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Le gène MICA est un nouveau gène de réponse immune permettant de prédire l’échec d’une greffe de rein

Image histologique d’un rejet de greffe rénale médié par des anticorps. Sophie Caillard/Jérome Olagne (Inserm U1109)

La greffe de rein est l’unique traitement curatif pour les personnes souffrant d’insuffisance rénale terminale, mais cette intervention n’est pas toujours un succès car le greffon peut être rejeté par l’organisme du patient. Afin de diminuer le risque de rejet, les médecins peuvent aujourd’hui s’intéresser à un certain nombre de paramètres génétiques et immunologiques pour évaluer l’histocompatibilité entre donneur et receveur, c’est-à-dire le degré de compatibilité de leurs organes et de leurs tissus. Toutefois, les rejets sont toujours fréquents et beaucoup demeurent inexpliqués. Dans une nouvelle étude, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, de l’Université de Strasbourg et des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg au sein de l’unité U1109 « Immunologie et Rhumatologie Moléculaire », et leurs partenaires du Laboratoire d’Excellence (LabEx) Transplantex, rapportent que le gène MICA est un nouveau gène d’histocompatibilité, c’est à dire qu’il permet de mieux expliquer et prédire le succès ou l’échec d’une greffe de rein. Les résultats sont publiés dans la revue Nature Medicine.

La greffe de rein est aujourd’hui le meilleur traitement disponible pour les patients atteints d’insuffisance rénale terminale. En France, près de 4000 greffes rénales sont effectuées en moyenne chaque année (près de 20000 aux Etats-Unis). Ces greffes sont principalement réalisées à partir de donneurs décédés, même si le nombre de greffes à partir de donneurs vivants augmente progressivement chaque année depuis vingt ans.

La possibilité de rejet du greffon considéré comme « étranger » par l’organisme du receveur demeure aujourd’hui la limite principale de cette procédure. La prise de médicaments immunosuppresseurs[1] permet de réduire le risque mais ne l’élimine pas et le rejet dit « chronique » (à distance de l’acte chirurgical de la greffe) reste une problématique majeure.

La découverte du système HLA par le chercheur français Jean Dausset et ses collègues au milieu du XXe siècle a permis des avancées importantes. Il s’agit d’un ensemble de protéines codées par les gènes HLA, qui sont présentes à la surface de nos cellules notamment des globules blancs.

Très diversifié et spécifique à chaque individu, ce système permet d’évaluer l’histocompatibilité entre donneur et receveur, c’est-à-dire le degré de compatibilité de leurs organes et de leurs tissus. Plus les gènes HLA entre donneurs et receveurs sont proches, plus le risque de rejet est diminué.

Cependant, il arrive que même lorsque les gènes HLA du donneur et du receveur sont compatibles, des rejets de greffes inexpliqués surviennent. Ce phénomène suggère que d’autres gènes d’histocompatibilité non encore identifiés peuvent être impliqués dans les rejets.

Un rôle pour le gène MICA

Des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, de l’université de Strasbourg et des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg et leurs partenaires du LabEx Transplantex se sont donc intéressés à un gène découvert il y a déjà presque trente ans par Seiamak Bahram[2] qui a coordonné ces nouveaux travaux.

Ce gène, appelé MICA, code pour une protéine exprimée sur plusieurs types de cellules. De précédentes études avaient déjà suggéré que ce gène était important pour prédire le devenir d’une greffe, mais elles portaient sur un nombre trop restreint de patients (entre autres limites méthodologiques) pour pouvoir affirmer qu’il s’agissait d’un gène d’histocompatibilité. Par ailleurs ces études ne s’intéressaient pas au système MICA dans son ensemble, c’est-à-dire à la fois à la génétique (histocompatibilité) et aux aspects sérologiques (présence d’anticorps anti-MICA dans le sang du receveur).

L’équipe a ici étudié le gène MICA chez plus de 1500 patients ayant reçu une greffe de rein ainsi que chez leurs donneurs. Les analyses de séquences du gène MICA révèlent que lorsque receveur et donneur présentent une version différente du gène, la survie du greffon est diminuée.

Par ailleurs, les chercheurs et chercheuses montrent que ces incompatibilités du gène MICA sont à l’origine chez les patients de la synthèse d’anticorps dirigés contre les protéines MICA du donneur, qui interviennent dans le rejet de greffe. Ces anticorps sont produits lorsque les protéines MICA du donneur sont trop différentes de celles du receveur.

Ces résultats suggèrent que le gène MICA serait un gène d’histocompatibilité pertinent à prendre en compte au moment d’une greffe, et que la recherche d’anticorps anti-MICA peut également être intéressante pour prédire le succès ou l’échec de la greffe. Ils doivent maintenant être validés dans le cadre de larges études prospectives dans laquelle MICA sera considéré au même titre que les gènes HLA classiques.

« Suite à ce travail, on pourrait d’ores et déjà envisager de généraliser en clinique le séquençage du gène MICA et l’identification d’anticorps anti-MICA chez les patients avant la greffe pour évaluer l’histocompatibilité avec le donneur et après la greffe pour mieux prévenir les épisodes de rejets. Enfin, nous envisageons aussi d’étudier le rôle du gène MICA dans la greffe d’autres organes solides, notamment le cœur, le poumon ou encore le foie », souligne Seiamak Bahram.

 

[1] Traitements qui limitent l’action du système immunitaire utilisés pour les maladies auto-immunes ou en cas de greffe.

[2] Professeur des Université-Praticien Hospitalier et directeur de l’Unité 1109 de l’Inserm et du LabEx Transplantex et chef de service d’immunologie biologique aux HUS.

Être exposé à la pollution atmosphérique augmenterait le risque d’avoir de moins bonnes performances cognitives

La pollution de l’air est associée en France à des milliers de décès tous les ans. © Unsplash

40 % des cas de démences pourraient être évités ou retardés en agissant sur des facteurs modifiables, facteurs au sein desquels figure la pollution de l’air[1]. Pour aller plus loin et obtenir des données précises sur ce facteur de risque, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, de l’université de Rennes 1 et de l’École des hautes études en santé publique (EHESP) à l’Irset ont voulu identifier l’impact sur les performances cognitives de trois polluants liés au trafic routier (particules fines de diamètre inférieur à 2,5 microns, dioxyde d’azote et carbone suie). Ils ont ainsi comparé les résultats de tests cognitifs d’un large échantillon de personnes selon leur niveau d’exposition à ces différents polluants. Les résultats de l’étude suggèrent un lien entre une exposition à de plus fortes concentrations de polluants et un niveau plus faible des performances cognitives, lien qui diffère selon les polluants. Ils font l’objet d’une publication dans The Lancet Planetary Health.

Les effets nocifs des polluants atmosphériques sur la santé, même à de faibles niveaux d’exposition sont bien documentés. De récentes recherches ont notamment suggéré qu’en plus d’accroître le risque de développer des maladies cardiovasculaires et pulmonaires, la pollution de l’air pourrait accélérer le déclin cognitif, un des symptômes annonciateurs d’une pathologie neurodégénérative comme la maladie d’Alzheimer[2] et d’autres démences.

Depuis quelques années, la pollution de l’air est ainsi reconnue comme un facteur de risque « modifiable » de la démence, c’est-à-dire sur lequel il est possible d’agir via des changements dans la réglementation qui encadre les niveaux de pollution tolérés. Cependant, aucune étude ne s’est jusqu’alors intéressée simultanément à plusieurs types de polluants et à leurs potentiels effets respectifs sur les différents domaines de la cognition.

Des chercheurs de l’Inserm, de l’université de Rennes 1 et de l’École des hautes études en santé publique (EHESP) à l’Irset ont étudié comment le niveau d’exposition aux polluants atmosphériques impacte les performances cognitives. Une étude ayant révélé qu’une baisse des performances cognitives pouvait survenir dès l’âge de 45 ans[3], l’équipe de recherche s’est appuyée sur les données de plus de 61 000 participants de la cohorte épidémiologique Constances, âgés de 45 ans et plus.

Tous ont participé à une série de tests mesurant leurs performances cognitives dans trois grands domaines de la cognition : la mémoire, la fluidité d’expression orale (ou fluence verbale) et la capacité à prendre des décisions (ou fonctions exécutives[4]). Les chercheurs ont établi un score des performances cognitives pour chacun des tests, en tenant compte du sexe, de l’âge et du niveau d’étude de chaque participant.

Pour mesurer l’exposition de chaque participant à la pollution, l’équipe de recherche a utilisé des cartes dites « d’exposition » qui estiment la concentration de polluants à l’adresse du domicile. Ces cartes prennent en compte plusieurs variables comme la densité du trafic routier ou encore la proximité du domicile aux routes. Trois polluants liés au trafic routier ont été considérés dans le cadre de l’étude : les particules fines de diamètre inférieur à 2,5 microns (PM2,5), le dioxyde d’azote (NO2) et le carbone suie.

En croisant les résultats des tests cognitifs avec le niveau d’exposition aux trois polluants atmosphériques, l’étude indique que l’exposition à de plus grandes concentrations de ces polluants serait associée significativement à un plus bas niveau de performances dans les trois domaines cognitifs étudiés.

Pour les participants les plus exposés, les chercheurs ont constaté une différence allant de 1 à près de 5 % du score des performances cognitives par rapport aux participants moins exposés.

« Les capacités les plus impactées sont la fluence verbale et les fonctions exécutives, précise Bénédicte Jacquemin, la chercheuse Inserm qui a dirigé ces travaux. Le dioxyde d’azote et les particules PM2,5 impactent d’avantage la fluence verbale, tandis que le carbone suie a un plus grand impact sur les fonctions exécutives. »

Elle conclut : « La prochaine étape de nos recherches consiste à observer l’évolution dans le temps des fonctions cognitives de ces adultes, afin de voir si l’exposition à la pollution est aussi associée à une baisse du fonctionnement cognitif avec le temps, baisse qui peut refléter les premiers signes de démences, tant de la maladie d’Alzheimer que d’autres formes de démences du sujet âgé. »

[1] Livingston G, Huntley J, Sommerlad A, et al. Dementia prevention, intervention, and care:

2020 report of the Lancet Commission. The Lancet 2020; 396: 413–46.

[2] Livingston G, Huntley J, Sommerlad A, et al. Dementia prevention, intervention, and care: 2020 report of the Lancet Commission. The Lancet 2020

[3] Singh-Manoux A, Kivimaki M, Glymour M M, Elbaz A, Berr C, Ebmeier K P et al. Timing of onset of cognitive decline: results from Whitehall II prospective cohort study, BMJ 2012

[4] Ensemble de processus cognitifs (raisonnement, planification, résolution de problèmes…) qui nous permettent de nous adapter au contexte, aux situations nouvelles.

Augmentation significative de la mortalité infantile en France

En France, pour la première fois en temps de paix, le taux de mortalité infantile remonte significativement depuis une dizaine d’années. ©Adobe Stock

Le taux de mortalité infantile est un indicateur clé de la santé d’une population. En l’absence de données actualisées sur les tendances statistiques de cet indicateur en France, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, d’Université de Paris, de l’AP-HP et du CHU de Nantes, en collaboration avec des équipes de l’Université de Californie, ont analysé les données d’état civil de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) entre 2001 et 2019. Ils ont pu identifier une augmentation significative du taux de mortalité infantile depuis l’année 2012, la France s’éloignant ainsi de la situation d’autres pays avec des économies développées. Les résultats sont publiés dans le journal The Lancet Regional Health Europe et témoignent de l’importance d’approfondir la recherche des causes précises de ces 1200 décès par excès observés chaque année en France avant l’âge d’un an.

Les Nations Unies ont fixé comme l’un de leurs objectifs prioritaires l’élimination des décès évitables d’enfants d’ici à 2030. La grande majorité des décès pédiatriques survenant au cours de la première année de vie, on utilise le taux de mortalité infantile[1] pour suivre la progression vers cet objectif. Ce taux est un indicateur clé de la santé de la population, étant donné sa forte relation avec le développement socio-économique et la qualité des soins préventifs et curatifs existants dans le pays. Dans certains pays avec des économies avancées comme la Finlande et la Suède, la réduction du taux de mortalité infantile est continue depuis la Seconde Guerre mondiale. Dans d’autres pays comme la France, cette baisse semble ralentir.

Des scientifiques de l’Inserm, d’Université de Paris, de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, du CHU de Nantes et de l’Université de Californie ont voulu aller plus loin dans les analyses statistiques de l’évolution du taux de mortalité infantile en France et se sont plus spécifiquement intéressés à la période de 2001 à 2019.

Au cours de cette période d’étude, 53 077 décès de nourrissons ont été enregistrés parmi les 14 622 096 naissances vivantes, soit un taux de mortalité infantile moyen de 3,63/1 000 (4,00 chez les garçons, 3,25 chez les filles). Près d’un quart des décès (24,4%) sont survenus au cours du premier jour de vie et la moitié (47,8%) au cours de la période néonatale précoce, soit au cours de la première semaine suivant la naissance.

Une analyse statistique poussée a identifié deux points d’inflexion en 2005 et 2012 (figure ci-dessus). Le taux de mortalité infantile a fortement diminué de 2001 à 2005, puis de façon plus lente de 2005 à 2012. À partir de 2012, une augmentation significative du taux de mortalité infantile a été observée. Cette augmentation de 7% a fait passer la mortalité infantile de 3.32 en 2012 à 3.56 décès pour 1000 naissances vivantes en 2019. Des analyses de sensibilité[2] ont montré que cette tendance n’était pas liée à la modification des pratiques d’état-civil, ni à la modification des pratiques médicales pour la prise en charge des nouveau-nés atteints d’affections graves. Des analyses en sous-groupes indiquent que cette hausse est principalement due à une augmentation du taux de mortalité infantile dans la période néonatale précoce.

« Grâce à des analyses statistiques poussées, nous avons identifié une aggravation significative du taux de mortalité infantile en France depuis 2012. En comparant les données par rapport à d’autres pays européens à économie similaire tels que la Suède et la Finlande, on observe chaque année en France un excès d’environ 1200 décès d’enfants âgés de moins d’un an », explique le Pr Martin Chalumeau, dernier auteur de l’étude. « Il est primordial de pouvoir explorer en détail les causes de cette augmentation en disposant par exemple d’informations systématiques sur les circonstances médicales et sociales précises de ces décès et en faisant de cette population, qui est la plus vulnérable, une réelle priorité de recherche et de santé publique, ce qui n’est pas le cas actuellement », conclut le chercheur.

 

[1] Le taux de mortalité infantile (TMI) a été défini comme le nombre de décès d’enfants de moins d’un an (J0-J364) pour 1 000 naissances vivantes en une période donnée

[2] Analyses complémentaires qui permettent d’étayer la robustesse des analyses principales

Immunothérapie et cancer : la production d’anticorps au sein des tumeurs rénales permet de prédire la réponse au traitement

Coupe transversale d’un rein humain. © AdobeStock

Dans une récente étude, des chercheurs d’Université de Paris, de l’Inserm et de Sorbonne Université au Centre de Recherche des Cordeliers ont pu établir, grâce à la technique de transcriptomique spatiale[1], une carte de la localisation des cellules immunitaires dans des tumeurs rénales, selon qu’elles contenaient ou non des structures lymphoïdes tertiaires (SLT). Ils ont également montré qu’en présence de SLT dans les tumeurs, le traitement « réactivateur » des lymphocytes T est associé à une meilleure réponse à l’immunothérapie. Ces résultats ont été publiés dans la revue Immunity le 28 février 2022.

L’immunothérapie consiste, dans les cas de cancers, à stimuler la réaction immunitaire d’un patient vis-à-vis de ses cellules cancéreuses. Cette approche a révolutionné la prise en charge de nombreux cancers, dont le cancer du rein. Néanmoins, la plupart des patients sont résistants à l’immunothérapie et il est important, pour améliorer leur traitement, de mieux comprendre les mécanismes d’action de l’immunothérapie.

Le docteur Marie-Caroline Dieu-Nosjean avec les professeurs Catherine Sautès-Fridman et Wolf-Hervé Fridman, membres de l’équipe de recherche Inflammation, Complément et Cancer au Centre de Recherche des Cordeliers (Inserm/Université de Paris/Sorbonne Université), avaient montré il y a plusieurs années l’existence, au sein de certaines tumeurs, d’amas cellulaires appelés structures lymphoïdes tertiaires (SLT) riches en cellules immunitaires, dont des lymphocytes B et T, et comparables à des micro-ganglions au sein des tumeurs.

 Alors que les lymphocytes B sont les cellules à la base de la production des anticorps, les lymphocytes T sont les cellules tueuses du système immunitaire. Ces dernières sont généralement non-fonctionnelles dans les tumeurs, car bloquées dans leur fonction par des molécules produites par les cellules tumorales.

S’il a été récemment montré que la présence de structures lymphoïdes tertiaires (SLT) dans une tumeur est associée à une bonne réponse à l’immunothérapie, il restait à comprendre et décrire le rôle précis de ces structures SLT vis-à-vis de l’immunothérapie. À cette fin, le doctorant Maxime Meylan, premier auteur de cette publication, et les chercheurs de l’équipe Inflammation, Complément et Cancer, dirigée par la professeure Isabelle Cremer au Centre de Recherche des Cordeliers, ont analysé les tumeurs de cohortes de patients atteints de tumeurs du rein.

Pour cela, ils ont utilisé une nouvelle technique de transcriptomique spatiale qui permet, simultanément, de mesurer l’expression de l’ensemble des gènes contenus dans les tissus d’un organe complexe, ici une tumeur, et de localiser avec précision ces expressions et donc la position des cellules contenant ces gènes.

Grâce à cette technique, ils ont pu établir une carte de la localisation des cellules immunitaires dans ces tumeurs rénales, selon qu’elles contenaient ou non des SLT. Ils ont ainsi observé la présence, dans les SLT des tumeurs, de lymphocytes B à toutes les étapes de maturation, y compris à l’étape plasmocyte qui produit les anticorps spécifiques des antigènes à neutraliser. Ils ont également montré que ces plasmocytes migrent au sein de la tumeur pour délivrer les anticorps de façon ciblée. Ainsi, la présence de plasmocytes est corrélée à la présence d’anticorps qui se fixent sur certaines cellules tumorales et les détruisent.

Parallèlement, ils ont observé, lorsque les cellules cancéreuses sont recouvertes d’anticorps, que le traitement par un « réactivateur » des lymphocytes T est associé à une meilleure réponse à l’immunothérapie et à une plus longue survie des patients, sans progression de la maladie,

Ces observations suggèrent que la présence d’anticorps sécrétés par les plasmocytes au sein des tumeurs pourrait potentialiser l’effet du traitement « réactivateur » des lymphocytes T, en particulier via la libération d’antigènes par les cellules tumorales détruites.

Ces résultats permettent à la fois d’envisager d’identifier les patients susceptibles de répondre à l’immunothérapie grâce à l’analyse de leur tumeur, et d’étudier de nouvelles pistes thérapeutiques via la coopération des lymphocytes B et T au sein des tumeurs.

 

[1] La technique de transcriptomique spatiale permet, simultanément, de mesurer l’expression de l’ensemble des gènes contenus dans les tissus d’un organe complexe, ici une tumeur, et de localiser avec précision ces expressions et donc la position des cellules contenant ces gènes.

Découverte d’une fonction mémoire de l’immunité innée intestinale

ILC3 intestinales

Les ILC3 (vert) dans l’intestin (noyau en bleu et actine en rouge) en microscopie à fluorescence. © Nicolas Serafini – Institut Pasteur / Inserm

Le système immunitaire des muqueuses intestinales, et particulièrement l’immunité innée, joue un rôle essentiel dans la régulation des interactions hôte-microbe et notamment dans la protection contre les pathogènes. Des chercheurs de l’Institut Pasteur et de l’Inserm ont montré, grâce à un modèle animal d’infection intestinale, que certaines cellules de l’immunité innée, les cellules lymphoïdes innées de type 3, n’agissaient pas uniquement en phase précoce de l’infection, mais qu’elles pouvaient être entraînées et pourvues d’une forme de mémoire lors d’une réinfection. Cette caractéristique était jusqu’à présent connue pour appartenir principalement aux cellules B et T de l’immunité adaptative. Cette étude est publiée dans Science, le 25 février 2022.

La lutte contre les infections à Escherichia coli responsables de pathologies ou d’hémorragies intestinales représente un enjeu mondial de santé publique. Présentes dans l’eau de boisson ou l’alimentation, ces bactéries peuvent entrainer des diarrhées persistantes, associées à une inflammation intestinale aiguë. On estime qu’elles représentent près de 9% des causes mondiales de décès chez l’enfant.

La muqueuse intestinale est pourvue d’un système défensif complexe lui permettant de lutter contre ce type d’infection, tout en maintenant une tolérance envers le microbiote, indispensable au bon fonctionnement de l’organisme. Cette surveillance constante est assurée par le système immunitaire « inné », qui organise une défense précoce dès les premières heures suivant l’infection. Puis, le système immunitaire adaptatif développe une mémoire envers les pathogènes qu’il rencontre, grâce à l’activation de récepteurs spécifiques exprimés à la surface des lymphocytes B et T, permettant ainsi la production d’anticorps protecteurs et de cytokines inflammatoires.

Contrairement au rôle clairement établi du système adaptatif dans la tolérance et la protection, celui du système inné dans le maintien de cet équilibre demeure encore peu compris.

C’est en 2008[1] que l’équipe du chercheur Inserm James Di Santo (unité d’Immunité innée, Institut Pasteur / Inserm) décrit les cellules lymphoïdes innées de type 3 (« group 3 innate lymphoid cells », ILC3) comme une nouvelle famille de lymphocytes, distincte des lymphocytes T et B. Elles jouent un rôle essentiel dans la mise en place de la réponse immunitaire rapide, notamment dans les muqueuses intestinales, grâce à leur production de cytokines pro-inflammatoires, telles que l’interleukine (IL)-22.

La production de cytokines permet alors d’activer la production par les cellules épithéliales de peptides antimicrobiens, réduisant la charge bactérienne afin de maintenir l’intégrité de la barrière intestinale.

Dans cette étude, les chercheurs de l’unité d’Immunité innée (Institut Pasteur / Inserm) ont montré qu’en utilisant la bactérie intestinale murine, Citrobacter rodentium (un modèle d’infection à E. coli chez l’homme), les ILC3 persistent plusieurs mois après leur activation lors d’une infection. Ils ont appliqué un protocole innovant permettant d’exposer le système immunitaire à des quantités réduites de bactérie C. rodentium. Les scientifiques ont constaté que cette exposition limitée induit des modifications durables de la fonction des ILC3.

Ainsi, lors d’une seconde infection, les ILC3 « expérimentées » permettent un contrôle rapide de l’infection grâce à une prolifération accrue et une production massive d’IL-22.

« Nos travaux montrent que les ILC3 intestinales acquièrent une mémoire pour renforcer dans le temps les défenses de la muqueuse intestinale contre les infections répétées, » explique Nicolas Serafini, premier auteur de l’étude et chercheur Inserm au sein de l’unité d’Immunité innée (Institut Pasteur / Inserm).

« La capacité à « entraîner » le système immunitaire inné au niveau des muqueuses ouvre la voie à l’amélioration de la défense de l’organisme contre une variété d’agents pathogènes qui causent des maladies humaines, » commente James Di Santo, auteur principal de l’étude et responsable de l’unité d’Immunité innée (Institut Pasteur / Inserm).

Cette découverte met en évidence un nouveau mécanisme de défense immunitaire antibactérienne et elle pourrait, à terme, ouvrir de nouvelles approches thérapeutiques contre les pathologies intestinales (MICI ou cancer).

 

[1] Satoh-Takayama N. et al. Immunity 2008

Mieux comprendre le rôle de certains globules blancs dans la réponse immunitaire au SARS-CoV-2

cellule basophile

Image d’une cellule basophile montrant les granules (ronds sombres) caractéristiques des granulocytes. © Inserm/Janine Breton-Gorius

Bien que la réponse immunitaire de diverses cellules de l’immunité à une infection par le SARS-CoV-2 ait été relativement bien étudiée, la réponse des basophiles, une catégorie de globules blancs, n’avait pas encore été caractérisée, du fait notamment de leur faible représentation dans l’organisme (environ 0,5% des globules blancs). Dans une nouvelle étude, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, de Sorbonne Université et d’Université de Paris, du CNRS, de l’Institut Pasteur et de l’Efrei, décrivent la manière dont les basophiles répondent à une infection par le SARS-CoV-2. Ils montrent que le fait d’être exposé au virus les activerait, entraînant la production de certaines cytokines et contribuant à réduire l’inflammation et à promouvoir la sécrétion d’anticorps. Les résultats de cette étude font l’objet d’une publication dans la revue Frontiers in Immunology le 24 février 2022.

Les basophiles sont des globules blancs (ou leucocytes) qui jouent un rôle clé dans la réponse immunitaire. Ils sont produits dans la moelle osseuse et constituent environ 0,5 % du total des leucocytes. Outre leur rôle dans la protection contre les infections parasitaires, les basophiles sont impliqués dans la réponse à diverses maladies inflammatoires allergiques des voies respiratoires (rhinite allergique, asthme), du tractus gastro-intestinal (allergies alimentaires) et de la peau (dermatite atopique).

De précédentes études ont évalué le rôle des cellules du système immunitaire dites granulocytaires – neutrophiles, éosinophiles et basophiles – dans la réponse immunitaire face à une infection au SARS-CoV-2. Ces résultats avaient révélé une quantité diminuée des cellules basophiles pendant les phases aiguës et sévères de Covid-19, puis une augmentation de leur nombre jusqu’à la phase de récupération de la maladie, quatre mois après la sortie de l’hôpital. Ces mêmes basophiles étaient par ailleurs « activés » : ils produisaient des cytokines, des molécules permettant la communication entre les cellules immunitaire et capables d’adapter la réponse immunitaire en fonction de la nature de l’agent infectieux.

En étudiant in vitro la réaction de basophiles sains mis en contact avec le SARS-CoV-2, une équipe de recherche composée de chercheurs et chercheuses de l’Inserm, de Sorbonne Université et d’Université de Paris au Centre de recherche des Cordeliers, du CNRS et de l’Institut Pasteur au laboratoire Génomique évolutive, modélisation et santé, et de l’Efrei, a souhaité décrire plus précisément la réponse cytokinique des basophiles. Elle a observé que l’activation des basophiles se traduisait par la production de cytokines particulières, les interleukines IL-4 et IL-13.

Ces dernières permettraient aux basophiles d’interagir avec les autres cellules immunitaires, en particulier les lymphocytes T et B, et d’établir un lien entre l’immunité innée et adaptative (voir encadré). Par exemple, l’IL-4 oriente les lymphocytes B vers la production d’anticorps.

Les basophiles, comme les neutrophiles et éosinophiles sont des cellules de l’immunité innée alors que les lymphocytes B et T sont des cellules de l’immunité adaptative.

L’immunité innée est une réponse immédiate qui survient chez tout individu en l’absence d’immunisation préalable. Il s’agit de la première barrière de défense vis-à-vis de divers agents pathogènes. Elle fait principalement intervenir des anticorps préformés (naturels) et des lymphocytes ne présentant pas de récepteurs spécifiques à l’antigène.

L’immunité adaptative se met en place au bout de quelques jours après le contact avec l’agent pathogène et constitue la deuxième ligne de défense de l’organisme. Contrairement à l’immunité innée, l’immunité adaptative est spécifique d’un antigène donné.

Par ailleurs, les scientifiques ont aussi montré que lorsque les basophiles sont stimulés par l’interleukine IL-3, elle-même produite par les lymphocytes T, ils produisent plus d’IL-4 et d’IL-13.

Ces données soulignent le rôle potentiellement bénéfique de l’IL-3 chez les patients infectés par la Covid-19. D’autres résultats de recherche avaient déjà montré que de faibles taux d’IL-3 dans le plasma de patients infectés par le SARS-Cov-2 étaient associés à une plus grande sévérité de la maladie.

« De façon plus générale, ces résultats permettent d’approfondir les connaissances scientifiques jusqu’alors peu nombreuses sur le rôle clé des basophiles dans la réponse immunitaire et dans le contexte d’infections virales. Le mécanisme par lequel le SARS-CoV-2 induit l’activation des basophiles fait désormais l’objet de nouvelles recherches », explique Camille Chauvin, chercheuse Inserm et co-autrice de l’étude.

« Alors que d’autres études ont mis en évidence le rôle pathologique des cellules innées comme les neutrophiles, les monocytes et les macrophages activées par le SARS-CoV-2, nous avons découvert des effets potentiellement bénéfiques de l’activation des basophiles par le virus. Réussir à moduler l’activation des basophiles, via l’IL-3 par exemple, pourrait potentiellement nous permettre de réguler la réponse anticorps protectrice à une infection virale comme le SARS-CoV-2 », conclut Jagadeesh Bayry, directeur de recherche Inserm et dernier auteur de l’étude.

Greffe de moelle osseuse : quel est l’impact de la chimiothérapie sur le cerveau ?

Cellule microgliale

Cellule microgliale (vert) incapable de se diviser malgré l’expression d’un marqueur de prolifération (marquage rouge), devenue sénescente (marquage bleu) suite à une chimiothérapie (traitement au busulfan). © K. Sailor / PM Lledo, Institut Pasteur

Plus de 50 000 greffes de cellules souches dérivées de la moelle osseuse sont réalisées chaque année dans le monde pour traiter de nombreuses pathologies, dont des maladies du cerveau. Avant la transplantation des cellules, les patients reçoivent une chimiothérapie qui permet de détruire les cellules immunitaires et d’éviter ainsi que les cellules greffées ne soient rejetées par l’organisme. Jusqu’ici, les conséquences d’un tel traitement sur le cerveau étaient mal connues. Dans une nouvelle étude, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS et de l’Institut Pasteur[1] regroupés au sein de l’Institut du cerveau (Inserm/CNRS/Sorbonne Université) et du laboratoire « Gènes, synapses et cognition » (CNRS/Institut Pasteur) se sont intéressés à cette problématique. A partir d’un modèle animal, ils ont découvert comment la chimiothérapie pré-transplantation facilitait le remplacement des cellules immunitaires innées du cerveau, la microglie, par d’autres cellules immunitaires issues des cellules souches greffées (les macrophages). Ces résultats font l’objet d’une publication dans Nature Medicine le 21 février 2022.

De nombreuses pathologies du cerveau entraînent la démyélinisation[2] progressive du système nerveux central avec des symptômes neurologiques dévastateurs et un risque de décès prématuré (c’est le cas par exemple de la leucodystrophie). La thérapie génique visant à corriger les mutations génétiques à l’origine de la maladie directement dans les cellules souches de la moelle osseuse, et leur autogreffe ultérieure chez les patients, s’est développée ces dernières années et représente aujourd’hui un traitement de choix pour plusieurs de ces pathologies.

Des études cliniques ont montré que le recours à une chimiothérapie avant la transplantation des cellules souches de la moelle osseuse, à l’aide d’un agent de chimiothérapie appelé busulfan, permet une prise de greffe efficace et une tolérance de l’organisme aux cellules génétiquement modifiées. Toutefois, de nombreuses interrogations persistent encore, notamment concernant les mécanismes en jeu et l’impact de ce traitement pré-transplantation sur le cerveau des patients.

C’est pourquoi les scientifiques ont ici étudié les conséquences de ce traitement sur diverses populations cellulaires du cerveau, dans un modèle animal.

Ils se sont notamment intéressés aux cellules microgliales, des cellules immunitaires cérébrales qui sont essentielles au maintien d’une physiologie cérébrale saine dans les états normaux et pathologiques. Ces cellules présentent une forte capacité d’auto-renouvèlement tout au long de la vie.

Dans leurs travaux, les scientifiques montrent qu’après une chimiothérapie par busulfan, les cellules microgliales perdent complètement cette capacité régénérative, et que nombre de ces cellules meurent par sénescence[3].

Toutefois, ce processus ne serait pas délétère pour le cerveau, puisqu’après la greffe, les cellules disparues sont rapidement remplacées par des cellules dérivées de la moelle osseuse (les macrophages). Les cellules microgliales éliminées à cause de la chimiothérapie par busulfan laissent en effet des niches vides dans le cerveau que les macrophages dérivés de la moelle osseuse ne tardent pas à combler. Ces macrophages adoptent alors la morphologie et le comportement de la microglie normale. De futures études viseront à déterminer si ces macrophages adoptent l’ensemble des propriétés des cellules microgliales endogènes au cerveau.

« Les cellules microgliales jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement du cerveau et dans la physiopathologie de nombreuses maladies neurologiques sévères, génétiques, mais aussi complexes, comme la sclérose en plaque ou la maladie d’Alzheimer. Comprendre le devenir de ces cellules après le processus de greffe est essentiel à la fois pour préciser les conséquences de la chimiothérapie et pour développer de nouvelles stratégies thérapeutiques   pour de graves maladies neurodégénératives », précise Nathalie Cartier, directrice de recherche à l’Inserm et de l’équipe NeuroGenCell à l’Institut du cerveau (ICM), et dernier coauteur de l’étude.

« Cette étude met pour la première fois en lumière un mécanisme expliquant comment des macrophages dérivés de cellules souches, pénètrent le cerveau après une transplantation de cellules de moelle osseuse. Cette meilleure compréhension est essentielle pour développer de nouvelles stratégies de thérapie génique et cellulaire appliquée aux maladies du système nerveux central », souligne Pierre-Marie Lledo, directeur de recherche au CNRS et responsable de l’unité Perception et mémoire au sein du laboratoire « Gènes, synapses et cognition » (CNRS/Institut Pasteur) et dernier coauteur de l’étude.

« Nous montrons que la chimiothérapie par greffe de moelle osseuse fait perdre aux microglies, les cellules immunitaires résidentes du cerveau, leur capacité de régénération. Les microglies étant incapables de maintenir leur population, permettent aux cellules dérivées de la moelle osseuse de les remplacer. Cela démontre que la transplantation de moelle osseuse est une thérapie efficace pour certaines maladies neurologiques et fournit une stratégie pour la thérapie génique cellulaire dans le système nerveux central », remarque Kurt Sailor, chargé de recherche à l’Unité Perception et Mémoire de l’Institut Pasteur à Paris, et premier auteur de l’étude.

 

[1] Ces travaux ont été dirigés par NeuroGenCell, une équipe de l’Institut du Cerveau (ICM, Inserm/CNRS/Sorbonne Université) et une équipe du laboratoire « Gènes, synapses et cognition » (CNRS/Institut Pasteur).

[2] Destruction de la gaine de myéline qui entoure et protège les prolongements (axones) des neurones.

[3] La sénescence est le processus de vieillissement biologique se traduisant par un arrêt irréversible du cycle cellulaire, entrainant la mort des cellules.

Vaincre les cellules leucémiques en les privant d’énergie

Cellules leucémiques

L’activation sélective de l’enzyme AMPK conduirait à la mort des cellules leucémiques (en violet sur cette image). © Jérôme Tamburini / UNIGE Illustrations haute définition

Une équipe franco-suisse incluant des scientifiques de l’UNIGE a découvert comment déclencher l’apoptose des cellules leucémiques en perturbant leur mécanisme de maintien énergétique.

Les leucémies aiguës myéloïdes, qui affectent les cellules du sang et de la moelle osseuse, font partie des formes de cancer les plus mortelles. Plus de la moitié des malades de moins de 60 ans en meurent. Cette proportion s’élève à 85% pour les malades de plus de 60 ans. Une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) et de l’Inserm [1] a identifié un mécanisme énergétique inconnu jusqu’ici qui pourrait permettre la mise au point de nouveaux traitements. L’activation sélective d’AMPK, un enzyme clé de l’équilibre énergétique des cellules tumorales, conduirait à la mort de ces cellules au travers de l’activation d’une réponse de la cellule au stress. Les scientifiques ont ensuite réussi à exploiter cette faille énergétique avec succès dans un modèle animal de la maladie. Une combinaison de deux médicaments — dont l’un est déjà sur le marché — s’est en effet révélée prometteuse. Cependant, son efficacité doit encore être confirmée sur les cellules souches leucémiques capables d’échapper à de nombreux traitements pour ensuite redémarrer la croissance tumorale. Ces résultats sont à découvrir dans la revue Cell Reports.

Jérôme Tamburini, professeur associé au Département de médecine et au Centre de recherche translationnel en onco-hématologie (CRTOH) de la Faculté de médecine de l’UNIGE ainsi qu’au Swiss Cancer Center Léman (SCCL) et professeur à Université de Paris, travaille sur les mécanismes énergétiques des cellules tumorales dans les leucémies aiguës myéloïdes. Il s’intéresse particulièrement à une voie de signalisation cellulaire nommée AMPK. «AMPK est le principal détecteur du niveau énergétique des cellules», explique Jérôme Tamburini. «Cette voie s’active en cas de carence en énergie et enclenche alors un processus de dégradation de certains nutriments situés dans les cellules – le catabolisme – afin de produire l’énergie nécessaire.» Sans énergie, aucune cellule ne peut survivre. Serait-il alors possible de manipuler sélectivement ce mécanisme dans les cellules tumorales pour provoquer leur destruction, tout en préservant les cellules saines?

En 2015, Jérôme Tamburini et ses collègues de l’Inserm à l’Institut Cochin à Paris avaient participé au développement avec le laboratoire GlaxoSmithKline (GSK) d’un composé pharmacologique — GSK621 — qui s’était avéré un excellent activateur d’AMPK in vitro. «Après cette première preuve de principe, il nous fallait décrypter les mécanismes biochimiques à l’œuvre afin de les comprendre en détails, et en particulier quelles étaient les voies cellulaires activées par ce composé dans les cellules leucémiques, premier pas pour espérer ensuite exploiter ce phénomène à des fins thérapeutiques», explique Jérôme Tamburini.

Une combinaison efficace de deux médicaments.

Dans cette nouvelle étude, les scientifiques ont d’abord analysé l’expression des gènes de cellules tumorales humaines. Cela a permis d’identifier une enzyme, PERK, qui était particulièrement activée en réponse à la présence de GSK621. Or, PERK est un élément clé de la réponse au stress du réticulum endoplasmique, une structure intracellulaire spécialisée dans le métabolisme des protides et des lipides. «L’activation d’AMPK déclenche ainsi celle de PERK, puis une chaîne de réactions aboutissant à l’apoptose, la mort programmée de la cellule», détaille Jérôme Tamburini. «De plus, l’activation d’AMPK grâce au GSK621 permet d’augmenter le ciblage des cellules leucémiques par un autre composé pharmacologique, le venetoclax, aujourd’hui largement utilisé pour soigner les leucémies aiguës myéloïdes mais avec une efficacité limitée lorsqu’utilisé seul.»

Les scientifiques ont combiné ces deux médicaments chez des souris porteuses de cellules tumorales humaines et observé que la conjonction de ces deux composants permettait de contrôler le développement tumoral de manière bien plus efficace que lorsqu’un seul des deux était utilisé. Si GSK621 n’a pas été conçu pour devenir un médicament, d’autres produits actuellement en phase d’essais cliniques pour lutter contre les maladies métaboliques activent la voie AMPK. «Comprendre le mécanisme impliqué a mis en lumière des cibles thérapeutiques potentielles inconnues jusqu’ici», explique Jérôme Tamburini. «Nous allons maintenant pouvoir passer en revue tous les médicaments connus pour avoir un effet sur ces éléments et déterminer quelles seraient les combinaisons les plus efficaces.»

Qu’en est-il des cellules souches leucémiques ?

Les cellules souches leucémiques constituent une petite population de cellules au sein de la tumeur qui ne se détecte que par sa capacité à propager à nouveau la tumeur après un traitement initialement efficace. Principale cause de rechute, ces cellules particulières ne sont sensibles qu’à très peu de thérapies habituellement utilisées dans les leucémies et les preuves manquent encore pour déterminer l’effet qu’aurait sur elles l’activation massive d’AMPK. «Avant de tester sur l’être humain des combinaisons médicamenteuses visant ce mécanisme AMPK/PERK, nous devons déterminer leur effet sur les cellules souches leucémiques», concluent les auteur-es.

 

1. Plusieurs laboratoires ont été impliqués dont l’Institut Cochin (Inserm/CNRS/Université de Paris), le Centre de recherche en cancérologie de Lyon (Inserm/CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/Centre Léon Bérard) et le Centre de recherche en cancérologie de Toulouse (Inserm/CNRS/Université Toulouse III – Paul Sabatier).

La prise du traitement du VIH intermittente aussi efficace qu’une prise quotidienne chez les patients traités

Macrophages infectés par le VIH : Les protéines virales sont en vert, les microtubules en rouge et les noyaux en bleu. Taille des noyaux : 5µm © Inserm/Institut Curie, R. Gaudin/P. Bernaroch

Macrophages infectés par le VIH : Les protéines virales sont en vert, les microtubules en rouge et les noyaux en bleu. Taille des noyaux : 5µm © Inserm/Institut Curie, R. Gaudin/P. Bernaroch

 

Pour améliorer la tolérance des traitements antirétroviraux  chez les personnes vivant avec le VIH, ainsi que la réduction des coûts, le projet ANRS QUATUOR a étudié la prise d’un traitement quatre jours par semaine au lieu d’une prise quotidienne, en régime d’entretien[1]. C’est la première étude randomisée à évaluer cette stratégie. Cette approche innovante a montré sa non-infériorité[2] après quasiment un an de suivi chez 636 patients.

Cet essai a été mené en collaboration avec des équipes de recherche de l’Inserm et des cliniciens de l’AP-HP sous la direction du Dr Roland Landman (hôpital Bichat – Claude Bernard AP-HP, Université de Paris et Inserm), le Dr Pierre de Truchis (hôpital Raymond-Poincaré AP-HP, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines) et Lambert Assoumou (Institut Pierre Louis d’Epidémiologie et de Santé Publique, Inserm, Sorbonne Université, Paris). L’article princeps de cette étude a été publié le 2 février 2022 dans The Lancet HIV.

L’amélioration de la vie des personnes vivant avec le VIH est l’un des axes actuels importants de recherche et l’allègement thérapeutique en fait partie. Plusieurs stratégies visant à limiter la toxicité médicamenteuse à long terme et à améliorer l’observance au traitement sont actuellement explorées, avec par exemple l’utilisation de traitements injectables à longue durée d’action, le passage à une bithérapie ou encore la réduction des doses. Cette nouvelle étude a étudié la piste du traitement intermittent, avec la prise d’un traitement quatre jours consécutifs par semaine, suivis de trois jours de « pause ». Cet essai s’adosse à une précédente étude pilote menée en 2017 qui avait montré le succès thérapeutique de cette stratégie chez 96 % des patients après 48 semaines.

Cet essai est la première étude randomisée de non-infériorité visant à étudier l’efficacité et la sécurité du régime intermittent (quatre jours de traitements et trois jours d’arrêt) par rapport à un régime continu standard (prise quotidienne).

Il a inclus, entre septembre 2017 et janvier 2018, dans 59 hôpitaux en France, 636 patients adultes infectés par le VIH-1, sous trithérapie antirétrovirale, ayant une charge virale inférieure à 50 copies/mL depuis au moins 12 mois, ne présentant pas de mutations de résistance à l’un des médicaments utilisés et n’ayant pas changé de traitement dans les quatre mois précédant l’inclusion. Le Dr Pierre de Truchis précise : « Contrairement à d’autres approches de simplification, comme les études de bithérapie, cette stratégie  utilise la même combinaison efficace et tolérée déjà en cours chez le patient, sans introduction de nouvelle molécule. Les combinaisons thérapeutiques étudiées dans QUATUOR sont parmi les plus utilisées, en particulier les traitements comprenant des inhibiteurs d’intégrase. »

Les participants étaient répartis en deux groupes : 318 dans le groupe « intermittent », 318 dans le groupe « continu ». Ils devaient se rendre à des visites médicales à l’inclusion, puis aux semaines 4, 12, 24, 36 et 48.

Au bout de 48 semaines, les résultats montrent que le régime intermittent n’est pas inférieur au régime continu en ce qui concerne le maintien de la suppression virologique et la tolérance.

En effet, 96 % des patients du groupe intermittent et 97 % du groupe continu restaient en succès virologique (charge virale inférieure à 50 copies/mL). Seuls six patients (2 %) du groupe intermittent et quatre (1 %) du groupe continu ont connu un échec virologique (charge virale supérieure à 50 copies/mL). Des mutations de résistance aux médicaments sont apparues chez trois des six personnes en échec du groupe intermittent et une des quatre personnes du groupe continu. Les effets indésirables sévères (grades 3-4) étaient observés chez 9 % des patients du groupe intermittent et 12 % des patients du groupe continu.

De plus, la stratégie allégée ne s’associait pas à un risque d’augmentation du réservoir viral, ni à une activation inflammatoire, comme en témoignent les résultats des sous-études présentés dans le même article.

Les chercheurs ont également montré une amélioration de l’observance et de l’acceptabilité du régime intermittent auprès des participants de l’étude : 59 % des patients du groupe intermittent ont vu leur qualité de vie améliorée, contre 7 % du groupe continu.

Un bénéfice notable de cette stratégie consiste également en la réduction de 43 % du coût des traitements antiviraux, le coût moyen annuel passant de 7 207 euros dans le groupe continu à 4 127 euros dans le groupe intermittent. Cela représente une forte économie, sachant que, pour la région Île-de-France à titre d’exemple, en matière de coût de traitements toutes pathologies confondues, celui contre le VIH représente le deuxième poste budgétaire. L’adoption d’une stratégie thérapeutique efficace et moins coûteuse est également un enjeu important pour les pays à revenu faible et intermédiaire.

 « La stratégie évaluée par cet essai représente une alternative efficace pour les patients qui prennent bien leurs traitements et qui utilisent une combinaison limitant la survenue de résistance, rapporte le Dr Roland Landman. Avec le vieillissement de la population et les comorbidités associées, ce régime intermittent est une piste à explorer pour limiter la toxicité médicamenteuse à long terme. Des études virologiques et pharmacologiques supplémentaires, ainsi que l’efficacité à plus long terme (96 semaines) sont en cours d’analyse. Par ailleurs, la stratégie intermittente est étudiée dans de nouvelles études y compris avec des stratégies de bithérapie comme dans l’étude ANRS DUETTO en cours actuellement. »

 

[1] Après la phase d’initiation du traitement antirétroviral.

[2] Un essai de non infériorité vise à montrer qu’un nouveau traitement a une efficacité suffisante par rapport au traitement de référence.

Règles éthiques et volontaires sains : l’Inserm organise une rencontre entre les acteurs internationaux de la recherche biomédicale

Les volontaires sains ont pour particularité d’être recrutés afin de servir de groupe « contrôle » face aux groupes de patients, ainsi que pour tester de nouveaux médicaments, matériels ou techniques médicales. © Adobe Stock

Devenir acteur de la recherche pour contribuer à faire avancer les connaissances et trouver de nouveaux traitements est l’un des « leitmotiv » des personnes, malades ou non, qui participent aux essais cliniques. Leur rôle, parfois méconnu, a été mis en lumière lors de la pandémie de Covid-19 et a permis le développement rapide de vaccins sûrs et efficaces. Ce recours accru aux volontaires, notamment aux volontaires dits « sains » c’est-à-dire ne présentant pas de pathologie, a mis en évidence la nécessité de ré-interroger les pratiques des essais cliniques sous l’angle des nouvelles questions éthiques que cela soulève ainsi que des disparités entre les pays. Afin de proposer des premières pistes de réflexion, le Comité d’éthique de l’Inserm organise les 15 et 16 février prochains, une rencontre entre acteurs internationaux, chercheurs, médecins mais également citoyens, afin d’identifier les types de recherches faisant appels à des volontaires, d’émettre des recommandations et de définir collégialement des règles éthiques communes à tous. L’initiation de cette rencontre entre en résonance avec les grands objectifs stratégiques de l’Inserm de produire une recherche toujours plus éthique, digne de confiance et pleinement ouverte sur les attentes de la société.

Les volontaires ont toujours joué un rôle capital dans la recherche médicale par le biais de leur participation à des essais cliniques. Parmi eux, les volontaires sains ont pour particularité d’être recrutés afin de servir de groupe « contrôle » face aux groupes de patients, ainsi que pour tester de nouveaux médicaments, matériels ou techniques médicales.

Dans le cadre de la pandémie de Covid-19, la participation des volontaires sains a été fondamentale dans le développement de vaccins sûrs et efficaces mais a soulevé plus que jamais des questions éthiques complexes et mis en avant des disparités entre les pays quant aux pratiques pourtant déjà très strictement encadrées. C’est par exemple le cas des « challenges infectieux » qui consistent à exposer des volontaires sains aux pathogènes contre lesquels on vise à les protéger dans des conditions très contrôlées, et qui sont aujourd’hui interdits en France mais autorisés en Grande-Bretagne, par exemple.

Afin de développer internationalement et de façon homogène des règles éthiques liées à la participation de volontaires sains aux essais cliniques, le comité d’éthique de l’Inserm organise, les 15 et 16 février 2022, une rencontre de deux jours intitulée « Towards Ethical Guidance to Protect Healthy Volunteers in Biomedical Research » (« Vers des règles éthiques communes pour protéger les volontaires sains dans la recherche biomédicale »).

L’objectif de cette première rencontre entre acteurs internationaux, est d’initier une discussion afin de mener à l’élaboration d’un consensus et de règles internationales sur les recherches impliquant des volontaires sains.

Pour cela, deux grands axes seront explorés à travers les échanges entre acteurs réunis :

  • Identifier les différents types de recherches qui soulèvent le plus de questions éthiques vis-à-vis des volontaires sains
  • Proposer des recommandations pour renforcer les exigences éthiques des projets de recherche et accompagner la mise en place des règles communes

 

« L’initiative de cette rencontre entre en résonance avec le plan stratégique de l’Inserm, visant à renforcer le rôle de l’Inserm dans la coordination et le pilotage des essais cliniques nationaux en lien avec les partenaires européens et internationaux, indique le comité d’Éthique de l’Inserm. Nous attendons de cette première étape qu’elle pose les bases d’au moins deux à trois autres rencontres sur l’année 2022, à l’issue desquelles seront élaborées des recommandations concrètes sur l’implication éthique des volontaires sains dans les essais cliniques. Pour y parvenir, nous nous appuierons sur notre partenariat avec les institutions françaises, européennes et internationales », conclut-il.

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