre prédisposition innée », explique Jérôme Sallet, directeur de recherche à l’Inserm.

À la suite de cette étude, les chercheurs souhaitent désormais étudier les changements anatomiques au niveau cellulaire, afin de révéler les mécanismes en œuvre lors de l’augmentation de la taille des zones du cerveau identifiées à l’aide d’imagerie cérébrale.

 

[1] Kanai R., Bahrami B., Roylance R. and Rees G. 2012. Online social network size is reflected in human brain structure, Proc. R. Soc. B.

[2] Les chercheurs ont mesuré le nombre d’interactions des animaux, leur durée et si ces interactions étaient coopératives ou agressives.

[3] La partie médiane du Sillon temporal Supérieur est impliquée dans la perception et la cognition sociale. 

Infertilité : nouvelles pistes pour comprendre les effets délétères de la chimiothérapie

immunomarquage

Image représentative d’un immunomarquage sur une coupe de testicule de souris. Le marquage rouge permet de visualiser les cellules germinales indifférenciées et le marquage vert correspond à la détection de la protéine GFP reflétant l’expression du récepteur TGR5 dans ce modèle d’étude. ©David Volle/Inserm

L’infertilité est un problème de santé publique affectant des millions de couples en France. Parmi les causes possibles, la chimiothérapie a été pointée du doigt comme ayant des effets particulièrement délétères sur la fertilité des femmes comme sur celle des hommes. Comprendre les mécanismes à l’origine de ces effets négatifs est une priorité afin de mieux les prévenir et de restaurer la fertilité chez les survivants du cancer. Dans une nouvelle étude, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS et de l’université Clermont Auvergne se sont intéressés à un récepteur que l’on retrouve sur les cellules germinales masculine à l’origine des gamètes. L’objectif : mieux comprendre son rôle dans l’infertilité causée par une exposition à la chimiothérapie. Les résultats, publiés dans le journal Advanced Science, ouvrent la voie à une meilleure compréhension de l’infertilité masculine et au développement de traitements pour réduire les risques de stérilité en cas de chimiothérapie.

Près de 3,3 millions de Français sont directement touchés par l’infertilité. Celle-ci peut concerner aussi bien les hommes que les femmes et n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Il s’agit aujourd’hui d’un problème de santé publique majeur[1].

Si les causes de l’infertilité sont nombreuses, il est actuellement bien établi que les traitements contre le cancer, et notamment la chimiothérapie, peuvent avoir des effets particulièrement délétères sur la fertilité masculine et féminine. Alors que les thérapies anticancéreuses ont connu des améliorations ces dernières années, il devient urgent de se pencher sur cette problématique, car un nombre croissant de survivants du cancer va être concerné par des problèmes d’infertilité.

Depuis près de 15 ans, le chercheur Inserm David Volle et son équipe au sein du laboratoire Génétique, reproduction et développement (Inserm/CNRS/Université Clermont Auvergne) tentent de mieux comprendre les mécanismes biologiques sous-jacents de l’infertilité. Une partie de leurs travaux s’intéresse à l’impact de la chimiothérapie sur la fertilité masculine, avec l’objectif à plus long terme d’identifier des pistes pour contrer les effets néfastes de ce traitement.

Dans leur nouvelle étude, les chercheurs et chercheuses se sont intéressés à des récepteurs présents à la membrane des cellules, appelés TGR5, pour comprendre leur rôle dans les effets délétères de la chimiothérapie.

Les récepteurs TGR5 sont très étudiés dans le contexte des maladies métaboliques comme le diabète et l’obésité. Ils sont en effet activés par les acides biliaires, des molécules produites au niveau du foie qui régulent certaines fonctions physiologiques, dont la glycémie et la dépense énergétique.

De précédents travaux de l’équipe avaient toutefois montré que ces récepteurs sont aussi présents au niveau des cellules germinales, les cellules à l’origine des gamètes. Dans des modèles de souris mimant une maladie hépatique, avec des taux d’acides biliaires élevés, les scientifiques avaient constaté que les récepteurs TGR5 sur les cellules germinales étaient activés, ce qui était associé à une augmentation de la stérilité chez les animaux.

Mort des cellules germinales

Pour aller plus loin et comprendre l’impact des TGR5 sur la fertilité dans le contexte de la chimiothérapie, les scientifiques ont ici exposé des souris à un agent de chimiothérapie appelé busulfan. Ils ont alors montré que la chimiothérapie induit la mort d’une partie des cellules germinales chez des souris saines, affectant ainsi leur fertilité. « Le fait que ce soit les cellules germinales, encore indifférenciées, qui soient touchées est particulièrement problématique car l’on touche à la réserve des cellules produisant les gamètes. Cela peut réduire leur renouvellement et contribuer à l’infertilité post-chimiothérapie », souligne David Volle.

En revanche, chez des souris qui ont été génétiquement modifiées pour que les récepteurs TGR5 soient absents, les effets de la chimiothérapie sur les cellules germinales sont atténués. Cela se traduit par un retour accéléré de la fertilité chez ces souris traitées au busulfan par rapport aux souris témoins.

« Notre étude a donc permis de mieux comprendre les mécanismes moléculaires impliqués dans les impacts délétères des chimiothérapies sur les cellules germinales et la fertilité. En effet, ces résultats démontrent que les récepteurs TGR5 jouent un rôle important dans les effets délétères de la chimiothérapie sur l’infertilité », ajoute David Volle.

A plus long terme, l’objectif serait de développer des méthodes pour moduler l’activation des récepteurs TGR5 de manière ciblée au sein des cellules germinales, afin de protéger ces dernières et de restaurer la fertilité après la chimiothérapie.

L’idée serait aussi d’évaluer si ces données peuvent être extrapolées dans d’autres contextes pathologiques où l’activité des récepteurs TGR5 pourrait être modulée telles que l’obésité ou le diabète, des pathologies connues pour altérer la fertilité.

Par ailleurs, en parallèle de ces travaux, l’équipe a constaté que même lorsque la fertilité était maintenue chez les souris exposées à la chimiothérapie, la qualité des gamètes était affectée. Les scientifiques s’attachent donc désormais à comprendre les impacts sur les cellules germinales tant au niveau quantitatif que qualitatif pour limiter les troubles de la fertilité, mais également les conséquences à plus long terme sur la descendance des animaux.

 

[1] La publication d’un rapport demandé par le ministre de la Santé et le secrétaire d’Etat chargé de l’Enfance et des Famille, en Février 2022 dessine les contours d’une stratégie nationale de lutte contre l’infertilité : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_sur_les_causes_d_infertilite.pdf

Décryptage d’un dialogue direct entre le microbiote intestinal et le cerveau

Schéma montrant le dialogue direct entre le microbiote intestinal et le cerveau

© Institut Pasteur / Pascal Marseaud

 

Des produits dérivés du microbiote intestinal se retrouvent dans la circulation sanguine et modulent les processus physiologiques de l’hôte, tels que l’immunité, le métabolisme et les fonctions cérébrales. Des scientifiques de l’Institut Pasteur (organisme de recherche partenaire d’Université Paris Cité), de l’Inserm et du CNRS ont découvert dans un modèle animal que des neurones de l’hypothalamus détectent directement les variations de l’activité bactérienne et adaptent l’appétit et la température corporelle en conséquence. Ces résultats montrent l’existence d’un dialogue direct entre le microbiote intestinal et le cerveau, une découverte qui pourrait être exploitée pour de nouvelles approches thérapeutiques contre les troubles métaboliques, tels que le diabète ou l’obésité. Ces résultats seront publiés dans Science le 15 avril 2022.

Le microbiote intestinal constitue le plus grand réservoir de bactéries de l’organisme. De plus en plus de travaux montrent combien l’hôte et son microbiote intestinal sont dépendants l’un de l’autre, et soulignent l’importance de l’axe intestin-cerveau.

A l’Institut Pasteur, des neurobiologistes de l’unité Perception et mémoire (Institut Pasteur/CNRS)[1], des immunobiologistes de l’unité Microenvironnement et immunité (Institut Pasteur/Inserm), et des microbiologistes de l’unité Biologie et génétique de la paroi bactérienne (Institut Pasteur/CNRS/Inserm)[2] ont mis en commun leurs expertises pour comprendre comment les bactéries de l’intestin peuvent avoir un effet direct sur l’activité de certains neurones du cerveau.

Les scientifiques se sont intéressés particulièrement au récepteur NOD2 (Nucleotide Oligomerization Domain) qui est présent à l’intérieur des cellules, en particulier des cellules immunitaires. Ce récepteur détecte la présence de muropeptides, des composés des parois bactériennes, qui peuvent être considérés comme les produits dérivés du microbiote intestinal.

Par ailleurs, il était déjà connu que des variants du gène codant pour le récepteur NOD2 sont associés à certaines maladies du système digestif, telles que la maladie de Crohn, mais aussi à certaines maladies neurologiques ou troubles de l’humeur.

 

Ces données ne permettaient pas encore de conclure à un rapport direct entre le fonctionnement des neurones du cerveau et l’activité bactérienne de l’intestin. C’est ce qu’a mis en lumière dans cette nouvelle étude le consortium de scientifiques.

Grâce à des techniques d’imagerie cérébrale, les scientifiques ont tout d’abord observé, chez la souris, que le récepteur NOD2 est exprimé par des neurones de différentes régions du cerveau, et en particulier dans un centre nommé l’hypothalamus. Ils ont ensuite découvert que ces mêmes neurones voient leur activité électrique réprimée lorsqu’ils rencontrent des muropeptides bactériens issus de l’intestin. Les muropeptides sont libérés par les bactéries lorsqu’elles prolifèrent. « Les muropeptides présents dans l’intestin, le sang et le cerveau sont considérés comme les marqueurs de la prolifération bactérienne », explique Ivo G. Boneca, responsable de l’unité Biologie et génétique de la paroi bactérienne à l’Institut Pasteur (CNRS/Inserm).

À l’inverse, dans le cas où le récepteur NOD2 est défaillant, ces neurones ne sont plus réprimés par les muropeptides ; le cerveau perd alors le contrôle de la prise alimentaire et de la température corporelle.

En conséquence, les souris prennent du poids et sont plus susceptibles à développer un diabète de type 2, en particulier chez les femelles âgées.

Chose étonnante, les scientifiques ont montré ici que ce sont les neurones qui perçoivent directement les muropeptides bactériens, alors que cette tâche est généralement dévolue aux cellules du système immunitaire. « Il est stupéfiant de découvrir que des fragments bactériens agissent directement sur un centre nerveux aussi stratégique que l’hypothalamus, connu pour gérer des fonctions vitales comme la température corporelle, la reproduction, la faim, ou la soif » commente Pierre-Marie Lledo, chercheur CNRS et responsable de l’unité Perception et mémoire à l’Institut Pasteur.

Ainsi, les neurones semblent détecter l’activité bactérienne (la prolifération et la mort) pour mesurer directement l’impact de la prise alimentaire sur l’écosystème intestinal. « Il est possible qu’une prise alimentaire excessive ou un aliment particulier favorise l’expansion exagérée de certaines bactéries ou de pathogènes, et mette ainsi en danger l’équilibre intestinal », souligne Gérard Eberl, responsable de l’unité Microenvironnement et immunité à l’Institut Pasteur (Inserm).

Étant donné l’impact des muropeptides sur les neurones de l’hypothalamus et le métabolisme, on peut s’interroger sur leur rôle dans d’autres fonctions du cerveau, et ainsi comprendre l’association entre certaines maladies du cerveau et les variants génétiques de NOD2. Cette découverte ouvre la voie à de nouveaux projets interdisciplinaires pour les trois équipes de recherche et à terme, à de nouvelles approches thérapeutiques contre les maladies du cerveau, ou les maladies métaboliques comme le diabète et l’obésité.

 

[1] Unité de recherche portant aussi le nom de « Gènes, synapses et cognition » (Institut Pasteur/CNRS).
A également participé à ces résultats, l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (CNRS/Inserm/Sorbonne Université/AP-HP).

[2] Autre nom de l’unité CNRS : « Microbiologie intégrative et moléculaire », autre nom de l’unité Inserm : « Interactions hôte-microbes et pathophysiologie » (Institut Pasteur/CNRS/Inserm).

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